Avortements en série : protocoles, anamnèse et examen des animaux - Le Point Vétérinaire expert rural n° 322 du 01/01/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 322 du 01/01/2012

AVORTEMENTS DES BOVINS

Conduite à tenir

Auteur(s) : Dominique Rémy

Fonctions : ENV d’Alfort,
7, av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
dremy@vet-alfort.fr

Lors d’une série d’avortements, en plus des protocoles de recherche obligatoires, aucune hypothèse diagnostique ne doit être négligée, grâce à une anamnèse solide et aux examens clinique et nécropsique.

Cet exposé présente une méthodologie applicable par le praticien lorsqu’il est confronté à une série d’avortements, afin d’établir un diagnostic étiologique (encadré 1). Pour cela, tout d’abord, selon les nouvelles connaissances, quelques protocoles sont décrits. Les agents à rechercher prioritairement sont évoqués, ainsi que les motifs de ce choix. Puis la méthodologie à mettre en place est décrite pour recueillir l’anamnèse et réaliser l’examen clinique.

ÉTAPE 1 PROTOCOLES ET RECHERCHES D’AGENTS

1. Quels protocoles utiliser ?

La déclaration par l’éleveur de tout avortement est obligatoire pour la recherche, a minima, de la brucellose. Dans plusieurs départements, le nombre d’avortements déclarés reste insuffisant et le pourcentage de causes identifiées est inférieur à 33 %, proche de celui de quelques-uns de pays voisins de la France : 33 % et 17 % [17, 22].

L’objectif des protocoles systématiques d’avortement est triple :

– augmenter le nombre de déclarations d’avortements pour maintenir la vigilance vis-à-vis de la brucellose ;

– élargir le champ de recherches « autres que la brucellose »

– élucider un plus grand nombre d’avortements, même si les protocoles mis en place par certains opérants (groupements de défense sanitaire [GDS], société nationale des groupements techniques vétérinaires [SNGTV] ou laboratoires départementaux vétérinaires [LDV]), généralement en concertation, ont permis d’améliorer ces deux données.

Grâce aux soutiens financier et logistique, les LDV proposent la recherche de nombreux agents, quitte à en éliminer certains par la suite en raison d’une prévalence très faible. Ainsi, le LDV du Calvados, propose deux protocoles : un restreint et un complet.

Plus récemment, l’unité mixte de travail (UMT) “Maîtrise de la santé des troupeaux bovins” a établi une hiérarchie (première intention versus investigations de seconde intention).

2. Quelles recherches effectuer ?

Pour l’UMT, les agents pathogènes prioritaires sont Neospora caninum, Coxiella burnetii (responsable de la fièvre Q) et le virus de la diarrhée virale bovine (BVD). Les investigations de seconde intention concernent plutôt des agents occasionnels.

Au LDV du Calvados, les recherches de l’ADN de Ch. abortus se révèlent toujours négatives et le laboratoire envisage d’abandonner [20]. Actuellement, il est admis que Chlamydia spp. chez les bovins n’est pas un agent abortif majeur, mais plutôt un agent évoluant à bas bruit ou un simple commensal qui ne s’exprimerait que lors de la présence d’un certain nombre de facteurs de risque [21, 25]. Certaines études impliquent pourtant cet agent [3, 19]. Des laboratoires l’identifient comme agent abortif [6, 12]. Ch. abortus serait d’autant moins abortif chez les bovins dans les pays où les troupeaux de moutons sont peu infectés ou/et lorsque les cheptels ont une taille réduite [7].

