MÉDECINE DE POPULATION
Cas clinique
Auteur(s) : Mara Badan*, Martina Dorigo**, Paolo Dalvit***, Marzia Mancin****, Augusto Arpinelli*****, Igino Andrighetto******
Fonctions :
*Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie, viale dell’ Università, 16 Legnaro (PD), Italie
**Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie, viale dell’ Università, 16 Legnaro (PD), Italie
***Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie, viale dell’ Università, 16 Legnaro (PD), Italie
****Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie, viale dell’ Università, 16 Legnaro (PD), Italie
*****Rome, Italie
******Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie, viale dell’ Università, 16 Legnaro (PD), Italie
Département des sciences animales, université de Padoue, via 8 Febbraio, 2, 35122 Padova, Italie
C’est dans la conception et la conduite de cet élevage laitier qu’un facteur de risque majeur a été soupçonné.
Même à des stades précoces, les ulcères de sole peuvent être douloureux (encadré 1). Pour cette raison, ils représentent une importante cause de boiterie chez la vache laitière. En plus des enjeux de bien-être animal auxquels elle renvoie, cette lésion est la plus coûteuse pour l’éleveur laitier [6]. Elle peut engendrer des taux de réformes anormalement élevés, comme l’illustre ce cas d’élevage, original en amont, par l’abord « logistique » et global proposé.
Une visite dans une importante ferme laitière (1 400 vaches traites trois fois par jour) est organisée pour la première fois en octobre 2008. L’intervention des cliniciens de l’Institut de zooprophylaxie expérimentale de Vénétie a été sollicitée en référé, en raison d’un taux excessif de réformes, pour cause de boiteries.
L’ensemble du troupeau est réparti dans huit étables, organisées sur deux rangées, chacune contenant 180 vaches en zéro-paturage. La densité animale n’est pas très élevée et le nombre de places au quai d’alimentation dans chaque étable est plus élevé que le nombre maximal de vaches susceptibles d’être présentes.
Des aménagements récents ont conduit à installer des logettes dans six des huit étables (avec caillebotis au sol). La stabulation libre sur aire paillée n’a été conservée que pour les vaches taries ou en transition de péripartum (jusqu’à 1 mois après vêlage) et pour les animaux malades (infirmerie). Le nombre de logettes disponibles dans chaque étable est supérieur à celui de vaches susceptibles d’être présentes.
La salle de traite est située à une extrémité des deux rangées d’étable, les vaches devant marcher environ 200 mètres pour s’y rendre (figure 1).
Afin de confirmer la fréquence importante de boiteries ressentie dans cet élevage, nous organisons une séance de notation visuelle de la fonction locomotrice (“scoring”) pour toutes les vaches en lactation. L’opérateur se place à la sortie de la salle de traite. Une échelle en seulement trois points est proposée, version simplifiée de celle de Sprecher et coll. (tableau 1) [8]. Les vaches sont classées comme saines, modérément boiteuses ou sévèrement boiteuses. Toutes les notations sont réalisées par un seul et même observateur expérimenté.
Pour identifier la principale cause de boiterie dans l’élevage, la gestion des données de parage disponibles est revue. Initialement éditées et archivées sur papier, elles sont transférées dans une feuille de travail du logiciel Excel®, permettant d’intégrer dans une base de données le numéro de la vache, la date de parage, le jour de lactation, le pied concerné, la lésion observée et le pareur. Il est demandé à l’éleveur de continuer à utiliser ce système d’archivage informatique. Après exclusion des données incomplètes et des parages d’entretien sans lien avec une boiterie sont utilisables, pour notre analyse diagnostique, 2 677 observations issues de 1 101 vaches boiteuses en lactation (à des stades allant jusqu’à 390 jours de lactation) et réalisées entre octobre 2007 et janvier 2009.
Les vaches sévèrement boiteuses, dont les scores de Sprecher sont de 4 et de 5, représentent en moyenne une proportion de 17,8 %. Ce chiffre cache d’importantes différences entre étables : de 7,8 à 29,5 %, les pourcentages les plus élevés correspondant à celles les plus éloignées de la salle de traite.
Les ulcères de sole sont la deuxième lésion podale détectée au parage, par ordre de fréquence, avec 18 % des enregistrements, juste derrière la catégorie « dermatites » (qui regroupe deux entités pathologiques : dermatite digitée et dermatite interdigitée) (photo 1, figure 2).
Les observations sont ensuite divisées en cinq classes, par stade de lactation, pour déterminer laquelle est le plus à risque d’ulcères de sole et faciliter le travail sur les facteurs favorisants associés. Chaque classe inclut 535 +/– 97 observations (moyenne +/– écart type), réparties comme suit : 0 à 60 jours, 61 à 150 jours, 151 à 240 jours, 241 à 330 jours, 331 à 390 jours (figure 3).
