Conduite à tenir face à une suspicion de traumatisme de la vessie et de l’urètre - Le Point Vétérinaire n° 309 du 01/10/2010
Le Point Vétérinaire n° 309 du 01/10/2010

CHIRURGIE URINAIRE

Dossier

Auteur(s) : Jean-Guillaume Grand

Fonctions : Clinique vétérinaire de la Plage
1, promenade Pompidou
13008 Marseille

Le diagnostic d’atteinte traumatique des voies urinaires repose sur une suspicion clinique et doit être confirmé par des examens complémentaires.

Les traumatismes de l’appareil urinaire surviennent principalement à la suite d’accidents de la voie publique. Moins fréquemment, ils résultent de lithiases urinaires obstructives avec une nécrose pariétale (plutôt chez le chat), de plaies pénétrantes externes ou d’une origine iatrogène [1, 3, 6, 12]. Anatomiquement, ils concernent par ordre de fréquence décroissante : la vessie, l’urètre, les reins et les uretères [8, 12]. Chez le chien, la cause la plus fréquente est l’accident de la voie publique avec une atteinte préférentielle de l’urètre dans sa portion prostatique. Chez le chat, la lésion traumatique est le plus souvent secondaire à une obstruction urétrale ou à un sondage inadapté [1, 3]. En raison de signes cliniques parfois très frustes, le diagnostic est parfois difficile à établir et tardif.

ÉTAPE 1 : Suspecter une lésion des voies urinaires basses

1. Commémoratifs et examen clinique

Le diagnostic d’une atteinte traumatique des voies urinaires repose en premier lieu sur une suspicion clinique : commémoratifs d’accident de la voie publique, fractures du bassin, signes urinaires (hématurie, dysurie, absence de miction spontanée), œdème et contusions des tissus périnéaux ou scrotal, collection urineuse sous-cutanée, distension et douleur abdominales (photos 1 et 2).

2. Examens complémentaires de suspicion

Les anomalies dans la numération et la formule sanguines, ainsi que les profils biochimiques ou électrolytiques sériques sont le plus souvent non spécifiques. Toutefois, ils peuvent souligner la nécessité d’examens diagnostiques supplémentaires. L’élévation de l’urée, de la créatinine et/ou de la kaliémie chez un animal suspect de lésion des voies urinaires vient renforcer la suspicion clinique. Des valeurs d’urée et de créatinine normales n’excluent pas une lésion des voies urinaires (un délai de 3 jours en moyenne est nécessaire pour constater une augmentation de ces paramètres) et des valeurs élevées (hormis une augmentation sévère de la créatinine sanguine) ne sont pas toujours le témoin d’une lésion des voies urinaires (azotémie pré rénale liée à une déshydratation).

La présence de fractures pelviennes accompagnées radiographiquement d’un épanchement abdominal ou rétropéritonéal doit également laisser suspecter une rupture des voies urinaires. Un épanchement rétropéritonéal est compatible avec une rupture rénale ou urétérale [4, 8, 12, 14]. Il s’accompagne d’une perte de la visualisation du contour des reins et de la limite ventrale des muscles psoas (ventraux au rachis thoraco-lombaire) [12, 14]. Les critères radiologiques d’épanchement abdominal (accumulation de liquides avec perte de contraste abdominal) sont néanmoins tardifs.

3. Récolte et caractéristiques de l’urine

La récolte des urines s’effectue par miction ou cystocentèse, ou les deux. Des urines rouges prélevées par miction sont le témoin d’une lésion sur le trajet des voies urinaires. Des urines rouges prélevées par cystocentèse témoignent d’une lésion vésicale, urétérale ou rénale. Des urines rouges ou de couleur marron reflètent la présence de globules rouges, d’hémoglobine, de myoglobine ou de bilirubine. Le diagnostic d’hématurie est alors réalisé par l’observation d’hématies à l’analyse d’urine. Des urines de couleur normale n’excluent pas une rupture des voies urinaires.

4. Cathétérisme de la vessie

Le cathétérisme de la vessie est, en général, le témoin de l’intégrité, du moins en partie, de l’urètre. Le sondage urétral apparaît, en effet, toujours possible lors de lacérations partielles de l’urètre avec une continuité sur 30 à 50 % de sa circonférence [4, 12]. En cas de sondage vésical infructueux, une rupture urétrale totale est suspectée [4, 9, 14].

ÉTAPE 2 : Confirmer une lésion des voies urinaires basses

Les examens complémentaires sont essentiels pour confirmer une lésion des voies urinaires basses. Sont indiqués une échographie abdominale, des clichés radiographiques avec produit de contraste et un examen urétrocystoscopique. Moins fréquemment, un examen tomodensitométrique ou par résonance magnétique nucléaire peut compléter la démarche diagnostique.

