Moins de cryptosporidies lors de vaccination contre les virus et bactéries - Le Point Vétérinaire expert rural n° 315 du 01/05/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 315 du 01/05/2011

ENTÉRITES NÉONATALES

Veille scientifique

Auteur(s) : Karim Adjou

Fonctions : UMR Bipar, Unité de pathologie du bétail
École nationale vétérinaire d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort
kadjou@vet-alfort.fr

Une enquête en région méditerranéenne sur trois protozoaires pathogènes éclaire leur pathogénicité et les facteurs de risque.

Les animaux vaccinés contre le coronavirus, le rotavirus et les colibacilles excrètent significativement moins de Cryptosporidium parvum que ceux qui ne le sont pas. Telle est la conclusion supplémentaire et surprenante d’une enquête sur ce protozoaire, mais aussi sur Giardia duodenalis, Eimeria bovis et E. zurnii, dont les premiers résultats ont été publiés localement et présentés aux Rencontres autour des recherches sur les ruminants en 2010 (encadré 1 complémentaire sur www.WK-Vet.fr) [6, 28].

Dans la zone étudiée (autour d’Alger), les conditions climatiques et d’élevage sont celles couramment rencontrées dans le Bassin méditerranéen, mais les résultats ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui sont observés partout en Europe de l’Ouest, par exemple.

Le praticien français, dans l’abord de ces protozoaires au sein de sa propre clientèle, peut collecter le même type d’informations que celles qui sont présentées ici. Il sera ainsi en mesure d’obtenir et de fournir à l’éleveur une image de l’impact pathogène de ces parasites, et d’éclairer ses choix de traitements préventifs prescrits contre les diarrhées néonatales.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

L’étude mise en place autour d’Alger visait une analyse de la prévalence des protozoaires pathogènes dans les élevages en Algérie (étude épidémiologique).

Ainsi, 454 prélèvements de fèces de veaux ont été effectués (après une émission spontanée ou une excitation de l’orifice anal) dans 29 troupeaux laitiers ou allaitants situés autour d’Alger, à la faveur de visites d’élevages effectuées au hasard, c’est-à-dire sans lien avec l’incidence des diarrhées.

Sur les 762 animaux présents, seuls les veaux âgés de 1 jour à 4 mois ont été prélevés, qu’ils présentent ou non une diarrhée (photo 1). Les selles ont été conservées à + 4°C jusqu’à analyse, à l’Institut Pasteur d’Algérie ou à l’École nationale supérieure vétérinaire d’Alger.

La technique de concentration de Ritchie simplifiée par Allen et Ridley (formol-éther) a permis de mettre en évidence les Giardia et les coccidies, et la coloration de Ziehl-Neelsen, modifiée par Henriksen et Pohlenz, a été réalisée pour les cryptosporidies (avec mesure des oocystes : de 4 à 6 µm pour un résultat positif) (encadré 2 complémentaire sur www.WK-Vet.fr, photo 2).

L’enquête épidémiologique incluait un questionnaire sur les pratiques d’élevage et les traitements mis en place. Aucun élevage recruté n’utilisait de médicament efficace dans la prévention des cryptosporidies (de type halofuginone).

RÉSULTATS

La coloration est positive pour Cryptosporidium dans 217 prélèvements (47,79 %), soit environ deux fois plus que pour Giardia (107 prélèvements, soit 23,56 %) et trois fois plus que pour Eimeria (71 prélèvements, soit 15,63 %).

Les résultats coprologiques pour chaque parasite ont été regroupés par provenance régionale (Tipaza, Alger, Boumerdes : tableau 1 complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

La présence ou l’absence de diarrhée (« statut clinique ») a été rapprochée de la présence ou de l’absence d’isolement d’un ou de plusieurs protozoaires (tableau 2).

Les résultats coprologiques ont été rangés par classe d’âge (figure 1).

Les associations observées ont été représentées graphiquement (figure 2). Sur les 217 cas positifs pour ce parasite, Cryptosporidium est trouvé seul dans seulement 140 cas. Il est associé à Giardia dans 47 selles, à Eimeria dans 26 autres prélèvements et aux deux protozoaires dans 4 cas.

Le statut vaccinal (rotavirus, coronavirus et colibacilles F5+ anciennement K99) a été rapproché du seul résultat “cryptosporidies” car ces protozoaires sont détectés à un âge précoce, tout comme les virus et bactéries ciblés par la vaccination (tableaux 3a et complémentaire 3b).

