UROLOGIE DE LA VACHE GESTANTE
Cas clinique
Auteur(s) : Guillaume Lamain
Fonctions : Vétérinaires de l’Arche,
61130 Bellême
L’éversion de la vessie, à distinguer de la rétroflexion, survient généralement durant le part. Elle est observée, ici, une semaine avant terme et compromet la mise bas.
Une génisse de 30 mois, de race charolaise, est examinée en élevage pour une masse qui fait protrusion au travers des lèvres vulvaires. L’éleveur n’a observé cette masse que depuis le matin même. L’appétit de l’animal et son comportement sont altérés. De plus, l’éleveur s’inquiète des modalités de vêlage pour cette génisse inséminée, dont le terme de la gestation est prévu une semaine plus tard.
La génisse est debout mais abattue (photo 1). Sa respiration est costo-abdominale, le rythme est régulier et la fréquence de 28 mouvements par minute. Sa température rectale est de 38,2 °C et ses extrémités sont tièdes. La fréquence cardiaque est de 84 battements par minute. Le pouls a un rythme et une amplitude dans les normes. La génisse ne présente pas de déshydratation clinique (pli de peau persistant moins de 2 secondes et pas d’énophtalmie). Le temps de remplissage des capillaires est inférieur à 2 secondes. Les muqueuses sont roses et les nœuds lymphatiques explorables sont de volume normal.
L’animal présente du ténesme. Il tient sa queue levée en permanence et sa vulve est œdématiée (photo 2).
La masse qui constitue le motif d’appel est rose à rouge selon les endroits, de forme ovoïde, et sa partie extériorisée a un diamètre de 20 cm. Des lobulations sont observées à sa surface (photo 3). Des zones fortement œdématiées de coloration blanchâtre sont identifiées. À la palpation, la masse est élastique et sa surface lisse. Son diamètre diminue à mesure qu’elle entre dans le vagin, pour devenir un cordon de 2 à 3 cm de diamètre et de 5 cm de longueur, qui disparaît sous le clapet urinaire. L’orifice urétral est indétectable. D’autre part, la masse est mobile. Elle peut être complètement rentrée dans le vagin ou subir une rotation autour de l’axe longitudinal.
Un examen visuel du vagin et du col utérin, réalisé à l’aide d’un speculum et d’une lampe, ne révèle pas d’anomalie, en particulier aucune lacération vaginale. La palpation transrectale montre que le rein gauche n’est pas déplacé ventralement, qu’il présente un volume normal et que ses lobulations sont identifiables. Les matières fécales sont de consistance normale. Par ailleurs, le veau est vivant.
Le diagnostic différentiel en cas de masse faisant protrusion au travers des lèvres vulvaires comprend un prolapsus utérin, un prolapsus vaginal ou de graisse périvaginale, une éversion ou un prolapsus de la vessie, une tumeur urinaire ou génitale et un abcès vaginal.
La palpation intravaginale et, notamment, le passage du cordon relié à la masse sous le clapet urinaire permet de déterminer qu’il s’agit de la vessie retournée en doigt de gant et ainsi d’établir le diagnostic. Une éversion de la vessie est diagnostiquée.
La réduction manuelle de la masse, c’est-à-dire le repositionnement de la vessie dans la cavité abdominale par taxis externe, se révèle impossible. La paroi de l’organe est en effet très épaissie. Le volume important pris par la masse empêche de la faire passer via le cordon, qui est en fait l’urètre, éversé lui aussi.
Un dosage des paramètres rénaux est effectué afin de déterminer l’étendue de l’insuffisance rénale associée à cette éversion vésicale. L’urémie est de 6,1 g/l (norme : 2 à 7,5 mmol/l) et la créatininémie de 99 mg/l (norme : 67 à 175 µmol/l).
Aucun traitement spécifique ne pouvant être mis en place, la décision est prise de déclencher le vêlage par injection intramusculaire de 0,5 mg de cloprosténol (2 ml d’Estrumate(r), MSD), puis de réaliser une césarienne. La dilatation du col utérin est surveillée toutes les 6 heures par l’éleveur à la suite de ces injections. Environ 36 heures après l’injection, lorsque le col est dilaté de trois doigts, la césarienne est réalisée de façon classique sur l’animal debout, sous anesthésie locale traçante (100 ml de chlorhydrate de lidocaïne à 2 % injectés dans le flanc gauche par voies sous-cutanée et intramusculaire). À la faveur de cette laparotomie, les reins sont palpés. Aucune anomalie de volume ou de forme n’est détectée.
