Traitement chirurgical d’une hernie ombilicale avec incarcération abomasale chez une génisse - Le Point Vétérinaire expert rural n° 322 du 01/01/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 322 du 01/01/2012

CHIRURGIE DU VEAU

Cas clinique

Auteur(s) : Lamain Guillaume*, Sartelet Arnaud**

Fonctions :
*Département clinique des animaux
de production, faculté de médecine
vétérinaire, université de Liège
20, bd de Colonster
4000 Sart-Tilman Liège
Belgique
**Département clinique des animaux
de production, faculté de médecine
vétérinaire, université de Liège
20, bd de Colonster
4000 Sart-Tilman Liège
Belgique

Une abomasotomie est requise afin de retirer un phytobézoar de la caillette incarcérée et de réaliser une réduction chirurgicale de la hernie ombilicale.

Un veau femelle de race blanc-bleu belge (BBB), âgé de 3,5 mois et pesant 147 kg, est référé à la clinique vétérinaire universitaire de la faculté de médecine vétérinaire de Liège pour analyser une masse sous-abdominale apparue brutalement 2 jours auparavant. L’appétit et la défécation de l’animal ne sont pas affectés, selon l’éleveur. Aucun examen ni aucun traitement n’a été entrepris par le vétérinaire de l’exploitation.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique

Examen général

Le veau est alerte et agité lors de son admission (photo 1). La respiration est costo-abdominale et sa fréquence est de 40 cycles par minute. La température rectale est de 39,6 °C et les extrémités de l’animal sont tièdes. La fréquence cardiaque est de 112 battements par minute. Le pouls est d’amplitude et de rythme normaux. L’état d’hydratation est satisfaisant (pli de peau persistant moins de 2 secondes et absence d’enophtalmie) et le temps de remplissage capillaire est inférieur à 2 secondes. Les muqueuses explorables sont roses et les nœuds lymphatiques accessibles sont de taille normale.

Examen de la masse sous-abdominale

La masse est située sous l’abdomen, centrée sur la ligne blanche en région ombilicale.

Elle s’étend, en longueur, 10 cm en avant de l’ombilic et jusqu’à 25 cm en arrière de celui-ci. Sa largeur est de 20 cm et sa hauteur de 15 cm. La masse est tiède, souple, et sa palpation est indolore. Réunir les doigts au travers de son contenu est possible.

Une structure sphérique de consistance beaucoup plus ferme, d’une dizaine de centimètres de diamètre et mobile est palpable à l’intérieur de la masse.

Un anneau herniaire de 10 cm de longueur est identifié à la base de la masse, centré sur la région de l’ombilic. Le sac herniaire et son contenu ne sont pas réductibles par l’anneau ombilical.

Examen du système digestif

La paroi abdominale de l’animal ne présente pas de déformation. L’abdomen est souple et non douloureux. À l’auscultation, le nombre des bruits digestifs et leur intensité sont diminués. Les matières fécales sont marron clair et leur score de consistance est de 3/5, ce qui est normal pour un jeune ruminant encore partiellement nourri au lait. Les fèces émises le jour de l’hospitalisation sont en faible quantité. L’appétit de l’animal est conservé.

2. Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel comprend une hernie ombilicale compliquée et/ou étranglée, un hématome, un abcès ombilical incluant ou non les vestiges ombilicaux et accompagné ou non d’une péritonite.

3. Examens complémentaires

Une échographie de la masse est effectuée à l’aide d’une sonde linéaire de 5 MHz (Aloka(r) SSD 500, Aloka, Zug, Suisse). Des anses intestinales de petit diamètre, dont le péristaltisme est observé, sont identifiées. La structure ferme à l’intérieur de la masse présente une paroi épaisse hyperéchogène empêchant la visualisation de son contenu.

Aucune anomalie n’est notée à l’échographie abdominale.

4. Diagnostic

Une hernie ombilicale non compliquée et non réductible est diagnostiquée. La nature de la portion la plus ferme de cette masse reste à préciser. Une invagination intestinale, un œdème du mésentère avec incarcération intestinale, une tumeur, un nœud lymphatique hypertrophié ou un contenu digestif très impacté sont envisagés.

5. Traitement chirurgical

Préparation

En raison du bon état général de l’animal, de son hydratation correcte et du maintien du transit digestif, la décision d’opérer est prise, mais une diète hydrique de 24 heures est permise. Le jour de l’intervention chirurgicale, le veau est sédaté à l’aide de xylazine à 2 % (Rompun(r), à la dose de 0,2 mg/kg, par voie intramusculaire), puis il reçoit par voie intraveineuse 2 mg/kg de kétamine en solution à 100 mg/ml (Imalgène 1 000(r)). Le bovin est placé en décubitus dorsal sur une table de chirurgie inclinable. Après un rasage large du site opératoire (de l’appendice xyphoïde au pubis, et 20 cm de part et d’autre de la ligne blanche), une asepsie est réalisée. Une anesthésie locorégionale est effectuée par infiltration locale de 40 ml de lidocaïne à 2 %, à la base de la masse. Une seconde asepsie chirurgicale est effectuée (photo 2).

