Points clés pour identifier des leviers d’action de contrôle de la dermatite digitée - Le Point Vétérinaire expert rural n° 324 du 01/04/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 324 du 01/04/2012

AFFECTIONS LOCOMOTRICES EN ÉLEVAGE BOVIN LAITIER

Conduite à tenir

Auteur(s) : Anne Relun*, Raphaël Guatteo**, Nathalie Bareille***, Christophe Mompas****, Christian Engel*****, Marc Delacroix******, Valérie David*******

Fonctions :
*UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins
**UMR 1300 BioEpAR (INRA - Oniris),
Oniris, Site de la Chantrerie
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
***Institut de l’élevage
149, rue de Bercy, 75595 Paris
****UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins
*****UMR 1300 BioEpAR (INRA - Oniris),
Oniris, Site de la Chantrerie
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
******UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins
*******UMR 1300 BioEpAR (INRA - Oniris),
Oniris, Site de la Chantrerie
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3
********Clinique vétérinaire des Côteaux, ZA du Tranchet
58, rue de la Loire, 49620 La Pommeraye
*********Clinique vétérinaire du Guesclin
11, rue du 19-Mars-1962, BP 28, 22250 Broons
**********Clinique vétérinaire
Le Pré Giraud, 42130 Boen
***********UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins
************Institut de l’élevage
149, rue de Bercy, 75595 Paris

Une approche globale, associant des mesures hygiéniques et médicales, s’impose. La situation initiale du troupeau est analysée avant d’établir un plan de contrôle pertinent et accepté par les éleveurs.

La dermatite digitée (DD), ou maladie de Mortellaro, est une affection infectieuse multifactorielle résultant de l’exposition de la peau digitée fragilisée à des bactéries du genre Treponema [3, 4, 6]. Alors que différents facteurs de risque sont connus, son contrôle repose actuellement quasi exclusivement sur des mesures médicales (encadré). Celles-ci sont souvent mal appliquées sur le terrain et entraînent parfois le recours excessif aux antibactériens, injectables notamment. Même si les traitements sont nécessaires pour guérir les animaux atteints, ils ne sont pas suffisants à eux seuls pour contrôler la maladie. Des dispositifs hygiéniques doivent toujours y être associées. À la suite d’un appel pour une dermatite digitée, il est important de bien faire le point sur la situation initiale du troupeau, qu’il s’agisse de la proportion d’animaux atteints, de l’hygiène du logement, des soins apportés aux pieds ou d’organisation des éleveurs, avant d’établir un plan d’action pertinent. Ce dernier doit comporter des recommandations claires et intégrer des visites de suivi, pour qu’il présente toutes les chances d’être efficace et appliqué par les éleveurs.

ÉTAPE 1 ESTIMER LA PROPORTION D’ANIMAUX ATTEINTS

→ L’estimation de la proportion d’animaux initialement atteints est une étape clé dans le démarrage d’un plan d’actions correctives. Elle permet, en effet, d’avoir une donnée objective pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place et orienter le choix des dispositifs à recommander, notamment sur l’ampleur des traitements à instaurer. Ainsi, une étude récente suggère que, avec moins de 10 % des pieds arrière atteints chez les vaches en lactation, les éleveurs qui ont une bonne maîtrise sanitaire pourraient se passer d’une désinfection collective [7]. Ce pourcentage peut être amené à évoluer selon les remontées du terrain.

→ Dans l’idéal, l’estimation de la proportion d’animaux atteints devrait se faire en travail de pareur. Il s’agit là d’apprécier précisément la prévalence de dermatite digitée (pourcentage d’animaux atteints) et de vérifier que cette affection est la principale cause des troubles locomoteurs observés dans le troupeau. Comme 90 % des lésions sont situées sur les membres postérieurs, l’inspection de ces seuls pieds peut suffire. Si d’autres lésions podales sont identifiées, un audit complet “boiterie” doit être réalisé, en s’appuyant, par exemple, sur la méthode développée par l’unité mixte Maîtrise de la santé des troupeaux bovins avec le soutien financier du Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR) [11]. Dans les exploitations sans robot de traite, si la dermatite digitée a déjà été identifiée comme une affection podale dominante, la proportion d’animaux atteints peut être estimée en salle de traite sans avoir à lever le pied, avec une légère sous-estimation liée à l’impossibilité de visualiser les lésions situées dans l’espace interdigité sous le pied. Des fiches préimprimées facilitent l’enregistrement et le suivi des animaux touchés. Elles seront bientôt disponibles sur le site de l’Institut de l’élevage (www.idele.fr)(1).

ÉTAPE 2 ÉVALUER LA PROPRETÉ DES PIEDS ET IDENTIFIER LES FACTEURS DE RISQUE

Des sols humides ou sales fragilisent la peau digitée, ce qui favorise le développement des lésions de DD et retarde leur guérison [5, 8]. Avant de chercher à identifier les pratiques d’élevage à améliorer, un examen de la propreté des membres permet d’évaluer indirectement la qualité hygiénique de l’environnement des pieds. Il est réalisé dans la salle de traite ou en bloquant les vaches aux cornadis (tableau 1). Si la propreté des membres est jugée insuffisante, une investigation plus approfondie doit être menée afin d’identifier les points critiques. Les principaux facteurs qui participent à un environnement dégradé sont :

– un intervalle trop long entre deux raclages ;

– une pente insuffisante de l’aire d’exercice (inférieure à 2 %) ;

– une surdensité animale ;

– un défaut de nettoyage ou de drainage des zones de rassemblement ou de passage (distributeur automatique de concentrés [DAC], passage entre les logettes, chemin d’accès aux pâtures, aux râteliers et aux abreuvoirs) et une mauvaise ventilation des bâtiments [1].

Ces points peuvent être identifiés en effectuant une inspection du bâtiment et des pâtures en période de pâturage, ainsi qu’en questionnant l’éleveur (photos 1a, 1b et 1c). Attention aux tapis sur aire d’exercice : des sols irréguliers qui en sont recouverts peuvent également être des réservoirs d’humidité. Une thèse vétérinaire est actuellement en cours à Oniris pour déterminer des seuils critiques pour différents facteurs de propreté selon le type de bâtiment et les pratiques d’élevage.

ÉTAPE 3 FAIRE LE POINT SUR LES PRATIQUES DE DÉTECTION ET DE TRAITEMENT

L’efficacité des traitements dépend de leur application et de leur suivi, et de la qualité de détection des animaux atteints. Différents points doivent être abordés avec l’éleveur, en différenciant les traitements instaurés de manière individuelle, après la détection d’une lésion, de la désinfection collective habituellement mise en œuvre via un pédiluve de passage (tableau 2).

Si un pédiluve est déjà en place dans l’exploitation, il convient d’en vérifier les caractéristiques in situ :

– les dimensions de l’emplacement (couloir suffisamment long, c’est-à-direau moins 2 mètres, et largeur adaptable à celle du pédiluve pour que les vaches ne puissent pas l’éviter) ;

– la facilité de passage des animaux (ligne droite, pas de marches qui surélèvent le pédiluve, surface plane) ;

– la facilité d’entretien (vidange et nettoyage) ;

– la possibilité que les pieds restent propres avant et après le passage en pédiluve.

Si un pédiluve est envisagé, sa faisabilité doit être évaluée de la même manière (photos 2a et 2b). L’utilité d’un bac de nettoyage avant un pédiluve est actuellement discutée : il n’est pas certain que ce type de procédé permette un nettoiement suffisant des pieds. L’eau absorbée par la peau digitée pourrait même diluer la solution désinfectante.

ÉTAPE 4 RÉCOLTER LES DONNÉES SUR LES AUTRES POINTS CLÉS DE LA CONDUITE D’ÉLEVAGE

Un questionnement précis de l’éleveur doit permettre de déterminer les facteurs de risque de la DD liés à la conduite d’élevage sur lesquels il est possible d’intervenir. Ces risques concernent essentiellement l’introduction de la maladie et la qualité des aplombs.

