Abord des anomalies génétiques bovines - Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010

AFFECTIONS HÉRÉDITAIRES

Article de synthèse

Auteur(s) : Didier Boichard*, Sandrine Floriot**, Carine Capel***, Amandine Duchesne****

Fonctions :
*Inra, UMR 1313 Génétique animale
et biologie intégrative
78352 Jouy-en-Josas
**Inra, UMR 1313 Génétique animale
et biologie intégrative
78352 Jouy-en-Josas
***Institut de l’élevage, 149, rue de Bercy
75595 Paris Cedex 12
****Inra, UMR 1313 Génétique animale
et biologie intégrative
78352 Jouy-en-Josas

Déterminer la mutation responsable d’une anomalie récessive reste difficile, mais les progrès en génomique en facilitent l’approche.

Les anomalies génétiques bovines émergent de façon récurrente dans les populations d’élevage. La mise en évidence récente de “veaux tourneurs” en race rouge des prés justifie un retour sur les méthodes utilisées pour se diriger, lentement mais sûrement, vers l’éradication de pareilles aberrations [2].

POURQUOI DÉPISTER LES ANOMALIES ?

1. Des anomalies omniprésentes

Toute population porte des anomalies génétiques (encadré 1). Plusieurs milliers en sont décrites chez l’homme, plusieurs centaines chez le bovin, la différence n’étant due qu’à l’intensité variable des observations. Tout individu (chez l’homme comme chez l’animal) porte même, statistiquement, à l’état hétérozygote, plusieurs mutations récessives. Dans de grandes populations, deux conjoints portent généralement des mutations différentes de sorte que leurs descendants ne sont pas homozygotes et sont donc non affectés.

Les mutations existent généralement à des fréquences faibles, qui varient avec :

– le taux de mutation (à l’origine de leur apparition) ;

– la sélection naturelle (faisant généralement disparaître les homozygotes, donc diminuer légèrement la fréquence du gène) ;

– la dérive, c’est-à-dire l’aléa lié au nombre fini de reproducteurs.

C’est en général la dérive qui est responsable de l’émergence d’une anomalie. Sa fréquence augmente dans la population avec la forte diffusion de reproducteurs porteurs sains.

2. Particularité des races animales : mise en place d’un observatoire

Les races animales sont des populations génétiquement petites, de l’ordre de quelques dizaines d’individus théoriques. Cela est illustré par le nombre généralement faible de fondateurs nécessaires pour expliquer le pool génétique d’une race. Lorsqu’un fondateur qui porte une mutation donnée amène une contribution importante à la race, la fréquence de cette mutation augmente de la moitié de la contribution de cet ancêtre.

Lorsqu’une mutation est présente dans la population à une fréquence relativement faible, la plupart des porteurs sont hétérozygotes et la mutation est peu visible (encadré 1). En effet, si la fréquence de la mutation correspond à p (par exemple, p = 5 %), la fréquence des non-porteurs est de (1-p)2 (soit environ 90 %), celle des porteurs hétérozygotes de 2p(1-p) (soit environ 9,5 %) et celle des animaux atteints de p2 = 0,25 %, soit 1 individu sur 400 nés.

Les cas observés ne représentent donc que la partie émergée de l’iceberg. Cela explique qu’une anomalie peut longtemps passer inaperçue. Ainsi, certaines anomalies voient leur fréquence augmenter jusqu’à un niveau élevé, rendant la situation plus complexe à gérer. Pour contribuer à leur dépistage précoce, un observatoire (Onab, Observatoire national des anomalies bovines) a été mis en place depuis plusieurs années [1]. Il centralise des observations réalisées par les différents métiers en contact avec les éleveurs.

