GASTRO-ENTÉROLOGIE DU VEAU
Fiche
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : Cabinet vétérinaire
8, rue des Déportés
80220 Gamaches
Difficile de s’y retrouver parmi les différents réhydratants par voie orale disponibles pour les veaux. Les anciens critères et les modes de classification sont toujours utilisables mais parfois réducteurs.
Il n’existe pas une, mais des diarrhées (augmentation de la quantité et de la fréquence des selles avec diminution de la consistance). Chaque présentation est caractérisée, avant même l’examen clinique, par l’âge d’apparition, sa durée, sa sévérité, etc.
Pathophysiologiquement, se distinguent les diarrhées :
– de type osmotique (circulation intestinale de produits de digestion mal dégradés) ;
– par diminution d’absorption ;
– par sécrétion active d’eau et d’électrolytes ;
– par hypermotricité (moins d’eau est réabsorbée dans le côlon).
Une approche méthodique facilite le choix du produit et de la quantité à administrer. En 2004, Schelcher et Navetat proposaient de les répartir en quatre classes qui restent toujours d’actualité, même si certains produits appartiennent à deux catégories et que d’autres sont apparus sur le marché depuis (tableau 1) [10].
De composition variée, les réhydratants oraux iso-osmotiques conventionnelssont pauvres en énergie et en acides aminés, dépourvus de vitamines, d’oligo-éléments, et de lactoglobulines. Les plus récents ont revu à la hausse les taux de sodium (de 120 à 140 mmol/l). Le manque d’énergie et d’acides aminés pénalise non seulement directement ce type d’apport, mais aussi indirectement l’équilibre hydrominéral, puisque la dextrose et la glycine participent au transport du sodium.
L’intérêt spécifique des réhydratants oraux à base de lactosérum complémenté est l’apport de minéraux, de vitamines et de protéines solubles dont les γ-globulines. Ils ne contiennent pas de glucose mais du lactose. Ils favorisent un retour rapide vers un transit digestif actif car ils entretiennent la sécrétion de lactase, réduisant ainsi le risque de rechute à la reprise de l’alimentation lactée. Ils ont été parfois critiqués car lors de diarrhée virale ou à cryptosporidies, une diminution locale d’activité lactasique (destruction de la bordure en brosse des entérocytes) apparaît, mais les défenseurs de cette approche réhydratante orale expliquent que ce phénomène n’est pas généralisé à tout l’intestin : une partie reste fonctionnelle d’un point de vue enzymatique. La lactase n’est pas seule en jeu dans le processus de digestion chez le veau. Le lactose constitue un apport énergétique considérable. Le déficit intrinsèque en substances tampons peut leur être reproché.
Les réhydratants oraux hyperosmotiques visent à maximiser l’apport énergétique. Le recours à ce type de produits ne s’accompagne pas de pullulation bactérienne ni n’aggrave la diarrhée d’une manière générale (par effet osmotique).
Leur utilisation prolongée est déconseillée (pas plus de 3 jours seuls), car même avec 120 mmol/l de glucose, seuls 20 % des besoins énergétiques d’entretien sont atteints. Le maintien de l’alimentation lactée (maternelle ou de remplacement) est une bonne manière d’assurer les apports en énergie pour de longues diarrhées, dites cachectisantes.
Chez un veau âgé de moins de 4 jours, l’hypoglycémie est l’écueil majeur et le choix d’un réhydratant énergétique s’impose (Energaid®, Enerlac® par exemple). D’autres approches pour l’apport énergétique par voie orale chez le très jeune veau en situation infectieuse sont aussi possibles dans ce cadre, comme le recours aux colostrums complémentés (apport de 760 kcal/l avec Colostimel® + Énergie®, apport de lactosérum et lactose avec Biocolost®) (encadré 1).
Les réhydratants qui contiennent des hydrocolloïdes et des pectines (pectine, xanthane, caroube, riz, lin, guar, fruits, etc.) appartiennent parfois conjointement à une des autres catégories citées précédemment. Les hydrocolloïdes et les pectines sont de plus en plus souvent considérés comme des adjuvants (Réhydion®, Boviferm®, Enerlyte® + par exemple). Ils épaississent seulement le contenu et ralentissent le transit, donc limitent les pertes hydriques. Améliorer la consistance des selles n’est pas synonyme de rétablissement métabolique, soulignent les détracteurs de cette approche. Toutefois, les substances hydrocolloïdes et les pectines pourraient participer à l’adsorption des toxines. Ces produits n’ont donc pas pour seul intérêt de rassurer l’éleveur (qui voit les selles durcir). Ils peuvent répondre véritablement à une approche curative spécifique, même si aucun produit de cette famille adjuvée ne s’est plié aux exigences des dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments en termes d’essais cliniques.