1. Examen échographique abdominal

L’examen échographique abdominal est beaucoup plus sensible que la radiographie pour identifier des épanchements [7]. Sur un animal debout, il convient de rechercher l’épanchement autour de la vessie, en particulier le long de sa face ventrale, et en région péri-hépatique, autour de la vésicule biliaire. Sur un animal couché, les épanchements sont identifiés entre le rein droit et le processus caudé du lobe caudé du foie.

L’examen échographique sans produit de contraste présente une excellente sensibilité pour le diagnostic des affections urinaires, hormis dans le cas de rupture de la vessie [14]. Cette dernière peut être mise en évidence indirectement en injectant une solution saline isotonique sous contrôle échographique par une sonde urétrale préalablement placée dans la vessie. L’absence de distension de la vessie lors de l’injection oriente vers une rupture de la paroi vésicale.

Le liquide d’épanchement est prélevé par abdominocentèse (éventuellement sous contrôle échographique), analysé et mis en culture pour recherche de bactéries aérobies et anaérobies (photo 3). L’abdominocentèse peut être négative si la fuite est urétérale ou la collection urinaire rétropéritonéale. Le liquide obtenu est très souvent séro-hémorragique, et présente les caractéristiques d’un transsudat modifié (en début d’affection) ou, plus tardivement, d’un exsudat non septique (après 3 à 4 jours, à la suite du développement d’une péritonite chimique) [3, 7]. La confirmation d’un uropéritoine peut être obtenue en comparant les ratios créatinine épanchement/créatinine sanguine ou potassium épanchement/potassium sanguin. En moyenne, lors d’uropéritoine, ils sont respectivement supérieurs à 2 et à 1,9 [3].

2. Examen radiographique avec produit de contraste

Les clichés radiographiques avec injection de produit de contraste (urétrographie et cystographie rétrogrades) doivent toujours être réalisés après l’examen échographique. En effet, les contrastes iodés utilisés peuvent générer des artefacts rendant l’interprétation des images échographiques difficile.

URÉTROGRAPHIE RÉTROGRADE

Le matériel nécessaire à la réalisation d’une urétrographie rétrograde comprend une sonde urinaire pour un chien ou un chat mâle (ou une sonde de Foley pour une chienne) (photo 4).

Le cathéter est introduit par l’urètre distal. Pour prévenir le reflux du produit de contraste entre la paroi de l’urètre et la sonde, soit le pénis est occlus délicatement avec les doigts (ou à l’aide d’une pince hémostatique chez un animal anesthésié), soit le ballonnet de la sonde de Foley est gonflé pour les femelles ; 10 à 20 ml de contraste iodé positif (Lohexol®(1), Lopamiron®(1)) chez le chien et 5 à 10 ml chez le chat sont nécessaires. Les clichés radiographiques doivent être pris au moment de l’injection des derniers millilitres. Seule une vue de profil est habituellement réalisée. Les membres postérieurs sont tirés vers l’avant pour éviter la superposition des fémurs sur l’urètre chez le chien mâle. Si le cathétérisme de l’urètre chez la femelle est impossible, une vagino-urétrocystographie rétrograde peut être réalisée (photo 5). Dans ce dernier cas, les 10 à 20 ml de produit de contraste sont alors dilués avec une solution saline isotonique dans une seringue de 60 ml.

Lors de déchirure totale de l’urètre, le produit de contraste fuit dans les tissus péri-urétraux et ne dépasse pas le site du déficit urétral (photo 6) [2, 5, 13]. En cas de déchirure partielle, une partie de ce produit s’accumule, en général, dans le segment proximal de l’urètre (photo 7) [2, 5].

Les résultats de l’urétrographie doivent être interprétés avec précaution. Dans une étude chez 11 chats atteints d’une rupture urétrale traumatique, l’urétrographie rétrograde évoquait une déchirure totale dans 5 cas. Cependant, le cathétérisme de la vessie a été possible pour 4 d’entre eux, témoignant du maintien d’une continuité urétrale. Ainsi, l’urétrographie a permis un diagnostic de rupture partielle pour seulement 6 des 10 chats qui en présentaient réellement une [9]. Une rupture partielle peut apparaître complète en raison du spasme urétral ou d’un déficit urétral large, favorisant la diffusion du produit de contraste en région péri-urétrale. Le sondage vésical par voie urétrale présente donc une sensibilité plus importante que l’urétrographie rétrograde pour différencier une rupture partielle ou totale de l’urètre.

CYSTOGRAPHIE RÉTROGRADE

La cystographie rétrograde repose sur l’utilisation d’un agent iodé (cystographie positive), d’air (cystographie négative) ou les deux (cystographie à double contraste, idéale pour démontrer des atteintes de la paroi vésicale ou des défauts de remplissage) [11].

Pour la mise en évidence d’une rupture vésicale, la cystographie à contraste positif suffit. La vessie est préalablement vidangée puis remplie avec la solution de produit de contraste diluée jusqu’à obtenir une bonne distension (évaluation par palpation abdominale). Lors de rupture vésicale, le produit de contraste fuit dans la cavité abdominale (photo 8). Il apparaît difficile de différencier une rupture de la vessie de celle de l’urètre proximal [15].

