Dermatophilose chez des vaches montbéliardes adultes - Le Point Vétérinaire expert rural n° 309 du 01/10/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 309 du 01/10/2010

DERMATOLOGIE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Didier Pin*, Olivier Hulin**, Philippe Maringue***, François Plé****

Fonctions :
*Unité de dermatologie
VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile
**Cabinet vétérinaire
10, rue de la Demi-Lune, 39140 Bletterans
***Cabinet vétérinaire
10, rue de la Demi-Lune, 39140 Bletterans
****Cabinet vétérinaire
10, rue de la Demi-Lune, 39140 Bletterans

Cet article décrit des cas de dermatophilose observés chez plusieurs animaux d’un troupeau laitier et précise la démarche diagnostique à mettre en œuvre.

L’atteinte cutanée d’un individu est rarement un motif de consultation en médecine bovine. Toutefois, lorsque plusieurs animaux sont affectés, donnant une apparence contagieuse à la dermatose, l’avis du vétérinaire est plus volontiers sollicité.

Chez les bovins, l’étiologie des dermatoses responsables de dépilations est riche et variée. En l’absence de signes généraux, le praticien envisage, le plus souvent, une origine parasitaire, bactérienne ou fongique, et, plus rarement, métabolique, immune ou auto-immune. Une démarche diagnostique rigoureuse est donc requise. Cet article décrit la survenue de cas de dermatophilose chez plusieurs animaux d’un troupeau laitier et précise la démarche diagnostique, en particulier les examens complémentaires, à mettre en œuvre.

CAS CLINIQUE

1. Motif de consultation

Un éleveur fait appel au vétérinaire pour des lésions cutanées chez plusieurs vaches.

2. Commémoratifs

L’éleveur laitier, de bon niveau, possède une quarantaine de vaches de race montbéliarde. Le niveau sanitaire du cheptel est satisfaisant et aucun antécédent n’est connu.

3. Anamnèse

Les lésions sont apparues une semaine auparavant chez 1 vache, puis, progressivement, chez 5 autres. Celles-ci vivent alternativement au pré et en stabulation. Aucune atteinte générale ni aucune baisse de production laitière n’a été observée par le propriétaire. Les lésions s’étendent lentement sur le corps des animaux. Ceux qui présentent ces lésions n’ont reçu aucun traitement récemment.

4. Examen clinique

Seule la vache la plus atteinte est examinée. L’examen clinique général ne révèle aucune anomalie hormis les lésions cutanées. L’observation à distance montre des lésions nombreuses sur le dos, les lombes, à la base de la queue, sur les fesses, la face latérale des cuisses et, en quantité moindre, sur le fuyant des flancs et le périnée (photo 1).

L’examen rapproché met en évidence soit de nombreuses touffes de poils agglomérés “en pinceau” par une croûte, dont certaines sont coalescentes, soit de grandes plages squamo-croûteuses, plus ou moins fendillées (photos 2 et 3). L’arrachage des croûtes est douloureux et laisse apparaître une érosion couverte d’une fine couche de pus jaunâtre. La face inférieure des croûtes est concave et l’extrémité des poils arrachés est visible, ainsi qu’un peu de pus (photo 4).

5. Hypothèses diagnostiques

L’anamnèse et l’examen clinique permettent d’émettre, en premier lieu, les hypothèses de pyodermite, incluant une folliculite bactérienne et une dermatophilose, et de dermatophytose. D’autres diagnostics moins probables pourraient être envisagés, tels qu’une démodécie et une folliculite éosinophilique stérile du fait des lésions folliculaires, une dermatose répondant au zinc ou une stéphanofilariose en raison de l’aspect squamo-croûteux.

6. Examens complémentaires

Des examens complémentaires sont effectués afin de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses. L’examen direct du produit de multiples raclages cutanés ne met pas en évidence d’élément fongique ni de Demodex.

L’examen après coloration d’un calque du pus sous-crustacé révèle la présence de coccobacilles disposés en chaînettes, sur plusieurs rangs, plus ou moins ramifiées, évoquant l’image “en rail de chemin de fer” caractéristique de la dermatophilose (photo 5).

L’examen histopathologique de biopsies cutanées, prélevées sous anesthésie locale sur les lésions, montre, en plus d’une dermatite inflammatoire suppurée non spécifique, la présence de croûtes dont l’aspect “en millefeuille” est dû à l’alternance de couches de kératine et de pustules asséchées, au sein desquelles les chaînettes de coccobacilles en rail de chemin de fer sont retrouvées (photo 6). Une coloration de Gram confirme le caractère Gram positif des coccobacilles.

7. Diagnostic

Un diagnostic de dermatophilose est établi.

8. Traitement

En raison du caractère bénin de la pyodermite et la vache examinée étant en lactation, le traitement consiste en l’application d’une solution antiseptique (Hibitane®), associée à un brossage des zones lésionnelles, tous les 2 jours jusqu’à guérison. Celle-ci est obtenue en une semaine. Les autres vaches, au pré, moins atteintes, ont guéri spontanément en quelques semaines.

DISCUSSION

1. Facteurs étiologiques

La dermatophilose est une dermatose bactérienne qui semble rare chez les bovins [5]. Elle est vraisemblablement sous-diagnostiquée. C’est une infection bactérienne superficielle de la peau due à la multiplication de Dermatophilus congolensis.

