Risque mycotoxique : chez l’animal en France : points d’actualité - Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010

ALIMENTATION DES RUMINANTS

Article de synthèse

Auteur(s) : Philippe Guerre*, Jean-Denis Bailly**

Fonctions :
*ENV de Toulouse
Unité de mycotoxicologie
23, chemin des Capellesi
31076 Toulouse Cedex 3
p.guerre@envt.fr
**ENV de Toulouse
Unité de mycotoxicologie
23, chemin des Capellesi
31076 Toulouse Cedex 3
p.guerre@envt.fr

La principale nouveauté, réglementaire, devrait prochainement se traduire sur le marché, avec l’agrément d’“additifs antimycotoxines”.

Le risque mycotoxique en alimentation animale est lié :

– à la présence de mycotoxines réglementées ou pour lesquelles des teneurs maximales sont recommandées, au sein de l’Union européenne ;

– à la présence d’autres composés pour lesquels seuls des études expérimentales et des rapports d’accidents occasionnellement publiés dans la littérature peuvent fournir une appréciation du niveau de danger.

Sans être exhaustif en la matière, quelques éléments spécifiques peuvent être présentés sur ce risque en France.

DES “ADDITIFS ANTIMYCOTOXINES” POUR L’ALIMENT

Une procédure d’agrément a été mise en place pour des composés dont les propriétés “adsorbantes”, au sens large, vis-à-vis des mycotoxines ont été découvertes il y a plus de 30 ans. Ces composés, utilisés comme additifs, bénéficient aujourd’hui d’une procédure spécifique d’autorisation au titre d’additifs technologiques. Le règlement (CE) n° 386/2 009 de la Commission du 12 mai 2009 a modifié le règlement (CE) n° 1831/2003 du Parlement européen et du Conseil. Un nouveau groupe fonctionnel d’additifs pour l’alimentation animale a été établi et un alinéa m) introduit pour les « substances destinées à réduire la contamination des aliments pour animaux par les mycotoxines », c’est-à-dire « permettant de supprimer ou de réduire l’absorption des mycotoxines, d’en favoriser l’excrétion ou d’en modifier le mode d’action ».

Une telle clarification réglementaire était nécessaire devant l’intérêt de ces produits lors d’une contamination des aliments par les mycotoxines. Des additifs agréés à ces fins seront bientôt disponibles(1).

CAS DES RUMINANTS

En ce qui concerne les ruminants, différents points relatifs à la santé animale, mais aussi à la qualité des productions issues de ces espèces pour la consommation humaine peuvent être soulignés.

La présence d’un réseau rumen dans lequel se déroulent différents processus de fermentations anaérobies conduit en général à une protection des ruminants vis-à-vis du risque mycotoxique, notamment fusariotoxique [1, 7]. Toutefois, ces espèces restent sensibles à certaines mycotoxines, telles que les satratoxines produites par Stachybotrys atra. Le développement de ces organismes s’effectue sur les pailles, voire dans d’autres fourrages. Les manifestations toxiques peuvent être violentes, par exemple des entérites hémorragiques, et conduire à la mort de l’animal. Les équidés sont plus sensibles que les ruminants à ces composés, ce qui nous amènera à aborder ces épisodes cliniques aigus ci-dessous.

Les ensilages constituent également un danger particulier. Des cas d’avortements plus ou moins accompagnés de troubles nerveux sont régulièrement diagnostiqués dans notre laboratoire [3]. Aucune mycotoxine spécifique n’est à ce jour identifiée comme responsable de l’ensemble des troubles observés. Cependant, une analyse de la flore fongique des aliments suspects permet en général de mettre en évidence Penicillium roqueforti et/ou Aspergillus fumigatus(2).

