Intoxication végétale de brebis par le galéga officinal - Le Point Vétérinaire expert rural n° 325 du 01/05/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 325 du 01/05/2012

TOXICOLOGIE DES PETITS RUMINANTS

Cas clinique

Auteur(s) : Valérie Poulet-Wolgust*, Guy Peretz**, Athman Haffar***, Pierre Gerbi****, Hélène Benoit-Valiergue*****, Karim Tarik Adjou******

Fonctions :
*Centre d’application de l’ENV d’Alfort,
Domaine du Croisil, 89350 Champignelles
**Laboratoire vétérinaire départemental, 10, avenue
du Quatrième-Régiment-d’Infanterie, 89011 Auxerre
***Laboratoire vétérinaire départemental, 10, avenue
du Quatrième-Régiment-d’Infanterie, 89011 Auxerre
****Cabinet vétérinaire,
15, rue des Ponts, 89120 Charny
*****Centre d’application de l’ENV d’Alfort,
Domaine du Croisil, 89350 Champignelles
******Unité de pathologie du bétail, ENV d’Alfort,
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex, France
kadjou@vet-alfort.fr

La mort brutale de 14 brebis dans un troupeau oriente vers une intoxication végétale. Ces cas confirment la forte toxicité du galéga officinal pour l’espèce ovine.

Un éleveur appelle en urgence son vétérinaire à la suite de la mort brutale de 7 brebis dans son troupeau. L’épisode survient le 31 mai 2011, dans le contexte de la sécheresse qui sévit en France depuis fin avril dans de nombreux départements. Le manque d’herbe conduit à la récolte de parcelles non destinées à la fauche habituellement.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs

Trois brebis d’un troupeau de 48 femelles suitées avec des agneaux âgés de 15 jours à 1 mois sont retrouvées mortes le mardi matin dans la bergerie.

L’éleveur fait aussitôt le rapprochement avec la distribution, la veille, de l’un des ballots de foin ramené à l’exploitation pour stockage et provenant de sa fenaison du samedi après-midi. Le ballot est retiré immédiatement.

2. Signes cliniques et traitement

Dans les heures qui suivent le retrait du ballot, 4 autres brebis meurent en présentant des signes de détresse respiratoire aiguë, avec une mousse blanche sortant des naseaux, ainsi qu’une météorisation rapide.

Le vétérinaire, appelé en urgence, administre aux animaux présentant des symptômes analogues un traitement à base de tonicardiaque (acéfylline d’heptaminol, Vetecardiol®, à la dose de 20 mg/kg par voie intraveineuse, puis un relais par voie intramusculaire toutes les 12 heures) et de diurétique (furozémide, Dimazon® injectable, à la dose de 2 mg/kg par voie intraveineuse, avec ensuite un relais par voie intramusculaire toutes les 12 heures). Il pratique des ponctions de l’épanchement thoracique avec une seringue, sans succès. Avant la fin de l’après-midi, 5 autres brebis succombent, ce qui porte à 12 le nombre de morts (photo 1). Quatre autres, qui présentent des symptômes plus frustes, sont prises en charge également et se rétablissent. Les animaux qui ne montrent aucun signe clinique ne sont pas traités.

3. Autopsie

Deux autopsies sont pratiquées, l’une au Centre d’application de l’ENV d’Alfort à Champignelles (Yonne) et l’autre à l’Institut départemental de l’environnement et des analyses d’Auxerre. Les lésions retrouvées sur les cadavres sont semblables.

L’état général des ovins est bon. Une mousse blanche est observée à l’extrémité des naseaux (photo 2). Les muqueuses oculaires et buccales sont légèrement congestionnées.

Les poumons présentent un aspect mousseux à la coupe, ainsi que des hémorragies (photo 3). Un abondant liquide (2 à 3 l) de couleur jaune, qui coagule au contact de l’air, est présent dans la cavité thoracique (photos 4 et 5).

L’examen macroscopique du contenu ruminal met en évidence des tiges de 6 à 7 cm, mais les feuilles, déjà altérées par la rumination, ne présentent aucun aspect caractéristique ou reconnaissable qui orienterait vers l’intoxication par le ballot de foin suspecté par l’éleveur.

4. Hypothèses diagnostiques

Les circonstances d’apparition des signes cliniques et la mort brutale de plusieurs animaux orientent fortement vers un diagnostic d’intoxication [1, 11].

Les symptômes de détresse respiratoire ainsi que les lésions observées à l’autopsie des brebis (hydrothorax au liquide citrin coagulant au contact de l’air, œdème et hémorragie pulmonaires) sont en faveur d’une intoxication par Galega officinalis [3-7, 10, 11].