Les éléments qui ont conduit au choix de cette hiérarchisation sont :

– un rôle abortif démontré et une prévalence (apparente) supposée élevée. Par exemple le virus BVD est l’agent causal de 25 % des pertes fœtales et sa détection, lors d’avortement, semble être le signal d’appel le plus précoce d’infection du cheptel [17]. Cette recherche systématique a permis d’augmenter de 5 % le taux d’identification des causes d’avortements. De même, la compilation de plusieurs enquêtes régionales sur les avortements bovins, réalisées dans quatre départements de Bourgogne, révèle que C. burnetii est détectée de manière certaine dans 0,5 à 3 % des avortements et de manière probable dans 5 à 16 % des cas [2] ;

– des méthodes de diagnostic performantes et une interprétation convergente des résultats de test. Par exemple, même si la recherche par PCR (polymerase chain reaction) sur les cotylédons est une bonne technique pour impliquer les leptospires, cette méthode n’a pas encore été validée alors que les techniques d’identification de C. burnetii le sont [1, 30].

– une importance zoonotique. Il semble par exemple plus logique de rechercher C. burnetii que la leptospirose, car cette dernière, en raison de son mode de transmission, n’a jamais provoqué chez l’homme les épidémies comme celles décrites pour la première. Le caractère zoonotique d’une bactérie permet également de comprendre le choix du LVD du Calvados, qui maintient les recherches bactériologiques de Listeria spp. et de salmonelles dans le protocole restreint, malgré le faible nombre relatif de résultats positifs.

Enfin certains agents ne sont pas à négliger, même si leur rôle abortif n’est pas confirmé de façon certaine (encadré 2).

ÉTAPE 2 MÉTHODOLOGIE DE L’ANAMNÈSE

L’anamnèse concerne les événements antécédents survenus chez l’animal lui-même ainsi que les épisodes similaires qui sont apparus dans l’élevage au cours des 12 ou 24 derniers mois. Lors d’avortements, elle comprend, de manière exhaustive, tous les troubles de la reproduction, ainsi que les signes cliniques observés chez les femelles au même stade de gestation ou chez les futures reproductrices. Elle concerne également le milieu dans lequel l’animal et les animaux du lot vivaient au moment de l’expulsion du fœtus : le logement, l’alimentation, l’eau d’abreuvement, l’introduction d’animaux dans le lot auquel appartenait l’avortée.

1. Statuts sanitaires particuliers et vaccinations

Ces statuts sont importants pour interpréter les examens indirects (sérologies pour la vaccination fièvre Q, BVD, rhinotrachéite infectieuse bovine [IBR] et désormais la fièvre catarrhale ovine [FCO]). En effet :

– une vache avortée est séropositive BVD dans un cheptel où une circulation virale est connue depuis longtemps sans que le virus ne soit impliqué dans l’avortement. Ainsi, environ 60 à 70 % des bovins français sont séropositifs au BVD ;

– un cheptel vacciné contre la BVD avec un vaccin vivant (ou certains vaccins inactivés) ou contre la fièvre Q comporte régulièrement des femelles avortées séropositives pour ces agents, alors qu’ils ne sont pas responsables. Les sérologies anticorps totaux ne permettent pas de discriminer une positivité postinfectieuse d’une positivité postvaccinale. En revanche, la recherche des anticorps anti-P80 permet cette discrimination. En effet, à l’exception du vaccin vivant Mucosiffa(r), les vaccins actuellement sur le marché n’induisent pas la production d’anticorps P80.

2. Statut de la femelle qui avorte

→ S’agit-il d’une génisse, d’une primipare ou d’une multipare ? Selon le contexte épidémiologique, certains avortements sont observés chez des génisses ou des vaches nouvellement introduites dans le troupeau.

→ Quel est son stade de gestation, en dissociant le début de gestation (3 à 5 mois), le milieu (5 à 7 mois) et la fin (plus de 7 mois) ? Quels que soient les agents, les avortements peuvent survenir en fin de gestation. Cependant, certains entraînent des avortements plus précoces (N. caninum, le virus BVD et L. monocytogenes).