3. Intérêt des tests génétiques

Éradiquer une anomalie récessive sans test génétique relève presque de l’impossible. En effet, la plupart des porteurs restent longtemps indécelables, un diagnostic de “porteur” n’étant établi chez un reproducteur que lorsqu’un descendant affecté est observé, c’est-à-dire souvent bien trop tard. De plus, tout reproducteur potentiel portant sans doute plusieurs anomalies (si ce n’est pas celle du moment, il s’agit d’autres), il n’est pas judicieux de l’éliminer purement et simplement. La solution est apportée par les tests génétiques. Si la mutation causale est connue, une analyse du génome d’un animal permet de distinguer les non-porteurs des porteurs sains hétérozygotes. Elle permet aussi de sélectionner, parmi les descendants d’un porteur hétérozygote, ceux qui ne sont pas porteurs (la moitié). Avec une politique volontariste de tri des descendants, l’anomalie est donc éradiquée à la génération suivante, sans renoncer à l’utilisation des reproducteurs actuels.

AVANT TOUT, LOCALISER

Jusqu’à un passé récent, il était long et complexe de déterminer la mutation responsable d’une anomalie récessive. Si cela reste toujours un travail difficile, l’évolution des outils génomiques l’accélère sensiblement et facilite l’approche.

1. Principe

Il est supposé, en général, qu’une anomalie récessive possède une origine unique (une mutation chez un animal ancien de la race) et que la mutation originelle s’est transmise au cours des générations jusqu’aux porteurs actuels. Si celle-ci est présente à une fréquence élevée (correspondant à plusieurs pour cent), c’est qu’elle a été propagée par des reproducteurs porteurs largement utilisés. Or, d’une génération à l’autre, les gènes d’un même chromosome ne se transmettent pas indépendamment les uns des autres, mais en gros blocs chromosomiques (les chromosomes n’étant cassés à chaque génération que par une ou quelques recombinaisons). Deux gènes distants d’un million de bases d’ADN sur le même chromosome n’ont donc une probabilité que de 1 % d’être transmis séparément du parent au descendant. Ainsi, tous les individus ayant reçu la mutation ont aussi reçu un segment chromosomique du fondateur entourant la mutation. Les individus atteints possédant deux copies de la mutation (une de leur père et une de leur mère), ils sont aussi homozygotes pour un segment chromosomique plus ou moins long entourant cette mutation. Ce segment chromosomique est d’autant plus long que le nombre de générations séparant le fondateur des animaux actuels est réduit. Une des façons de localiser le gène sur le génome est donc de rechercher des régions du génome homozygotes chez les individus atteints et non homozygotes chez les individus non atteints. Cette méthode se révèle particulièrement puissante et permet souvent de conclure à partir de quelques cas, généralement moins de 10.

2. Intérêt des puces de génotypage

Cette approche a été rendue particulièrement aisée avec l’émergence des puces de génotypage qui permettent de tester 54 000 points sur le génome simultanément, voire 777 000 avec la dernière puce à très haut débit. Cette première étape de localisation devient donc possible avec le génotypage de quelques cas et d’individus non atteints. Une fois la région identifiée, les mêmes outils sont éventuellement utilisables pour le diagnostic, mais ils restent coûteux pour une utilisation à grande échelle. Il est préférable de choisir, quand c’est possible, un test sur mutation causale, plus fiable et moins onéreux.

VERS L’IDENTIFICATION DE LA MUTATION

Une fois la mutation causale localisée, elle n’est pas identifiée, loin de là. L’intervalle de localisation est souvent de plusieurs millions de bases, ce qui est une fraction très réduite du génome complet (de l’ordre du millième), mais une région de grande taille pour chercher une mutation unique.

Deux grandes approches existent, en fonction de la complexité du cas, en tirant parti de la disponibilité de la séquence des génomes complets d’un nombre croissant d’espèces d’élevage (dont le bovin depuis 2006, pour sa première version).

