Conduite à tenir lors d’avortement infectieux enzootique - Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010

PATHOLOGIE DE LA REPRODUCTION DES OVINS

Conduite à tenir

Auteur(s) : Bernard Leterrier

Fonctions : Avenue des acacias
05200 Embrun
b.leterrier@wanadoo.fr

En troupeau ovin, l’avortement infectieux peut devenir rapidement enzootique. Le choix des prélèvements et l’établissement du diagnostic doivent précéder la métaphylaxie.

L’avortement infectieux enzootique en système d’élevage intensif ovin a un caractère saisonnier marqué (printemps et automne). Cette maladie est favorisée par le mélange des troupeaux en alpage ou l’achat d’animaux. Elle peut prendre très rapidement une allure enzootique, mettant en cause l’agnelage et l’entrée en lactation du cheptel. L’appel de l’éleveur qui, après avoir observé plusieurs avortements, s’inquiète sur l’avenir de l’agnelage des autres brebis, revêt alors un caractère d’urgence. Il peut alors demander une consultation au cabinet pour apporter des prélèvements (avorton, placenta) ou présenter une brebis qui a des difficultés à avorter et pour laquelle des manœuvres obstétricales sont requises. Connaître les prélèvements à effectuer, savoir où les acheminer le plus rapidement possible, puis établir un diagnostic permettant d’instaurer la métaphylaxie chez les brebis gestantes sont les étapes à suivre par le vétérinaire pour rendre le service attendu de lui : prendre des mesures conservatoires et arrêter le phénomène abortif.

ÉTAPE 1 APPRÉCIER L’INCIDENCE, QUALIFIER L’URGENCE

Dans un premier temps, le vétérinaire recueille des informations concernant l’épidémiologie de l’épisode abortif : nombre de brebis atteintes, observations cliniques chez les individus malades, âge des animaux, stade de gestation au moment de l’avortement, antécédents vaccinaux, traitements effectués. À cette occasion, il peut rappeler la législation en matière d’avortement de petits ruminants, qui est soumis à déclaration obligatoire en vue de la recherche de la brucellose, maladie réputée contagieuse [4].

Dans un second temps, le praticien évalue l’incidence de la maladie abortive, et prend ou non la décision d’intervenir. Si les avortements surviennent de manière régulière, c’estàdire tous les jours, ou qu’ils touchent plus de 5 % des brebis gestantes sur quelques semaines, une visite de l’élevage s’impose (photo 1). En plus de la réalisation de prélèvements, cette visite est l’occasion d’effectuer une enquête épidémiologique sur l’épisode abortif : circonstances d’apparition, historique de la maladie, évaluation de la contagion dans le troupeau, et dans ou par le voisinage, etc. Elle permet aussi de lister les facteurs de risque et de les hiérarchiser (transhumance, mélange de cheptels, introduction d’animaux, contacts des brebis gestantes avec les brebis avortées, les produits d’avortement, la litière souillée par ces matières, etc.). En effet, déterminer les causes de l’avortement à partir de la seule observation clinique est quasi impossible.

Le praticien envisage aussi le diagnostic différentiel possible avec des avortements non infectieux. Notamment, il peut éliminer l’hypothèse d’une hypovitaminose A lorsque la ration des brebis est pauvre en fourrages frais [2]. Une intoxication aux agents abortifs d’origine végétale, les phytostrogènes comme le coumestrol, produit par certains champignons parasites foliaires des luzernes, est aussi envisageable. Leurs taux peuvent passer de 1 à 5 mg/kg de matière sèche (MS) à plus de 300 mg/kg de MS en présence de ces champignons parasites, visibles à l’œil nu sous forme de taches noirâtres rondes sur les feuilles de luzerne. En cas d’absorption de ces plantes parasitées, des avortements embryonnaires ou précoces sont parfois observés chez les agnelles les plus sensibles pendant 2 à 3 mois [8].

ÉTAPE 2 VISITE D’ÉLEVAGE ET PRÉLÈVEMENTS

1. Examens et prélèvements

Après avoir examiné les brebis avortées, le vétérinaire effectue des écouvillonnages vaginaux pour des examens bactériologiques : coloration, culture ou PCR (polymerase chain reaction) (photo 2) [10]. Des prises de sang sont réalisées en vue de sérologies au minimum chez 5 brebis avortées, si possible depuis plus de 15 jours, et chez quelques brebis en fin de gestation du même lot, afin de comparer les profils sérologiques des deux groupes (photo 3). Cela peut permettre de distinguer le passage récent d’un agent pathogène, responsable potentiel de l’avortement, de celui plus ancien d’un agent abortif non impliqué dans l’épisode observé.