Le danger mycotoxique chez les ruminants ne peut être évoqué sans rappeler le risque de transmission dans les productions, notamment le lait [7]. Même si de nombreuses inconnues persistent, cette problématique est toujours d’actualité, notamment pour les aflatoxines. Les productions sur le territoire métropolitain sont en général considérées comme indemnes de contamination par les aflatoxines. Les rares cas de dépassement des seuils réglementaires au cours de différentes enquêtes ont toujours été liés à des aliments importés. Toutefois, une vigilance forte reste nécessaire, pour deux raisons :

– l’estimation de l’exposition des vaches laitières fortes productrices révèle un possible risque de transfert d’aflatoxine M1 (AFM1) à des teneurs supérieures aux niveaux réglementaires [1] ;

– différentes études révèlent la présence d’aflatoxines en Europe à des valeurs supérieures aux teneurs réglementaires [5, 8]. L’origine exacte de cette observation reste inconnue. Elle pourrait être la conséquence d’évolutions climatiques et/ou de modifications des pratiques agricoles.

ESTIMER L’EXPOSITION POUR ALLER “AU-DELA” DES RECOMMANDATIONS

Une estimation de l’exposition des porcins et des volailles a été effectuée par l’Anses pour différents types de production [1]. Cette approche a ses limites, mais elle fournit des valeurs repères qui permettent aux praticiens d’apprécier d’éventuels résultats d’analyses dans un contexte plus large que celui des seules valeurs maximales réglementaires ou recommandées disponibles (encadré).

ANIMAL SENTINELLE DE LA CONTAMINATION MYCOTOXIQUE

Pour les mycotoxines sans valeurs maximales réglementées ou recommandées, des publications de type “cas clinique” peuvent donner une estimation des risques d’exposition aigus. L’impact chronique de la contamination est dans ce cas le plus souvent inconnu, mais le diagnostic de formes typiques d’intoxication permet de qualifier un risque émergent en mycotoxicologie, l’animal jouant le rôle de sentinelle pour l’exposition humaine.

En guise d’illustration, notre laboratoire a récemment constaté une augmentation de la fréquence des suspicions d’intoxication à Stachybotrys atra [2]. Cette moisissure saprophyte croît sur un grand nombre de substrats pauvres en glucides : tapisseries (à l’origine d’accidents chez l’homme), paille, foin, etc. (photo). Au cours de son développement dans les aliments, elle est susceptible de synthétiser des toxines dont la structure s’apparente aux trichothécènes (famille du déoxynivalénol et de la toxine T2). Les manifestations d’intoxication peuvent être observées dans toutes les espèces animales, mais les équidés semblent les plus sensibles. Trois formes de l’intoxication sont classiquement décrites. La forme suraiguë entraîne une mort brutale sans signe clinique. La forme chronique se manifeste par des difficultés respiratoires, une diminution des performances et des œdèmes en régions déclives. La forme subchronique, la plus typique, est la plus souvent diagnostiquée. Elle évolue sur plusieurs semaines et se caractérise par des nécroses avec desquamation et ulcération sur la face, principalement autour des naseaux et des commissures labiales, les zones de contact avec les aliments contaminés. Une conjonctivite et une stomatite sont parfois observées. Cette forme, bien que potentiellement fatale, régresse spontanément lors du retrait de l’aliment suspect.

Les intoxications animales sont connues depuis près d’un siècle, mais une forte augmentation du nombre de cas suspects est constatée en France ces dernières années (de 0 à 2 cas par an sur la période 2002-2006 à 7 cas en 2008 et 13 cas en 2009). L’origine de cette hausse demeure inconnue. Ce phénomène pourrait toutefois faire suite à une évolution des pratiques agricoles et d’élevage et/ou à une modification de l’écologie de S. atra.

D’AUTRES MYCOTOXINES EN COURS D’ÉVALUATION

D’autres mycotoxines sont aussi dans l’actualité car une estimation de l’exposition à ces substances est en cours. Par exemple, le nombre de demandes d’analyses pour la toxine T2 et HT2 dans les productions nationales est en augmentation. Il en est de même pour les alcaloïdes produits par l’ergot de seigle. Ainsi, des méthodes validées de dosage et des recommandations fondées sur les teneurs en alcaloïdes, et non plus seulement sur le nombre de grains ergotés, devraient bientôt voir le jour.

COMMENT ABORDER LA POLYCONTAMINATION ?

