L’émulsion lipidique intraveineuse : un nouvel antidote contre certaines intoxications médicamenteuses - Le Point Vétérinaire n° 323 du 01/03/2012
Le Point Vétérinaire n° 323 du 01/03/2012

TOXICOLOGIE ET PHARMACOLOGIE

Thérapeutique

Auteur(s) : Julien Bazelle

Fonctions : Queen’s Veterinary
School Hospital,
Cambridge University,
Madingley Road,
Cambridge, CB3 0ES,
Royaume-Uni
jjfb3@cam.ac.uk

Les émulsions lipidiques intraveineuses sont très utiles pour traiter certaines intoxications réfractaires. Une validation clinique reste nécessaire.

Les émulsions lipidiques sont composées de multiples microparticules. Elles ont été initialement utilisées comme partie intégrante des liquides de nutrition parentérale (photo). Leur composition est variable, mais les plus fréquemment administrées sont à base d’huile de soja [8].

Intérêt des émulsions lipidiques intraveineuses

Plus récemment, l’utilisation d’émulsions lipidiques intraveineuses (EIL) a connu un renouveau en raison de leur grande efficacité dans le traitement des intoxications par les anesthésiques locaux ou dans d’autres types d’intoxication [3, 13]. Cet effet, suspecté par Weinberg dès 1998, a été tout d’abord observé expérimentalement chez des rats puis des chiens [16, 17]. Ces expériences ont montré une réversion rapide des effets toxiques sur la fonction cardiaque d’une overdose de bupivacaïne et une survie des animaux traités. Les études suivantes ont démontré une nette supériorité des EIL sur les traitements classiques des intoxications aux anesthésiques locaux comme l’adrénaline ou autres vasopresseurs [7, 15].

Mécanisme d’action

Le mécanisme d’action des EIL dans le traitement des intoxications aux anesthésiques locaux n’est pas encore totalement élucidé (figure). L’interprétation actuelle va dans le sens d’un effet chélateur de l’EIL. L’EIL est théoriquement à l’origine d’une phase lipidique dans le plasma de l’individu traité, au cours de laquelle les composés fortement lipophiles vont se trouver piégés, entraînant une diminution de la concentration plasmatique du toxique. En conséquence, le toxique présent dans le cytoplasme diffuse à travers la membrane plasmatique vers le plasma sanguin, suivant le gradient de concentration [17]. Cet effet chélateur n’est probablement pas l’unique effet des EIL dans le traitement des intoxications. Un effet stimulateur du métabolisme notamment cardiaque a été décrit après utilisation d’EIL [14].

Utilisation en médecine humaine

Les résultats des essais expérimentaux chez les animaux ont encouragé l’emploi d’EIL en médecine humaine dans des cas d’intoxication aux anesthésiques locaux dès 2006 [12]. Désormais, les EIL font partie de l’arsenal thérapeutique recommandé de toute équipe d’anesthésie [2, 13]. Ces dernières années, l’utilisation des EIL s’est généralisée pour traiter diverses intoxications par des substances lipophiliques telles que des β-bloquants, des inhibiteurs du canal calcique, des produits antiparasitaires ou encore des agents psychotropes [6, 9, 13].

Application en médecine vétérinaire

→ En médecine vétérinaire, la majorité des recommandations sont fondées sur des observations expérimentales chez le chien [1, 16]. Relativement peu de cas cliniques ont été publiés. Ils concernent 2 chiens traités pour une intoxication à une avermectine et 1 chat traité pour une overdose de lidocaïne [4, 5, 11]. Les doses suggérées pour le traitement du chien et du chat sont issues des recommandations humaines : un bolus d’EIL 20 % de 1,5 à 4 ml/kg doit être perfusé rapidement, en 1 minute, et est suivi d’une administration en continu à 0,25 ml/kg/min sur 30 à 60 minutes [8]. Le bolus peut être répété si l’animal ne répond pas au traitement jusqu’à une dose maximale de 7 ml/kg [8].

→ Ces doses n’ont pas été validées dans un contexte clinique, mais les données expérimentales suggèrent une excellente tolérance lors d’utilisation d’EIL chez le chien. En médecine humaine, les effets secondaires sont limités lors d’une administration unique, mais une élévation transitoire de l’amylasémie a été décrite et des risques de réactions d’hypersensibilité sont toujours possibles [10]. Enfin, les EIL peuvent interférer avec d’autres substances lipophiles et la lipémie peut interagir avec certaines réactions colorimétriques utilisées par les analyseurs de biochimie.