DISCUSSION

1. Localisation

Les conditions climatiques des élevages prélevés sont de type méditerranéen côtier.

→ La prévalence apparente (reflétée par l’excrétion ookystale) des cryptosporidies (47,79 %) rejoint, dans l’ensemble, celles qui sont retrouvées dans différents pays d’Europe : France (43,7 %), Irlande (44,4 %), Espagne (52,3 %), Pays-Bas (55 %) et Allemagne (40 à 44 %) [3]. Les taux semblent stables localement, du moins pour les élevages de Tipaza et d’Alger (37,95 % et 40,56 % respectivement) [3].

→ Les Giardia paraissent relativement fréquentes (23,56 %), par rapport à la situation rapportée aux États-Unis, par exemple (10 % de prélèvements positifs dans le Colorado) [1]. Toutefois, les résultats sont extrêmement variables selon les études pour ce parasite (Canada : 73 % chez les veaux âgés de 1 jour à 6 mois [37] ; Espagne : 38 % entre 1,5 et 4 mois d’âge) [40].

→ Les coccidies semblent relativement peu présentes, mais le pic de prévalence pour ces parasites (du quatrième au neuvième mois) n’est pas inclus dans cette étude [17, 39, 49].

2. Conditions d’élevage

La quasi-totalité des veaux prélevés vivent dans des box communs. Ce facteur est associé à des prévalences relativement plus élevées qu’en case individuelle (32,4 % contre 19,6 %) [47]. En 1984, Vallet a rapporté aussi une morbidité de 13,5 % sans mélange d’âges, contre 26 % avec, et une mortalité de 0 % (versus 2,6 %) [22].

Les conditions d’hygiène sont globalement et subjectivement défectueuses. Néanmoins, certaines fermes qui paraissent au-dessus de la moyenne (bâtiments récents, nettoyages fréquents des étables) présentent des résultats positifs. D’autres facteurs de risque potentiels ont donc été recherchés (prise de colostrum, climat, etc.).

3. Statut clinique

→ L’association cryptosporidies et Giardia est, ici, la seule qui soit significative cliniquement (test du χ2 avec p < 0,05), mais ces parasites, seuls ou associés, sont aussi sources de portage asymptomatique.

→ Pour les cryptosporidies seules, la fréquence des prélèvements positifs retrouvés dans les selles diarrhéiques est significativement plus élevée comparativement aux selles non diarrhéiques (261 contre 193) (test du χ2 avec p < 0,05). Les résultats rejoignent ceux qui sont décrits dans d’autres pays (10 à 75 % de prévalence) (tableau 4 complémentaire sur www.WK-Vet.fr) [32, 33].

Le rôle pathogène de Giardia duodenalis n’est pas clairement établi [39]. Le portage asymptomatique existe. La présence de ce parasite n’a pas été croisée directement avec le facteur « diarrhée » dans l’étude Alger 2010, mais seulement par le biais de l’association cryptosporidies et Giardia.

D’après Chauvin et Assié, la présence de Giardia duodenalis dans les fèces des veaux âgés de 2 à 6 mois double le risque de voir apparaître une diarrhée chez ces animaux [9].

→ Les coccidies ont été recherchées alors que l’étude porte sur la période néonatale car elles peuvent induire des diarrhées dès l’âge de 1 mois [8, 23, 34]. De fait, certains prélèvements diarrhéiques se sont révélés positifs seulement pour Eimeriadans l’étude Alger 2010 ; ils étaient issus d’élevages vaccinés, donc en théorie indemnes de virus.

Dans l’ensemble, les résultats soulignent surtout la notion de portage asymptomatique, donc de péril fécal.

4. Âge

Ici Giardia et Eimeria affectent les veaux à partir de l’âge de 20 jours, contrairement à Cryptosporidium qui paraît plus précoce (2 jours). Cette observation recoupe de précédentes constatations (encadré 3 complémentaire sur www.WK-Vet.fr) [46]. Les coccidies tout comme Giardia ne semblent pas profiter du statut immunitaire lié au jeune âge du veau. L’expression de leur pouvoir pathogène serait encouragée par d’autres facteurs. Toutefois, l’échantillon est trop faible pour conclure à une éventuelle relation entre l’âge et l’infestation.