Dermatophilus congolensis est une bactérie actinomycète à Gram positif, anaérobie facultatif, qui se présente sous la forme d’éléments coccoïdes mobiles. Sept biotypes de virulence différente sont distingués. La dermatophilose est une affection cosmopolite, qui touche les bovins mais aussi les chevaux, de prévalence élevée sous les climats chauds et humides. Aucune prédisposition d’âge, de sexe ni de race n’est mise en évidence. Des cas de contamination humaine ont été rapportés.

Au sein d’une collectivité, la maladie est entretenue par des porteurs mécaniques ou des infectés asymptomatiques. Les microtraumatismes cutanés (liés aux arthropodes piqueurs, notamment les tiques, ainsi qu’à la végétation vulnérante) et l’humidité sont des facteurs favorisant l’apparition clinique. Toutefois, dans notre cas, aucun de ces facteurs n’a semblé intervenir.

2. Diagnostic et traitement

Les lésions initiales sont des papules, folliculaires et non folliculaires, surmontées de poils hérissés. Par extension ou coalescence, elles forment des lésions nummulaires, avec une croûte emprisonnant les poils et recouvrant une érosion couverte d’un pus jaune verdâtre, retrouvé également sur la face inférieure de la croûte qui est concave et où font saillie les racines pilaires. Les lésions, souvent douloureuses, mais rarement prurigineuses, sont situées sur le dos, la croupe, l’encolure mais aussi sur la face, les épaules les flancs et les paturons. Lors d’atteinte généralisée, des signes généraux, comme un abattement, un syndrome fébrile et une anorexie, peuvent être notés.

Selon le stade évolutif, le diagnostic différentiel inclut, en l’absence de prurit, la teigne, la folliculite à staphylocoques, la folliculite éosinophilique stérile, la démodécie, la stéphanofilariose, la dermatose répondant au zinc, l’effluvium, la pelade et la teigne, ou une réaction cutanée médicamenteuse [1, 3, 4, 6-8, 9, 10].

La suspicion clinique est confirmée par l’examen cytologique du pus sous-crustacé ou, à défaut, par l’examen histopathologique de biopsies cutanées, incluant des croûtes. La culture de ces bactéries requiert un milieu contenant du sang ou du sérum.

Le pronostic est généralement bon. Le traitement consiste en l’amélioration des conditions de vie (rentrée à l’étable, pansage) associée à un traitement antibactérien topique (lotion ou shampooing antiseptique) et, si nécessaire (atteinte très étendue ou généralisée), à un traitement antibiotique général (par exemple l’association pénicilline-streptomycine) [2].

Conclusion

La dermatophilose est une dermatose rare et généralement bénigne, plus transmissible que réellement contagieuse, vraisemblablement sous-diagnostiquée, due à l’infection par D. congolensis. Elle se traduit par une dermatose suppurée et squamo-croûteuse, caractérisée par des croûtes de plus ou moins grande taille, enserrant des poils agglomérés en pinceau. L’arrachage des croûtes découvre un épiderme érodé ou un ulcère purulent. Un seul individu peut être atteint, mais de petites enzooties sont observées lorsqu’il existe des facteurs favorisants. Des examens complémentaires simples permettent de confirmer le diagnostic. Dans la majorité des cas, le pronostic est bon et le traitement aisé.

  • 1. Adjou K, Polack B, Fontaine J-J et coll. Identification d’un cas de démodécie bovine en France. Point Vét. 2004;249:60-63.
  • 2. Bussièras J, Chermette R, Henriet R. Une forme grave de dermatophilose en France. Point Vét. 1985;17:78-79.
  • 3. Gourreau JM, Bourdeau P, -Crespeau F et coll. Cas de dermo-folliculite à éosinophiles chez un bovin. Point Vét. 1989;21:239-242.
  • 4. Gourreau JM, Chermette R. La teigne bovine. Point Vét. 1986;17:715-724.
  • 5. Gourreau JM, Chermette R. La dermatophilose bovine. Bull. GTV. 2000;8:7-9.
  • 6. Scott DW. Large Animal Dermatology. Philadelphia. WB Saunders Company. 1988:126-131.
  • 7. Scott DW. Color Atlas of Farm Animal Dermatology. Blackwell Publishing Ltd, UK. 2007:88-89.
  • 8. Scott DW, Gourreau JM. Alopecia areata (pelade) chez les bovins. Point Vét. 1990;22:671-674.
  • 9. Scott DW, Gourreau JM. La folliculite et la furonculose staphy-lococciques des bovins. Point Vét. 1991;23(138):407-410.
  • 10. Watrelot-Virieux D, Pin D. Chronic Eosinophilic Dermatitis in the Scrotal Area Associated with Stephanofilariasis Infestation of Charolais Bull in France. J. Vet. Med. B. 2006;53:150-152.

Points forts

→ La dermatophilose est une dermatose sous-diagnostiquée et non contagieuse, due à dermatophilus congolensis, bactérie à gram positif.

→ Elle se manifeste par une dermatite croûteuse, avec des croûtes enserrant des poils agglomérés “en pinceau” ou de grandes plages squamo-croûteuses dont le retrait permet d’observer une érosion purulente

→ L’examen histologique du pus et de biopsies de lésions met en évidence des coccobacilles se présentant en chaînettes, dites “en rail de chemin de fer”.

→ L’amélioration des conditions de vie et l’application d’un topique antibactérien, avec ou sans antibiothérapie générale, peuvent être suffisantes pour induire une guérison clinique.

→ Le pronostic est généralement bon.

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