Conduite diagnostique face à une suspicion de mastocytome - Le Point Vétérinaire n° 328 du 01/09/2012
Le Point Vétérinaire n° 328 du 01/09/2012

ONCOLOGIE CANINE ET FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Pierrette Lavault*, Guillaume Ragetly**, Jérôme Benoît***

Fonctions :
*Clinique Vétérinaire Bozon
39, rue des Chantiers
78000 Versailles
**Centre hospitalier vétérinaire de Frégis
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil
gragetly@yahoo.fr
***VRCC
1 Bramston Way,
Southfields, Laindon, Essex
SS15 6TP Royaume-Uni

Pour diagnostiquer un mastocytome, une ponction à l’aiguille fine est indispensable. L’analyse histologique permet, ensuite, de grader la tumeur et de poser un pronostic définitif.

Le mastocytome est la tumeur cutanée la plus fréquente chez le chien (près de 20 % de toutes les tumeurs cutanées) et la deuxième plus fréquente chez le chat [8]. Cette tumeur atteint principalement le derme et le tissu sous-cutané, même si des mastocytomes extracutanés sont fréquemment rapportés, notamment au niveau viscéral. Certains cas de mastocytome ont également été décrits sur la conjonctive, la glande salivaire, le nasopharynx, le larynx, la cavité buccale, l’urètre et la colonne vertébrale [4]. Le potentiel métastatique des mastocytomes est variable. La plupart d’entre eux métastasent d’abord au nœud lymphatique local, puis à la rate et au foie, et, enfin, à la moelle osseuse. Une atteinte de la moelle hématopoïétique est peu probable en l’absence d’une extension lymphatique ou viscérale.

Les mastocytomes viscéraux (ou mastocytose systémique) atteignent principalement le tractus gastro-intestinal, le foie et la rate [6]. Cette forme viscérale reste rare chez le chien. Elle est, en revanche, plus courante chez le chat (jusqu’à 50 % des cas de mastocytome dans certaines études) et rarement précédée de l’apparition d’une masse cutanée.

L’aspect extrêmement polymorphe que peut revêtir le mastocytome (cutané ou viscéral) et les signes systémiques peu spécifiques qui l’accompagnent rendent parfois son diagnostic difficile à établir. Ainsi, l’hypothèse d’un mastocytome doit être considérée pour toute masse cutanée, indépendamment de son aspect et de sa localisation.

1 Physiopathologie des mastocytomes

Les mastocytes sont des cellules rondes, d’origine granulocytaire, qui migrent de la moelle vers les tissus. Ces cellules sont naturellement présentes dans la plupart des tissus, principalement sur la peau, mais aussi sur les muqueuses digestives et respiratoires et les conjonctives. À l’état normal, chez le chien, les mastocytes sont aussi présents dans 25 % des nœuds lymphatiques, ce qui rend parfois difficile l’interprétation d’un examen cytologique effectué lors d’un bilan d’extension régionale.

Ces cellules sont impliquées dans les mécanismes de réactions allergiques, anaphylactiques ou auto-immunes. Elles renferment spécifiquement des granules qui contiennent, entre autres molécules, de l’histamine et de l’héparine, qui sont la cause de réactions locales (érythème, ulcération) et systémiques (dont des syndromes paranéoplasiques). Ces réactions sont plus fréquentes en cas de dégranulation importante d’un mastocytome cutané lors de sa manipulation, de son aspiration, de la réalisation d’une biopsie incisionnelle ou de son exérèse.

Dans le cas des mastocytomes, le relargage d’histamine de manière chronique provoque une augmentation de la production d’acide chlorhydrique par l’estomac, provoquant des ulcérations gastriques. Ces lésions sont présentes à la nécropsie chez 35 à 83 % des chiens atteints d’un ou de plusieurs mastocytomes. De manière plus aiguë, une dégranulation des mastocytes, à l’occasion d’un acte chirurgical par exemple, peut être la cause de graves épisodes hypotensifs et d’anomalies de la coagulation. Enfin, s’il reste un nombre important de mastocytes en regard du lit tumoral après exérèse, la présence d’histamine peut aussi retarder la cicatrisation par inhibition indirecte des fibroblastes.

2 Anamnèse et commémoratifs

L’âge moyen d’apparition de la tumeur est de 7,5 à 9 ans chez le chien et de 8 à 9 ans chez le chat [8, 9]. Cependant, des cas de mastocytomes cutanés ont été rapportés chez des chiots dès l’âge de 9 semaines [9].