Le veau est viable et pourra être vendu par l’éleveur. Un certificat vétérinaire d’information est rempli pour accompagner la vache à l’abattoir. Celle-ci est abattue dans une chaîne classique et seulement 8 kg de carcasse sont saisis, correspondant aux tissus environnant la plaie de césarienne.
L’éversion de la vessie est une affection rare chez les bovins, probablement en raison de l’étroitesse de l’urètre dans cette espèce (figure 1) [2, 4, 5, 7]. Cette affection est identifiée chez la femelle dans les espèces bovine et équine en cas d’importante augmentation de la pression intra-abdominale [7]. Dès lors, le moment du part et les heures qui suivent le vêlage sont autant de périodes à risque [5]. Une hypocalcémie a été proposée comme facteur prédisposant, car elle pourrait entraîner une baisse de tonicité de la vessie, facilitant son éversion [7]. Dans le cas présenté, l’éversion de la vessie est identifiée de façon surprenante plusieurs jours avant le terme de la gestation. Une pression excessive exercée par l’utérus sur les organes abdominaux en fin de gestation peut avoir provoqué chez cette génisse des coliques responsables d’efforts expulsifs. Il semblerait que ces efforts ont été responsables de l’éversion et, une fois la vessie éversée, sa présence dans le vagin en a provoqué de nouveaux.
Un cas similaire d’éversion de la vessie a été rapporté chez une vache simmental de 4 ans, 2 à 3 semaines après un vêlage réalisé sans assistance. L’éversion datait d’au minimum une semaine [7]. La vache présentait des efforts expulsifs. La masse vaginale était ovoïde, mesurait 18 à 25 cm de diamètre et était attachée au plancher du vagin, caudalement au clapet urétral. La couleur et la consistance de cette masse étaient comparables à celles décrites dans le cas présenté ici [7]. La consistance particulière est due, d’une part, à un important œdème ayant infiltré la paroi vésicale et, d’autre part, à la présence de liquide séreux, accumulé dans cette vessie retournée [4]. Il est probable qu’en l’absence de compression complète, les uretères, bien qu’étirés, continuent d’acheminer l’urine, évacuée au fur et à mesure le long de la vessie éversée. Même dans les cas diagnostiqués tôt, il est presque impossible de localiser les uretères, en raison de l’œdème de la paroi vésicale, dont l’épaisseur peut atteindre 3 à 5 cm [4, 7].
Le diagnostic différentiel de l’éversion vésicale chez la vache comprend le prolapsus de tout ou partie de l’appareil génital. Une tumeur ou un abcès peuvent également être envisagés [5, 7]. Cependant, l’affection la plus proche est la rétroflexion ou prolapsus de la vessie au travers d’une déchirure vaginale [5]. La distinction entre éversion et rétroflexion repose principalement sur la palpation intravaginale, qui permet dans le cas d’une vessie éversée de mettre en évidence un cordon qui rejoint le plancher du vagin à l’endroit de l’orifice urétral, et l’absence d’anomalie de la paroi du vagin (encadré, figure 2 et 3) [7]. Dans le cas d’une rétroflexion, la vessie est reliée à un cordon qui rejoint la cavité abdominale en passant au travers d’une déchirure vaginale.
En l’absence d’un traitement approprié mis en place rapidement, l’éversion de la vessie conduit à une compression des uretères. S’ensuit alors l’accumulation d’urines dans les uretères, puis une hydronéphrose [7]. Ces complications qui assombrissent le pronostic de l’affection peuvent être mises en évidence par palpation transrectale (rein gauche hypertrophié et décalé vers le bas, absence de lobulations rénales), par échographie transrectale du rein gauche ou transabdominale du rein droit [3].
Des dosages sanguins permettent de mettre en évidence une éventuelle insuffisance rénale. Dans le cas bibliographique de la vache simmental, ces différents examens ont révélé une inflammation, ainsi qu’une urémie et une créatininémie augmentées (respectivement 50,5 mmol/l ; norme < 7,5 mmol/l et 1 862 µmol/l ; norme 67 à 175 µmol/l) [7].