Le risque de détection d’ulcère de sole au parage apparaît significativement croissant aux trois premiers stades de lactation définis : entre 61 et 150 jours et entre 151 et 240 jours, ce risque est respectivement de 2,3 et de 2,9 fois plus élevé que dans la classe de référence (0 à 60 jours). Après 240 jours, le risque décroît progressivement, tout en restant significativement plus élevé que celui de la classe de référence (0 à 60 jours) (tableau 2).
La moyenne de production atteint 24 à 27 kg de lait par vache et par jour. Les vaches sont nourries avec une ration complète mixée, deux fois par jour (protéines totales 14,5 %, fibres exprimées en neutral detergent fiber[NDF] 33 %, amidon 25 % ; ces données valent pour des vaches récemment vêlées et sont exprimées sur la base de la matière sèche). Les résultats d’analyse chimique sur la ration totale distribuée aux vaches, mixée ou passée au tamis, se situent dans des ordres de grandeur normaux. La consistance des selles est normale et les fèces ne contiennent pas d’éléments non digérés à des taux anormaux.
En questionnant le personnel et en examinant la structure des étables, un important facteur de survenue de boiteries et d’ulcères de sole dans cet élevage apparaît.
Ainsi, peu après le vêlage, les vaches sont forcées de se rendre à la salle de traite trois fois par jour, ce qui représente une grande distance (200 mètres aller et 200 mètres pour le retour, trois fois par jour, soit 1,2 kilomètre par vache et par jour). Le sol est en partie neuf et constitué de béton rugueux, partiellement recouvert de caillebotis (photo 2).
La première mesure proposée et appliquée pour limiter les lésions des onglons a été de réduire la fréquence quotidienne de traite (en passant de trois à deux fois par jour).
L’éleveur est a priori satisfait de ce changement. Il rapporte que la prévalence des boiteries a légèrement diminué. Le scoring locomoteur s’est poursuivi, réalisé par le personnel de traite à intervalles réguliers, pour des résultats à plus long terme. L’objectif est de gagner en précocité de détection, pour proposer des traitements avant que la vache soit déclarée incurable.
Ce cas illustre l’importance et la difficulté d’obtenir une image précise de la prévalence des boiteries dans un élevage de grande envergure (1 400 vaches). Un important travail de collecte et d’organisation des données a été mis en œuvre, avant même de réfléchir aux facteurs impliqués.
Dans cette ferme, la prévalence moyenne des boiteries sévères paraît n’avoir rien d’inhabituel : elle est identique à celle rapportée par d’autres auteurs et plus faible que celle relevée par certains travaux [1-3, 7]. De nombreuses vaches sévèrement boiteuses ont toutefois été transférées dans des logements à part pour être soignées et traites séparément de leurs congénères. Ainsi, la prévalence réelle des boiteries est probablement plus élevée que celle qui ressort du scoring locomoteur à la sortie de la salle de traite.
Un haut risque de détection d’ulcères de sole après 60 jours a précédemment été rapporté [3, 5, 7]. En raison de la croissance des tissus, les ulcères de sole sont plus susceptibles d’être décelés 2 mois après les premières lésions. Ce temps de latence tient aussi au fait que le parage des vaches modérément boiteuses est souvent différé.
Les 2 à 3 premiers mois de lactation constitueraient la période la plus à risque d’apparition d’ulcères de sole. C’est à ces stades de production qu’il convient donc de rechercher les facteurs de risque possiblement impliqués.
L’ulcère de sole est considéré comme une maladie multifactorielle. Les premiers mois après le vêlage peuvent conduire à la formation d’ulcères de sole, en lien avec différents facteurs de risque, nutritionnels, environnementaux et liés au vêlage.
Dans notre cas, aucun élément n’incite à penser que l’alimentation a joué un rôle déterminant dans l’apparition des ulcères de sole (encadré 2). Une transition alimentaire a été assurée. De plus, les proportions de fibres efficaces et de concentrés ont paru adaptées aux niveaux de production.
Aucune compétition entre les animaux pour la place à la table d’alimentation, susceptible d’engendrer un tri en faveur du concentré n’a été mise en évidence.
Les taux de matière grasse dans le lait ont toujours été satisfaisants.
Ainsi, le rôle de la ration, s’il existait, n’a pas paru ici déterminant.
Plus récemment, les experts ont identifié la parturition comme facteur étiologique important de rupture de la corne et de fragilisation des tissus conjonctifs du sabot. Autour du vêlage, des taux circulants élevés d’œstrogènes et de relaxine sont associés à une laxité accrue des tissus conjonctifs. Ce phénomène peut persister environ jusqu’à 8 semaines après vêlage.