3. Les autres troubles de la reproduction avant le vêlage

Ces avortements peuvent être accompagnés de la naissance de veaux vivants à terme ou avant terme et qui meurent rapidement, de veaux chétifs ou mal formés, puis suivis d’une série de métrites ou d’infertilité selon les agents en cause. Ils peuvent être associés, chez d’autres animaux, à des troubles de la reproduction comme la mortalité embryonnaire ou l’avortement fœtal précoce avant 90 jours. Ce n’est pas le cas de tous les agents, et ce n’est pas prouvé actuellement pour la néosporose [27]. Cela est confirmé pour la chlamydiose, le virus BVD, et Coxiella burnetii et décrit depuis longtemps pour Campylobacter spp. et la trichomonose [8, 10, 11, 14].

Observation du milieu et des conditions d’élevage

→ L’eau d’abreuvement, surtout les mares ou les eaux résiduelles, peut être une source de leptospires, de salmonelles ou d’ookystes de N. caninum. Cependant, si les leptospires du sérogroupe automnalis proviennent généralement de l’environnement, L. hardjo est un agent qui s’introduit lors d’achat de bovins excréteurs [1, 16, 27].

→ Des moisissures vertes ou bleu foncé peuvent évoquer des mycotoxines (rarement en cause dans les séries d’avortements). Le foin peut être source d’aspergillose. La listériose peut être associée aux silos en mauvais état ou mal conservés, couverts de terre ou directement posés sur le sol, et aux enrubannages lorsqu’ils ont été ouverts récemment [16, 24].

→ L’introduction d’un taureau reproducteur peut être le point de départ d’une trichomonose (rare actuellement) ou d’une campylobactériose, au même titre qu’une vache infectée [16].

→ La présence de tiques chez les animaux peut être associée à des maladies vectorielles : anaplasmose, ehrlichiose ou babésiose. Les tiques participent peu à la transmission de Coxiella burnetii chez les animaux domestiques, mais participent à sa circulation au sein des animaux sauvages [15, 25].

→ Dans le cas de la chlamydiose et/ou de la toxoplasmose, la présence de petits ruminants sur le site est un facteur de risque supplémentaire [10].

→ Lorsque les avortements se produisent régulièrement chez les femelles des mêmes lignées, une transmission verticale de N. caninum peut être recherchée [27].

Causes nutritionnelles ou alimentaires

Des problèmes de conduite alimentaire ne doivent pas être perdus de vue (encadré 3). Ils se traduisent rarement par des avortements répétés et sont souvent associés aux deux circonstances suivantes :

– lorsque quelques avortements sont associés à des mortinatalités, souvent liés à de l’infertilité ;

– lorsque des agents différents sont identifiés lors des avortements antérieurs (même si certains agents abortifs comme le virus BVD et les leptospires sont sensés potentialiser l’intervention d’autres agents abortifs en l’absence de déséquilibres alimentaires).

Des intoxications végétales ou d’origine fongique (mycotoxines) doivent être prises en compte. Elles sont le résultat d’investigations sur la nature des végétaux consommés dans les pâtures, ou plus rarement la nature des fourrages. Il est également important de bien évaluer l’état de conservation des aliments.

ÉTAPE 3 EXAMEN CLINIQUE

1. Examen clinique

L’examen clinique doit être réalisé chez la mère avortée, les congénères et les produits. Cela est important, même si ces signes cliniques associés ne permettent pas d’impliquer de manière formelle un agent. Ils peuvent servir de critère d’alerte (photos 1a à 1d). En effet, le praticien doit garder à l’esprit qu’un décalage existe entre les causes d’avortement, la mort et l’expulsion du fœtus (photos 2a et 2b). Si cet intervalle est court pour Listeria spp. (environ 8 jours), il peut être de plusieurs mois pour le virus BVD ou la leptospirose. Ainsi, il est extrêmement rare d’observer les signes cliniques d’appel chez les vaches avortées. La clinique est donc rarement exploitable lors d’avortements sporadiques (photos 3a et 3b). Ces signes doivent être successivement cherchés chez les vaches avortées, les congénères et les fœtus (encadré 4) [16]. Ceux-ci ne permettent cependant pas d’éviter la démarche habituelle du diagnostic.