Les EIL ont récemment prouvé qu’elles faisaient partie intégrante de la gestion de certaines intoxications par des composés lipophiliques. Néanmoins, leur utilisation doit être limitée aux intoxications réfractaires à un traitement intensif classique. Davantage d’études sur un plus grand nombre de cas sont nécessaires pour conclure sur l’efficacité et la sécurité de ces EIL. Un site Internet d’informations très complet a été créé pour partager les connaissances sur ce nouveau traitement(1).

Références

  • 1. Bania TC, Chu J, Perez E et coll. Hemodynamic effects of intravenous fat emulsion in an animal model of severe verapamil toxicity resuscitated with atropine, calcium, and saline. Acad. Emerg. Med. 2007;14(2):105-111.
  • 2. Benhamou D, Mazoit JX, Zetlaoui P. Injection précoce d’émulsion lipidique et toxicité systémique débutante liée à un anesthésique local. Annales françaises d’Anesthésie et de Réanimation. 2010;29(11):826.
  • 3. Ciechanowicz S, Patil V. Lipid emulsion for local anesthetic systemic toxicity. Anesthesiol. Res. Pract. 2012;29:131784.
  • 4. Clarke DL, Lee JL, Murphy LA et coll. Use of intravenous lipid emulsion to treat ivermectin toxicosis in a Border Collie. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2011;239(10):1328-1333.
  • 5. Crandell DE, Weinberg GL. Moxidectin toxicosis in a puppy successfully treated with intravenous lipids. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2009(2):181-186.
  • 6. Dagtekin O, Marcus H, Müller C et coll. Lipid therapy for serotonin syndrome after intoxication with venlafaxine, lamotrigine and diazepam. Minerva Anesthesiol. 2011;77(1):93-95.
  • 7. DiGregorio G, Schwartz D, Ripper R et coll. Lipid emulsion is superior to vasopressin in a rodent model of resuscitation from toxininduced cardiac arrest. Crit. Care Med. 2009; 37(3):993-999.
  • 8. Fernandez AL, Lee JA, Rahilly L et coll. The use of intravenous lipid emulsion as an antidote in veterinary toxicology. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2011;21(4):309-320.
  • 9. Liang CW, Diamond SJ, Hagg DS. Lipid rescue of massiva verapamil overdose: a case report. J. Med. Case Reports. 2011; 5: 399.
  • 10. Marwick PC, Levin AI, Coetzee AR. Recurrence of cardiotoxicity after lipid rescue from bupivacaineinduced cardiac arrest. Anesth. Analg. 2009;108(4):1344-1346.
  • 11. O’Brien TQ, Clark-Price SC, Evans EE et coll. Infusion of a lipid emulsion to treat lidocaine intoxication in a cat. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2010;237(12):1455-1458.
  • 12. Rosenblatt MA, Abel M, Fischer GW et coll. Successful use of a 20 % lipid emulsion to resuscitate a patient after a presumed bupivacaine-related cardiac arrest. Anesthesiology. 2006;105:217-218.
  • 13. Rothschild L, Bern S, Oswald S et coll. Intravenous lipid emulsion in clinical toxicology. Scand. J. Trauma. Resuscitation and Emergency Medicine. 2010;18:51.
  • 14. Van deVelde M, Wouters PF, Rolf N et coll. Long-chain triglycerides improve recovery from myocardial stunning in conscious dogs. Cardiovasc. Res. 1996;32:1008-1015.
  • 15. Weinberg GL, Di Gregorio G, Ripper R et coll. Resuscitation with lipid versus epinephrine in a rat model of bupivacaine overdose. Anesthesiology. 2008;108:907-913.
  • 16. Weinberg G, Ripper R, Feinstein DL et coll. Lipid emulsion infusion rescues dogs from bupivacaine-induced cardiac toxicity. Reg. Anesth. Pain Med. 2003;28(3):198-202.
  • 17. Weinberg G, VadeBoncouer T, Ramaraju GA et coll. Pretreatment or resuscitation with a lipid infusion shifts the dose-response to bupivacaine-induced asystole in rats. Anesthesiology. 1998;88:1071-1075.
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