Affiner la détection des chaleurs en élevage allaitant - Le Point Vétérinaire expert rural n° 313 du 01/03/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 313 du 01/03/2011

REPRODUCTION DES BOVINS

Conduite à tenir

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Améliorer la détection dans les races allaitantes sous-entend de prendre en compte les signes dits “secondaires”.

La détection des chaleurs est un poste clé de la conduite d’une exploitation d’élevage bovin recourant à l’insémination artificielle (encadré 1). Elle conditionne son résultat économique, par le biais de ses performances de reproduction et de ses résultats de fécondité. Si les données foisonnent en races laitières, celles qui concernent les allaitantes sont plus rares, comme cela a été exposé aux Rencontres autour des recherches sur les ruminants (3R) à Paris en décembre 2010. Dans ce contexte, le conseil portant sur la gestion de la reproduction dans les élevages allaitants désireux d’utiliser l’insémination artificielle peut manquer de références. Néanmoins, récemment une étude expérimentale de grande envergure a été réalisée pour combler ces lacunes. Les trois premières races allaitantes françaises en termes d’effectifs sont représentées (encadré 2). Cet article s’appuie sur les conclusions de travaux menés dans le cadre du programme Casdar “Améliorer la détection des chaleurs dans les troupeux bovins”, qui ont impliqué plusieurs partenaires, l’Institut de l’élevage, Vetagro Sup, Inra, Unceia, et qui ont été présentés aux 3R par Fabienne Blanc (photo 1) [1]. Ils sont ici synthétisés en forme de conduite à tenir. Une fiche accompagne cet article pour appuyer visuellement les principales conclusions de ces essais(1).

ÉTAPE 1
TEMPS PASSÉ DEBOUT : SIMPLE ET SENSIBLE

La proportion du temps qu’une vache passe debout paraît être un critère de chaleurs “trop simple” pour être fiable. Dans les expérimentations multisites 2008-2010, il a été étudié mais classé à part des autres paramètres comportementaux étudiés (comportements “autour” du chevauchement, comportements sexuels discrets, interactions sociales d’affinité ou agonistiques : voir les autres étapes). Or ce simple paramètre s’est avéré être significativement et fortement accru durant l’œstrus comparativement à la phase lutéale, dans les trois races étudiées (tableau 1). Il est assez simple à caractériser sur le terrain, tant en observation visuelle directe que pour la vidéosurveillance (utilisée dans cette étude)(1).

ÉTAPE 2
CHEVAUCHEMENTS : SPÉCIFIQUEs MAIS RARES

1. Acceptation de chevauchement

L’acceptation de chevauchement (AC) est la variable qui surgit en premier sur le sujet de la détection des chaleurs. La spécificité de ce critère a été vérifiée en races allaitantes : absolument aucune AC n’a été observée en phase lutéale dans cette étude. Pourtant, les AC ne constituent qu’une faible part des comportements observés durant l’œstrus :

– 2 à 5 % de la totalité des comportements exprimés durant l’œstrus en race charolaise ;

– 4 % en race limousine ;

– 2 % en race blonde d’Aquitaine.

Et même, parmi les seuls comportements sexuels, ils ne représentent également qu’une faible part (3 à 5 % selon les expérimentations).

Pour augmenter la sensibilité de détection, il convient donc d’ajouter d’autres critères (tableau complémentaire 2 sur www.WK-Vet.fr).

2. Signes de chevauchement autres que l’acceptation

Cette catégorie regroupe le chevauchement, mais aussi la tentative de chevauchement. Leur grande spécificité ressort également de cette étude (0 % +/– 0 en dehors de la phase œstrale), mais aussi leur fréquence : 9 à 15 % de signes de chevauchements ont été observés en phase œstrale dans les différents essais, contre seulement 2 à 5 % pour l’AC, pour rappel(1).

3. Signes sexuels secondaires

Sont regroupés dans cette catégorie :

– le léchage et le flairage sexuels réalisés vers la sphère génitale(1) ;

– le flehmen (nez retroussé vers le haut, encolure étendue, à la perception du congénère) ;

– l’appui du menton sur le dos ou la croupe d’un congénère.

Le grand enseignement des études récentes sur la détection des chaleurs en laitier est que ces signes méritent une place importante et cela a aussi été vérifié en allaitant. Ils sont de plus en plus souvent qualifiés de “discrets” plutôt que secondaires : ils figurent un écho amplifié des acceptations de chevauchement (figure).