2. Examen nécropsique du fœtus

En dehors des avortements à Aspergillus fumigatus, l’examen attentif du fœtus et du placenta apporte peu d’éléments pour confirmer une étiologie infectieuse lorsque l’avortement survient précocement (photo 4). Une autopsie rigoureuse dans les conditions d’asepsie souhaitées, chez un veau en décubitus dorsal ou latéral gauche, permet cependant de réaliser des prélèvements utiles et d’identifier les lésions d’intérêt (encadré 5).

Lorsque l’animal naît à terme, vivant ou qu’il meurt prématurément, elle permet d’apporter des éléments sur des étiologies autres qu’infectieuses (dystocie, choc thermique ou malformations létales non visibles).

Conclusion

L’examen clinique de la mère et l’examen nécropsique du fœtus se révèlent souvent décevants car l’avortement survient généralement seul et les lésions trouvées sur le fœtus sont peu caractéristiques d’une étiologie. Ce sont cependant des étapes indispensables.

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Étapes essentielles

ÉTAPE 1 Protocoles et recherches d’agents :

protocoles obligatoires et agents à ne pas négliger.

ÉTAPE 2 Méthodologie de l’anamnèse. L’anamnèse doit être solide, avec l’épidémiologie des avortements et l’évaluation de la fertilité :

– statuts sanitaires particuliers et vaccinations ;

– statut de la femelle qui avorte ;

– autres troubles de la reproduction avant le vêlage, avec l’observation du milieu, des conditions d’élevage, et des possibles causes alimentaires.

ÉTAPE 3 Examen clinique : des avortées, des congénères et des produits, et l’examen nécropsique des fœtus.

ENCADRÉ 1
DÉFINITIONS

Avortement

Pour la législation française (décret du 24 décembre 1964), « l’avortement dans l’espèce bovine est l’expulsion du fœtus ou du veau né mort ou succombant dans les 48 heures suivant la naissance. » Cette définition risque de changer prochainement pour devenir : « est considéré comme avortement possiblement infectieux l’expulsion d’un fœtus ou d’un animal mort-né ou succombant dans les 12 premières heures suivant la naissance sauf si la mort peut être rapportée de façon certaine à un accident ou à une intervention obstétricale de la mise bas. » Elle est plus restrictive et surtout se focalise sur une origine abortive infectieuse.

Série d’avortements

Est considérée comme série d’avortements, la survenue de deux avortements ou plus dans le mois, ou trois avortements dans l’année, pour des effectifs de moins de 10 vaches et plus de 4 % de vaches ayant avorté dans l’année, pour les effectifs de plus de 100 vaches. Cette définition est proche de celle proposée par le groupe de travail au sein de l’unité mixte de travail (UMT), “Maîtrise de la santé des troupeaux bovins”.

ENCADRÉ 2
Les agents potentiellement abortifs à ne pas négliger

→ BHV4 (bovine herpesvirus 4) : actuellement considéré comme un agent abortif émergent potentiel, il n’a jamais pu être isolé seul lors d’avortements, mais il l’a été lors de métrites [10, 29].

→ Arcanobacterium pyogenes et E. coli sont des bactéries à potentialité septicémique de plus en plus souvent responsables d’avortements de fin de gestation. Le diagnostic de certitude demande des conditions d’asepsie particulières car ces agents sont largement répandus dans l’environnement [10, 24].

→ Anaplasma marginale : 2 à 3 semaines après le début de la maladie, des avortements liés à l’anoxie fœtale peuvent survenir. Des anœstrus sont également observés [5].

→ Parachlamydia : cité dans plusieurs publications, il est considéré en Suisse comme un agent abortif chez les bovins, dont l’incidence serait largement supérieure à celle de Ch. abortus [11, 26].

→ Virus Schmallenberg : présent en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, sa transmission est vectorielle. Les directions départementales en charge de la protection des populations doivent être informées en cas de suspicion (avorton ou nouveau-né malformé ou présentant des troubles nerveux).

