CARDIOLOGIE BOVINE
Cas clinique
Auteur(s) : Guillaume Lamain*, Ève Ramery**, Hugues Guyot***
Fonctions :
*Département clinique des animaux
de production, Clinique ambulatoire bovine
**Département des sciences
fonctionnelles, pathologie clinique
Faculté de médecine vétérinaire,
université de Liège, 20, bd de Colonster,
4000 Sart-Tilman, Liège, Belgique
***Département clinique des animaux
de production, Clinique ambulatoire bovine
Un kyste hématique valvulaire et une péritonite sont diagnostiqués à la suite d’une fièvre récidivante. L’échocardiographie, le test au glutal et le dosage de la troponine I orientent le diagnostic.
Une vache laitière de race holstein pie rouge de 754 kg, âgée de 5 ans, en lactation depuis 140 jours et gestante depuis 3 mois, est hospitalisée au sein du département clinique des animaux de production de la faculté de médecine vétérinaire de Liège pour une anorexie et une hyperthermie récidivantes depuis 2 mois.
Début mars 2011, la vache présente une hyperthermie et des symptômes de pneumonie. La fièvre (entre 39 et 39,5 °C) récidive de façon intermittente (fin mars et fin mai 2011), et nécessite la mise en place d’une antibiothérapie. Les différents traitements entrepris (sulfate de cefquinome au premier épisode, deux fois 2,5 mg/kg par voie intramusculaire à 48 heures d’intervalle ; ceftiofur sodique pour la deuxième phase d’hyperthermie, 1 mg/kg/24 h par voie intramusculaire durant 3 jours ; marbofloxacine la troisième fois, 2 mg/kg/24 h par voie intramusculaire durant 3 jours) ont à chaque fois apporté une amélioration de l’état général et de l’appétit de l’animal. Trois jours avant son hospitalisation, la vache présente à nouveau une hyperthermie et une anorexie. Le vétérinaire d’exploitation lui administre deux injections d’oxytétracycline longue action, à 2 jours d’intervalle (après l’échec d’autres anti-infectieux et dans l’hypothèse d’une atteinte par des parasites sanguins), de la flunixine méglumine dès l’apparition des symptômes et de l’acide tolfénamique le jour précédant son admission. Une légère amélioration de l’état général et de l’appétit est constatée par l’éleveur à la suite de ces traitements.
La vache est abattue, son appétit est très diminué et ses matières fécales sont rares. Son score corporel est de 1,5/5. La fréquence respiratoire est de 36 cycles par minute, et la respiration est de type costo-abdominal et légèrement superficielle. La température rectale est de 38,3 °C et les extrémités sont tièdes. Le pouls est faible et la fréquence cardiaque est de 56 battements par minute. Le temps de remplissage capillaire est de 3 secondes. Une hyperhémie des capillaires de la sclère est constatée, ainsi qu’un pli de peau persistant (3 secondes) et une énophtalmie (5 mm). La muqueuse vulvaire est congestive, mais les autres muqueuses explorables sont roses. Les nœuds lymphatiques palpables sont de taille normale.
Un pouls faible, une vasodilatation périphérique et une légère bradycardie sont observés. L’auscultation cardiaque révèle des bruits d’intensité légèrement diminuée à droite. De plus, le premier bruit cardiaque est dédoublé. Le choc précordial n’est pas modifié.
L’examen du système respiratoire ne révèle pas d’anomalie.
Une légère dilatation bilatérale en partie déclive de la paroi abdominale est observée. L’abdomen est souple à la palpation. L’auscultation révèle des activités ruménale (une contraction en 5 minutes) et intestinale fortement diminuées. Les matières fécales sont glaireuses et présentes en très faible quantité. La palpation transrectale ne fournit pas d’autres informations. Les examens classiques de recherche d’un corps étranger (tests du garrot, du bâton et de la botte) sont négatifs. Le passage d’un détecteur de métaux et d’une boussole ne met aucune anomalie en évidence.
Le diagnostic différentiel comprend les habituelles hypothèses lors d’épisodes de fièvre récidivante : une endocardite bactérienne, une réticulopéricardite traumatique à corps étranger, une péritonite, un abcès hépatique. Les obstructions ou l’occlusion digestive, les déplacement/dilatation/volvulus concernant un ou plusieurs organes digestifs sont également envisagés au vu de l’aspect des matières fécales.
Une prise de sang est effectuée à la veine coccygienne pour des analyses hématologique et biochimique (tableaux 1 et 2). La formule leucocytaire est inversée, et présente une lymphopénie et une neutrophilie relatives. Les marqueurs protéiques de l’inflammation (fibrinogène, protéines totales, globulines) sont augmentés. De plus, le test au glutal(1) est fortement positif (2 min 30 s), révélant la présence d’une inflammation chronique sévère (encadré). Une hyponatrémie, une hypokaliémie, une hypochlorémie et une légère alcalose métabolique sont observées. Cela est à mettre en relation avec un ralentissement ou un arrêt du transit digestif à un niveau proximal. Un dosage de la troponine I(2) à 0,27 ng/ml (valeurs normales : 0 à 0,04 ng/ml) oriente vers une affection intrathoracique. Les lactates déshydrogénases (LDH) sont modérément augmentées (x 5), mais l’analyse des iso-LDH par électrophorèse ne permet pas de différencier un système en particulier. L’échographie abdominale, réalisée avec une sonde convexe de 3,5 MHz(3), ne révèle pas d’anomalie dans la zone réseau-rumen ni dans le flanc droit. Le péristaltisme est seulement diminué, traduisant la faible activité digestive de la vache. L’examen échographique du cœur exclut une péricardite exsudative. Une observation optimale des valves cardiaques est irréalisable avec le matériel à disposition. Cependant, une masse de taille indéterminée est identifiée sur la valve tricuspide. De l’urine récoltée par miction spontanée à mi-jet est déposée sur une bandelette urinaire et ne révèle aucune anomalie.
Au vu des examens réalisés, une atteinte cardiaque de type endocardite bactérienne constitue l’hypothèse la plus probable. Ce trouble a des répercussions sur l’état général et l’appétit de l’animal, ce qui se traduit par les déséquilibres ioniques mis en évidence. Le pronostic lié à cette affection est mauvais.
Le traitement antibiotique débuté par le vétérinaire d’exploitation est poursuivi (chlorhydrate d’oxytétracycline, Engémycine 10 % LA®, Intervet, 10 mg/kg, toutes les 48 heures, par voie intramusculaire). Un anti-inflammatoire non stéroïdien y est associé (méloxicam, Metacam 20 mg/ml Solution pour injection®, Boehringer Ingelheim Vetmedica, 0,5 mg/kg, une fois par jour, par voie intraveineuse). Une fluidothérapie est aussi mise en place : 3 l de NaCl à 7,2 % (Vétoflex®) sont perfusés par voie intraveineuse en 1 heure, puis 20 l de NaCl isotonique (NaCl 0,9 %, Baxter®) au débit de 2 ml/kg/h.
L’appétit et l’état général de l’animal s’améliorent au cours du jour suivant son hospitalisation. L’état d’hydratation de l’animal est meilleur (pli de peau inférieur à 2 secondes et énophtalmie de 2 mm), permettant l’observation d’un pouls veineux rétrograde pathologique et d’une turgescence des veines jugulaires, ce qui témoigne de l’incapacité du cœur à remplir sa fonction. Les matières fécales sont à présent liquides et de quantité augmentée.
Deux jours après son admission, la vache est à nouveau très abattue et déshydratée, et son appétit est nul. L’euthanasie est réalisée à la demande du propriétaire.