Si l’éleveur achète des génisses de remplacement ou des vaches en lactation, s’il prête ou prend en pension des vaches ou participe à des rassemblements d’animaux (concours, foire, etc.), les pieds de celles-ci doivent être inspectés lors de leur introduction et 3 semaines plus tard, dans l’idéal en travail de pareur. Toute suspicion de lésion doit faire l’objet d’un traitement topique.

Le second moyen d’introduction de la maladie, plus anecdotique, procède du matériel de parage. Il convient de nettoyer soigneusement ce dernier entre deux troupeaux et de désinfecter les outils (reinettes, disques). Les tréponèmes impliqués dans la DD sont sensibles à la plupart des désinfectants (chlorhexidine, glutaraldéhyde à 2 %, hypochlorite de sodium à 1 %, etc.), à condition que le milieu ne soit pas contaminé par de la matière organique.

Le parage doit permettre de rétablir la qualité des aplombs et de traiter au mieux les animaux atteints. C’est en effet en levant les pieds qu’il est possible de débrider correctement les lésions et d’appliquer un topique sur leur surface en totalité (photo 3). De plus, un parage de l’ensemble des vaches du troupeau permet un traitement concomitant des animaux, ce qui abaisse la pression d’infection. Ces séances de parage doivent être réalisées tous les 6 mois de présence en bâtiment.

ÉTAPE 5 FAIRE LE BILAN ET ÉTABLIR UNE LISTE DE RECOMMANDATIONS

La combinaison du pourcentage d’animaux atteints, de la propreté des pieds et des possibilités de détection précoce permet d’orienter sur les mesures médicales à mettre en œuvre (figure). Il convient de souligner à l’éleveur la nécessité d’associer le plus de mesures possible et de ne pas considérer les traitements comme la formule miracle. La DD étant une maladie multifactorielle, une mesure appliquée de manière isolée a peu d’impact. Il est important également de prendre en charge individuellement les animaux atteints. La désinfection collective a pour vocation de limiter le nombre d’individus à traiter, mais elle ne permet pas de guérir les lésions installées.

Dans le cas où plusieurs éleveurs travaillent sur l’exploitation, il est nécessaire de s’assurer que les recommandations sont acceptables par tous ceux qui s’occupent des soins aux animaux.

ÉTAPE 6 PLANIFIER LES VISITES DE SUIVI

Le suivi est une étape essentielle pour contrôler que les recommandations ont été acceptées et qu’elles sont applicables dans l’exploitation. Par exemple, une détection précoce en salle de traite a pu être prévue, mais se révéler trop contraignante à réaliser. Il convient alors de rechercher d’où viennent les contraintes (temps, difficulté à identifier les lésions, etc.) et, au besoin, de la remplacer par la mise en place d’une désinfection collective.

Des visites 1 mois et 3 mois après l’audit sont conseillées. Ce suivi est justifié même lorsque la prévalence initiale est faible (moins de 10 % des pieds arrière comportant une lésion M1 ou M2), car la DD apparaît souvent par pics épizootiques. Ces contrôles doivent inclure une inspection des membres postérieurs (notation DD et propreté) et un temps de discussion avec l’éleveur en charge des soins pour s’assurer que les recommandations ont pu être suivies.

Conclusion

Hygiène des aires de vie, qualité de la détection et des traitements instaurés, qualité des aplombs et maîtrise des risques à l’introduction : les vétérinaires ont toute leur place en tant que conseillers pour aider les éleveurs à contrôler la dermatite digitée dans leur exploitation. Le développement des connaissances sur l’étiopathogénie et la résistance génétique des animaux va peut-être permettre à terme d’éradiquer la maladie(2). En attendant, la mise en place d’un ensemble de mesures médicales et hygiéniques peut contenir la maladie à un niveau acceptable, à condition d’être pertinentes et acceptées par les éleveurs.