ENCADRÉ 3
Les avortements d’origine alimentaire ou nutritionnelle

Vingt à quarante pour cent des avortements ont une cause connue. 90 % ont une cause infectieuse et 10 % une cause non infectieuse. Parmi ces derniers, les avortements d’origine alimentaire ou nutritionnelle représentent une part importante, plus que les avortements traumatiques ou ceux dus à des températures excessives.

Les avortements dus à des problèmes de conduite alimentaire (déséquilibre en énergie, azote, vitamines, minéraux ou oligoéléments) sont rares et concernent davantage la mortalité embryonnaire ou la mortinatalité. En effet, après la nidation, les besoins de l’embryon sont prédominants par rapport à ceux de la mère. Seule une sous-nutrition majeure peut induire un avortement.

L’avortement peut survenir lors d’accident alimentaire (par exemple lors d’acidose aiguë, mais il est dans ce cas la conséquence d’une altération grave de l’état général de la mère) ou d’intoxication alimentaire. Il reste généralement sporadique et est facile à identifier en raison du contexte.

Causes des intoxications

→ Plantes toxiques : un certain nombre de plantes (lupin, astragale, Pinus radiata) provoquent des avortement et mortinatalité mais d’autres, connues comme abortives, sont plus rarement consommées par les bovins.

→ Phyto-œstrogènes : ces substances (le coumestrol est le plus actif d’entre eux) sont produites naturellement par certaines légumineuses comme le soja, la luzerne, le trèfle, surtout au printemps et en automne (période de pousse rapide des végétaux). Elles provoquent des modifications des organes génitaux (gonflement de la vulve, développement mammaire), des troubles ovariens (kystes, anœstrus), de la mortalité embryonnaire et des avortements.

→ Mycotoxines : le bovin est considéré comme peu sensible, ce qui reste à vérifier car, si les microbes du rumen dégradent certaines mycotoxines en dérivés moins toxiques, la toxicité de tous les dérivés n’est pas connue. Ces substances sont produites par des champignons, au champ avant la récolte ou lors du stockage des aliments si la conservation est mauvaise. Certaines peuvent provoquer des avortements chez les ruminants :

– la zéaralénone (présente dans le maïs, le blé, l’orge, se développe en général en début de stockage) se fixe sur les récepteurs à œstrogènes et a un effet œstrogénique et abortif ;

– l’ergot de seigle (présent sur l’orge, parfois les pousses d’herbe jeune) est abortif par ses effets vasoconstricteurs, c’est-à-dire sa capacité à réduire le diamètre des vaisseaux sanguins, notamment ceux du placenta ;

– la stachybotrytoxine se développe dans la paille lors du stockage.

→ Polluants alimentaires :

– les nitrates : ils peuvent être retrouvés dans l’eau de boisson (eau de forage contaminée) et dans certains fourrages (dactyle, ray-grass, crucifères, trèfle) dans lesquels ils peuvent s’accumuler lors d’épandage mal conduit. Les nitrates sont réduits par les bactéries du rumen en nitrites (10 fois plus toxiques). La toxicité se manifeste par une baisse du transport de l’oxygène, notamment au fœtus, entraînant l’avortement. Cependant, il est rarement le seul symptôme de l’intoxication aiguë aux nitrates (à partir de 500 mg/l dans l’eau ou 1,5 % de la matière sèche [MS] dans les fourrages), il est accompagné d’un bleuissement des muqueuses et de troubles nerveux (perte d’équilibre, tremblements) ;

– les perturbateurs endocriniens : ce sont des produits phytosanitaires, des produits issus de l’industrie (plastifiants, détergents, peintures, cosmétiques, polystyrènes, dioxines). La contamination s’effectue par voie aérienne, par consommation d’eau ou d’aliments souillés. Ces perturbateurs persistent longtemps dans le milieu extérieur. Toutefois, leur effet chez les ruminants, et en particulier sur leur reproduction, est à ce jour incertain et mal connu.