Des produits contiennent du plantago ovata (Ispaghul = graines de psyllium blond), riche en mucilage, mais traditionnellement connu dans la pharmacopée comme un laxatif doux. Il est précisé dans la notice de Diaproof pro® sans AMM : « ne pas administrer en même temps qu’un spasmolytique ». Il est rapporté que le psyllium peut pénaliser l’absorption de glucose [11].
Plusieurs réhydratants, souvent les plus anciens, sont des médicaments vétérinaires (Enerlac®, Energaid®, Electydral®, Lactolyte®, Biodiet®). Il peut être intéressant, à la faveur de la visite sanitaire annuelle, lors du bilan sanitaire d’élevage (décret prescription-délivrance), de revenir à certains fondamentaux. Nombre d’éleveurs sous-estiment la quantité à administrer. Elle se déduit du degré de déshydratation (encadré 2, tableau 2 complémentaire).
Un réhydratant est aussi destiné à compenser les pertes en électrolytes. Les ions sodium, chlorure et potassium sont ceux à surtout prendre en considération. Il existe des recommandations anciennes sur les quantités à administrer, bien éloignées de la médecine factuelle actuellement en vogue (figure complémentaire sur www.WK-Vet.fr) [9].
La comparaison des apports en électrolytes se -complique cependant car l’absorption du sodium est conditionnée par la présence de suffisamment de glucose et d’acides aminés, telles la glycine ou l’alanine. Un rapport sodium/glucose a alors été recommandé (2/1) [10, 11].
Né dans les années 1990, le strong ion difference ([SID], égal à [Na+ + K+] – [Cl-]), peut permettre, en première approche, de comparer les produits entre eux. Un SID élevé correspond à une plus grande efficacité à corriger les désordres électrolytiques, mais aussi acido-basiques [4, 7, 10].
Ainsi, les agents alcalinisants (bicarbonate et autres bases métabolisables) qui figurent parmi les ingrédients ne sont pas seuls à déterminer la capacité à corriger l’acidose (voire l’alcalose) d’un réhydratant (encadré 3). Les teneurs recommandées en agents alcalinisants ont aussi un peu vieilli (40 à 80 mmol/l) [9, 11].
Des situations nouvelles sont rencontrées sur le terrain avec les éleveurs qui veulent (trop) bien faire : l’excès d’apport. Une alcalose métabolique par excès de réhydratant à SID élevé ou très riche en sels est occasionnellement rencontrée, témoigne Bertand Guin, praticien en charolais [2]. Elle est par exemple corrigée en « revenant aux fondamentaux » avec un simple Biodiet rose®.
Il existe aussi une polémique autour du choix des substances tampons. Certaines (bicarbonate, citrate) pénaliseraient davantage le caillage du lait (première étape de la digestion). Mieux vaudrait préférer l’acétate [8]. Pourtant, il existe des réhydratants (avec AMM) à base de bicarbonate et de citrate qui peuvent être préparés dans le lait (Enerlyte® par exemple). Des études in vivo récentes vont dans ce sens [1, 5]. Une simple critique du choix des substances tampons est un peu réductrice. Une donnée quantitative “substances tampons totales en équivalent bicarbonate” manque sur les emballages.
Des réhydratants sont parfois prescrits en l’absence de diarrhée et de déshydratation. Lors de gastro-entérite paralysante, ils visent la correction pure et simple de l’acidose. Un SID maximal est alors recherché (mais il convient de prendre garde à la gastroplégie) [4].
D’une manière générale, l’approche de la réhydratation orale a changé sous bien des aspects. Les données in vivo ont évolué depuis les travaux de Constable notamment, qui reste toutefois attaché à la valeur de SID. Au fil des multiples essais in vivo, ce chercheur de renommée internationale a établi qu’il est nécessaire de maintenir au maximum le lait maternel ou de substitution (cela étant une autre problématique) pour optimiser la digestion haute. Maintenir le lait ne profite pas aux agents pathogènes.