  • (1) Voir l’article “Détection rapide de la dermatite digitée” d’Anne Relun, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article “Perspectives de contrôle de la dermatite digitée” d’Anne Relun, dans ce numéro.

Références

  • 1. Cook N. The Influence of Barn Design on Dairy Cow Hygiene, Lameness and Udder Health. Proc. 35th Am. Assoc. Bovine Pract. 2002:97-103.
  • 2. Cook N. Footbath alternatives. Hoards West. 2006;April 25.
  • 3. Evans NJ et coll. Three unique groups of spirochetes isolated from digital dermatitis lesions in UK cattle. Vet. Microbiol. 2008;130(1-2):141-150.
  • 4. Klitgaard K et coll. Evidence of multiple treponema phylotypes involved in bovine digital dermatitis as shown by 16S rRNA gene analysis and fluorescence in situ hybridization. J. Clin. Microbiol. 2008;46(9):3012-3020.
  • 5. Laven RA. The environment and digital dermatitis. Cattle Pract. 1999;7:349-355.
  • 6. Read D, Walker R. Experimental transmission of papillomatous digital dermatitis (footwarts) in cattle. Vet. Pathol. 1996;33:607.
  • 7. Relun A et coll. Effectiveness of different regimens of a collective topical treatment using a solution of copper and zinc chelates in the cure of digital dermatitis in dairy farms under field conditions. J. Dairy Sci. 2012. Accepté pour publication.
  • 8. Relun A et coll. Estimation of the relative impact of treatment and management factors on prevention of digital dermatitis by survival analysis. Accepté. In 26th Ann. Conf. of Society for Veterinary Epidemiology and Preventive Medicine (SVEPM), Glasgow, United-Kingdom. 2012.
  • 9. Schreiner DA, Ruegg PL. Effects of tail docking on milk quality and cow cleanliness. J. Dairy Sci. 2002;85(10):2503-2511.
  • 10. Somers JG et coll. Risk factors for digital dermatitis in dairy cows kept in cubicle houses in The Netherlands. Prev. Vet. Med. 2005;71(1-2):11-21.
  • 11. UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins. Guide d’intervention pour la maîtrise des boiteries en troupeaux de vaches laitières. Par Bareille N et Roussel P. Technipel, Paris. 2011:113.
  • 12. Wells SJ, Garber LP, Wagner BA. Papillomatous digital dermatitis and associated risk factors in US dairy herds. Prev. Vet. Med. 1999;38(1):11-24.

Étapes essentielles

ÉTAPE 1 Proportion d’animaux atteints

• En salle de traite : légère sous-estimation

• Idéal : en travail de pareur

ÉTAPE 2 Propreté des pieds et identification des facteurs de risque

• Notes de propreté

• Apprécier l’intervalle entre les raclages, la pente de l’aire d’exercice, la densité animale, les nettoyage et drainage des zones clés

• Ventilation des bâtiments

ÉTAPE 3 Pratiques de détection et de traitement

• Caractéristiques et faisabilité du pédiluve

• Traitements individuels

ÉTAPE 4 Autres points clés de la conduite d’élevage

• Risque d’introduction de la maladie

• Fréquence de parage du troupeau

ÉTAPE 5 Bilan et recommandations

ÉTAPE 6 Visites de suivi

ENCADRÉ
Facteurs de risque de la dermatite digitée

À l’échelle du troupeau

→ Mauvaise hygiène des membres.

→ Logettes.

→ Sols bétonnés rainurés.

→ Raclage automatique.

→ Accès limité aux pâtures.

→ Parages réalisés à plus de 7 mois d’intervalle.

→ Absence de nettoyage du matériel de parage entre exploitations.

→ Achat de génisses.

À l’échelle de l’animal

→ Primipares.

→ Pic de lactation.

→ Prim’holstein.

→ Fortes productrices.

D’après [8, 10, 12].

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