ENCADRÉ 4
Signes cliniques les plus fréquemment rencontrés

→ Fièvre Q : peut être l’infection aiguë des voies génitales dès le vêlage, alors que les métrites normales surviennent souvent après 4 à 5 jours [11]. Une série d’avortements peut suivre des épisodes grippaux dans le troupeau. Chez trois cas rencontrés en clientèle, la pneumopathie était généralisée à l’effectif, sans forme grave, et associée à des métrites incurables suivies d’infécondité [15]. Ces formes ne représentent pas l’expression majeure de la clinique. Le plus souvent, les bovins infectés par C. burnetii présentent une infection inapparente, avec ou sans réponse sérologique, et peuvent excréter la bactérie [25].

→ Leptospires : des cas de photosensibilisation dans le troupeau (davantage qu’un lait à coloration rosée) autour des avortements et quelquefois des ictères chez les veaux (hépatonéphrite) en sont les signes d’appel [9].

→ Listériose : signes nerveux rares, mais quelquefois ceux-ci peuvent être observés chez des congénères. La présence d’uvéites doit être prise en compte. Même s’il ne s’agit pas d’un signe clinique, l’ouverture récente d’un silo peut être recherchée [24].

→ Salmonelles : autres signes cliniques rares (hyperthermie, diarrhée séro-hémorragique) chez la vache avortée (à peine 10 % des cas), les avortements peuvent être associés à des septicémies ou des diarrhées néonatales suivies ou non de troubles respiratoires.

→ BVD : lorsque l’infection fœtale survient entre 100 et 150 jours de gestation. Les avortements qui surviennent plus tardivement peuvent être associés à des lésions nerveuses, oculaires, cutanées et osseuses chez les avortons et les veaux à terme [18].

→ Anaplasma phagocytophilum (ehrlichiose) : agalaxies brutales, hyperthermie chez un ou, successivement, plusieurs animaux, avec une toux, un syndrome grippal et un engorgement-empâtement des pâturons. Ce syndrome est aussi appelé “fièvre des pâtures” ou « maladie du gros paturon » [13].

ENCADRÉ 5
Lésions fœtales d’intérêt

→ L’évaluation de la maturité fœtale permet de savoir si la naissance a eu lieu à terme lorsque la date de saillie fécondante n’est pas connue (race allaitante). Le meilleur critère est l’éruption des incisives qui survient en toute fin de gestation à terme (photo 5).

→ Le moment de la mort est moins important, si ce n’est lors d’expertise judiciaire, mais elle permet de différencier une mortinatalité d’une mortalité postnatale. Lorsque le veau est mort au moment de l’expulsion, une coloration rougeâtre généralisée des tissus, l’absence de thrombus dans l’artère ombilicale et une atélectasie pulmonaire sont observées.

→ Les œdèmes sous-cutanés teintés de sang sont absents lorsque le veau, vivant à terme, meurt au cours du part.

→ Les lésions d’anoxie constantes sont l’hémorragie ou la congestion des méninges, l’atélectasie ou l’hémorragie des poumons. Ces derniers peuvent être partiellement remplis d’air et/ou contenir du liquide fœtal avec des traces de méconium. Celles-ci situées sur le corps ou dans les liquides fœtaux traduisent aussi une hypoxie fœtale in utero. une atélectasie pulmonaire complète est le signe d’une mort avant la naissance.

→ Les lésions traumatiques sont associées ou non à des lésions d’anoxie. Elles siègent sur le squelette ou les viscères :

– lésions squelettiques : fractures des vertèbres, des côtes ou du sternum, associées ou non à des disjonctions chondro-costales ou des ruptures du diaphragme ;

– lésions viscérales : œdèmes généralisés de la tête et de la région cervicale ;

– œdèmes et hémorragies associés au stress thermique (grand froid au moment de l’expulsion) : ils ressemblent à ceux rencontrés lors de dystocies ou d’anoxie mais sont localisés aux extrémités des membres et sont accompagnés d’œdèmes sous cutanés dans la région du sternum.

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