L’imagerie permet d’observer une quantité modérée de liquide accumulé autour des deux reins et une légère dilatation des calices rénaux [7].
Des complications infectieuses urogénitales sont également à prévoir, dans le cas où de l’urine s’accumule dans le vagin, ou si des matières fécales viennent souiller la vessie éversée.
L’incarcération dans la vessie éversée d’anses intestinales est possible [5]. Elle entraîne des symptômes caractéristiques d’un arrêt complet du transit digestif (coliques importantes, tympanisme, absence de matières fécales, etc.).
Dans le cas présenté ici, la question de l’ancienneté de l’affection se pose. L’aspect de la vessie et la présence d’un œdème important laissent supposer que l’organe était éversé depuis plusieurs heures. Les analyses sanguines réalisées et l’aspect macroscopique normal des reins, ainsi que le bon état général de l’animal suggèrent que l’éversion n’avait cependant pas encore de conséquences sur ces organes. Il reste toutefois difficile de dater précisément l’apparition de l’éversion.
Un traitement simple de cette affection peut être réalisé si l’éversion est identifiée dans les heures suivant son apparition. Il consiste à replacer manuellement la vessie en position normale en la réintroduisant dans l’urètre [2, 7]. Une anesthésie épidurale caudale préalable permet -d’interrompre les efforts expulsifs. L’application sur la vessie d’un liquide hyperosmotique (NaCl à 7,2 % par exemple) peut aider à réduire l’œdème vésical [5]. Dans les cas subaigus ou chroniques, la formation d’un important œdème épaississant la paroi vésicale empêche la remise en place de cet organe [7]. Des procédures chirurgicales ont été décrites en cas d’échec de la réduction manuelle. Une incision longitudinale dorsale pratiquée le long de l’urètre, près du sphincter urétral, permet de remettre la vessie en place, avant de suturer cette plaie chirurgicale [4, 5]. Le manque d’accessibilité au site chirurgical semble cependant être un obstacle majeur à cette procédure. Dans le cas où des anses digestives passent dans la vessie éversée, une cystotomie et une laparotomie sont requises [7]. Le traitement de la rétroflexion vésicale est plus aisé. Après remise en place de la vessie, la suture à l’aveugle de la lacération vaginale par des points en X permet de prévenir les récidives ou la hernie d’anses intestinales [5].
En ce qui concerne l’animal présenté dans cet article, une réduction manuelle simple de l’éversion s’est révélée impossible en raison de l’épaisseur de la paroi vésicale. La décision a été prise en accord avec l’éleveur de faire naître le veau par césarienne, la vessie obstruant le vagin de façon trop importante pour que le veau puisse passer par les voies naturelles. L’association de 0,5 mg de cloprosténol et de 20 mg de dexaméthasone permet de déclencher la mise bas de façon plus certaine qu’avec une seule de ces hormones [8]. Cependant, l’observation des délais d’attente avant abattage de l’animal n’a pas permis l’utilisation de dexaméthasone (un délai de 6 jours pour viande et abats doit être respecté après injection de Dexadreson(r), MSD). Le délai court imposé lors de l’utilisation de cloprosténol (Estrumate(r), MSD, un jour de délai pour la viande et les abats) était plus adapté. La génisse a ainsi pu être abattue le lendemain de la césarienne, avant l’installation d’une insuffisance rénale ou de complications liées à cette césarienne réalisée en l’absence d’antibiothérapie.
L’apparition d’une maladie à un moment inhabituel dans le cycle de vie du bovin, ici une éversion de la vessie avant la parturition (fait décrit pour la première fois à la connaissance de l’auteur), rappelle les limites de l’anamnèse et l’importance d’un examen clinique complet, qui permet d’établir un diagnostic précis. Le cas présenté illustre également la mise en place d’une démarche thérapeutique qui prend en compte avant tout les enjeux économiques, comme il se doit en médecine de rente.
→ L’éversion de la vessie doit être différenciée de sa rétroflexion.
→ Une éversion de la vessie n’est réductible qu’en début d’évolution.
→ Une césarienne permet ici de sauver le veau et de faire abattre la génisse.
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