3. Urétrocystoscopie

L’urétrocystoscopie présente un double avantage grâce à son effet grossissant et à sa source lumineuse puissante. Elle constitue, à l’heure actuelle, un examen complémentaire de choix en médecine humaine dans le diagnostic des affections du tractus urinaire (urolithiases, néoplasmes, traumatismes) alors qu’elle reste encore peu utilisée en médecine vétérinaire.

Elle est réalisée par voie transurétrale au moyen d’un endoscope flexible chez les chiens mâles (fibroscopes de 1,9 mm, 2,5/2,8 mm, 3 mm ou de 3,7 mm) et d’endoscopes rigides (arthroscopes de 2,7 mm ou de 1,9 mm à 0° ou 30°) chez les femelles et les chats mâles (tableau, photo 9) [10, 11].

Les principales limites de l’urétroscopie/cystoscopie sont liées au diamètre de l’urètre (impossibilité de pénétrer l’urètre) pour les chats et les chiens de race de petite taille, et à la longueur de l’urètre (exploration de l’urètre sans atteindre la vessie) pour les chiens de race de grande taille. La procédure se réalise sous anesthésie générale. L’injection de solution saline isotonique est maintenue jusqu’à l’entrée du cystoscope dans la vessie. La qualité des images obtenues permet de préciser le type (longitudinal, circonférentiel) et la sévérité des lésions urétrales (photo 10). La principale complication est la lacération partielle de l’urètre. Ces lésions cicatrisent néanmoins rapidement si la vessie est maintenue vide pendant 1 à 2 jours [11].

Conclusion

Le diagnostic d’atteinte traumatique des voies urinaires repose initialement sur une suspicion clinique et doit être confirmé par des examens complémentaires (examen échographique abdominal, clichés radiographiques avec produit de contraste et examen urétrocystoscopique). La détermination du site du traumatisme et son importance (rupture partielle versus totale) guident le clinicien dans sa démarche thérapeutique. Les innovations techniques et l’intérêt croissant des vétérinaires pour les procédures “minimalement invasives” devraient amener à une utilisation plus fréquente de la vidéo-endoscopie dans le diagnostic des lésions urétrales et vésicales.

(1) Médicament humain

Références

  • 1. Anderson RB, Aronson DE, Drobatz KJ et coll. Prognostic factors for successful outcome following urethral rupture in dogs and cats. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2006;42(2):136-146.
  • 2. Anson LW. Urethral trauma and principles of urethral surgery. Compend. Contin. Educ. Pract. Vet. 1987;9:981-988.
  • 3. Aumann M, Worth LT, Drobatz KJ. Uroperitoneum in cats 26 cases (1986-1995). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1998;34(4):315-324.
  • 4. Bjorling DE. The urethra. In : Slatter D. Textbook of Small Animal Surgery. 3rd ed. Elsevier Science, Philadelphia. 2003:1638-1651.
  • 5. Bonn TA, Van der Werken C. Urethral injuries revisted. Injury. 1996;27(8):533-538.
  • 6. Boothe HW. Managing traumatic urethral injuries. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2000;15(1):35-39.
  • 7. Kirby BM. Peritoneum and peritoneal cavity. In : Slatter D. Textbook of Small Animal Surgery. 3rd ed. Elsevier Science, Philadelphia. 2003:414-445.
  • 8. Kolata RJ, Johnston DE. Motor vehicle accidents in urban dogs : a study of 600 cases. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1975;167(10):938-941.
  • 9. Meige F, Saurrau, S, Autefage A. Management of traumatic urethral rupture in 11 cats using primary aligment with urethral catheter. Vet. Comp. Orthop. Traumatol . 2008;21(1):76-84.
  • 10. Rawlings CA. Endoscopic removal of urinary calculi. Compend. Contin. Educ. Pract. Vet. 2009;CompendiumVet.com
  • 11. Rawlings CA, Bjorling DE, Christie BA. Principles of urinary tract surgery. In : Slatter D. Textbook of Small Animal Surgery. 3rd ed. Elsevier Science, Philadelphia. 2003:1594-1560.
  • 12. Selcer BA. Urinary tract trauma associated with pelvic trauma. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1982;18:785-793.
  • 13. Ticer JW, Spencer CP, Ackerman N. Positive contrast retrograde uretrography : a useful procedure for evaluating urethral disorders in the dog. Vet. Radiol . 1980;21:2-11.
  • 14. Waldron DR. Urinary bladder. In : Slatter D. Textbook of Small Animal Surgery. 3rd ed. Elsevier Science, Philadelphia. 2003:1629-1637.
  • 15. Weaver RG, Schulte JW. Experimental and clinical studies of urethral regeneration. Surg. Gynecol. Obstet.1962;115:729-736.

REMERCIEMENTS

À Stéphane Bureau pour le prêt de ses photos.

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