La plupart des études disponibles sur les effets des mycotoxines ont été réalisées toxine par toxine. En réalité, la contamination des aliments est multiple et ne se limite pas aux seules mycotoxines. Difficiles à évaluer, ces problématiques sont particulièrement pertinentes lorsque des expositions chroniques aux doses seuils sont abordées. Il est illusoire d’imaginer réaliser tous les scénarios possibles de contamination. Cependant, la comparaison des effets de régimes alimentaires mono- ou polycontaminés aux doses maximales réglementaires ou recommandées semble possible. En l’absence de données spécifiques en la matière, les résultats d’analyses de contamination sont interprétés séparément. Ainsi, aucun danger synergique ou additif ne peut être déduit en l’absence de résultats expérimentaux démontrant spécifiquement de tels effets des mycotoxines dans les espèces exposées au risque.

DES MYCOTOXINES INSOUPÇONNABLES

Des “mycotoxines masquées” ont été découvertes. Leur détection directe dans les aliments n’est pas réalisée par les méthodes conventionnelles de dosage, mais elles peuvent libérer de la toxine après ingestion par l’animal. Un des exemples les plus connus est celui de la zéaralénone (figure 1). La glycosylation de cette dernière dans les grains empêche sa détection par les techniques conventionnelles de dosage [4]. Au cours de la digestion, de la zéaralénone est libérée et absorbée [6]. La non-prise en compte de la zéaralénone glycosylée au cours du dosage conduit ainsi à une sous-estimation du niveau d’exposition animale.

Cet exemple illustre la différence entre la toxicité évaluée lorsqu’une mycotoxine purifiée est administrée à l’animal et la toxicité observée lors d’administration d’un aliment naturellement contaminé.

Dans un aliment naturellement contaminé sont présents non seulement la mycotoxine étudiée, mais aussi tous ses intermédiaires de synthèse pour lesquels il n’existe pas toujours de données spécifiques de toxicité.

Conclusion

Le risque mycotoxique en alimentation animale est naturel. Il est difficile de s’en prémunir. L’évolution des pratiques agricoles et les changements climatiques sont des facteurs susceptibles de modifier l’équilibre fongique au champ et, par là même, les teneurs en mycotoxines dans les aliments des animaux.

Des évolutions réglementaires constantes conduisent à une diminution des risques, alors que les progrès de la recherche mènent à une connaissance accrue des dangers et à la découverte de nouveaux composés.

Dans ce contexte parfois complexe, le vétérinaire praticien n’est pas toujours en situation d’aborder tous les tenants et aboutissants d’une contamination fongique et/ou mycotoxique. Un recours aux laboratoires de diagnostic est alors nécessaire, non seulement pour l’analyse des aliments suspects, mais aussi pour l’interprétation et la compréhension de cette contamination.

(1) Voir l’article “Les additifs antimycotoxiques” de B. Bouquet, dans ce numéro.

(2) Voir l’article “Des mycotoxines dans les parties apparemment non moisies des ensilages” de F. Van Hove, dans ce numéro.

Références

  • 1. Afssa. Évaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaine et animale. Rapport final 2009. Disponible en ligne : http://www.afssa.fr/cgi-bin/countdocs.cgi Documents/RCCP-Ra-Mycotoxines2009.pdf
  • 2. Bailly S, Querin A, Guerre P et coll. La stachybotryotoxicose, une mycotoxicose d’actualité en France. 36e Journées de la recherche équine. Institut français du cheval et de l’équitation. 2010 : 221-223.
  • 3. Bailly S, Bailly JD. Troubles de la reproduction chez les ruminants : rôle possible des moisissures et des mycotoxines. Bull. GTV. 2008 ; 44 : 103-112.
  • 4. Engelhardt G, Zill G, Wohner B et coll. Transformation of the Fusarium mycotoxin zearalenone in maize cell suspension cultures. Naturwissenschaften. 1988 ; 75 : 309-310.
  • 5. Gallo P, Salzillo A, Rossini C et coll. Aflatoxin M1 determination in milk : Method validation and contamination levels in samples from Southern Italy. Italian J. Food Sci. 2006 ; 18 : 251-259.
  • 6. Gareis M, Bauer J, Thiem J et coll. Cleavage of zearalenone-glycoside, a « masked » mycotoxin, during digestion in swine. Zentralbl Veterinarmed B. 1990 ; 37 : 236-240.
  • 7. Guerre P. Principales mycotoxicoses observées chez les ruminants. Point Vét. 1999 ; 29 : 1231-1238.
  • 8. Tabuc C, Marin D, Guerre P et coll. Molds and mycotoxin content of cereals in southeastern Romania. J. Food Prot. 2009 ; 72 : 662-665.

ENCADRÉ Estimation d’exposition : exemple des porcins et des volailles pour différents types de production

L’estimation a été réalisée sur la base de régimes alimentaires standardisés et de données de contamination issues de plans de surveillance et de contrôle réalisés par la Direction générale de l’alimentation (DGAL, de 2001 à 2004) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, de 1999 à 2004)(3). En plus de ces données (n = 1 989), d’autres, transmises par les professionnels, ont été utilisées (Qualimat, Arvalis-Institut du végétal, Institut de l’élevage, Office national interprofessionnel des céréales [Onic], Union nationale interprofessionnelle des plantes riches en protéines[Unip], n = 3 826) [1].

Les calculs d’exposition ont été effectués sur le principe d’une estimation déterministe standard, en se fondant sur les niveaux de contamination des matières premières et/ou des aliments (moyennes, percentiles p75 et p95(4)) et sur ceux de consommation moyens estimés dans les différents régimes alimentaires étudiés.

Les résultats obtenus ont été comparés aux teneurs réglementaires (aflatoxines, directive n° 2002/32/CE) ou aux valeurs maximales recommandées (ochratoxine A, déoxynivalénol, zéaralénone, fumonisines, recommandation n° 2006/576/CE).

→ Pour les aflatoxines, l’exposition des porcins et volailles au p95 de la contamination (le pire cas) est toujours largement inférieure à la réglementation (20 µg/kg d’aliment). Il en va de même pour l’ochratoxine A et les teneurs maximales recommandées dans ces espèces (50 et 100 µg/kg d’aliment pour porcins et volailles respectivement).

→ Pour le déoxynivalénol, l’exposition au p95 est supérieure aux recommandations (900 µg/kg d’aliment) pour tous les types de production porcine envisagés (porcelet premier âge, porcelet second âge, porc croissance référence Corpen(5), porc finition référence Corpen, truies gestantes, truies allaitantes). Cette exposition devient inférieure aux recommandations si le p75 est utilisé. Chez la volaille, l’exposition au déoxynivalénol au p95 reste inférieure aux recommandations (5 000 µg/kg d’aliment).

→ Pour la zéaralénone, chez les porcins, l’exposition au p95 est supérieure ou égale à la recommandation (100 µg/kg d’aliment) en production de porcelet 1er âge et de porcelet 2e âge. Elle devient inférieure à la recommandation (250 µg/kg d’aliment) en production de porc croissance Corpen, porc finition Corpen, truies gestantes et truies allaitantes.

→ Pour les fumonisines, l’exposition des porcins et volailles au p95 de la contamination est dans tous les cas nettement inférieure aux recommandations dans ces espèces (5 000 et 20 000 µg/kg d’aliment pour porcins et volailles respectivement).

(3) Voir l’article « Les mycotoxines dans les denrées animales » de C. Grastilleur, dans ce numéro.

(4) En statistiques descriptives, la population est fractionnée en cent centiles (percentiles, en anglais). Le percentile 50 est la médiane, le percentile 75, la valeur du 75e centile (en partant de 0), le percentile 90, la valeur du 90e centile, et ainsi de suite (le percentile 100 est la valeur maximale).

(5) Corpen : Comité d’orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l’environnementcréé en 1984. Cette instance d’analyse, d’expertise et de proposition élabore et diffuse des recommandations contribuant à la réduction des pollutions et à une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.

Points forts

→ Différentes études révèlent la présence d’aflatoxines en Europe, à des teneurs supérieures à celles qui sont réglementaires, peut-être à la suite des évolutions climatiques et/ou des pratiques agricoles.

→ Une augmentation de la fréquence des suspicions d’intoxication à Stachybotrys atra a été constatée. Les équidés sont les plus sensibles, avec des manifestations circulatoires, respiratoires ou dermatologiques.

→ Le nombre de demandes d’analyses pour la toxine T2 et HT2 dans les productions nationales est en hausse.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr