MALADIES MÉTABOLIQUES
Veille scientifique
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches
Comme pour les bovins, une fièvre vitulaire est confirmée chez la brebis sans analyseur de biochimie.
Chez la brebis, l’hypocalcémie n’est pas une affection facile à aborder en pratique. Le diagnostic en est délicat car elle peut survenir avant ou après le part, avec ou sans toxémie de gestation associée, et, comme chez le bovin, se compliquer d’une hypophosphatémie ou d’une hypomagnésiémie. Cette maladie survient de manière sporadique dans un cheptel. Lorsque les cas commencent à s’additionner, le besoin d’une assise diagnostique par des examens complémentaires peut se faire sentir. Dans une espèce où les marges de manœuvre économiques sont faibles, et la distance entre l’animal et un quelconque appareil d’analyse parfois considérable, des examens utilisables au chevet de l’animal, voire au cabinet du vétérinaire, sont nécessaires. L’idée de détecter l’hypocalcémie avec des kits conçus pour mesurer la dureté de l’eau méritait d’être transposée à cette espèce, après avoir été testée chez les bovins [1, 4].
Le calcium total est couramment dosé pour évaluer le calcium disponible lors d’hypocalcémie chez les ruminants, par exemple par spectrophotométrie. L’envoi au laboratoire est trop long pour une affection qui fait partie des urgences médicales au quotidien du praticien. Le prix des analyseurs utilisables au cabinet vétérinaire peut aussi être dissuasif pour une pratique spécialisée rurale, a fortiori ovine.
Pour les éleveurs, le besoin d’outils pour détecter certaines maladies au sein de leur troupeau dans le cadre d’élevages encadrés par un suivi se fait aussi de plus en plus sentir. L’hypocalcémie est une affection fréquente des espèces de rente dans les conditions de production actuelles.
Au début des années 1990, un vétérinaire américain envisage pour la première fois d’utiliser un kit de mesure de la dureté de l’eau pour doser le calcium animal. L’espèce visée est alors le cheval et le produit testé est la sécrétion mammaire obtenue juste avant le poulinage [3].
Presque 10 ans après, des chercheurs américains (université de New York) essayent ce kit pour le sérum d’une vache en hypocalcémie [4].
Une autre décennie plus tard, le kit est de nouveau soumis à l’épreuve scientifique, cette fois chez les ovins, en Turquie (ce pays publie beaucoup dans le domaine des analyses hématobiochimiques appliquées à la médecine vétérinaire rurale) [1].
Le kit est aisément réalisable par un praticien. Il n’est pas coûteux, ce qui justifie d’en étudier l’intérêt potentiel dans les espèces de rente. Celui qui a été validé scientifiquement est, par exemple, vendu en France 50 € les 30 ampoules (conçu par CHEMetrics, États-Unis, commercialisé par Fisher en France) [2].
Le test est quantitatif. Le calcium (sous forme de carbonate dans l’eau) est mis en présence d’un sel de zinc(1). Le zinc libéré par la substitution de l’ion calcium forme un complexe avec l’indicateur coloré. 20 ml de sang jugulaire sont prélevés sur tube sec. Après coagulation (30 minutes à température ambiante), l’échantillon est centrifugé et le sérum, prélevé. 6,7 ml de sérum sont additionnés d’une goutte d’indicateur coloré. L’échantillon prend une couleur orange. Il est aspiré progressivement dans une ampoule à usage unique (contenant le sel de zinc), qui a été préalablement insérée dans une seringue de titration spécialement conçue (réutilisable) (figure 1, 2 et photo 1 complémentaire sur www.WK-Vet.fr). L’ensemble est doucement agité. L’aspiration prend fin lorsqu’une couleur bleu-vert est obtenue. La concentration en carbonate de calcium est inversement corrélée au volume de sérum qui a permis d’atteindre le changement de couleur. Elle est lue directement sur l’échelle graduée de l’ampoule (figure 3). Elle est multipliée par 0,04 pour en déduire une valeur de concentration en calcium total de l’échantillon en mg/dl.
Les valeurs limites du test sont de 50 à 500 ppm, soit de 2 à 20 mg/dl (ou encore de 0,02 à 0,2 g/l), mais plusieurs références de tests existent [2]. Cette zone de concentration correspond uniquement au kit commercial testé dans des publications(2) [1, 4]. Les kits d’évaluation quantitative ou semi-quantitative de la dureté de l’eau sont nombreux, le marché étant florissant pour les différents contextes d’utilisation (santé publique, étalonnage des adoucisseurs d’eau, aquariophilie, jardinage, en particulier).
En 2010, une équipe de quatre vétérinaires de l’université d’Ataturk (Turquie) a réalisé une étude afin de valider l’intérêt des tests pour la dureté de l’eau transposés à l’évaluation quantitative du calcium total dans le sang des ovins, par comparaison à une méthode automatisée par spectrophotométrie mise en œuvre au laboratoire (Analyseur Cobas 6000 Roche). Cet essai a été publié dans l’Israel Journal of Veterinary Medicine [1].
Ainsi, 30 brebis ont été incluses, sur la base de signes permettant de suspecter une fièvre de lait : abattement, fréquence respiratoire augmentée, tremblements musculaires, faiblesse, décubitus sternal, tête en extension ou en rotation (un seul vétérinaire a réalisé tous les examens cliniques). Âgées de 2 à 5 ans, les brebis sont pour moitié gestantes, pour moitié en lactation. Elles proviennent de neuf élevages différents.
Toutes les analyses (spectrophotométrie ou kit de dureté de l’eau) ont été réalisées au même endroit le même jour, les sérums ayant été congelés pendant 4 semaines au maximum.
