Caudectomie consécutive à une fracture vertébrale chez un taureau - Le Point Vétérinaire expert rural n° 312 du 01/01/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 312 du 01/01/2011

CHIRURGIE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Guillaume Lamain*, Arnaud Sartelet**

Fonctions :
*Département clinique des animaux de production
Faculté de médecine vétérinaire, Université de Liège
20, bd de Colonster 4000
Sart-Tilman, Liège, Belgique
**Département clinique des animaux de production
Faculté de médecine vétérinaire, Université de Liège
20, bd de Colonster 4000
Sart-Tilman, Liège, Belgique

Aisément réalisable, la caudectomie a permis, dans ce cas, à un taureau de conserver sa capacité reproductrice après une fracture vertébrale avec abcès et ostéolyse, en réduisant la durée du traitement.

Un taureau reproducteur est référé à la Clinique vétérinaire universitaire (CVU) de Liège pour l’examen d’une masse péricaudale. Un hématome post-traumatique est mis en cause par le vétérinaire d’exploitation, mais le traitement médical qu’il a instauré n’a permis de constater aucune amélioration.

CAS CLINIQUE

1. Signalement et anamnèse

Un taureau de saillie de race blanc-bleu-belge (BBB), sous robe pie-bleu, âgé de 18 mois et pesant 750 kg, en bon état d’embonpoint, est référé à la suite de l’apparition, 2 semaines auparavant, d’une masse à la base de la queue. Une antibiothérapie a été initialement mise en place (pénicilline procaïne, à la dose de 22 000 UI/kg une fois par jour durant 5 jours par voie intramusculaire), sans réduction du volume de la masse. De plus, l’état général et l’appétit de l’animal se dégradent progressivement.

2. Examen clinique

À son arrivée, le bovin est calme et présente une masse à droite de la base de la queue. La fréquence respiratoire est de 32 cycles par minute (de type costo-abdominal et rythme régulier). La température rectale est de 38,6 °C et les extrémités sont tièdes. La fréquence cardiaque est de 80 battements par minute, avec un pouls d’amplitude normale et régulière. Le choc précordial est d’intensité normale, le temps de recoloration des capillaires est inférieur à 2 secondes et les capillaires de la sclère sont dans les normes. Aucun signe de déshydratation n’est détecté (pli de peau persistant moins de 1 seconde et absence d’enophtalmie). Les muqueuses buccales et oculaires sont roses. Les ganglions explorables sont de volume normal.

La masse observée est située à la base de la queue, en région péri-anale droite, en regard des premières vertèbres coccygiennes (photos 1 et 2). Cette masse circulaire de 30 cm de diamètre dévie la base de la queue vers la gauche. Cinq lésions circulaires de moins de 1 cm de diamètre sont identifiées sur la peau, en regard des vertèbres coccygiennes 2 et 3 (Co2 et Co3) (photo 3). La masse est chaude, ferme et douloureuse à la palpation. Elle n’occasionne pas d’anomalie de la démarche. La miction et la défécation ne sont pas affectées. La sensibilité de la zone périnéale et le réflexe anal sont conservés. Toutefois, la sensibilité superficielle et profonde de la queue, à partir de Co2, ainsi que sa motricité sont absentes. De plus, des lésions cutanées et des dépilations sous la queue sont identifiées (photo 4). À la palpation transrectale, une masse ferme et douloureuse est notée en partie distale du rectum, à droite.

L’anamnèse et les signes cliniques constatés orientent alors vers un hématome ou un abcès sous-cutané. L’origine traumatique est probable.

3. Examens complémentaires

Une échographie de la masse est réalisée avec une sonde convexe de 3,5 MHz (Aloka® SSD 500, Aloka, Zug, Suisse). Cet examen révèle la présence d’une masse liquidienne d’aspect hétérogène échogène, délimitée par une capsule hyperéchogène et contenant des particules hyperéchogènes en suspension (photo 5 et figure).

