Intoxication par la mercuriale annuelle chez des vaches montbéliardes - Le Point Vétérinaire expert rural n° 328 du 01/09/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 328 du 01/09/2012

TOXICOLOGIE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Andrea Montecchi*, Denis Grancher**, Gilles Lesobre***, Pierre Bergeron****, Marie-Anne Arcangioli*****

Fonctions :
*Clinique rurale de L’Arbresle
**Gestion des élevages,
denis.grancher@vetagro-sup.fr
***Clinique rurale de L’Arbresle
****Clinique rurale de L’Arbresle
*****Pathologie du bétail
******Université de Lyon, VetAgro Sup,
Campus vétérinaire de Lyon,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile

L’intoxication par la mercuriale annuelle (Mercurialis annua L.) provoque une hémoglobinurie impressionnante et une anémie qui peut être grave et subsister pendant plusieurs mois.

L’intoxication par la mercuriale annuelle (Mercurialis annua L.) est assez rare et peu diagnostiquée, bien que connue de longue date [6]. Elle affecte les ovins, les bovins et l’homme [1, 2, 6-9, 14, 15]. Quand les conditions climatiques le permettent, la mercuriale peut devenir rapidement envahissante après la récolte de céréales et la mise en pâture des repousses peut alors présenter un risque important. Il s’agit d’une intoxication typique de la période automnale.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

En septembre 2011, une vache présente de l’abattement et des difficultés à uriner. Les urines sont marron et le lait est légèrement coloré en rose pâle.

Le lendemain, une seconde vache présente les mêmes symptômes, à l’exception de la coloration du lait.

L’élevage, laitier, de 18 vaches de races montbéliarde et prim’holstein est situé dans l’ouest du département du Rhône. Le troupeau est laissé au pré pendant la journée et rentré le soir. Depuis 2 semaines, les vaches pâturent les repousses de sorgho sur une parcelle récoltée.

2. Examens cliniques

La première vache est faible, mais conserve un bon appétit. L’examen clinique révèle une température de 39,3 °C. Les muqueuses sont très pâles et légèrement ictériques. L’animal présente un globe vésical et des urines de couleur très foncée (photo 1).

La seconde vache montre également des muqueuses très pâles, des urines de même couleur et du ténesme. Elle est normotherme, mais plus abattue que la précédente.

3. Hypothèses diagnostiques et traitement

Une hémoglobinurie associée à une forte pâleur des muqueuses et un léger ictère orientent vers plusieurs hypothèses diagnostiques : cystite et/ou pyélonéphrite infectieuse, phénomène hémolytique intravasculaire, babésiose, leptospirose, intoxications diverses, par le cuivre, le sorgho, la fougère aigle, les glands ou la mercuriale.

Les diagnostics envisagés sont une pyélonéphrite avec une forte suspicion d’intoxication pour la première vache, une babésiose pour la seconde.

Pour les deux vaches, une antibiothérapie de première intention est mise en place avec l’association trimethoprim (4 g/100 ml)-sulfadimidine (20 g/100 ml) (Amphoprim®, 50 ml pendant 4 jours). Une sonde vésicale est posée au premier animal. Une injection d’imidocarbe (85 mg/ml, Carbesia®, 5 ml en une seule injection) est administrée au second.

4. Examens complémentaires

Trois jours après la première visite, les deux vaches présentent une normothermie et les urines de la première commencent à devenir plus claires. La sonde vésicale lui est retirée.

Des prises de sang permettent d’effectuer une numération et une formule sanguines, un dosage de l’activité des enzymes hépatiques et un frottis pour la recherche de Babesia.

Des échographies des reins et de la vessie sont effectuées. Les urines sont prélevées afin de réaliser une bandelette urinaire puis de différencier une hématurie d’une hémoglobinurie.

Une visite de la pâture des animaux est organisée quelques jours plus tard.

5. Résultats des examens

L’analyse hématologique révèle une sévère anémie avec un hématocrite respectivement de 11,6 et 10,7 %, une leucocytose avec une forte neutrophilie et une légère éosinophilie.

Le dosage des protéines se révèle impossible car le sang est trop hémolysé.

L’activité des enzymes hépatiques (aspartate aminostransférase [Asat], alanine aminotransférase [Alat] et γ-glutamyl transpeptidase [γ-GT]) est nettement augmentée et une vache montre une forte hyperurémie et une légère hypercréatininémie (tableau 1).