Un test de régression linéaire est pratiqué et la méthode statistique de Sperman, utilisée pour la recherche de corrélation entre les deux valeurs obtenues.
Deux échantillons sont exclus de l’analyse pour cause d’hémolyse.
Une valeur de 8 mg/dl est choisie comme seuil pour l’hypocalcémie, eu égard aux valeurs usuelles définies par le laboratoire et aux données publiées. Des valeurs de sensibilité et de spécificité en sont déduites (logiciel utilisé : Sidma Stat(r)).
Les valeurs obtenues sont comprises entre 6 et 10,1 mg/dl (médiane de 8,5 mg/dl). Six échantillons sont en dessous du seuil d’hypocalcémie (8 mg/dl).
Une relation significative a été notée entre les deux résultats dans les 28 échantillons testés (R2 = 0,7743). La formule suivante a été établie :
valeur de laboratoire = 0,4324 + (0,953 fois valeur du kit dureté de l’eau).
Les résultats sont significativement corrélés (p < 0,001, méthode de Spearman avec p fixé a priori à 0,896).
La sensibilité du kit a été établie à 83,3 % (un seul échantillon se situe au-dessus du seuil avec le kit et en dessous avec la spectrophotométrie).
La spécificité a été établie à 100 %.
En conséquence, les valeurs prédictives négative (VPN) et positive (VPP) sont aussi respectivement de 100 % et de 83 %.
Sur les deux échantillons hémolysés, le laboratoire a donné une valeur, alors qu’aucun changement de coloration n’a pu être observé avec le kit dans les limites de volume aspirable dans l’ampoule.
Un protocole d’étude semblable a été utilisé et des résultats sensiblement équivalents ont été obtenus en 1999 sur des vaches par les Américains Matsas et coll., à quelques détails près [4].
Ainsi, 29 holstein et 1 guernesey issues de dix-neuf élevages ont été incluses. La sensibilité est de 100 %, mais la spécificité, de 73 %. Trois échantillons sont exclus de la comparaison en raison d’une valeur de calcium trop basse pour la technique utilisée au laboratoire (inférieure à 4 mg/dl).
L’équation de régression obtenue est :
valeur de laboratoire = 2 + (0,9 fois la valeur du kit).
Selon les auteurs, une précaution interprétative consiste à prendre le temps de transformer le résultat par l’équation de régression obtenue ou bien à utiliser directement la valeur obtenue par le kit, mais avec un seuil d’hypocalcémie abaissé à 7 mg/dl au lieu de 8 mg/dl.
Les deux auteurs qui ont testé cette technique respectivement en pratiques ovine et bovine ont donné leur avis sur ses avantages et ses limites [1, 4]. Ils rappellent que le calcium total reste une image déformante du statut calcique de l’animal, par rapport à un dosage de calcium ionisé (difficilement réalisable au laboratoire en routine). Même avec une excellente sensibilité, cette méthode peut donc passer à côté d’hypocalcémies.
L’équipe turque formule en premier lieu comme limites que les analyses du magnésium (qui peut être en hyper- ou en hypo-) et du phosphore (souvent secondairement abaissé) manquent ainsi au chevet de l’animal.
Les Américains lui reprochent ouvertement la nécessité de centrifuger le prélèvement, eu égard au volume de sérum souvent requis pour obtenir le virement de couleur (de 1,4 à 7 ml).
Frédéric Rollin, de l’université de Liège (Belgique), cite cette méthode dans sa revue des examens complémentaires praticables au chevet du bovin au Congrès mondial de buiatrie à Nice en 2006. Il incrimine la nécessité de collecter un important volume de sang en amont [5].
La méthode est peu onéreuse mais il serait nécessaire d’inclure au prix de revient l’amortissement d’une centrifugeuse (400 € environ neuve prix centrale). Ce dernier reste modique par rapport à celui d’un analyseur. Toutefois, cet aspect peut limiter la faisabilité du test dans l’élevage même, et surtout son utilisation par l’éleveur seul dans le cadre d’un suivi d’élevage encadré. Il est possible de laisser attendre le prélèvement de sang total assez longtemps et de le fractionner (en plusieurs tubes de 5 ml) de manière à obtenir spontanément une quantité suffisante de sérum (sans centrifugation).
Les différents avantages et inconvénients cités donnent une image claire de cette technique (tableau) [1, 4, 5].
La méthode vaut ainsi la peine d’être connue du praticien car elle peut s’adapter à des situations d’emploi particulières, dans un contexte d’élevage des animaux de rente en pleine évolution.
Le développement actuel d’une médecine spécialisée proposant des visites d’élevage “ambulantes” sous forme de cas référés, notamment, peut ouvrir des champs d’utilisation pour cette technique rapide méconnue. La taille grandissante des cheptels et la montée en technicité de certains éleveurs font aussi que ces derniers peuvent être demandeurs d’outils de surveillance des affections de leur troupeau, dont l’hypocalcémie.
(1) Sel de zinc réactif dans la méthode testée : éthylène glycol-bis(2-aminoéthyléther)-N,N,N’,N’-tétraacétique acide.
(2) Référence catalogue CHEMetrics 1705, sachant qu’il en existe d’autres pour la dureté totale.
→ Une valeur de 8 mg/dl a été choisie comme seuil pour l’hypocalcémie, mais la valeur de 7 serait préférable chez les bovins.
→ Sur les deux échantillons hémolysés, le laboratoire a donné une valeur, alors qu’aucun changement de coloration n’a pu être observé avec le kit.
→ Jusqu’à 7 ml de sérum sont nécessaires pour obtenir le changement de coloration en situation d’extrême hypocalcémie.
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