4. Traitement

Une antibiothérapie à large spectre (ceftiofur sodique, Excenel®, Pfizer AH, 1 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse au moyen d’un cathéter jugulaire) est mise en place durant 7 jours, associée à un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) (flunixine méglumine, Emdofluxin 50®, Emdoka, 1,1 mg/kg une fois par jour par voie intraveineuse, durant 3 jours). Le drainage chirurgical de la masse est entrepris sur le bovin debout. Après un rasage et une préparation chirurgicale de la zone concernée, une anesthésie de la peau est réalisée au niveau des points d’incision (10 ml par site de procaïne chlorhydrate 4 %®, VMD). Deux incisions en croix sont pratiquées sur la peau en regard de la masse : l’une en partie déclive et l’autre en partie haute (en regard de la jonction Co3-Co4). Deux litres d’un liquide marron d’odeur nauséabonde et contenant des débris tissulaires nécrotiques et de petites quantités de fibrine sont évacués. L’exploration digitale de la cavité à partir du point d’ouverture le plus haut permet d’identifier une lyse partielle de la vertèbre Co4. Un curetage de la capsule est ensuite effectué. Un rinçage de la cavité est réalisé avec 10 ml de diacétate de chlorhexidine 5 % (Ecutan®, Ecuphar) dilués dans 990 ml de NaCl à 0,9 % tiédi, à l’aide d’une seringue de 60 ml et d’une aiguille 18 G. Un drain de Penrose (Kendall, Massachusetts) ressortant par les deux plaies cutanées est mis en place (photo 6). Une injection sous-cutanée unique de 15 000 UI d’antitoxine tétanique (Sérum antitétanique®, Intervet) complète ce traitement.

5. Évolution

L’appétit et l’état général de l’animal reviennent dans les normes à la suite du drainage et du traitement médical. La capsule maintenue ouverte par le drain est rincée deux fois par jour selon les modalités décrites durant le drainage. Les débris tissulaires et les productions inflammatoires sont éliminés à l’aide d’une pince Mosquito. Des écoulements purulents persistent aux points d’ouverture de la masse et des autres plaies cutanées pendant les 7 jours suivant l’intervention chirurgicale (photo 7). Trois jours après le drainage, l’apparition d’une nouvelle masse, ferme, chaude et douloureuse, au-dessus des vertèbres Co2 et Co3 rend nécessaires la réalisation d’un second drainage et la pose d’un drain de Penrose, selon les mêmes modalités que précédemment (photo 8). La sensibilité et la motricité de la queue de l’animal restent inexistantes. Au vu de la persistance de ces symptômes, de la production d’un liquide inflammatoire dû aux fragments de vertèbre persistants, une caudectomie est préconisée une semaine après la première opération.

6. Seconde intervention chirurgicale : caudectomie haute

La technique est décrite dans un autre article de ce numéro(1).

7. Soins postopératoires

L’antibiothérapie est poursuivie durant une semaine supplémentaire, associée à une seconde injection d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) le méloxicam (Métacam® 20 mg/ml, Boehringer Ingelheim Vetmedica, 0,5 mg/kg, par voie sous-cutanée) 2 jours après la première, qui a eu lieu juste avant l’intervention chirurgicale. La mèche iodée est renouvelée une fois par jour et la cavité chirurgicale est rincée à cette occasion selon la même procédure. Ce nettoyage est renouvelé quotidiennement pendant 10 jours, puis de façon régulièrement espacée. Le volume de la cavité se réduit progressivement au cours de l’hospitalisation. Vingt-huit jours après son admission, le taureau retourne dans son exploitation, où il est à nouveau utilisé pour la saillie. Aucune complication n’est signalée par l’éleveur contacté par téléphone 4 mois après l’amputation.

DISCUSSION

1. Origine et conséquences de l’abcès

Le taureau référé à la CVU présente une fracture comminutive de la quatrième vertèbre coccygienne. Des esquilles osseuses de la vertèbre Co4 sont encore présentes. Cependant, une grande partie de la vertèbre est lysée. La fracture est certainement d’origine traumatique, associée à une contamination par une plaie pénétrante, comme le suggèrent les lésions cutanées. Une autre explication serait qu’elle est secondaire à l’ostéolyse, elle-même due à l’extension de l’infection sous-cutanée drainée chirurgicalement. Un coup de fourche pourrait être à l’origine de ce type de lésion. La fracture vertébrale contaminée a entraîné la formation d’un abcès sous-cutané, associé à une atteinte de l’état général. La préservation de la sensibilité périnéale, du réflexe anal et des fonctions de miction et de défécation indique que le nerf honteux est intègre [3]. Seules, la motricité et la sensibilité de la queue sont altérées. Les lésions cutanées et les dépilations identifiées sous la queue attestent que ce déficit nerveux existait déjà plusieurs jours avant l’hospitalisation de l’animal. Bien que la fonction érectile du taureau n’ait pas été testée à la CVU, il est probable qu’elle n’a jamais été atteinte ; l’éleveur n’a signalé aucune déficience du taureau à ce niveau, que ce soit avant ou après son hospitalisation.

2. Traitement de l’abcès

Médicaments

→ Le traitement anti-infectieux accompagnant le drainage chirurgical de l’abcès est mis en place afin de prévenir une infection systémique ou une éventuelle surinfection [4]. Le choix s’est porté sur une molécule à plus large spectre que la pénicilline procaïne administrée dans un premier temps. Le ceftiofur est une céphalosporine de deuxième génération, active sur de nombreuses bactéries Gram+ et Gram– et sur la plupart des anaérobies. Une durée de traitement de 15 jours a été respectée. La pénétration de cette spécialité dans les tissus osseux normaux ou infectés, dont la vascularisation peut être perturbée, est excellente [1]. Un prélèvement de tissu ou de liquide lors du drainage de l’abcès aurait permis une mise en culture et la réalisation d’un antibiogramme. Cependant, le traitement antibiotique effectué par le vétérinaire référent a réduit l’intérêt de cet examen complémentaire.

→ Le traitement AINS a pour objectifs la régulation du processus inflammatoire, l’analgésie et, indirectement, la reprise de l’appétit.

→ L’administration de sérum antitétanique complète la protection de cet animal qui présente une plaie profonde et nécrosée [4, 8].

Lavage

Le matériel utilisé pour le lavage de l’abcès (notamment l’association spécifique aiguille-seringue) permet d’obtenir une pression adaptée à l’évacuation des débris organiques, des tissus nécrosés et des bactéries. Une pression plus importante est susceptible de séparer davantage les plans tissulaires, et de repousser les contaminants et les bactéries plus profondément dans les tissus. Le diacétate de chlorhexidine à 0,05 % possède un effet antibactérien sans retarder la cicatrisation de la plaie. De plus, son efficacité persiste en présence de débris organiques [4]. L’emploi d’un liquide de lavage tiédi (autour de 45 °C) favorise l’afflux sanguin, donc l’apport de nutriments et l’évacuation des débris. La mise en place d’un drain de Penrose et le lavage quotidien facilitent l’évacuation de liquides et de productions inflammatoires, résultant probablement de la persistance de séquestres osseux (vertèbre Co4), de tissus infectés ou nécrosés dans la cavité drainée [4].

3. Caudectomie

Indications

Les indications de la caudectomie thérapeutique chez les bovins incluent toute affection septique (arthrite, ostéite, gangrène) ou non septique (fracture coccygienne, tumeur, paralysie) de la queue [2, 7]. Cette procédure est également réalisée chez les jeunes veaux dans des exploitations laitières nord-américaines par pose d’un élastique de castration sur la queue afin d’améliorer l’hygiène des vaches et le confort des trayeurs [6]. La principale contre-indication de la caudectomie sanglante est une atteinte de l’état général de l’animal. Ce traitement chirurgical est ici effectué pour prévenir une infection médullaire ou osseuse par continuité à partir de la lésion initiale. De plus, il prévient toute complication secondaire à la perte de motricité et de sensibilité de la queue.

Phase préopératoire

L’amputation de la queue des bovins est réalisée le plus souvent sur animal debout [2, 7]. Une anesthésie épidurale basse est suffisante [7]. La vidange du rectum et la suture en bourse de l’anus préviennent la souillure du site durant l’intervention chirurgicale [2]. La pose d’un garrot proximalement à la zone lésée, recommandée dans les cas classiques d’amputation de queue, s’avère dans ce cas impossible, car le site d’amputation est situé trop près de la base de la queue [2, 7].

