Démarche d’interprétation des résultats de typage des colibacilles bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 309 du 01/10/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 309 du 01/10/2010

DIAGNOSTIC DES COLIBACILLOSES DU VEAU

Article de synthèse

Auteur(s) : Philippe Nicollet*, Cyril Maingourd**

Fonctions :
*Laboratoire d’analyses
Sèvres-Atlantique
210, avenue de la Venise-Verte
BP 570, 79022 Niort Cedex
philippe.nicollet@lasat.fr
**Laboratoire d’analyses
Sèvres-Atlantique
210, avenue de la Venise-Verte
BP 570, 79022 Niort Cedex
cyril.maingourd@lasat.fr

Le typage des facteurs de pathogénicité permet de soupçonner l’intervention de la souche qui les possède dans l’expression clinique rencontrée.

Les colibacilles sont des entérobactéries, hôtes normaux du tube digestif des vertébrés, dont la plupart des souches sont avirulentes (commensales). Parmi les entérobactéries, Escherichia coli est un agent bactérien fréquemment identifié lors de colibacillose intestinale ou de septicémie chez le veau. Dans l’espèce E. coli existent de nombreuses souches pathogènes chez les bovins, notamment le veau, caractérisées par des propriétés ou la production de facteurs spécifiques responsables de leur pouvoir infectieux.

Les propriétés d’agglutination de la bactérie orientent le diagnostic et le traitement mis en œuvre par le praticien. Toutefois, dans de nombreux cas, la souche d’E. coli soupçonnée d’être impliquée dans le phénomène pathologique n’est pas typable par la méthode d’agglutination, ce qui fait obstacle au diagnostic de certitude et ne permet pas de rendre compte de toute la pathogénie de la maladie. Grâce aux apports de la biologie moléculaire, le rôle pathogène de certaines souches d’Escherichia coli isolées dans les entérites et les septicémies colibacillaires du veau est mieux cerné, ce qui représente une aide diagnostique majeure [12, 13].

FACTEURS DE PATHOGÉNICITÉ

1. Pathotypes et facteurs de virulence recherchés

Un certain nombre de colibacilles présentent un pouvoir pathogène varié, sur lequel est fondée la définition de pathotype ou pathovar [9]. Ces souches pathogènes sont classiquement divisées selon que leur tropisme est intestinal ou extra-intestinal ExPEC (tableau 1) [7, 11]. Les E. coli pathogènes retrouvés dans chaque pathotype peuvent être regroupés en différents virotypes, selon les gènes de virulence qu’ils possèdent. Un virotype est une combinaison spécifique de gènes de virulence.

Globalement, la différence entre une souche d’E. coli non pathogène et une souche pathogène tient à l’acquisition ou à l’expression d’un ou de plusieurs facteurs de virulence, au premier rang desquels se trouvent les adhésines (encadré, tableau 2) [10]. Les principaux facteurs de virulence sont ceux qui permettent la réalisation des étapes suivantes de la pathogénie [5] :

– la colonisation des surfaces muqueuses (intestinales, de l’appareil urinaire, etc.), le plus souvent par un phénomène d’adhésion, grâce à des adhésines ;

– le franchissement des muqueuses ;

– la résistance aux défenses internes de l’organisme telles que la phagocytose et l’activation du complément ;

– la production d’un effet toxique (toxines).

De nombreux mécanismes génétiques (intervention de phages, de plasmides ou de transposon) expliquent les échanges de matériel génétique entre les souches d’E. coli (figure 1).

La variété de ces mécanismes permet de mieux comprendre la diversité des pathotypes rencontrés.

2. Méthodes d’analyse des souches

Lors d’un diagnostic rapide ou bactériologique traditionnel, les méthodes d’agglutination détectent les adhésines majeures. De plus, les techniques de biologie moléculaire permettent d’identifier des fragments génomiques, codant les facteurs de virulence, qui vont éventuellement s’exprimer lors d’un épisode clinique de colibacillose.