Des industriels critiquent ouvertement les paramètres d’appréciation des réhydratants oraux. Certains refusent de diffuser toute valeur de SID (Na+, Cl-, K+) et apport énergétique, au motif que le produit est recommandé « pour une utilisation dans le lait maternel ou de remplacement. ces derniers contribuent de manière significative aux paramètres mentionnés, toute indication des valeurs serait donc trompeuse » (Biopect®, Damino Danemark). Cette anecdote permet de rappeler qu’il convient de prendre en compte le SID et la valeur énergétique du lait (valeurs connues).
Des ingrédients atypiques sont rencontrés dans les réhydratants oraux.
Un produit contient des argiles (Nutril 80®)qui, contrairement aux hydrocolloïdes et aux pectines, jouent véritablement un rôle de pansement et limitent, par ce biais, l’accès à la muqueuse aux agents pathogènes (mais adsorbent aussi les autres substances “nobles”).
Des vitamines et des oligo-éléments sont souvent ajoutés (vitamines anti-oxydantes A, E, voire séléno-méthionine).
Des levures déshydratées sont incorporées pour faciliter la reprise de la digestion.
Au quotidien des éleveurs, les réhydratants se distinguent parfois tout simplement par la facilité d’administration et l’appétence : comprimés effervescents faciles à mettre en solution, poudres formant une pâte (trop) épaisse et à consommer immédiatement, sachet à mettre directement dans la gueule sans recours au Drench lact®, etc. Pas facile pour le vétérinaire de contrebalancer ces arguments de forme (galénique) par des arguments de fond solides quand les processus standardisés d’évaluation (comparative) des réhydratants oraux font cruellement défaut. Pourtant, l’enjeu est considérable : l’efficacité de la réhydratation orale est le premier maillon de la rationalisation de l’usage des antibiotiques par voie orale, et par la même, de la maîtrise de l’antibiorésistance.
(1) Voir l’article “Expérience de l’abord des diarrhées sans utilisation systématique d’antibiotiques” du même auteur, dans ce numéro.
L’approche “réhydratant à base de lactosérum complémenté” a été poussée à l’extrême avec des produits récents de type “colostrum + énergie”. Colostimel® + Energie® contient par exemple 7 g d’IgG actives garanties dans 200 g de poudre et des IgA. Biocolost® en contient au minimum 12 g/100 ml. Ces deux produits sont indiqués non seulement en prévention (des infections dans la période néonatale) lors d’apport insuffisant en colostrum, mais aussi curativement, lors de diarrhée (surtout dans la phase de reprise de l’alimentation lactée, lors d’une diarrhée prolongée pour le premier, dès les premiers signes cliniques pour le second). Ils contiennent l’un du sorbitol pour l’apport d’énergie, l’autre du lactose. Des bactéries lactiques protectrices de la muqueuse intestinale (enterococcus faecium) ont été additionnées à Colostimel®. Ces produits ne visent pas à réhydrater mais abordent par voie orale la problématique des diarrhées sous d’autres aspects que l’apport d’électrolytes, de tampons et d’eau (prévention de l’infection et de la rechute). L’apport d’IgG reste limité. L’apport d’énergie facilite l’absorption de sodium.
→ Volume à administrer sur 6 heures selon le degré de déshydratation = % de déshydratation x poids vif en kg + 15 ml/kg (= besoin d’entretien) + 20 ml/kg (= pertes).
→ Le pourcentage de déshydratation est estimé cliniquement d’après le tableau proposé par Constable en 1998 [3].
Pour la quantité à administrer en fonction de l’état d’acidose, la formule est la suivante(1) :
quantité en mmol/l de bicarbonate = déficit en mmol/l x poids en kg x 0,5 ou équivalents à apporter.
Le déficit en mmol/l est calculé d’après le tableau consacré par Kasari et Naylor ou bien estimé cliniquement un peu plus simplement par le tableau proposé par Szenci en 1982 (tableau 3) [2, 6, 12]. Seule la moitié de la quantité nécessaire est administrée par voie orale (après la restauration du reflexe de succion), si auparavant une administration par voie intraveineuse a été effectuée.
La donnée “équivalent bicarbonate” en mmol/l n’est pas facilement disponible selon les produits.
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