2. Destination des prélèvements

Pour que le diagnostic soit établi rapidement, le délai d’acheminement des prélèvements est primordial. En effet, le délai de réponse du laboratoire est très important, et conditionne la rapidité de mise en œuvre du diagnostic et du traitement. Les faire parvenir au laboratoire départemental le plus proche est souhaité, s’il est compétent. À défaut, un portage rapide du type Chronopost® peut être utilisé pour des laboratoires plus éloignés, en prenant garde à l’arrivée d’un weekend.

La responsabilité du praticien est engagée si la sécurisation du conditionnement n’est pas suffisante et qu’une contamination humaine advient, en raison du caractère zoonotique de certains agents abortifs. La conservation des prélèvements grâce à un pack froid et l’utilisation d’un triple emballage ou de conditionnements spéciaux agréés et fournis par les laboratoires vétérinaires départementaux sont requises.

3. Mesures de précaution

Le vétérinaire préconise l’isolement des brebis avortées du reste du troupeau et la destruction des matières contaminantes, que sont les placentas et les avortons, afin de limiter la contagion (photo 4).

L’incinération de ces produits d’avortement est la méthode de choix, mais ces mesures sont difficiles à mettre en œuvre lors d’avortements en alpage. Les chiens de troupeau représentent un facteur de contamination important. Dans les années où la brucellose à Brucella melitensis sévissait de manière épizootique dans le sudest de la France, plusieurs cas de contagion ont été dus au portage sain et à l’excrétion de B. melitensis par les chiens : excrétion urinaire des mâles, excrétion utérine des femelles (observation personnelle). Pour ces raisons, enfouir en profondeur les avortons et les placentas est conseillé (au minimum à 60 à 80 cm, avec, si possible, recouvrement avec de la chaux vive), car cet épisode abortif peut être contagieux visàvis des troupeaux voisins et de ceux de l’alpage.

Le praticien, l’éleveur et le berger doivent rester extrêmement prudents lors de la manipulation des produits d’avortement, en raison des risques de contagion. Le port de gants, et le lavage et la désinfection des mains sont vivement recommandés.

Le résultat de cette visite peut susciter de la déception chez l’éleveur qui attend une métaphylaxie immédiate en aveugle. Or tomber dans ce piège peut compromettre l’avenir du traitement. En effet, déterminer l’étiologie de l’épisode à la seule observation de la clinique ou de l’historique abortif du troupeau est pratiquement impossible. Bien que les tétracyclines possèdent un spectre qui couvre les principaux agents abortifs ovins, le résultat thérapeutique d’une métaphylaxie instaurée dans ces conditions est voué à l’échec. De plus, le risque est de provoquer des résistances microbiennes aux antibiotiques mal utilisés.

ÉTAPE 3 INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS DU LABORATOIRE

Les résultats de la bactériologie sur avorton et placenta, de la PCR sur écouvillons vaginaux et des sérologies réalisées chez les 10 brebis prélevées peuvent être négatifs ou positifs pour une ou plusieurs bactéries. Ils doivent être interprétés pour administrer le traitement adéquat (tableau 1).

Les maladies abortives des brebis revêtent un caractère régional marqué et évoluent au cours du temps (encadré).

Toutefois, dans 30 ?% des cas, les causes de l’épisode abortif sont multifactorielles et, dans 20 % des cas, aucun diagnostic n’est établi. La méthode proposée ici permet de réduire de manière importante les cas non diagnostiqués.

ÉTAPE 4 MÉTAPHYLAXIE : CHOIX THÉRAPEUTIQUE

Selon l’agent responsable de l’avortement, un schéma thérapeutique type peut être mis en œuvre (tableau 2). Toutefois, le praticien doit affiner son choix en fonction des résultats de l’antibiogramme, si la bactérie a pu être isolée, en respectant le système de la cascade (figure 2) [7, 9, 11]. La cascade n’est parfois pas utilisable en raison d’une rupture de stock ou pour des critères de coût financier, et un médicament ne peut être prescrit que s’il possède une limite maximale de résidus (LMR) pour la denrée concernée (lait, viande, etc.). Lors de l’application de la cascade, les délais d’attente forfaitaires d’au minimum 28 jours pour la viande et 7 jours pour le lait doivent être respectés (article L. 51434 du Code de la santé publique) [9, 11].

Conclusion

L’efficacité de l’intervention du vétérinaire face à un épisode abortif ovin infectieux dépend de sa capacité à en apprécier l’incidence, à en qualifier l’urgence, à effectuer les prélèvements indispensables, à les acheminer rapidement vers un laboratoire compétent, et, ensuite, à établir un diagnostic et à mettre en œuvre une métaphylaxie efficace afin d’arrêter l’épisode. La méthode présentée permet de réduire notablement le nombre de cas non diagnostiqués.