Même si le facteur alimentaire peut intensifier l’ulcère de sole en élevage, les changements intrinsèques associés au vêlage restent un élément initiateur suffisant. Les perturbations métaboliques au vêlage sont inévitables car elles sont physiologiques. Elles entrent donc certainement en jeu dans le cas de notre élevage.
L’examen visuel des caractéristiques structurales des étables a aidé à identifier le plus important facteur de survenue des boiteries et des ulcères de sole dans cet élevage.
Les grandes distances parcourues sur un sol partiellement neuf, composé de béton rugueux ou de caillebotis, imposent des pressions fortes sur les sabots, aggravées par la longue station debout dans l’aire d’attente. Les structures podales, déjà fragilisées par les changements intrinsèquement associés au vêlage, s’en trouvent encore affaiblies.
Un sol rugueux augmente la prévalence des soles fines, pouvant prédisposer aux ulcères de sole. Limiter l’exposition aux facteurs prédisposants tels que la station debout prolongée sur du béton après le vêlage peut réduire le risque de lésions de sabot.
Dans ce cas, l’éleveur n’a effectué aucun investissement matériel (tapis, etc.). Il s’est seulement engagé dans la mise en œuvre de la surveillance organisée d’une affection pour laquelle il existe manifestement des facteurs de prédisposition dans son élevage.
Il a aussi modifié drastiquement ses choix de production, passant de trois à deux traites par jour. Le rapport coût/bénéfice d’une telle évolution n’a pas été évalué a priori. Cette proposition a gagné l’adhésion de l’éleveur en raison du gain en temps de travail (de traitements) et de la diminution attendue des pertes induites (réformes).
Pour aborder sereinement une enzootie d’ulcères de sole en élevage bovin laitier, il convient d’en comprendre la genèse.
Également dénommée “pododermatite circonscrite”, ou “ulcère de Rusterholz”, cette lésion du sabot des vaches laitières est fréquente dans les systèmes de production intensifs en bâtiment. Elle est due à une pression mécanique excessive exercée sur la troisième phalange au niveau du chorion de la sole (qui correspond au derme).
L’ulcère de sole peut ainsi être lié :
– à une faiblesse des structures de soutien de la troisième phalange (fibres de collagène, ligaments et rétinaculum du doigt) ;
– et/ou à une charge excessive sur l’onglon.
L’“os” du pied, faiblement attaché aux autres structures du sabot, peut facilement s’affaisser (par un mouvement de descente et de rotation), ce qui accroît les forces s’exerçant sur certaines zones spécifiques de la sole. Ces forces sont plus importantes chez des vaches lourdes et durant la marche. Si le sol du bâtiment n’est pas conçu de manière à absorber les chocs mécaniques (absence de tapis), la pression et la distribution anormale des charges peuvent entraîner la formation de contusions. Celles-ci évoluent, si elles persistent, en véritables ulcères de sole.
La lésion se rencontre généralement à la jonction sole-talon, sur l’onglon postérieur latéral. Elle se présente initialement sous la forme d’une hémorragie, sans perforation de la boîte cornée. Au fur et à mesure de la croissance de la corne, elle devient ouverte, avec protrusion du chorion sous-jacent. Celui-ci, sans protection, endommagé par les parois de l’ulcère et par le contact continu avec les surfaces de sol, prend l’apparence d’un tissu de granulation, souvent infecté par l’exposition prolongée au fumier.
→ La notation locomotrice est effectuée en quelques minutes par un seul et même opérateur, à la sortie de la salle de traite.
→ Le rôle de la ration, s’il existait, n’a pas paru ici déterminant.
→ Élever les vaches en péripartum sur une aire paillée n’a pas réduit les ulcères de sole.
L’acidose ruminale subaiguë (Sara, pour subacute ruminal acidosis) est l’un des facteurs d’ordre nutritionnel impliqué dans la formation de plusieurs lésions de sabot, dont les ulcères de sole. Elle peut engendrer la formation de substances vaso-actives dans le rumen. Celles-ci, après absorption, peuvent perturber la vascularisation du sabot. Les dommages à la microcirculation peuvent favoriser la libération de métallo-protéinases, enzymes qui détruisent les fibres de collagène et affaiblissent l’appareil suspenseur de la troisième phalange. La perturbation de la microflore ruminale peut aussi conduire à la production de tissu corné de qualité inférieure, donc davantage sujet aux blessures mécaniques. Les périodes à risque le plus élevé de Sara se situent aux alentours des 3 à 4 premières semaines de lactation, en lien avec :
– l’adaptation insuffisante de l’environnement ruminal à la ration de la vache en lactation ;
– le pic de lactation, pour des rations inadaptées pour les taux de fibres efficaces et de concentrés.
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