Des adhérences sont observées en région ventrale de la cavité abdominale, plus sévères sur la droite. Il s’agit d’adhérences fibreuses et fibrineuses, entreprenant le grand omentum, le sac ventral du rumen et la paroi abdominale (photo 2). Ces lésions de péritonite touchent également la masse intestinale grêle et le cæcum (photos 3 et 4). La cause de cette péritonite semble être un abcès chronique de 10 x 5 cm, disposé parallèlement à la paroi ruménale (au niveau du sac ventral) et adhérant à celle-ci (photos 5 et 6). Cet abcès bien encapsulé évoque un corps étranger. Toutefois, aucun n’est retrouvé. De plus, le foie est très congestif. Le cœur présente un kyste hématique bilobé de 1,5 x 1 cm sur la valve tricuspide (photo 7). Celui-ci est sessile et situé sur la face cavitaire de la valve. Le diagnostic nécropsique caractérise une péritonite évolutive pariétale et viscérale ventrale centrée sur un abcès situé sur la séreuse ruminale ventrale et la présence d’un kyste hématique sur la valve tricuspide.
La vache hospitalisée présentait une anamnèse d’hyperthermie et, dans un premier temps, des symptômes d’atteinte abdominale : une tachypnée et une distension abdominale légères, accompagnées d’une activité digestive fortement diminuée. Une bradycardie de faible intensité était de surcroît constatée. Ces signes peuvent évoquer une péricardite traumatique [3]. Cependant, pour s’orienter vers cette maladie, deux symptômes majeurs manquent : la distension des veines jugulaires et les bruits péricardiques. Une distension des jugulaires a été mise en évidence une fois la vache réhydratée. L’association de ce signe avec un pouls jugulaire rétrograde peut être révélatrice d’une endocardite [2]. L’hypothèse d’endocardite bactérienne était ainsi susceptible d’expliquer l’ensemble des symptômes et l’anamnèse d’hyperthermie récidivante. L’épisode d’atteinte respiratoire d’origine infectieuse survenu en mars 2011 pouvait être considéré comme responsable d’une atteinte valvulaire par des bactéries.
Les examens complémentaires ont mis en évidence une inflammation (test au glutal), un ralentissement du transit digestif et une atteinte cardiaque. L’hypothèse d’une seule maladie (endocardite bactérienne) a été privilégiée, plutôt que celle de deux affections distinctes (péritonite localisée et atteinte cardiaque valvulaire infectieuse ou non). L’autopsie de l’animal a révélé que la seconde hypothèse était correcte.
Il a été récemment démontré que la troponine I (cTnI) sérique est un marqueur de l’atteinte myocardique chez les bovins, comme c’est le cas pour d’autres espèces [7, 9]. D’après une étude réalisée en 2007 sur 5 vaches présentant une péricardite et sur 34 vaches témoins sans trouble cardiaque, la concentration sérique moyenne en cTnI est significativement plus importante chez les bovins atteints, comparativement aux animaux sains [12]. Une augmentation des cTnI a également été mise en relation pour un cas d’endocardite bactérienne [4]. Selon un autre essai, le dosage de la cTnI est plus élevé lors d’atteinte cardiaque primitive, qu’il s’agisse d’une péricardite ou d’une autre affection. Ces auteurs précisent que d’autres types d’atteintes thoraciques (pleurésie, abcès, pneumonie) sont susceptibles de provoquer une hausse de cette protéine [13].
Dans le cas présent, le dosage de la créatine phosphokinase (enzyme à l’activité accrue en cas d’atteinte cardiaque ou musculaire, par exemple) se situe dans les normes, alors que la troponine I est augmentée, orientant le diagnostic vers une atteinte cardiaque. Cette dernière est toutefois différente des troubles habituellement rapportés dans la littérature puisqu’il s’agit ici d’un kyste hématique.
Le dosage de la cTnI n’est pas habituel en pratique vétérinaire rurale. Son coût limité pour l’éleveur et ses applications diagnostiques pourraient cependant en faire un examen complémentaire en cas de suspicion d’atteinte cardiaque chez un bovin. En effet, même si la spécificité de ce test n’est pas parfaite (détection d’affections intrathoraciques non cardiaques), un examen complémentaire réalisable en ferme, au résultat presque immédiat, constitue un élément décisif qui peut orienter vers la décision économiquement raisonnée de traiter ou non un animal [13].