Le frottis est négatif (absence d’élément parasitaire intracellulaire).

Les échographies révèlent des reins normaux en forme, en dimensions et en échogénicité ; il en est de même pour les vessies. La bandelette urinaire n’a pas donné de résultat interprétable en raison de la couleur trop foncée des urines. La centrifugation des urines n’a pas donné de culot, ce qui permet de déduire qu’il s’agit d’une hémoglobinurie et pas d’une hématurie.

La visite de la pâture, un champ de repousses de sorgho, permet de repérer de très nombreux plants de mercuriale annuelle (Mercurialis annua L.).

6. Diagnostic

Le manque de lésions observables à l’échographie des reins et de la vessie ne permet pas d’écarter complètement l’hypothèse de cystite et/ou de pyélonéphrite.

La babésiose est surtout marquée par une hyperthermie, typique du début de l’infection. Elle a lieu plutôt au printemps, mais peut survenir lors d’automne doux. L’anémie provoquée par la babésiose est normocytaire, ce qui n’est pas le cas ici.

En ce qui concerne la lignée blanche, la neutrophilie ne se déclare qu’en phase chronique pour la babésiose, et aucune éosinophilie ni monocytose associées ne sont en revanche présentes en cas d’intoxication à la mercuriale [1].

La leptospirose se manifeste par de l’hyperthermie, des avortements, une hémoglobinurie, un ictère, de l’anémie, des signes nerveux et, parfois une hémolactation et une mammite atypique. L’absence d’un grand nombre de ces signes caractéristiques permet d’écarter cette hypothèse.

L’hypothèse d’intoxication par le cuivre est écartée car elle est très rare chez la vache et qu’elle est, en général, rapidement mortelle lorsqu’une hémoglobinurie est déclarée.

L’intoxication cyanhydrique par le sorgho a d’abord été prise en considération en raison de l’anamnèse, mais n’a pas été retenue en présence d’une hémoglobinurie.

L’intoxication par la fougère aigle cause principalement une hématurie, ce qui n’est pas le cas ici. De plus l’échographie n’a pas révélé de tumeur intravésicale. L’examen de la pâture et de l’étable n’a pas montré de fougère aigle.

Aucun chêne n’est présent aux alentours ni dans la pâture. Les résultats de l’examen clinique et des examens complémentaires, au cours d’un automne très sec, et la présence en grande quantité de mercuriale annuelle dans les pâtures orientent le diagnostic vers une intoxication par la mercuriale annuelle.

7. Traitements

Aucun traitement supplémentaire aux injections d’antibiotiques n’est administré à la première vache. La seconde, dont l’état général ne s’est pas amélioré, bénéficie d’une fluidothérapie avec 500 ml de glucose et sorbitol (Biosorbidex®) et 3 l de Ringer lactate.

8. Évolution

La semaine suivante, les animaux présentent une amélioration progressive avec reprise d’appétit et des urines de couleur normale. Des prises de sang, jusqu’à 66 jours après la première visite, sont effectuées pour suivre l’évolution des paramètres sanguins. La numération des hématies et l’hématocrite ne sont toujours pas revenus aux valeurs usuelles plus de 2 mois plus tard (figures 1 et 2).

DISCUSSION

1. Aspect de la mercuriale annuelle

La mercuriale annuelle (Mercurialis annua L.) est une plante dioïque appartenant à la famille des Euphorbiacées (encadré 1) [4].

Les pieds mâles portent des inflorescences pédonculées (photo 2). Les fleurs femelles sont isolées ou doubles et presque dépourvues de pédoncule (photo 3) [3-5].

La floraison correspond à la période de toxicité et varie avec le climat : en Europe continentale et dans le nord de l’Italie, cette période s’étend de mi-mars à mi-septembre alors que dans les pays méditerranéens, la plante fleurit pendant toute l’année [4]. Elle est considérée comme une adventice extrêmement répandue, notamment dans les friches, les décombres, les jachères, les cultures et sur les bords des chemins. Contrairement aux autres euphorbes, elle ne contient pas de latex mais un suc qui lui donne un goût légèrement amer et une odeur peu agréable.

