Conduite à tenir face à la mortalité de lapins fermiers - Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010
Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Samuel Boucher

Fonctions : Labovet Conseil (Réseau Cristal), BP 539, 85505 Les Herbiers

Une démarche rigoureuse permet d’établir un diagnostic étiologique précis, si le propriétaire le souhaite. L’autopsie est indispensable, mais elle n’est qu’une étape.

Le lapin fermier, défini comme « celui qui est élevé de manière extensive par des particuliers en vue de concours de beauté et/ou de la consommation personnelle », fait souvent l’objet de questions en clientèle. Très souvent, pensant que la consultation va dépasser le prix de son animal, le propriétaire ne fait pas l’effort de l’apporter vivant au cabinet. En revanche, en cas de mortalité plus ou moins importante, le cuniculteur amateur attend du praticien qu’il établisse un diagnostic en vue de mettre en place un traitement et/ou une prophylaxie. Une démarche diagnostique rigoureuse est alors requise. Elle peut, selon la motivation de l’éleveur, aller jusqu’à la recherche de l’agent étiologique (figure 1) [2, 3, 9].

Étape 1 : examen externe du cadavre

L’examen externe du cadavre est un préalable nécessaire au diagnostic et permet de suivre une première piste [7, 10].

1. Âge de l’animal

L’examen externe permet de définir, dans un premier temps, l’âge approximatif du lapin. En effet, selon l’âge de l’animal, certaines maladies peuvent être ou non envisagées (tableau 1).

Si le lapin est jeune et a les yeux collés, il a moins de 13 jours. L’autopsie confirmera qu’il n’a que du lait dans l’estomac. Vers 17 jours, il sort du nid et sa mère le sèvre vers 28 à 30 jours. Il entame alors une délicate phase de croissance. Jusqu’à 13 semaines, il synthétise essentiellement des os puis du muscle, et s’engraisse ensuite jusqu’à atteindre sa taille adulte.

Un jeune adulte a les ongles courts, le poil luisant et mue facilement.

Un individu plus âgé a souvent des mues plus difficiles et plus longues, un poil plus terne, et des ongles longs, courbés ou coupés.

2. Lésions observables(1)

Tout indice lésionnel est ensuite recherché par observation et palpation du cadavre. Une météorisation évoque un cas de coccidiose, d’entéropathie épizootique du lapin (EEL) ou de maldigestion. Une diarrhée donne une indication sur d’éventuelles lésions attendues en fonction de ses caractéristiques (liquide, pâteuse, présence de méléna, de mucus, de poils mouillés ou secs). Des abcès sont recherchés essentiellement sur la croupe, sous le cou, sur les pattes, la face et les mamelles. Des croûtes peuvent recouvrir tout le corps, mais particulièrement les organes génitaux en cas de syphilis ou de myxomatose, et autour des mamelles dans la “maladie des boutons rouges” (forme atypique de myxomatose). Elles sont observées dans les cas de gale des oreilles (elles sont alors typiquement en feuillets dans le cornet auditif) ou de la peau. Certaines formes de pasteurelloses se manifestent par des othématomes terminant leur évolution par une croûte sur la surface du pavillon auriculaire dans son entier. Toute trace de jetage est recherchée, notamment sur les poils des membres antérieurs qui sont collés en cas d’écoulement chronique. Les yeux et les paupières sont examinés avec attention pour déceler une éventuelle trace d’ictère, de myxome ou de chassie (fréquente lors de staphylococcie du lapereau au nid).

Étape 2 : recueil des données d’élevage

La deuxième étape permet d’affiner le diagnostic, qui est déjà bien orienté par l’examen externe du cadavre. Il s’agit de recueillir tous les éléments liés aux conditions d’élevage et de prophylaxie.

1. Apparition de la mortalité

La rapidité d’apparition et d’évolution de la mortalité, ainsi que son taux sur une période donnée sont renseignés afin de déterminer si l’affection est aiguë ou chronique, et si son profil est épizootique. L’éleveur est questionné pour savoir si ses voisins, à sa connaissance, sont victimes de la même affection.

2. Alimentation

L’alimentation est particulièrement importante à considérer, notamment le type de nourriture distribué : granulés ou non, comme unique source de la ration ou bien avec du foin ou de la paille ajoutés, déchets ménagers issus du jardin, herbes diverses. Certaines affections se transmettent par voie orale via l’alimentation (maladie hémorragique virale ou VHD, coccidiose, oxyuridose, cysticercose, etc.) et des intoxications par des herbes sauvages ne sont pas rares (mouron rouge par exemple). D’autres maladies surviennent à la suite d’un dérèglement alimentaire, notamment dans les phases délicates du sevrage et de la croissance. L’éleveur est interrogé sur l’existence d’un rationnement et sa pratique. Le lapin prend naturellement 30 à 40 repas par jour, mais certaines techniques de rationnement l’empêchent de s’alimenter une partie de la journée, pour prévenir des fermentations cæcales trop importantes.

3. Conditions de vie

La ventilation, l’hygrométrie et la température sont à préciser pour un élevage en bâtiment, ou bien l’orientation des clapiers, leur protection du vent et du soleil, l’écart de température entre le jour et la nuit, l’existence d’une boîte à nid, etc. La température de neutralité thermique du lapin se situe entre 16 °C et 24 °C. Au-delà et en deçà, l’animal dépense de l’énergie pour se refroidir ou se réchauffer. Par ailleurs, une hygrométrie comprise entre 60 et 80 % est satisfaisante. Cela est à mettre en relation avec les vitesses de l’air et la température des animaux, et reste vain en clapier de plein air.

4. Prophylaxie

La prophylaxie vaccinale (myxomatose et VHD essentiellement) est vérifiée. Il est, en effet, très fréquent que le protocole soit mal suivi (voire mal établi, un voisin étant parfois à l’origine de la “prescription”). La vermifugation est contrôlée (contre les oxyuridoses notamment) [5]. L’éleveur peut être interrogé sur les traitements anticoccidiens administrés, ceux-ci n’étant pas toujours indispensables. Il convient alors de déterminer si la bonne dose est administrée aux bons animaux (les adultes n’expriment pas de coccidiose clinique) et au bon moment (cela n’a pas d’intérêt avant 28 jours).

5. Contacts avec d’autres animaux

Enfin, il convient de rechercher si d’autres animaux sont en contact direct avec les lapins. Les rongeurs transmettent en effet toutes sortes de parasites (teigne par exemple), mais aussi des bactéries (salmonelles par exemple) [6, 10, 11, 16]. Les chiens sont vecteurs d’œufs de Tænia dont la forme larvaire (Cysticercus pisiformis) se développe chez le lapin.

Étape 3 : autopsie pour confirmer la suspicion

Les deux premières étapes ont conduit le praticien à suspecter fortement une maladie donnée. Il s’agit ensuite de confirmer les doutes. Pour cela, l’autopsie est une démarche indispensable. