MALADIES CONTAGIEUSES EN ÉLEVAGE
Questions-Réponses
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches
Dans la lutte contre la maladie, l’importance de la voie aérienne reste à relativiser par rapport à la dominante féco-orale.
La paratuberculose est un vaste sujet de préoccupation en élevage, tant et si bien que, tous les 2 à 3 ans, un colloque scientifique international est organisé à son seul propos [13, 17]. Les connaissances scientifiques et les méthodes diagnostiques progressent doucement [12-14]. Tout près de nous, une donnée nouvelle est à signaler : alors que la voie féco-orale de contamination était le centre des préoccupations et la visée principale des plans de lutte, la voie aérienne a été remise à l’ordre du jour chez les bovins. Elle a été confirmée comme possible par les travaux d’une équipe néerlandaise [6-8,10]. Cet article présente les grandes lignes de cette série d’expérimentations. Il situe les résultats dans le contexte des informations disponibles sur la paratuberculose des ruminants.
Les recherches ont été publiées de 2010 à 2012 et présentées en partie lors du Forum européen de buiatrie, à Marseille, par une équipe universitaire d’Utrecht (Pays-Bas) [15].
D’abord, cette équipe a identifié la présence de Mycobacterium avium paratuberculosis(MAP) dans des poussières collectées en élevage laitier, avec un suivi dans le temps et dans l’espace : des collecteurs électrostatiques ont été répartis en de multiples sites de différents élevages laitiers aux Pays-Bas (figure, photo 1) [7, 8].
Puis l’infection a été reproduite expérimentalement (en locaux de niveau de biosécurité 2, à Calgary, au Canada) par inoculation réitérée dans les voies respiratoires chez des veaux, avec des doses infectantes faibles inspirées des quantités retrouvées dans les collecteurs en élevage [6].
La possibilité d’une transmission de MAP par voie aérienne a été montrée de longue date : par les travaux de l’Américaine Kluge en… 1968 [11]. Toutefois, la reproduction expérimentale portait alors sur les ovins. De plus, la voie utilisée était assez invasive (transtrachéale) et les doses infectantes mal établies à cette époque. Globalement, cette étude expérimentale en élevage ovin a été effectuée dans un environnement bien moins maîtrisé qu’actuellement (niveaux de biosécurité et recours à la biologie moléculaire inexistants). Cette donnée de la science était passée relativement sous silence depuis lors.
Les différents auteurs et rapports disponibles dans les publications insistent sur la voie féco-orale de contamination, directe ou indirecte (par les aliments, les pâtures souillées par les fèces). C’est en particulier le cas du rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ex-Afssa, en France en 2009 (extrait sur www.WK-Vet.fr) [1]. Sur le terrain, des difficultés ont été perçues dans des plans de maîtrise de la maladie visant l’éradication (cette notion d’“éradication” n’est plus à l’ordre du jour en France) [17]. Les experts mettent surtout en cause les difficultés diagnostiques des phases précoces de l’infection [5, 14]. D’autres voies de transmission sont aussi évoquées : transplacentaire ou par le sperme [1, 2, 12]. La contamination interspécifique a aussi été envisagée, après la découverte de l’infection de lapins, même si le phénomène inverse n’est pas démontré [1]. Le rôle des insectes est même cité tout en précisant qu’il convient alors de déterminer la dose infestante [1].
En 2004, l’Irlandais Corner publie, avec son équipe, dans une revue australienne son hypothèse que « le tractus respiratoire serait une voie hypothétique d’infection du bétail par MAP » [3].
En France, une thèse vétérinaire mentionne cette possibilité en 2008, au rang des hypothèses non testées mais plausibles : « [À cause de propriétés de membrane de MAP], l’aérosolisation de mycobactéries à partir de la surface de l’eau est parfaitement décrite » [2]. Puis « bien que cela soit sujet à controverses, l’inhalation [des] aérosols a été suggérée comme une possible voie de contamination par MAP tant pour les animaux que pour les humains, notamment par analogie avec Mycobacterium bovis chez les bovins », explique Michael Chastel, à partir de la bibliographie [2].
Cette voie de transmission est possible « sur le principe », concluent les chercheurs néerlandais en 2011 [6, 10].
L’inoculation expérimentale de MAP dans les voies aériennes a suffi à provoquer l’infection, et ce chez des bovins (laitiers).
La transmission a été effectuée en conditions contrôlées (laboratoire de grade de biosécurité 2) chez des veaux issus de neuf élevages commerciaux, avec des souches “de terrain” (en l’occurrence canadiennes puisque ces expérimentations néerlandaises ont été conduites dans ce pays). L’inoculation a été réalisée y compris par voie nasale, et non plus seulement transtrachéale. Une simple pompe spray à usage humain a été employée.
Sur les 18 veaux utilisés pour l’expérimentation, 3 témoins positifs ont été infectés par voie orale et 3 témoins négatifs également suivis.