Manuel opératoire

La structure ferme à l’intérieur de la masse se révèle être la caillette, qui contient un phytobézoar (encadré, photos 3 à 13 et figure).

Traitement postopératoire

Un traitement anti-infectieux et anti-inflammatoire est administré comportant de la pénicilline procaïne (22 000 UI/kg, toutes les 12 heures pendant 5 jours, par voie intramusculaire) et de la flunixine méglumine (1,1 mg/kg, une fois par jour pendant 3 jours, par voie intraveineuse). De l’argile verte est appliquée autour de la plaie chirurgicale durant la semaine qui suit l’intervention, pour faciliter la résorption de l’œdème postchirurgical. Le veau est confiné dans un petit box individuel afin de limiter ses mouvements.

6. Évolution

L’appétit, la rumination et les matières fécales font l’objet d’un suivi pendant la semaine qui suit l’opération. L’animal mange du foin 12 heures après l’herniorraphie, et l’aspect et la quantité de ses fèces sont normaux (photos 14 et 15). Aucun apport lacté ne lui est proposé, conformément à la volonté de l’éleveur. L’évolution étant favorable, la génisse est reconduite dans son exploitation 10 jours après l’intervention.

DISCUSSION

1. Épidémiologie

Les hernies ombilicales résultent du passage au travers des muscles d’une partie du contenu abdominal, qui se retrouve ainsi dans la zone sous-cutanée [7]. Elles sont diagnostiquées le plus souvent chez les veaux âgés de moins de 6 mois, plus fréquemment chez les femelles de race laitière [2, 3, 5]. Les hernies congénitales sont les plus fréquentes ; leur taille s’accroît avec l’âge du bovin [3]. Elles seraient dues à un défaut de fermeture de la paroi abdominale. Les hernies acquises semblent résulter d’une contrainte excessive sur la paroi musculaire ou constituer une complication de l’infection des vestiges ombilicaux [2, 5]. Ici, l’origine congénitale ou acquise reste indéterminée. Cependant, l’anamnèse ne rapporte aucune affection ombilicale connue dans le jeune âge.

Peu de cas rapportent l’incarcération de la caillette lors de hernie ombilicale. Une incarcération abomasale compliquée d’un abcès ombilical a été décrite chez une femelle holstein âgée de 7 mois [2]. Des fistulisations de la caillette à hauteur de l’ombilic ont également été rapportées, en lien avec des hernies ombilicales, des ulcères perforants de la caillette, des infections ombilicales et une abomasopexie ventrale [10].

2. Clinique

Les hernies ombilicales simples ont rarement des conséquences sur le fonctionnement du système digestif [3]. L’animal opéré à la faculté de Liège ne présentait pas d’atteinte de l’état général. Cependant, son activité digestive était diminuée. Cela est à mettre en relation avec l’impaction de la caillette constatée lors de l’intervention chirurgicale.

La palpation à travers la peau et la capsule inflammatoire n’a pas permis d’établir un diagnostic précis. À l’échographie, la paroi de la caillette apparaît, en temps normal, hyperéchogène et ses replis sont parfois visibles [6]. Les images obtenues dans le cas présenté n’ont pu identifier la nature de l’organe, dont le contenu était fibreux et sec.

3. Technique chirurgicale

→ Chez les bovins, toute hernie ombilicale de plus de 5 cm de diamètre doit être réduite chirurgicalement [3]. Une diète hydrique peut être envisagée durant les 24 heures qui précèdent l’opération, afin de réduire le volume des organes digestifs, facilitant ainsi la fermeture de l’anneau herniaire [1].

→ Le plus souvent, les hernies ombilicales simples contiennent une portion d’intestin grêle ou de grand omentum, aisément remis en place dans la cavité abdominale [1]. C’est la raison pour laquelle des auteurs préconisent de ne pas ouvrir le sac herniaire (herniorraphie fermée), considérant, de plus, que cette méthode entraîne moins de complications, comparativement à la procédure sac ouvert (herniorraphie ouverte) [7]. Cependant, l’ouverture du sac herniaire rend possibles l’exploration des viscères abdominaux et l’éventuelle élimination des vestiges ombilicaux [3]. Dans le cas présenté, elle a permis l’inspection et le traitement de la masse ferme détectée à la palpation. Il convient de toujours raviver les marges de l’anneau herniaire en utilisant la lame de ciseaux ou en excisant une portion de muscles avant la fermeture de la cavité abdominale.