Les chiens prédisposés au mastocytome sont les boxers, les boston terriers, les bull terriers, les bullmastiffs, les cockers spaniel, le staffordshire terriers, les fox terriers, les bulldogs anglais, les teckels, les retrievers, les beagles, les schnauzers, les carlins, les shar-peis, les rhodesian ridgebacks, les braques de Weimar et les bergers australiens [9]. Chez le chat, seul le siamois semble prédisposé [8].

Le motif de consultation est le plus souvent la présence d’une ou de plusieurs masses, de type et de localisation variés. Dans le cas de masses multiples, leur apparition peut s’effectuer de façon simultanée ou séquentielle.

Certains chiens sont également présentés pour des signes cliniques dus à la libération des substances bioactives (histamine, héparine, protéases, etc.) contenues dans les granules des mastocytes : anorexie, léthargie, vomissements (avec présence de sang ou non), méléna ou douleur abdominale [9]. L’action de ces substances peut conduire jusqu’au choc anaphylactique, mais cela reste rare [3]. Chez le chat, ces effets systémiques ne sont pas décrits, même si les formes cutanées s’accompagnent parfois d’un prurit et d’une automutilation conduisant à l’ulcération de la masse.

La forme viscérale se manifeste par des symptômes comme un abattement, de l’anorexie, une perte de poids, une diarrhée (avec du sang ou non) et, parfois, une obstruction intestinale. L’anamnèse révèle le plus souvent une dégradation de l’état de l’animal sur plusieurs semaines. Récemment, un cas de cécité soudaine a été rapporté chez un greyhound atteint d’un mastocytome diffus sur l’os sphénoïde et généralisé aux nœuds lymphatiques et à la rate [1].

3 Examen clinique

L’examen clinique est l’occasion de rechercher d’autres masses éventuelles, présentes chez 5 à 25 % des chiens atteints de mastocytomes (phénomène fréquent chez le carlin, le boxer et le labrador).

Chez le chien, les mastocytomes cutanés sont le plus souvent situés en regard du tronc (50 à 60 %) et des extrémités (25 à 40 %), et plus rarement sur la tête et le cou (10 %). Le scrotum, le périnée, le dos et la queue sont moins souvent atteints.

Les mastocytomes cutanés sont des tumeurs polymorphes qui peuvent prendre l’aspect de n’importe quelle autre tumeur cutanée ou lésion non tumorale. Ils doivent donc faire partie du diagnostic différentiel de tout nodule cutané. Ils peuvent se présenter sous la forme d’un nodule simple bien délimité, à croissance lente, ou sous celle de lésions larges et diffuses accompagnées d’une réaction inflammatoire plus ou moins importante et parfois d’ulcérations (photos 1 et 2). Certaines formes de mastocytome sous-cutané, mou et charnu sont souvent confondues avec des lipomes [8].

La manipulation de la masse ou l’aspiration à l’aiguille fine provoquent parfois la dégranulation des mastocytes, et induisent l’apparition d’un érythème et de papules dans le tissu avoisinant, phénomène appelé “signe de Darier” [8].

La forme viscérale entraîne le plus souvent une lymphadénopathie, une splénomégalie et une hépatomégalie. Elle peut également occasionner des épanchements pleuraux et péritonéaux comprenant un grand nombre de mastocytes [8].

Chez le chat, il existe deux types de mastocytomes cutanés qui, contrairement au chien, sont le plus souvent situés en regard de la tête et du cou. Le premier type, d’apparence très semblable à celui qui est observé chez le chien, correspond le plus souvent à une unique masse dermique, ferme, bien délimitée, de 0,5 à 3 cm de diamètre. Elle est parfois accompagnée de lésions érythémateuses et est ulcérée dans 25 % des cas. Ce type peut également prendre la forme d’une lésion plate et prurigineuse ressemblant à des plaques éosinophiliques, ou encore de petits nodules sous-cutanés. Le second type de mastocytome cutané du chat, dit “histiocytaire”, se présente généralement sous la forme de multiples petits nodules, fermes, non prurigineux et alopéciques, parfois ulcérés. Cette forme de mastocytome peut régresser spontanément en 4 à 24 mois. Le signe de Darier est également possible pour cette forme de mastocytome.

Les mastocytomes cutanés chez le chien sont classés en stades cliniques de 0 à IV (tableau 1). Cependant, ces derniers sont en partie remis en question actuellement, notamment le stade III. En effet, cette catégorie comprend aussi bien les tumeurs multiples que les grandes tumeurs infiltrantes. Or les tumeurs multiples peuvent apparaître de façon simultanée ou les unes après les autres en tant qu’événement indépendant. Par conséquent, la présence de plusieurs mastocytomes n’entraîne pas forcément à un plus mauvais pronostic qu’une seule masse de même grade [3]. De même, les stades II peuvent être traités avec succès de façon comparable à un stade I. Lorsque qu’une thérapie appropriée est mise en place, la valeur pronostique des stades cliniques est donc faible.

4 Examens complémentaires et démarche diagnostique

Première étape

La cytoponction à l’aiguille fine est le premier examen complémentaire à réaliser lors de la détection d’une masse cutanée à l’examen clinique. En effet, l’observation de matériel de ponction étalé et coloré conduit à un diagnostic correct de mastocytome dans 92 à 96 % des cas histologiquement confirmés [9]. Une population de cellules rondes est alors observée. Ces cellules contiennent une quantité modérée de cytoplasme dans lequel sont présents des granules rouge violacé dont le nombre et la taille sont variables (photo 3). Elles possèdent un noyau rond ou ovale qui peut être masqué par les granules lorsqu’ils sont en grand nombre. D’autres cellules, principalement des éosinophiles et/ou des cellules de type fibroblaste, sont présentes en quantité variable (photo 4).

Les granules des mastocytes sont visibles aux colorations classiques (Giemsa, Leishman, etc.), ainsi qu’aux colorations rapides de type Diff-Quick(r).

Deuxième étape

L’examen à réaliser prioritairement lorsque le praticien souhaite connaître l’agressivité de la tumeur avant l’intervention chirurgicale est une cytoponction à l’aiguille fine des nœuds lymphatiques drainant la masse, même s’ils semblent normaux en taille ou à l’échographie abdominale. Ces derniers paraissent parfois enflammés, mais une cytoponction reste recommandée. Cependant, l’interprétation de l’examen cytologique n’est pas toujours évidente car les mastocytes sont également présents dans les nœuds lymphatiques d’animaux sains. Certains critères ont été suggérés comme une aide à déterminer la présence ou non de métastases dans le nœud lymphatique (tableau 2).

Troisième étape

Lorsque le diagnostic est établi, un bilan d’extension préchirurgical est conseillé. Il comprend systématiquement une analyse sanguine (numération et formule, biochimie). Chez le chien, la présence de mastocytes dans le sang est plus souvent due à un phénomène inflammatoire qu’à un mastocytome. En revanche, un tiers des chats atteints de mastocytose sont anémiques et jusqu’à 50 % de ceux avec des mastocytomes spléniques présentent une mastocytémie périphérique parfois très importante (jusqu’à 32 000 cellules/µl). La forme intestinale, en revanche, s’accompagne rarement de mastocytémie, mais des cas d’éosinophilie ont été décrits [8].

Une échographie abdominale est recommandée. Elle permet une évaluation préanesthésique de l’animal et une recherche des anomalies sur le foie et la rate. Si des lésions suspectes sont observées sur ces organes, une cytoponction est effectuée. Récemment, il a été montré que dans le cas de tumeurs de grade élevé, à potentiel métastatique important, l’échographie abdominale possède une faible sensibilité pour détecter d’éventuelles infiltrations de mastocytes dans le foie et la rate. Il est alors conseillé de ponctionner ces deux organes en cas de tumeur à risque élevé (métastase aux nœuds lymphatiques, tumeur infiltrante, signes systémiques, etc.) quels que soient les résultats de l’échographie abdominale [2, 7]. L’échographie abdominale peut également être l’occasion de prélever de l’urine par cystocentèse afin de pratiquer une analyse préchirurgicale et, éventuellement, une culture en cas de suspicion d’infection à l’analyse urinaire.

La radiographie thoracique n’est pas utile pour rechercher d’éventuelles métastases qui sont très rarement situées dans les poumons et qui, dans ces rares cas, se présentent plutôt sous la forme d’un infiltrat interstitiel diffus. Cependant, une lymphadénomégalie thoracique est parfois observée. De plus, une évaluation du champ pulmonaire chez les animaux âgés pour qui une intervention coûteuse ou invasive est prévue peut être opportune, afin de détecter une éventuelle maladie concomitante. De même, lors de mastocytome viscéral (notamment chez le chat), la radiographie thoracique peut mettre en évidence un épanchement pleural [3].

La ponction de moelle osseuse est réservée à des cas spécifiques. En effet, retrouver des mastocytes dans la moelle est peu probable en l’absence d’atteinte des nœuds lymphatiques ou des organes abdominaux. La présence de mastocytes dans le sang ou la moelle, même si elle modifie rarement les décisions thérapeutiques, peut augmenter le risque de dégranulation massive en cas de traitement.

Quatrième étape

La dernière étape consiste en la biopsie de la masse pour une analyse histologique. La décision de réaliser une biopsie avant l’exérèse chirurgicale dépend de la présentation clinique. Lorsque aucune métastase n’est détectée lors du bilan d’extension et que des marges de 2 cm sont réalisables, l’exérèse totale de la masse peut être envisagée sans biopsie préalable. En effet, la plupart des mastocytomes étant de grade I ou II, des marges de 2 cm sont alors suffisantes pour prévenir les récidives. L’exérèse totale de la masse pour envoi à l’analyse histologique permet d’éviter deux interventions chirurgicales chez des animaux souvent âgés et de limiter les frais pour les propriétaires. Si la localisation rend l’opération complexe, une biopsie permet alors une meilleure planification chirurgicale et augmente les chances de succès thérapeutique, sans augmenter les risques de complications.

Conclusion

Le diagnostic de mastocytome s’effectue avant tout grâce à la ponction à l’aiguille fine, qui devrait être réalisée dès qu’une masse cutanée est détectée à l’examen clinique. La suite de la démarche diagnostique comprend une ponction des nœuds lymphatiques drainant la masse et un bilan d’extension comprenant une analyse sanguine, une échographie abdominale, avec éventuellement une cytoponction du foie et de la rate. Enfin, selon les cas, une biopsie peut être nécessaire avant l’intervention chirurgicale. L’analyse histologique est, dans tous les cas, le seul examen qui permette de grader la tumeur et de poser un pronostic définitif(1).

  • (1) Voir l’article “Traitement localdes mastocytomes” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Beltran E, De Stefani A, Stewart J, De Risio L, Johnson V. Disseminated mast cell tumor infiltrating the sphenoid bone and causing blindness in a dog. Vet. Ophtalmol. 2010;13(3):184-189.
  • 2. Book AP, Fidel J, Wills T, Bryan J, Sellon R, Mattoon J. Correlation of ultrasound findings, liver and spleen cytology, and prognosis in the clinical staging of high metastatic risk canine mast cell tumors. Vet. Radiol. Ultrasound. 2011;52(5):548-554.
  • 3. Dobson JM, Scase TJ. Advances in the diagnosis and management of the cutaneous mast cell tumours in dogs. J. Small. Anim. Pract. 2007;48:424-431.
  • 4. Hillman LA, Garett LD, De Lorimier LP, Charney SC, Borst LB, Fan TM. Biological behavior of oral and perioral mast cell tumors in dogs: 44 cases (1996-2006). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2010;237(8):936-942.
  • 5. Krick EL, BIllings AP, Shofer FS, Watanabe S, Sorenmo KU. Cytological lymph node evaluation in dogs with mast cell tumours: association with grade and survival. Vet. Comp. Pathol. 2009;7:130-138.
  • 6. Ozaki K, Yamagami T, Nomura K, Narami I. Mast cell tumors of the gastro-intestinal tract in 39 dogs. Vet. Pathol. 2002;30:557-564.
  • 7. Stefanello D, Valenti P, Faverzani S et coll. Ultrasound-guided cytology of spleen and liver: a prognostic tool in canine cutaneous mast cell tumor. J. Vet. Intern. Med. 2009;23:1051-1057.
  • 8. Thamm DH, Vail DM. Small Animal Clinical Oncology. In: Withrow SJ, Vail DM (eds). 4th ed. St Louis, MO: Saunders Elsevier. 2007:402-424.
  • 9. Welle MM, Rohrer Bleyt C, Howard J, Rufenacht S. Canine mast cell tumours: a review of the pathogenesis clinical features, pathology and treatment. Vet. Dermatol. 2008;19:321-339.
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