L’expérimentation s’est appuyée sur les données modernes de la science en matière de diagnostic. Par exemple, la technique de l’interféron γ a été utilisée, en association avec la culture sur tissus nécropsiques et fèces, à l’aide d’un système de culture détectant de faibles quantités de MAP (para-Jem(r)), couplé à la génétique moléculaire (rt-PCR, ou real time-polymerase chain reaction). Il est trop tôt à ces âges pour travailler sur la séroconversion. Les veaux ne sont pas encore excréteurs ni les lésions macroscopiques attendues si précocement.
L’historique des veaux et leur suivi clinique sont extrêmement bien documentés (présence occasionnelle de toux, de diarrhée, de sang aux naseaux, etc.).
La discussion est soigneusement étayée (42 références) [6].
Le dispositif aérosol utilisé produit des particules de taille variable. Or il est établi, chez l’homme comme chez le veau, qu’au-delà d’une certaine taille (5 µm) les particules sont remontées par l’appareil mucociliaire pour être ingérées ([4] cité par [6]). Mais l’expérimentation a inclus des prélèvements de tissus lymphoïdes locaux-régionaux nasaux et respiratoires. MAP y a été détecté par culture sur des tissus homogénéisés dans environ la moitié de ces échantillons.
Les auteurs pensent que la voie aérienne d’inoculation est à considérer comme une double voie. Si une partie des particules est finalement ingérée, une autre entre en contact avec les tissus lymphoïdes locaux (cellules M des tissus lymphoïdes nasaux, amygdales et nœuds rétropharyngés), de la même façon qu’elles le font avec les plaques de Peyer dans l’intestin.
L’auteur suggère que cette voie de transmission est efficace en s’appuyant sur le fait que 2 veaux inoculés ainsi ont présenté une réponse spécifique interféron γ très précocement (12 semaines après l’infection, signe de sensibilisation spécifique des cellules mononucléées du sang périphérique).
Pour la voie trachéobronchique d’inoculation également étudiée, la pathophysiologie est un peu plus complexe car de si jeunes veaux n’ont pas encore de tissus lymphoïdes associés aux bronches, expliquent Susanne Eisenberg et coll. La bactérie a traversé l’épithélium de la muqueuse (pour atteindre les nœuds lymphatiques trachéobronchiques), tout autant qu’elle a été remontée par l’appareil mucociliaire et ingérée (en passant par les amygdales). Le poumon pourrait, tout comme les cavités nasales, être une porte d’entrée directe, mais sans doute davantage encore à un âge un peu plus avancé, d’après ces auteurs [6].
Les doses infectieuses utilisées ont été choisies pour mimer a priori ce qui est possible de se produire en conditions d’élevage : de petites doses ont été administrées de façon répétée et réitérée mais intermittente, relativement aux concentrations mesurées dans les collecteurs de poussières dans une expérimentation précédente [7, 8]. Huit fois la dose de poussière collectée (105 CFU) a été administrée pendant 3 jours consécutifs sur 3 semaines, soit neuf administrations en tout [6]. Eisenberg et coll. précisent dans leur thèse qu’il reste à affiner la dose minimale infectante [10].
Il n’est pas ouvertement fait état de cette voie de transmission dans les plans de lutte ou les audits paratuberculose mis en place en France, notamment (encadré) [15, 18]. Pourtant, depuis longtemps et plus que jamais, les plans de lutte intègrent l’importance d’améliorer l’hygiène générale, et d’associer des mesures de nettoyage-désinfection et de conduite d’élevage pas seulement orientées vers « le péril fécal ». La voie aérienne de contamination reste une voie d’origine fécale. C’est l’excrétion par les fèces qui reste la source de dissémination des agents pathogènes majeurs. Tarir la source reste indispensable dans la démarche d’assainissement.
Selon l’approche moderne en France, il convient de « passer de la gestion d’une maladie de l’animal, infectieuse et monofactorielle, à un management global de la santé du troupeau prenant en compte l’objectif spécifique de gestion de la paratuberculose » [15].
Le recueil des éléments relatifs à la situation de l’élevage constitue déjà une part importante de la visite paratuberculose. Jaquemine Vialard insiste sur ce point : « Prendre des photos et faire des schémas des bâtiments et des terrains […] » [18].
Il est fait état de l’importance des procédures de nettoyage-désinfection, en particulier des sols, et de séparation des classes d’âge dans les bâtiments (photo 2).
Entre élevages, la voie aérienne serait à considérer pour évoquer que le « risque zéro de recontamination » n’existe pas. Pour ceux qui sont fermés et sans achat, qui séparent déjà les veaux des mères à la naissance et qui gèrent correctement leurs colostrums, il demeure cette possibilité.
Pour les élevages infectés, viser la contamination féco-orale reste une priorité.
Parmi les éléments à étudier lorsque les mesures de lutte sont décevantes, d’autres facteurs que la voie aérienne sont à envisager conjointement ou antérieurement, par exemple, le rôle de la faune sauvage lors de pâturage, même s’il n’est absolument pas démontré [2].