5. Statut vaccinal : Cryptospridium pathogène et aggravateur

Les données vaccinales de l’élevage vis-à-vis des bactéries et des virus des diarrhées néonatales ont été croisées avec les résultats coprologiques pour les protozoaires dans un objectif précis : déterminer si la vaccination limite ou dévoile le pouvoir pathogène des cryptosporidies, comme cela a déjà été étudié [13, 25, 31].

Dans l’étude Alger 2010, les animaux issus de troupeaux vaccinés contre le coronavirus, le rotavirus et E. coli excrètent significativement moins de cryptosporidies que ceux en provenance de cheptels non vaccinés (p < 0,05, test de χ2). La vaccination aurait donc un effet limitant vis-à-vis des cryptosporidies.

Un paradoxe est ici mis en avant, car c’est historiquement depuis l’avènement de ladite vaccination “virus-bactéries” que ces protozoaires sont devenus un sujet de préoccupation majeur pendant la période néonatale en élevage.

Il a déjà été constaté que, dans les élevages non vaccinés, la présence d’autres agents responsables de diarrhée néonatale en association avec Cryptospridium aggrave la morbidité face aux diarrhées et la pression parasitaire [8, 33].

L’excrétion observée ici chez les veaux vaccinés reste toutefois considérable. Cela souligne le pouvoir pathogène des cryptosporidies seules [10, 30]. Des échecs vaccinaux peuvent aussi être suspectés.

En plus des facteurs cités précédemment, d’autres ont été étudiés, comme la prise colostrale, le sexe, la race, le type d’élevage (traditionnel ou moderne), le fait d’être issu ou non de l’insémination artificielle, la localisation climatique. Aucun n’a montré d’association significative avec la présence de diarrhée dans cette étude.

Conclusion

La durée et l’étendue géographique d’une telle enquête gagneraient à être approfondies. La portée zoonotique de ces observations mériterait aussi des investigations moléculaires supplémentaires pour les cryptosporidies et les Giardia.

Références

  • 3. Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Rapport sur les infections à protozoaires liées aux aliments et à l’eau : évaluation scientifique des risques associés à Cryptosporidium sp. Septembre 2002.
  • 6. Baroudi D et coll.Prévalence de trois protozoaires pathogènes chez le veau et impact sur l’état de santé dans certains élevages de la région centre de l’Algérie. Prat. Vét. Méd. Économie. Avril 2010 : 17-23.
  • 7. Björkman C, Svensson C, Christensson B, De Verdier K. Cryptosporidium parvum and Giardia intestinalis in Calf Diarrhoea in Sweden. Acta Vet. Scand. 2003 ; 44 : 145-152.
  • 24. Fayer R, Santin M, Dargatz D. Species of Cryptosporidium detected in weaned cattle on cow-calf operations in the United States. Vet. Parasitol . 2010 ; 170 : 187-192.
  • 25. Foucras G, Meyer G, Corbiere F, Schelcher F. Entérites diarrhéiques du veau. Intérêt et limites de la vaccination des mères. Point Vét. 2004 ; 35 : 108-110.
  • 27. Huetink REC, Van der Giesen JWB, Noordhuizen JPTM, Ploeger HW. Epidemiology of Cryptosporidium spp. and Giardia duodenalis on a dairy farm. Vet. Parasitol . 2001 ; 102 : 53-67.
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  • 29. Maddox-Hitellc L, Inemark HL. Cryptosporidium and Giardia in different age groups of Danish cattle and pigs-occurrence and management associated risk factors. Vet. Parasitol . 2006 ; 144 : 48-59.
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  • 43. Sevinc F, Irmak K, Sevinc M. The prevalence of Cryptosporidium parvum infection in the diarrhoeic and non-diarrhoeic calves. Rev. Méd. Vét. 2003 ; 154(5): 357-361.
  • 49. Xiao L, Herd RP. Infection patterns of Giardia and Cryptosporidium in calves. Vet. Parasitol . 1994 ; 55 : 257-262.

Point forts

→ En climat méditerranéen, avec un fort pourcentage d’élevages traditionnels, l’excrétion oocystale des cryptosporidies (47,79 %) diffère globalement peu de celle qui est retrouvée dans d’autres conditions.

→ L’excrétion cryptosporidienne observée chez les veaux vaccinés reste considérable, ce qui peut aussi faire suspecter des échecs vaccinaux.

→ Les cryptosporidies seules et associées aux Giardia sont significatives cliniquement (diarrhée).

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