Représentant 30 à 45 % des comportements exprimés en période œstrale, ils arrivent en tête parmi les comportements à connotation sexuelle. Seul bémol, ils peuvent être observés aussi en dehors de la phase œstrale (8 à 10 % dans les sites charolais et limousin dans cette étude, et jusqu’à 16 % dans l’essai blonde d’Aquitaine). L’écart important de fréquence observé entre la phase œstrale et la phase lutéale suffit toutefois à leur accorder une bonne spécificité : en particulier, les têtes posées sur la croupe et les léchages sexuels arrivent juste derrière l’AC pour la spécificité.

ÉTAPE 3
BRUIT DE FOND “SOCIAL” : NE PAS CONFONDRE

L’étude française s’est fondée sur un éthogramme complet de la vache en chaleur. Ont aussi été enregistrées pendant la phase de chaleurs des comportements sans rapport avec la sphère génitale (incluant le dos) :

– des interactions sociales dites d’affinité (= non violentes) : léchages et flairages non sexuels, jeux de tête ;

– des interactions sociales agonistiques : menace, coups de tête, luttes, évitements(1).

Ces comportements sont extrêmement fréquents en période de chaleurs, davantage même que les signes sexuels “discrets”. Toutefois, ils sont pratiquement deux fois plus fréquents en phase lutéale qu’en phase œstrale. Ce bruit de fond comportemental est donc à bien distinguer des signes sexuels proprement dits, même discrets (photo 2).

ÉTAPE 4
“AUTRES AIDES” ENVISAGEABLES

Les essais conduits en stations charolaises donnent quelques indications pour mieux détecter les chaleurs en allaitant.

1. Conduite d’élevage et alimentation

Le nombre de vaches en chaleur simultanément influe sur l’expression des chaleurs. Ce résultat est sorti à plusieurs reprises (charolaises, blondes d’Aquitaine) et dans les études du programme Casdar en élevage laitier [3]. Les dispositifs de synchronisation des chaleurs des vaches sont donc un moyen d’améliorer la détection des chaleurs.

L’effet de la sous-alimentation post-partum sur l’expression des chaleurs a été étudié dans l’étude multisites française. Il ressort qu’en sous-alimentant les vaches post-partum, les chaleurs s’expriment davantage. Ce résultat est original par rapport à d’autres études antérieures [2]. Sous-alimenter en post-partum peut aider à mieux détecter les chaleurs, mais les contours (modalités, efficacité attendue) de ce résultat restent à préciser (photo 3).

2. Recours aux aides “artificielles”

Les aides “artificielles” à la détection peuvent être reconsidérées à la lumière des résultats de cette étude. Ainsi, les détecteurs de chevauchement assoient leur bonne spécificité, mais leur sensibilité imparfaite. Des AC ont été exprimées dans 90 % des œstrus en race charolaise, 93 % en race limousine (mais 100 % en race blonde d’Aquitaine dans cette étude).

Un détecteur d’activité ou podomètre pourrait a priori être considéré plus sensible à la lumière du résultat sur le temps passé debout. Leur manque de spécificité est toutefois logique, surtout dans les élevages où les interactions sociales non sexuelles (bruit de fond comportemental) sont fréquentes.

La vidéosurveillance, sur laquelle s’est appuyée cette étude à visée expérimentale, paraît pertinente. Elle est “psychologiquement” facile d’accès pour les éleveurs allaitants qui sont en majorité équipés de vidéosurveillance pour les vêlages (photo 4). Le travail méthodologique effectué sur l’analyse des vidéos en élevage allaitant est important. Aucun système d’analyse semi-automatisé des enregistrements n’a été proposé dans le cadre du programme Casdar. Toutefois, la gamme de comportements sexuels observés diffère peu de celle déjà rapportée chez les vaches laitières. Un système d’analyse de vidéos développé pour ce type de production pourrait donc être utilisé en élevage allaitant. Il conviendra toutefois de pouvoir identifier les animaux (ce qui n’est pas toujours facile dans les races “non tachées”). En outre, des travaux supplémentaires sont nécessaires, sur les seuils de détection, car globalement l’expression des comportements sexuels peut être modulée par un nombre important de facteurs (race, bâtiment, taille des groupes, etc.).