2. Toxicité de la mercuriale annuelle

La plante contient de nombreuses molécules toxiques [10, 11] :

– la monométhylamine et la triméthylamine sont irritantes pour les épithéliums et confèrent à la plante son odeur particulière de poisson ;

– des saponines fragilisent les membranes cellulaires et sont toxiques pour les reins ;

– de l’hermidine, substance chromogène qui, par oxydation, donne de la chrysohermidine, substance rouge responsable de la coloration du lait et des urines.

– des flavonoïdes dont des dérivés de la quercétine et du kaempférol (antioxydants in vivo).

Toute la plante est toxique : les pieds femelles sont plus toxiques que les pieds mâles (encadré 2) [8]. La toxicité de la mercuriale est donc importante après la floraison, quand les graines arrivent à maturité à la fin de l’été [12, 14]. La mercuriale resterait toxique sèche (après traitement par des herbicides ou fanée) ou ensilée, même si certains auteurs rapportent que la mercuriale desséchée perdrait ses propriétés toxiques [5, 13].

La mercuriale a une odeur et un goût désagréables : elle est donc peu consommée par les animaux, mais en situation de sécheresse ou de disette alimentaire, sa consommation devient possible. Après des traitements herbicides avec des phénoxyacétates ou des aryloxyacides, la plante perd son odeur désagréable [6, 7].

3. Symptômes et traitement de l’intoxication

La coloration des urines est le signe d’appel de cette intoxication. La coloration peut être due à deux agents : l’hermidine oxydée qui donne une couleur rougeâtre et l’hémoglobine une couleur brunâtre. Dans ce cas, les muqueuses sont très pâles et parfois de l’ictère est présent.

Parallèlement, une dysurie, une strangurie et une anurie sont les conséquences de la cystite ou de la néphrite secondaire à l’hémolyse intravasculaire [8, 9, 15].

Les symptômes plus précoces sont de l’abattement, une faiblesse, de l’inappétence voire de l’anorexie avec une diminution de la production lactée. Parfois, des troubles digestifs sont observés : ténesme, coliques et diarrhée.

L’évolution dépend de la quantité de plantes ingérées et de l’état de l’animal intoxiqué. La rémission peut intervenir après quelques jours. Dans ce cas, l’hématocrite, le comptage des hématies ainsi que la teneur en hémoglobine peuvent rester très en dessous des valeurs usuelles pendant plus de 2 mois. La mort peut survenir brutalement en 8 à 10 jours par affaiblissement progressif.

Les organes les plus touchés sont les reins, le foie et le tube digestif. Une congestion rénale avec une néphrite est possible après la sévère hémolyse intravasculaire. En plus de l’anémie très marquée, un ictère peut être observé, d’origines extra-hépatique (anémie hémolytique) et/ou hépatique (lésions nécrotiques). En cas de diarrhée associée, la muqueuse intestinale est congestionnée.

Aucun antidote n’existe. Les traitements sont essentiellement symptomatiques afin d’éliminer le plus vite possible les molécules toxiques et de rétablir une numération et une formule sanguines correctes. La transfusion sanguine peut être un traitement de choix dans les cas d’anémie les plus graves. La perfusion avec des solutions hyper- ou isotoniques est utile pour augmenter la filtration glomérulaire et l’élimination des agents toxiques. L’administration de diurétiques reste délicate chez des animaux aux reins détériorés.

En cas de diarrhée associée, l’utilisation de charbon végétal actif peut être envisagée, comme celle d’argile, avec un traitement antispasmodique, surtout chez les petits ruminants.

Une antibiothérapie préventive peut être mise en place pour empêcher le développement de cystites et/ou de néphrites.

Conclusion

L’intoxication par la mercuriale annuelle, aussi rare soit-elle, n’en reste pas moins très impressionnante par l’hémoglobinurie qu’elle provoque, et grave par l’anémie qu’elle laisse subsister pendant un à plusieurs mois [2, 9].