Références

  • 1. Arquié M. Investigation des causes abortives dans trois élevages ovins laitiers du bassin de Roquefort. Thèse doctorat vétérinaire, Toulouse. 2006.
  • 2. Belbis G, Mercier JL, Crespeau F et coll. Avortements tardifs dans un lot d’ovins hors sol. Point Vét. 2007 ; 279 : 69-72.
  • 3. Berri M, Sourriau A, Crosby M et coll. Shedding of Coxiella burnetiiin ewes in two pregnancies following an episode of Coxiella abortion in a sheep flock. Vet. Microbiol . 2002 ; 26 : 55-60.
  • 4. Cornille Y. La lutte contre la brucellose ovine en ProvenceAlpesCôte d’Azur, une longue marche vers l’éradication. Revue PASTUM. horssérie “Le pastoralisme en France à l’aube des années 2000”. Éd. de la Cardère. mai 2000 : 81.
  • 5. Leterrier B. Diagnostic d’un avortement salmonellique dans un troupeau ovin : contrôle par une fluoroquinolone de 3e génération. Bull. GTV. 2005 ; 32 : 17-19.
  • 6. Leterrier B. Conduite à tenir en cas de mortalité de jeunes agneaux. Point Vét. 2010 ; 305 : 43-47.
  • 7. Leterrier B. Cas cliniques : quelles possibilités de gestion médicale lors d’avortements ovins enzootiques à salmonelle ou à Chlamydophila ? Proceeding Journées SNGTV, Lille. 2010 : 949-953.
  • 8. Poncelet JL. Les phyto-œstrogènes. SNGTV. Fiche commission ovine n° 75. 2005 (consultable sur le site www.sngtv.org).
  • 9. Rehby L. Peuton encore prescrire des antibiotiques chez les petits ruminants en 2010 ? Proceeding Journées SNGTV, Lille, 26-28 mai 2010 : 937-948 (consultable sur le site www.sngtv.org).
  • 10. Rekiki A, Rodolakis A. Diagnostic des avortements chez les petits ruminants. Point Vét. 2004 ; 243 : 24-31.
  • 11. Richard L. Une démarche diagnostique stricte est requise avant d’utiliser un antibiotique “hors AMM”. Sem. Vét. 2010 ; 1417 ; 42-43.
  • 12. Rodolakis A. Les avortements : chlamydiose abortive : diagnostic et prévention. Bull. GTV. 2000 ; 7 : 53-57.
  • 13. Sanchis R, Pardon P. La salmonellose abortive ovine. Bull. GTV. 2000 ; 8 : 57-60.

Étapes essentielles

ÉTAPE 1 Apprécier l’incidence, qualifier l’urgence

ÉTAPE 2 Visite d’élevage et prélèvements

• Prélèvements d’avortons ou de placentas pour bactériologie, d’ecouvillonnages vaginaux pour pcr et de sang chez 5 brebis au minimum, avortées de préférence, sinon gestantes, pour sérologies

• Envoi de ces prélèvements au laboratoire approprié le plus rapidement possible

ÉTAPE 3 Interprétation des résultats du laboratoire

ÉTAPE 4 Métaphylaxie : choix thérapeutique, selon les résultats d’antibiogramme et en respectant le principe de la cascade

ENCADRÉ
Exemple des HautesAlpes

En région ProvenceAlpesCôte d’Azur (Paca), un module d’intervention est mis à la disposition des vétérinaires, depuis 2009, par la Fédération régionale des groupements de défense sanitaire, intitulé plan d’assainissement et de suivi sanitaire en élevage (Passe) [7]. Il s’agit d’un kit d’intervention d’urgence en cas d’avortement, visant à établir rapidement l’étiologie de l’infection et à engager une métaphylaxie raisonnée. Il comprend, en plus de la visite de police sanitaire obligatoire dans le cadre de la lutte contre la brucellose, maladie réputée contagieuse, 2 Heures d’intervention vétérinaire comprenant une visite de l’élevage, la réalisation de prélèvements, la prise en charge d’analyses de laboratoire, l’interprétation des résultats et la rédaction d’un protocole de soins.

Dans les HautesAlpes, par exemple, la chlamydophilose et la salmonellose sont les deux maladies le plus fréquemment rencontrées. Une comparaison des résultats des années 20022004 et 20092010 montre qu’elles continuent à être largement prédominantes (figure 1). Toutefois, d’autres agents infectieux sont mis en évidence plus souvent, comme coxiella et toxoplasma. Enfin, le pestivirus est apparu dans 3 % des dossiers, montrant la variabilité importante de l’agent causal et l’importance de réaliser le protocole de demande d’analyses proposé (bactériologie + Pcr + sérologies).

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