Conclusion

En définitive, les chaleurs en race allaitante sont loin d’être muettes (au sens strict, il n’a été observé que trois ovulations silencieuses, tous essais confondus). Il existe toutefois une marge de progrès pour en comprendre les subtilités d’expression. Les solutions simples et directes ne sont pas à négliger. Le temps passé debout s’est révélé riche d’enseignement. L’intérêt de la présence d’un taureau (vasectomisé) pour la détection des chaleurs a été étudié dans un seul des sites d’étude. De plus amples travaux sur ce sujet ont été demandés aux dernières 3R (photo 5).

D’autres travaux sont nécessaires pour exploiter au mieux les résultats de ces essais sur les comportements de chaleur. L’appui informatique pourrait aider à croiser plusieurs informations dont chacune présente des avantages de sensibilité et de spécificité, et améliorer la qualité de la détection.

(1) Voir l’article “Comportements en phase œstrale chez les vaches allaitantes” du même auteur, dans ce numéro.

Références

  • 1. Blanc F, Paccard P, Gatien ? J et ? coll. Caractérisation de l’œstrus chez la vache allaitante : quantification des manifestations comportementales et facteurs de variation. Proceedings 19es Renc. Rech. Rumin. Paris, 8 et 9 décembre 2011:121-124.
  • 2. Ciccioli NH, Wetteman RP, Spicer LJ et coll. Influence of body condition at calving and postpartum nutrition on endocrine function and reproductive performance of primiparous beef cows and reproductive performance of primiparous beef cows. J. Anim. Sci. 2003;81:3107-3120.
  • 3. Disenhaus C, Cutullic E, Freret S et coll. Vers une cohérence des pratiques de détection des chaleurs : intégrer la vache, l’éleveur et le système d’élevage. Proceedings 19es Renc. Rech. Rumin. Paris, 8 et 9 décembre 2011:113-120.
  • 4. Hétreau T, Giroud O, Ponsart C et coll. Simplifier la détection des chaleurs des vaches laitières grâce à la vidéosurveillance : une étude dans les races montbéliarde et abondance. Proceedings 19es Renc. Rech. Rumin. Paris 8 et 9 décembre 2011:141-144.
  • 5. Hétreau T, Giroud O. Vidéosurveillance des chaleurs assistée par ordinateur. Point Vét. 2008;283:75-78.
  • 6. UNCEIA 2009. Med’ia Statistiques. http://www.unceia.fr/upload/1_2_1168.pdf

ENCADRÉ 1
Un besoin croissant de détection des chaleurs en allaitant

→ L’insémination artificielle reste rare en races allaitantes, mais elle n’est pas négligeable. Elle a concerné 15 % des femelles allaitantes en 2008, contre 85 % des femelles laitières la même année. Elle est en expansion pour certaines races dans les bassins de production spécialisée (de l’ordre de + 3 % en races charolaise et limousine entre 2007 et 2008, avec cependant une baisse de 1 % pour les blondes d’Aquitaine).

→ La difficulté à détecter les chaleurs au sein de grands troupeaux peut pénaliser la diffusion de l’insémination artificielle et du progrès génétique en élevage allaitant.

→ En monte naturelle, mieux détecter les chaleurs peut aussi faciliter la conduite d’élevage (avec le développement de la stabulation libre, l’accroissement de la taille des troupeaux) rapportée à la main-d’œuvre disponible sur l’élevage. Une saillie peut facilement passer inaperçue si la vache n’a pas été suspectée en chaleur dans le même temps.

ENCADRÉ 2
Cinq expérimentations sur quatre sites d’élevage dans trois races

Si la France manquait de références sur la détection des chaleurs en races allaitantes, cela n’est plus le cas. Ainsi, pas moins de cinq expérimentations ont été réalisées pour ce type de races bovines dans le cadre du programme Casdar entre 2008 et 2010, en stations expérimentales pour la plupart :

– deux essais en race charolaise à l’unité expérimentale des Monts d’Auvergne à Laqueuille (Puy-de-Dôme) ;

– un autre essai en race charolaise à l’Inra de Bourges (Cher) ;

– un essai en race limousine au lycée agricole de Vaseix (Haute-Vienne) ;

– un essai à l’EARL Terre blonde située à Monflanquin (Lot-et-Garonne).

Une seule race étant présente dans chacun des sites d’élevage, il n’est pas possible de tirer des conclusions sur l’effet race dans cette étude (il se superpose à l’effet “élevage”).

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