Un kyste hématique (ou hématocèle) cardiaque est une masse intracardiaque qui peut être localisée sur la partie libre d’une valvule. Chez l’homme, ces formations sont rares et plus fréquemment identifiées chez des enfants que chez des adultes [1, 5, 16]. Elles interfèrent rarement avec la circulation sanguine et sont souvent découvertes de façon fortuite [15]. Le cas d’un homme présentant une fièvre cyclique, liée à la libération d’emboles pulmonaires à partir d’un kyste valvulaire, a cependant été rapporté [5]. L’existence de kystes hématiques, régressant avec l’âge, est également décrite chez de jeunes chevaux, porcins et chiens, sans que cela ait pu être associé à des signes d’insuffisance cardiaque [15].
Une étude iranienne reposant sur l’observation de 30 907 cœurs en abattoir montre une prévalence de 16,2 % de kystes hématiques chez les vaches adultes [11]. Les kystes sont tous sessiles, de forme ovalaire ou arrondie, et attachés à la surface atriale des valvules. Le diamètre moyen des formations situées sur des valvules tricuspides est de 2,9 mm. De plus, ces valvules sont préférentiellement atteintes. Les masses sont de taille plus importante chez les animaux les plus âgés [11].
L’histologie permettant d’écarter les origines traumatiques ou néoplasiques, l’hypothèse la plus probable pour expliquer la formation de ces kystes est actuellement la dilatation de vaisseaux sanguins valvulaires [11, 15]. L’origine de cette dilatation reste indéterminée [11].
Dans le cas rapporté ici, le kyste est de taille importante et représente la seule anomalie détectée à l’autopsie au niveau cardiaque. Sa présence est probablement responsable de l’augmentation des cTnI sériques.
La vache hospitalisée présentait des symptômes cardiaques et digestifs, liés à l’évolution d’une péritonite et à l’existence d’un kyste hématique en rapport avec la valvule tricuspide. Un dosage de la troponine I a permis de mettre en évidence une maladie cardiaque qui s’est révélée différente des habituelles péricardites traumatiques. D’après les auteurs, ce cas est la première description d’un kyste hématique responsable de troubles vasculaires chez le bovin.
(1) Glutal-Test®, Graeub, Berne, Suisse.
(2) Stat Troponin I, Architect System, méthode du Chemiluminescent Microparticle Immunoassay.
(3) Aloka® SSD 500, Aloka, Zug, Suisse.
Le test au glutaraldéhyde(1) permet la mise en évidence d’une inflammation chronique ou d’une inflammation aiguë très importante [10, 14]. Il est fondé sur la formation de liaisons entre des groupements amine et les groupements aldéhyde du réactif, résultant en l’apparition d’un gel (photo 1). La durée nécessaire à la formation de celui-ci dépend ainsi de la concentration de l’échantillon sanguin en fibrinogène et en immunoglobulines [10]. Si le gel (coagulation) survient en moins de 3 minutes, l’inflammation est sévère. Une inflammation modérée est mise en évidence entre 3 et 6 minutes et elle est seulement suspectée entre 6 et 15 minutes. Le résultat est négatif au-delà de 15 minutes [8]. Le test au glutal peut être réalisé chez les bovins âgés de plus d’un an et n’ayant pas reçu de corticoïdes au cours des semaines précédentes. Il est facile d’emploi sur le terrain, et un simple prélèvement de sang frais mélangé immédiatement au glutaraldéhyde permet en quelques minutes de confirmer ou d’exclure une inflammation, sans toutefois en déterminer l’origine, qui peut aller de la réticulopéritonite traumatique à l’endocardite bactérienne [6].
(1) Glutal-Test®, Graeub, Berne, Suisse.
→ Des kystes hématiques intracardiaques peuvent être identifiés chez des bovins adultes.
→ Un kyste hématique est parfois responsable de troubles cardiaques s’il est de dimension importante.
→ Deux maladies distinctes associées (péritonite et kyste hématique) peuvent provoquer des symptômes évoquant une seule affection (endocardite bactérienne).
→ Le test au glutal permet de détecter une inflammation liée à une péritonite localisée.
→ Le dosage de la troponine I permet de mettre en évidence des maladies cardiaques variées.
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