« Les germes présents dans les aérosols contaminés (et vraisemblablement contaminants) pourraient […] couvrir de grandes distances grâce au vent […] », rapporte Chastel dans sa thèse [2]. Mais Eisenberg n’a pas trouvé de MAP viables dans les bâtiments des veaux lorsqu’ils étaient élevés dans des locaux séparés de ceux des adultes [7, 8]. Entre une contamination par voie aérienne dans un cheptel et une contamination entre plusieurs cheptels, à distance, un grand pas reste à franchir, estime Jaquemine Vialard de l’Anses, à Niort : « Il faut raison garder. »
Les travaux d’Eisenberg sont une avancée scientifique dont l’impact dans les pratiques de lutte reste purement théorique (et le restera car il est difficile de dissocier les voies respiratoire et orale puisqu’elles sont conjointes !). Ils permettront éventuellement d’expliquer certaines difficultés d’assainissement dans des contextes extrêmement particuliers, notamment dans les élevages sélectionneurs qui sont tenus à une maîtrise optimale des facteurs de risque afin de pouvoir conserver un statut indispensable à la commercialisation de leurs animaux.
L’équipe d’Eisenberg a terminé sa série de travaux sur MAP dans les bioaérosols(1). Elle n’explorera pas l’impact pratique et épidémiologique de ses travaux. D’après Jaquemine Vialard, il conviendrait encore d’inoculer des veaux par voie aérienne et de déterminer s’ils développent une paratuberculose clinique.
Dans une synthèse bibliographique autour de leurs travaux, Eisenberg et coll. reviennent sur la transition qui s’est opérée pour d’autres bactéries concernant la voie prédominante de transmission [9]. Pour les mycobactéries de la tuberculose ou la lèpre chez l’homme, la voie aérienne prévaut désormais (parallèlement, certes, à une meilleure maîtrise des contaminations par voie orale). Pour les maladies plus lointaines que sont la salmonellose du veau et la colibacillose du porcelet, elle a été prouvée.
Dans une discussion sur leurs travaux d’inoculation expérimentale, ils estiment aussi que « la voie respiratoire serait plus efficace [que la voie orale] dans la mesure où le germe n’est pas dilué dans le bol de contenu intestinal lorsqu’il est présenté aux cellules cibles » [6].
Ainsi, les travaux néerlandais sur la paratuberculose prouvant la possibilité qu’ont les bovins de s’infecter par voie nasale sont une avancée certaine, mais à relativiser sur le plan épidémiologique. Ils apportent un complément d’information sans que s’impose une révolution dans l’approche de lutte actuelle contre cette maladie. Quantifier l’impact des différentes voies en conditions d’élevage réel paraît difficile car l’ingestion et l’inhalation de MAP sont concomitantes (dépendamment de la taille des particules).
La mise en évidence de la possibilité de transmission aérienne vient renforcer l’idée bien établie qu’il est nécessaire de « manager la paratuberculose dans un cadre de santé globale du troupeau » [15].
Toutes les données accumulées (sur la transmission verticale, le rôle éventuel de la faune sauvage et, désormais, la voie respiratoire) entrent peut-être en ligne de compte pour expliquer l’observation selon laquelle l’expression de la maladie est fortement dépendante du contexte d’élevage.
Les résultats néerlandais devraient inciter à obtenir des éleveurs (quand cela est possible) une séparation physique des jeunes animaux et des adultes, dans des bâtiments différents.
→ La voie de transmission féco-orale reste la principale cible des audits paratuberculose (partie bâtiment). Cette approche n’est pas fondamentalement remise en question par la mise en évidence d’une transmission respiratoire car l’origine reste fécale.
→ Par exemple, il convient de s’intéresser à [18] :
– l’existence d’une maternité ;
– la fréquence du vêlage en maternité ;
– l’élimination de la litière et la désinfection du sol de la maternité entre chaque mise bas ;
– les projections de matières fécales constatées sur les murs et/ou le matériel du secteur maternité.
Il est aussi important de faire un schéma des locaux d’élevage, avec indication des points d’abreuvement et d’alimentation, et de la nature des cloisonnements, en précisant la répartition des différentes tranches d’âge dans les bâtiments, la présence et le contact potentiel avec des espèces domestiques sensibles à la paratuberculose (caprins notamment), l’existence et le positionnement des locaux spécifiques (maternité, local d’isolement, infirmerie), la gestion des effluents, la circulation des personnes et des matériels.
→ Autre exemple, l’audit “maladie de Johne” en troupeau laitier en Seine-Maritime stipule, dans les recommandations sanitaires importantes pour la “maîtrise des bâtiments” : « La séparation entre les lots par classes d’âge doit être nette, en particulier concernant la gestion des risques liés à la transmission par les matières fécales. Le curage doit être fréquent […] et le paillage effectué en quantité suffisante. L’ensemble nettoyage-désinfection doit être réalisé au minimum une fois par an, notamment pour les locaux d’élevage des jeunes, à l’aide de produits efficaces contre le bacille de Johne, agent de la paratuberculose » [15].
→ Il est difficile de dissocier les voies respiratoire et orale puisqu’elles sont conjointes.
→ Les résultats néerlandais devraient inciter à obtenir des éleveurs (quand cela est possible) une séparation physique des jeunes animaux et des adultes, dans des bâtiments différents.
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