1. Cas simple

Dans le cas le plus simple, la région comprend un gène candidat fonctionnel vraisemblablement impliqué dans l’affection étudiée. La bonne identification du gène candidat dépend de la précision de la description clinique. Celle-ci doit donc être aussi poussée que possible pour quelques cas. Le gène candidat est souvent déterminé sur la base d’observations décrites chez l’homme ou la souris, les connaissances dans les espèces d’élevage étant trop fragmentaires. Les données de génomique comparée sont alors utilisées, grâce à un agencement relatif des génomes entre espèces bien connu. Une fois le gène candidat identifié, un polymorphisme de séquence est recherché, chez les malades et des contrôles sains, jusqu’à trouver une mutation susceptible, par l’effet qu’elle engendre, d’être l’altération causale (knock out du gène par apparition d’un codon stop, insertion ou délétion modifiant le cadre de lecture, donc la protéine, apparition d’un site d’épissage alternatif, modification dans une région très conservée entre espèces, modification des propriétés physiques de la protéine, etc.). Une fois la mutation causale possible déterminée, il convient ensuite de la valider, d’une part, par génotypage avec des arguments statistiques (vérification qu’aucun individu sain n’est homozygote pour la mutation, absence de celle-ci dans des populations exemptes de l’anomalie, etc.), d’autre part, avec des arguments fonctionnels.

2. Cas complexe

Dans le cas plus complexe de l’absence de gènes candidats évidents, c’est toute la région qu’il convient de séquencer, soit plusieurs millions de bases, à la fois chez des individus sains et des malades. Une première approche utile consiste à réduire la région par l’analyse de nouveaux cas, sachant qu’une région trouvée hétérozygote est exclue et réduit ainsi l’intervalle. Le séquençage de la grande région conduit à l’identification de milliers de mutations (en moyenne plus de 1 toutes les 1 000 bases). Il convient alors d’en éliminer le plus grand nombre à partir de données statistiques et bio-informatiques pour se retrouver ensuite dans le cas précédent et ne valider qu’un petit nombre de mutations candidates.

Si la localisation initiale est un processus sûr et rapide, l’identification de la mutation causale comprend une part de chance assez importante, et le travail peut prendre entre quelques mois et plusieurs années (encadré 2).

MODALITÉS DE L’ÉRADICATION

La mutation causale étant identifiée, différents laboratoires peuvent proposer des tests de génotypage commerciaux à des tarifs peu élevés, généralement inférieurs à 30 € (par exemple, Labogena, situé à Jouy-en-Josas). Ces tests peuvent devenir l’outil d’éradication de l’anomalie dans la population.

Dans les populations bovines où le nombre de mâles reproducteurs demeure toujours inférieur à celui de femelles, l’éradication par la voie mâle est généralement celle à privilégier. Il importe alors de ne choisir que des mâles non porteurs comme reproducteurs de la génération suivante. Le choix précoce implique un coût relativement limité. Les pères choisis étant non porteurs, aucun homozygote n’est procréé, indépendamment du génotype des mères. Aucun nouveau cas n’est donc observé. À chaque génération, la fréquence de l’allèle muté est divisée par deux. L’éradication totale prend plusieurs générations et demande un certain effort sur la durée, mais son coût est réduit (encadré 3). Cette option est largement préférable à une élimination en une génération, qui supposerait de génotyper un très grand nombre de descendants et d’en éliminer beaucoup, pour un coût prohibitif.

À court terme et avant de disposer uniquement de reproducteurs mâles non porteurs, il convient de gérer plusieurs années de coexistence de mâles de génotypes porteur et non porteur. L’élimination des porteurs ne se justifie pas forcément, compte tenu du coût économique et génétique très élevé d’une telle mesure (ces reproducteurs ont généralement de grandes qualités génétiques par ailleurs), dès lors que la politique de long terme est mise en œuvre. Une limitation de leur utilisation constitue souvent un choix raisonnable. Une large information sur le statut des taureaux est requise pour permettre un libre choix des éleveurs en toute connaissance de cause et un plan d’accouplement adapté en vue d’éviter la procréation d’homozygotes atteints.

Conclusion

Les deux (seuls) exemples cités ici ont été choisis pour leur célébrité (Blad) ou leur caractère d’actualité (“veaux tourneurs”), mais la liste (exhaustive) des anomalies bovines en cours d’éradication témoigne de l’intensité de la surveillance dans cette espèce [1].