Ces deux méthodes d’analyse des souches d’E. coli abordent le diagnostic étiologique des entérites néonatales et de la septicémie colibacillaire d’une manière différente. La première évalue les propriétés phénotypiques des colonies et ne s’intéresse qu’à un seul facteur de virulence intervenant précocement dans la pathogénie, tandis que la seconde explore les potentialités variées de pathogénicité contenues dans l’information génétique de la bactérie, sans aucune certitude que ces facteurs soient exprimés. Les résultats obtenus doivent donc toujours être mis en relation avec les signes cliniques (diarrhée aqueuse, hémorragique, septicémie, etc.), sous peine de diagnostic par excès.

ÉVOLUTION DE L’OUTIL DIAGNOSTIQUE : RÉSULTATS D’ÉTUDE

1. Recherche de facteurs de virulence supplémentaires

Dans une étude précédente, nous avons présenté les résultats obtenus par analyses PCR (polymerase chain reaction) de 169 souches d’E. coli [12]. La présence de facteurs de pathogénicité est révélée sur des gels d’amplification (photo).

Plus récemment, l’outil diagnostique a évolué, intégrant des facteurs supplémentaires (production d’entérotoxines, entérohémolysine et résistance au complément). Depuis le début de l’année 2010, 138 souches d’E. coli ont été analysées à partir des fèces de bovins (des veaux ou de jeunes animaux âgés de moins de 3 mois) atteints de diarrhée néonatale. Parmi les souches, certaines ont été isolées à partir d’organes prélevés sur des animaux morts et qui présentaient des symptômes de septicémie.

Selon les informations dont dispose le laboratoire et le type de matrice analysée, les souches peuvent être caractérisées selon un des profils suivants :

– l’absence de facteur de pathogénicité. Cette information est en faveur d’une souche commensale ou non pathogène ;

– le pathotype indéterminé : souche présentant des facteurs qui appartiennent à plusieurs pathotypes, ou pour laquelle l’information manquante sur le prélèvement d’origine (fèces ou organe) n’a pas permis de trancher en une souche diarrhéogène ou à potentiel septicémique ;

– le pathotype diarrhéogène : souches ETEC, EHEC, EPEC, EIEC ou NTEC, isolées à partir de fèces ;

– le pathotype septicémique : souches NTEC ou ExPEC, isolées à partir d’organes.

2. Résultats

Le pathotype indéterminé est prédominant (52 %), devant les pathotypes diarrhéogène (20 %), septicémique (18 %) et les souches non pathogènes (10 %) (figure 2).

Plusieurs facteurs comme la résistance au complément et l’aérobactine (capteur du fer sérique qui confère un avantage à la bactérie dans certaines conditions extrêmes in vivo, particulièrement à de faibles doses infectantes) sont particulièrement répandus parmi les souches de notre étude (figure 3).

En revanche, certains facteurs présents parmi les pathotypes ExPEC tels que les cytotoxines CDTIII, CDTIV et Cnf1/2 sont beaucoup plus rares.

L’analyse par méthode PCR d’une souche d’E. coli isolée au cours d’un épisode diarrhéique ou septicémique n’apporte qu’une information supplémentaire sur son potentiel pathogène dans le contexte clinique. Les commémoratifs sont d’une grande importance lors d’une demande d’analyse PCR (figure complémentaire 4 sur www.WK-Vet.fr).

Globalement, il convient d’utiliser les résultats de PCR obtenus à partir d’une souche d’E. coli comme une aide à l’interprétation de la clinique, afin notamment de pouvoir répondre aux questions suivantes :

– la souche isolée est-elle porteuse de facteurs de virulence permettant d’expliquer la persistance de diarrhées chroniques ou récidivantes en l’absence d’autres agents entéropathogènes (salmonelles, virus ou cryptosporidies) ?