→ Chez les bovins, l’abomasotomie est indiquée pour le retrait d’ulcères abomasaux ou de phytobézoars, de nourriture impactée ou de sable [4, 8]. L’ouverture de la caillette a été, pour cette génisse, indispensable, car son contenu ne pouvait être évacué en amont ou en aval, ni être délité par palpation au travers de la paroi sans risquer de léser l’organe. L’utilisation d’un champ opératoire supplémentaire, l’absence de contenu abomasal liquide et le changement de matériel pour la suite de l’opération ont permis de prévenir la contamination de la cavité abdominale par du contenu digestif. L’élasticité de la paroi abomasale a autorisé l’extériorisation du phytobézoar au travers d’une incision de taille réduite. Un cas similaire d’impaction de la caillette avec extraction d’un phytobézoar a été décrit chez une vache holstein âgée de 3,5 ans [9]. Elle avait été mise en évidence à la faveur du traitement chirurgical par le flanc droit d’un déplacement à gauche de la caillette. Le phytobézoar extrait était composé de fibres peu digérées et pesait 1,5 kg. Dans ce cas, ainsi que chez cette génisse, le bon état général et l’embonpoint satisfaisant des animaux atteints semblent indiquer que, malgré un mode d’évolution chronique, ces phytobézoars ne perturbent pas le transit digestif de façon importante.

4. Formation du phytobézoar

La formation de la boule de végétaux extraite de la caillette est probablement liée au passage de cet organe au travers de l’anneau herniaire. Le dysfonctionnement occasionné par cette anomalie topographique a pu entraîner l’accumulation de fibres en provenance du rumen, qui ne pouvaient être évacuées vers le duodénum. L’absence de liquide ou de lait dans la caillette au moment de l’intervention et le bon état général du veau attestent que ceux-ci passaient le pylore malgré la présence du bézoar. Ainsi, l’obstruction n’était que partielle. Il est toutefois probable que la situation aurait évolué vers une obstruction complète de la caillette si le phytobézoar n’avait pas été éliminé.

Le temps nécessaire à la formation d’un phytobézoar est inconnu. Cependant, le centre de ce bézoar était sec et ferme, comme dans le cas de la vache à la caillette déplacée, laissant supposer une antériorité de quelques semaines [9]. La présence d’une capsule inflammatoire sous-cutanée semble confirmer que l’incarcération de la caillette était ancienne.

5. Complications des herniorraphies

Les complications des herniorraphies sont, pour la plupart, liées à la plaie musculaire. Il s’agit d’abcès autour de la suture, de séromes, d’hématomes et de déhiscence de la plaie, allant jusqu’à la récidive de la hernie. Le confinement strict de l’animal permet en principe de limiter son activité, ce qui réduit le risque de déhiscence de la paroi. La péritonite, généralement due à la présence concomitante d’une omphalophlébite, est une autre des complications parfois rencontrées [3]. Lors d’ouverture d’organes digestifs, les contaminations par du contenu alimentaire peuvent être à l’origine de cette complication.

CONCLUSION

La présence de phytobézoars est une des indications d’abomasotomie chez les bovins. Le cas rapporté illustre cet acte aisément réalisable chez un veau. La mise en œuvre d’une herniorraphie ouverte est discutable en raison des possibles complications engendrées. Néanmoins, l’ouverture du sac herniaire permet l’identification et le traitement d’anomalies concomitantes à la hernie.

Références

  • 1. Baird AN. Umbilical surgery in calves. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2008;24:467-477.
  • 2. Field JR. Umbilical hernia with abomasal incarceration in a calf. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1988;192:665-666.
  • 3. Fubini S, Ducharme N. Hernias/umbilicus. In: Farm animal surgery. 1st ed. Ed. Elsevier, St Louis. 2004:477-484.
  • 4. Fubini S, Smith D. Umbilical hernia with abomasal-umbilical fistula in a calf. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1984;184:1510-1511.
  • 5. Radostits OM, Gay CC, Hinchcliff KW et coll. Inherited umbilical and scrotal hernias, cryptorchidism, and hermaphroditism. In: Veterinary medicine. 10th ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 2007:1964.
  • 6. Steiner A, Lejeune B. Ultrasonographic assessment of umbilical disorders. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2009;25:781.
  • 7. Sutradhar BC, Hossain MF, Das BC et coll. Comparison between open and closed methods of herniorrhaphy in calves affected with umbilical hernia. J. Vet. Sci. 2009;10:343-347.
  • 8. Trent AM. Surgery of the bovine abomasum. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1990;6:399-448.
  • 9. Tschuor AC, Muggli E, Braun U et coll. Right flank laparotomy and abomasotomy for removal of a phytobezoar in a standing cow. Can. Vet. J. 2010;51:761-763.
  • 10. Vertenten G, Declercq J, Gasthuys F et coll. Abomasal end-to-end anastomosis as treatment for abomasal fistulation and herniation in a cow. Vet. Rec. 2009;164:785-786.

ENCADRÉ Mode opératoire chirurgical

Points forts

→ La palpation d’une masse sous-abdominale permet de différencier une hernie d’un hématome ou d’un abcès.

→ L’identification d’une masse herniaire de consistance ferme peut faire suspecter une intussusception, un œdème important du mésentère ou un contenu digestif impacté.

→ L’abomasotomie est un acte simple, qui entraîne peu de complications et indispensable au traitement chirurgical de certaines affections.

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