Références

  • 1. Ducos A, Manciaux L, Malafosse A et coll. L’Observatoire national des anomalies bovines : objectifs, actions mises en œuvre et premiers résultats. Journées nationales GTV, Nantes, 29 mai 2008. 2008:491-494.
  • 2. Timsit E, Albaric O, Colle M-A et coll. Première description de la maladie des « veaux tourneurs ». Point. Vét. 2010;41(309):8-9.

ENCADRÉ 1
Particularité des anomalies génétiques

Si la plupart des caractères sont soumis à un nombre variable et souvent élevé de gènes, les anomalies génétiques sont un cas particulier, le phénotype exceptionnel (souvent défavorable, mais pas toujours) n’étant dû qu’à une mutation d’un seul gène. Sur le plan génétique, elles sont classées en deux grandes catégories selon que l’expression de l’anomalie nécessite deux copies de la mutation (anomalie récessive) ou une seule (anomalie dominante). Seules sont abordées ici les anomalies récessives, qui sont sans doute les plus nombreuses. Un individu hétérozygote (portant donc une copie normale et une autre mutée du gène en cause) apparaît non affecté, la copie normale du gène étant suffisante pour assurer la fonction.

Points forts

→ La dérive constitue en général le mécanisme responsable de l’émergence d’une anomalie génétique.

→ Avec une politique volontariste de tri des descendants, une anomalie peut être éradiquée rapidement sans renoncer à l’utilisation des reproducteurs actuels.

→ L’émergence des puces de génotypage facilite la localisation de gènes.

→ L’éradication par la voie mâle représente généralement celle à privilégier.

ENCADRÉ 2
Application au « veau tourneur »

L’approche decrite dans cet article a ete utilisee chez les « veaux tourneurs » de la race rouge des pres dans le courant de cette annee (photo) [2].

L’analyse ADN a porté sur 9 animaux atteints, dont les cas ont été confirmés cliniquement par Edouard Timsit (Oniris Nantes). Le génotypage a été réalisé à Labogena (Jouy-en-Josas) grâce à une puce (54 000 SNP d’Illumina, 50k bovine beadChip). Les résultats ont été analysés par notre laboratoire (Gabi, Jouy-en-Josas). Des régions homozygotes ont été recherchées chez tous les individus atteints et d’autres, rarement homozygotes, ont été recherchées sur un panel de 123 animaux représentatifs de la race. Une seule région a été déterminée homozygote sur un chromosome, montrant le caractère monogénique récessif de l’anomalie et donnant une première localisation.

La région en question était de grande taille (6 mégabases, soit 0,2 % du génome). D’autres cas en cours de génotypage visent à réduire l’intervalle de localisation, de façon à faciliter l’identification de gènes candidats et de la mutation causale.

En parallèle, des travaux de séquençage se déroulent actuellement sur certains gènes de cette région, lesquels sont impliqués dans la fonction nerveuse.

ENCADRÉ 3
Éradiction : exemple de l’anomalie “Blad”

Le scénario d’éradication sur la voie mâle est appliqué pour diverses anomalies, dont le Blad (bovine leukocyte adhesion deficiency). Cette affection a connu une forte progression en race holstein à la fin des années 1980. En 1992, elle a été identifiée alors que la fréquence de l’allèle culminait au niveau très élevé de 6 % chez les veaux nés. À partir de cette date, tous les taureaux ont été typés et seuls les individus non porteurs ont été mis en testage. Dès 1997, la totalité des mâles d’insémination en activité étaient non porteurs. Aujourd’hui, si la situation peut être considérée comme réglée pour les éleveurs, les sélectionneurs doivent toutefois maintenir leur effort car la fréquence du gène tourne probablement autour de 1 % dans la population femelle.

Plusieurs autres anomalies importantes ont été caractérisées ces dernières années par diverses équipes, dont la nôtre, permettant leur élimination (tableau).

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