Références

  • 1. Alzieu JP, Alzieu C, Dorchies P. L’intoxication par la mercuriale chez les bovins. Intérêt des études hématologiques dans le diagnostic différentiel de la babésiose bovine. Bull. Group. Tech. Vét. 1993(93-3-BV-445):29-35.
  • 2. Baker JR, Faull WB. Dog’s mercury (Mercurialis perenne L.) poisoning in sheep. Vet. Rec. 1968:485-489.
  • 3. Blamey M, Grey-Wilson C. La flore d’Europe occidentale – plus de 2 400 plantes décrites et illustrées en couleurs. Ed. Arthaud, Paris France. 1991:544p.
  • 4. Bonnier G. Flore complète illustrée en couleurs de la France, la Suisse et la Belgique. Ed. Librairie générale de l’enseignement, Paris. 1934;X:19-20.
  • 5. Cornevin C. Des plantes vénéneuses et des empoisonnements qu’elles déterminent. Éd. Firmin-Didot et Cie, Paris. 1887:169-175.
  • 6. Delatour P, Jean-Blain C. Mercurialis poisoning in cattle. Notes de toxicologie vétérinaire. 1977;2:65-68.
  • 7. Delatour P, Jean Blain C. Intoxication des bovins par la mercuriale. Bull. CNITV. 1977;2:65-68.
  • 8. Hollberg W, Winkelmann J. Enzootische hämoglobinurie in einer milchviehherde infolge Bingelkraut-Vergiftung. Tierärztl. Umschau. 1989;44:162-164.
  • 9. Landau M, Egyed MN, Flesh D. Mercurialis annua poisoning in housed sheep. Refuah Vet. 1973;30:3-4.
  • 10. Lorenz P, Conrad J, Bertrams J et coll. Investigations into the phenolic constituents of dog’s mercury (Mercurialis perennis L.) by LC-MS/MS and GC-MS analyses. Phytochem. Anal. 2012;23:60-71.
  • 11. Lorenz P, Hradecky M, Berger M et coll. Lipophilic constituents from aerial and root parts of Mercurialis perennis L. Phytochem. Anal. 2010;21:234-245.
  • 12. Polidori F, Maggi M. Problemi di alimentazione degli animali su alcuni casi di avvelenamento da “Mercurialis annua” nei bovini. Ricerche sperimentali sulla differente tossicita della pianta allo stato fresco e dopo essicamento. La nuova veterinaria. 1954;30:146-150.
  • 13. Puyt JD, Faliu L, Godfrain JC. Le diagnostic des intoxications d’origine végétale, première partie : diagnostic épidémiologique. Point Vét. 1981;12:11-17.
  • 14. Rugman F, Meecham J, Edmonson J. Mercurialis perennis (dog’s mercury) poisoning: a case of mistaken identity. Br. Med. J. 1983;287:1924.
  • 15. Senf W, Seffner W. Mercurialis annua poisoning in sheep. Monatshefte für Veterinärmedizin. 1965;20:622-625.

ENCADRÉ 1
Présentation de la mercuriale

La mercuriale est une plante dioïque : les fleurs mâles et les fleurs femelles ne sont pas portées par le même pied. Elle possède trois genres, la mercuriale pérenne (Mercurialis perenne L.), la mercuriale annuelle (Mercurialis annua L.) et la mercuriale tomenteuse (Mercurialis tomentosa L.) (tableau 2) [7].

ENCADRÉ 2
Dose toxique de mercuriale

La dose toxique est variable. Pour Dévrieux, la dose létale est de 15 kg de matière brute en 24 heures pour un bovin adulte ; pour Diernhofer, 10 kg suffiraient [7].

Plus généralement, sont considérés comme toxiques :

– 3 à 20 kg de plante fraîche pour un bovin adulte en une unique ingestion ;

– 1 à 3 kg de plante fraîche par jour pendant 3 à 6 jours pour un bovin adulte ;

– 0,2 à 0,3 kg de plante fraîche par jour pendant 5 à 6 jour pour un ovin adulte.

L’intoxication est plus souvent liée à la consommation répétée qu’à une ingestion unique.

Points forts

→ L’hémoglobinurie est le signe d’appel de l’intoxication par la mercuriale annuelle, associée à de l’abattement, une dysurie et une strangurie, ainsi qu’une anémie.

→ La plante est répandue, mais l’intoxication est assez rare en raison de son odeur et de son goût désagréables.

→ L’intoxication survient typiquement à l’automne.

→ L’anémie qui en résulte peut subsister durant plusieurs mois.

→ Le traitement est symptomatique, mais parfois une transfusion peut être envisagée. L’évolution dépend de la quantité de plante ingérée.

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