Phase opératoire

L’incision cutanée est habituellement réalisée proximalement par rapport à la lésion, ce qui était impossible dans ce cas dans la mesure où la plaie était située très près de la base de la queue [2]. Une aiguille placée entre deux vertèbres peut aider à déterminer le site d’incision [7]. Si un garrot a été mis en place, le desserrer temporairement lors de l’hémostase est requis, de manière à identifier l’origine des saignements [5, 7]. La suture cutanée est effectuée à l’aide de points en U ou de points simples [5]. Une mèche iodée permet ici de combler les espaces morts laissés entre Co3 et les marges de la plaie chirurgicale. L’administration peropératoire d’antibiotiques à large spectre, permettant le contrôle de l’infection osseuse et péri-osseuse, est également indiquée en raison de la proximité du rectum et de la forte probabilité d’exposer la plaie à des bactéries d’environnement [2].

Complications

Les hémorragies, les nécroses osseuses ou les déhiscences de plaie sont les complications les plus fréquentes lors de caudectomie [2]. De plus, le confort de l’animal est affecté car l’absence de queue empêche la lutte contre les mouches. Le préjudice esthétique est, quant à lui, une entrave à la commercialisation du taureau comme reproducteur. L’individu hospitalisé à la CVU n’a pas présenté de complications et a pu continuer sa carrière reproductrice.

Conclusion

La caudectomie sanglante à visée thérapeutique est une opération chirurgicale peu décrite chez les bovins [7]. Cependant, ses indications peuvent manifestement être rencontrées sur le terrain. Le protocole opératoire décrit est réalisable à la ferme. Un matériel chirurgical classique est suffisant et la technique est d’application aisée. Le cas présenté ici illustre l’intérêt de cette opération pour le maintien de la fonction reproductrice chez un taureau de saillie, dont l’avenir aurait pu être compromis à la suite d’un simple traumatisme. D’importantes dépenses occasionnées par un traitement médical de longue durée, destiné à contrôler l’infection autour de la vertèbre atteinte, ont ainsi été évitées à l’éleveur.

(1) Voir l’article “Caudectomie haute pour traiter une fracture vertébrale avec ostéolyse” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Budsberg SV, Kemp DT. Antimicrobial distribution and therapeutics in bone. Compend. Contin. Educ. Pract. Vet. 1990;12;1758-1763.
  • 2. DeBowes RM. Standing rectal and tail surgery. Vet. Clin. North Am. Equine Pract. 1991;7:649-667.
  • 3. Dyce KM, Sack WO, Wensing CJG. Peripheral nervous system. In: Textbook of veterinary anatomy. 4th ed. Ed. Elsevier, St Louis. 2010:664-669.
  • 4. Fubini S, Ducharme N. Wounds. In: Farm animal surgery. 1st ed. Ed. Elsevier, St Louis. 2004:125-131.
  • 5. Fubini S, Ducharme N. Sacral fracture. In: Farm animal surgery. 1st ed. Ed. Elsevier, St Louis. 2004:312-315.
  • 6. Fulwider WK, Grandin T, Rollin BE et coll. Survey of dairy management practices on one hundred thirteen North Central and Northeastern United States dairies. J. Dairy Sci. 2008;91:1686-1692.
  • 7. Kersjes AW, Németh F, Rutgers LJE. Amputation de la queue. Dans: Atlas de chirurgie des grands animaux. 1re ed. Ed. Vigot, Paris. 1986:113.
  • 8. Radostits OM, Gay CC, Hinchcliff KW et coll. Tetanus. In: Veterinary medicine. 10th ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 2007:822-824.

Points forts

→ La caudectomie est une opération simple, mais rarement réalisée chez les bovins.

→ Cette intervention chirurgicale a permis, ici, de contrôler une infection à partir d’une fracture vertébrale et les complications secondaires à la perte de motricité et de sensibilité de la queue.

→ Des lavages postopératoires quotidiens ont été réalisés pendant une semaine.

→ Le taureau a conservé sa fonction reproductrice.

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