– la souche isolée est-elle porteuse de facteurs de virulence compatibles avec un potentiel septicémique ?

ILLUSTRATION PAR UN CAS CLINIQUE

1. Cas clinique et analyse PCR

Durant la saison de vêlages hivernale en stabulation libre (aire paillée), 3 veaux de quelques jours présentent des troubles digestifs marqués en l’absence de traitement préventif, évoluant rapidement vers la mort en quelques heures.

L’un d’entre eux, âgé de 2 jours, est autopsié dans un laboratoire départemental, qui réalise également les analyses habituelles dans ce contexte. Les recherches de rotavirus, de coronavirus et de cryptosporidies se révèlent négatives (méthode Elisa et coloration à la fuchsine). Un E. coli est isolé en culture pure à partir des fèces et du sang (dénombrement : 1,2 x 1010bactéries/g de fèces).

L’analyse par PCR des souches isolées sur l’animal fournit un résultat en faveur d’une colibacillose septicémique NTEC (nécrotoxinogène), en présence des facteurs pathogènes suivants : CdtIII, HlyA, Cnf1/2, iucD, F17, TraT, AfaVIII.

2. Interprétation des résultats

La présence de ces facteurs pathogènes et le fait que la souche soit isolée à partir du sang illustrent le caractère toxinogène de certaines souches d’E. coli, déterminé par les gènes cnf1/2 et cdt.

Les gènes cnf1/2 codent les toxines nécrosantes CNF1 et CNF2, qui exercent une activité intracellulaire de désorganisation du cytosquelette des cellules muqueuses. Par la suite, les toxines CNF pourraient faciliter le franchissement des endothéliums vasculaires et favoriser l’invasion des organes internes, comme dans les méningites.

Dans le même temps, l’action concomitante des toxines CDT pourrait s’appliquer à hauteur des épithéliums, comme celui de l’intestin, en perturbant le cycle mitotique du renouvellement cellulaire. Les altérations fonctionnelles de la barrière cellulaire conduisent alors à une colonisation et à un franchissement plus facile des muqueuses affaiblies, pour provoquer une bactériémie ou une septicémie [2].

Ces éléments, liés au contexte de la demande, illustrent une situation où l’analyse des facteurs de pathogénicité identifiés permet de compléter l’évaluation du praticien et d’adapter les moyens de lutte à proposer en concertation avec l’éleveur. En effet, lorsque le caractère septicémique de la souche d’E. coli est avéré, il devient plus commode pour le praticien de convaincre l’éleveur de l’intérêt du traitement préconisé (antibiothérapie longue, immunothérapie, etc.).

Conclusion

La colibacillose du veau à E. coli F5 (K99), indûment qualifiée dans certaines régions de “septicémie”, est devenue anecdotique. Les colibacilloses septicémiques à point de départ digestif avec des localisations secondaires, le plus souvent pulmonaires, sont désormais régulièrement rencontrées en pathologie néonatale. En complément des aspects cliniques parfois évidents, les résultats du laboratoire peuvent orienter le praticien vers la confirmation du rôle avéré d’E. coli dans la symptomatologie : souche isolée sur les organes, présence de facteurs septicémiques, etc. La biologie moléculaire, par l’intermédiaire du typage des facteurs de pathogénicité, apporte des éléments tangibles sur lesquels le praticien peut s’appuyer pour compléter sa réflexion globale.

Dans certains cas, elle lui permet d’établir un lien entre le pouvoir pathogène potentiel, identifié par le résultat du laboratoire, et la clinique constatée sur le terrain.

Points forts

→ La biologie moléculaire permet de détecter le potentiel pathogène contenu dans le génotype d’Escherichia Coli.

→ Les souches pathogènes sont divisées en pathotypes diarrhéogènes et septicémiques, groupés en virotypes selon les gènes de virulence qu’ils possèdent.