Un diagnostic différentiel rapide, qui repose sur les éléments épidémiologiques, cliniques et nécropsiques, permet d’écarter les autres causes de mort rapide (entérotoxémie, foudre, toxique divers, etc.) [2].

5. Confirmation de l’intoxication végétale

Dès les résultats de la première autopsie, le vétérinaire cherche la plante incriminée dans le ballot de foin suspect. Des photos de la plante présentées dans le dernier bulletin du groupement de défense sanitaire permettent d’identifier des portions entières de celle-ci (photo 6) [12, 13]. L’éleveur fait le lien avec la présence effective d’une grande plante à fleurs bleuâtres, semblable à du sainfoin, dans la parcelle fauchée en bordure d’étang (photos 7 et 8).

6. Pronostic

Une fois la présence de galéga dans le ballot de foin distribué aux animaux le lundi matin confirmée, l’exploitant est averti du pronostic extrêmement sombre pour les ovins susceptibles d’en avoir consommé. Le temps de latence de l’intoxication varie de 12 à 48 heures [8, 9]. Deux dernières brebis meurent le mercredi matin, soit 24 heures après le retrait du ballot. Au total, 14 animaux sont morts. Aucun agneau tétant sa mère n’est intoxiqué.

DISCUSSION

1. Signes de l’intoxication

Conformément aux autres cas d’intoxication due au galéga précédemment décrits, l’épisode présenté met en évidence le mode suraigu de l’évolution et la mortalité importante qui en découle. Les symptômes et les lésions observés sont caractéristiques de cette intoxication : détresse respiratoire, mousse blanche aux naseaux et météorisation, avec un œdème pulmonaire et un épanchement thoracique jaune citrin qui coagule à l’air libre (encadré). Ici, les vestiges de plantes observés dans le rumen n’ont pas permis d’identifier le galéga. Plus tard dans la saison, des graines peuvent être retrouvées et servir pour l’identification par un botaniste.

2. Mode d’intoxication

L’intoxication se produit lors de l’ingestion de fourrages contaminés (foin/ensilage) ou de plantes fraîches. Le mouton serait beaucoup plus sensible à cette plante que les bovins ou les équidés, et particulièrement lorsque celle-ci est en floraison [4]. Chez une vache, la dose toxique estimée est, en effet, de 500 g de matière sèche, alors qu’elle est de 400 à 500 g de plantes fraîches ou 100 g de plantes sèches chez les ovins et les caprins. Ainsi, un fourrage contenant 10 % de galéga est très dangereux [12]. Dans ce cas, la période de sécheresse du printemps 2011 a avancé la floraison de la plante, ce qui explique l’intoxication des brebis le 31 mai. La quantité présente dans le ballot de foin n’a pu être estimée.

3. Recommandations pour la fauche

Le biotope du galéga est constitué de fossés, de prairies et de ruisseaux. Il est trouvé dans de nombreuses régions, notamment dans la moitié sud et dans l’est de la France [6, 13].

Jadis cultivée comme fourrage ou plante ornementale, il est résistant aux herbicides de la famille des triazines et au glyphosate [11, 12].

La plus grande vigilance est recommandée lors de la fauche de parcelles inhabituelles. Dans le cas présenté, la zone fauchée ne fait pas partie de l’exploitation, mais avait été mise à la disposition de l’éleveur pour constituer quelques ballots supplémentaires en cette période de pénurie fourragère.

Après discussion avec un voisin retraité, l’exploitant apprend qu’une intoxication similaire s’est produite plusieurs années auparavant dans un troupeau de brebis sur ce même pâturage. Il est à déplorer que les connaissances des anciens sur des parcelles à risque (plantes toxiques, champs “maudits”) ne soient pas davantage collectées et utilisées.

4. Traitement

Le traitement spécifique consiste en l’administration de tonicardiaques et de diurétiques, comme ici [12]. Lors d’intoxication aiguë, il est inefficace et le pronostic se révèle réservé pour les animaux qui ont ingéré la plante. Dans le cas présenté, la réaction positive de certaines brebis au traitement mis en place semble en lien avec la dose ingérée. Les symptômes observés chez ces dernières étaient en effet assez frustes, laissant supposer une ingestion plus faible de la plante toxique.

Conclusion

Ce cas clinique montre le caractère accidentel de l’intoxication des ovins par le Galega officinalis, surtout au cours des saisons difficiles (manque d’aliments en été). Cependant, l’intoxication est possible toute l’année, lors d’une distribution de fourrages contaminés. Le diagnostic épidémiologique est primordial et doit consister en une véritable enquête afin de définir l’existence ou non d’une exposition à des plantes toxiques et de déterminer les probables circonstances d’une intoxication. Ce diagnostic est complété par les signes cliniques (détresse respiratoire, convulsions, mort brutale) et un examen nécropsique (hydrothorax citrin).

Enfin, en raison de la prolifération rapide de la plante et de la difficulté à l’éradiquer dans les champs, une grande prudence doit être recommandée lors des récoltes de foin.

Références

  • 1. Bézard M, Grancher D, Vialard J et coll. Un troupeau ovin intoxiqué par le galéga officinal. Point Vét. 2002;227:66-67.
  • 2. Coulon S. Diagnostic différentiel des morts subites chez les bovins au pré : approche réalisée à partir de l’exploitation des bases de données du CNITV et de la BNESST. Thèse de doctorat vétérinaire. Lyon. 2006:170p.
  • 3. Faliu L, Puyt JD, Tainturier D. Le galéga (Galega officinalis L.), une légumineuse très dangereuse pour les ovins. Rec. Med. Vét. 1981;157(5):419-426.
  • 4. Faliu L, Puyt JD, Jean-Blain C. Intoxication végétale : galéga officinal. Point Vét. 1985;17(91):453-455
  • 5. Jean-Blain C, Grisvard M. Les plantes vénéneuses, leur toxicologie. Éd. La Maison rustique. 1973:140p.
  • 6. Lorgue G, Lechenet J, Rivière A. Précis de toxicologie clinique vétérinaire. Éd. Point Vét. 1987:208p.
  • 7. Mondoly P. Intoxications végétales. Bull. GTV spécial pathologie ovine. 1994:237-243.
  • 8. Mondoly P, Poncelet JL. Les intoxications végétales. SNGTV, Commission ovine. 2005;fiche 78.
  • 9. Mortureux M. Avis de l’Afssa relatif à la sécurité d’emploi d’une plante (Galega officinalis) dans les compléments alimentaires. Afssa – Saisine n°2010-SA-0022. 2010.
  • 10. Puyt JD, Faliu L, Godfrain JC. Le diagnostic des intoxications végétales. 2e partie : Le diagnostic clinique et nécropsique. Point Vét. 1981;12(58):57-62.
  • 11. Roch N, Buronfosse F, Grancher D. Intoxication par le galéga officinal (Galega officinalis L.) chez la vache. Rev. Med. Vét. 2007;158(1):3-6.
  • 12. Site vegetox (ENVT) : http://www.vegetox.envt.fr/Monographies-html/Galega.html
  • 13. GDS infos. La galéga : plante hautement toxique présente dans l’Yonne. GDS 89. Avril 2011:5.

Points forts

→ Une détresse respiratoire, une mousse blanche aux naseaux, une météorisation et/ou une mort brutale sont les symptômes d’une intoxication au Galega officinalis. Un œdème pulmonaire et un épanchement thoracique jaune font partie du tableau lésionnel.

→ La plante entière est toxique (racines et parties aériennes après la floraison).

→ Une période de sécheresse peut amener l’éleveur à faucher des parcelles inhabituelles. Les témoignages d’anciens concernant des cas précédents d’intoxication sur ces parcelles pourraient être recueillis.

ENCADRÉ
Galega officinalis

Le galéga (ou, notamment, herbe aux chèvres, rue aux chèvres, sainfoin d’Amérique, lilas d’Espagne ou faux indigotier) est une plante qui était autrefois utilisée en médecine traditionnelle humaine (diurétique, hypoglycémiante à faible dose, hyperglycémiante à forte dose, galactogène), mais dont le rôle est désormais limité. En médecine vétérinaire, elle est surtout connue pour sa toxicité [9].

Ses parties toxiques sont les racines, en permanence, et les parties aériennes seulement lors de la floraison et de la fructification, qui surviennent en été [5, 11]. Les principes actifs dans la toxicité sont deux alcaloïdes dérivés de la guanidine : la galégine et la 4-hydroxygalégine. Ces substances sont supposées être les principales responsables des effets toxiques de la plante sans qu’aucune étude de toxicité sur animal de laboratoire ou sur cible ne l’ait démontré. En effet, les travaux de toxicité ont été réalisés avec la plante entière ou des extraits sans dosage de galégine [9]. Un autre des principes actifs, un glucoside flavonique, la galutéoline, est responsable de la coloration jaune de l’épanchement.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient M. et Mme Gardoni, éleveurs de moutons à Douchy (Loiret), de nous avoir autorisés à communiquer sur ce cas clinique.

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