→ Les principaux facteurs de virulence sont les adhésines, les gènes responsables du franchissement des muqueuses, ceux responsables de la résistance à la phagocytose et à l’activation du complément, et les toxines.

→ Les résultats obtenus sont à relier aux signes cliniques, en vérifiant si la souche isolée est porteuse de facteurs de virulence compatibles avec des diarrhées chroniques ou un potentiel septicémique.

Pathogenèse et facteurs de virulence recherchés

→ ETEC : entérotoxinogènes

Ces bactéries possèdent des adhésines fimbriaires (F41) qui permettent l’adhésion à des récepteurs spécifiques sur les cellules épithéliales de l’intestin. Cette colonisation bactérienne se retrouve principalement sur les muqueuses du jéjunum et/ou de l’iléon. La bactérie, une fois adhérée, produit des entérotoxines (LtI, LtII, Sta) qui provoquent la perte d’eau et d’électrolytes dans la lumière intestinale, à l’origine d’une déshydratation, d’une diminution du gain de poids et/ou de la mort de l’animal.

→ EHEC : entérohémorragiques

Ces bactéries sont capables de coloniser le tractus intestinal en se fixant aux cellules épithéliales grâce à des adhésines fimbriaires (EAE ou intimine). Cette colonisation bactérienne se retrouve principalement sur les muqueuses du jéjunum et/ou de l’iléon. La bactérie adhérée produit des toxines (Stx1, Stx2, HlyA, Ehx) qui sont transportées à travers les cellules épithéliales jusque dans la circulation sanguine. Ces toxines produisent des effets à distance dans les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins ou sur les hématies, à l’origine d’un œdème dans différents tissus, entraînant plusieurs symptômes tels que des diarrhées sanguinolentes, une ataxie, voire la mort de l’animal.

→ EPEC : entéropathogènes

La colonisation bactérienne, qui peut être localisée ou disséminée, est observée dans le petit et le gros intestins. Les bactéries développent leur récepteur spécifique qui est injecté dans la cellule épithéliale hôte par une seringue moléculaire. Une adhésine (EAE ou intimine) bactérienne produit ensuite un attachement intime entre la bactérie et les récepteurs de la cellule. Les signaux de la bactérie stimulent l’effacement des microvillis, ou de la bordure en brosse, et réorganisent le cytosquelette de la cellule. Les bactéries adhérées stimulent aussi la dégénération de la cellule épithéliale et l’infiltration de neutrophiles polymorphonucléaires (PMNs) dans la lamina propria. Ces changements cellulaires entraînent une diarrhée.

→ ExPEC : extra-intestinales

Les bactéries pathogènes qui contaminent l’environnement sont ingérées par les animaux sensibles et gagnent le tractus intestinal. Ces bactéries sont considérées comme des agents pathogènes opportunistes puisqu’elles font partie de la microflore normale et colonisent différentes surfaces muqueuses, dont celle du tractus intestinal, à l’aide d’adhésines fimbriaires et/ou afimbriaires (F17, Sfa, Pap, AfaVIII). Chez l’animal affaibli, notamment à la suite d’une infection virale, d’une ingestion de mycotoxines, ou chez le nouveau-né n’ayant pas reçu assez de colostrum, la bactérie peut traverser plus facilement la muqueuse jusqu’à la circulation sanguine. Ces bactéries internalisées ont la capacité de résister aux effets létaux du complément (TraT), et ainsi de persister et de se multiplier dans le système, et ce en partie grâce à la production d’aérobactine (IucD). La bactérie peut ensuite produire des toxines (CdtIII, CdtIV, CnfI, CnfII) qui endommagent les tissus ou provoquent des diarrhées. Lors d’infections localisées, une interaction avec les matrices extracellulaires est possible, pouvant entraîner une pneumonie, une méningite, une mammite ou des infections du tractus urinaire.

D’après [1, 4-8].

REMERCIEMENTS

au Dr Bertrand Roumegous de Bellenaves (Allier) pour sa confiance.

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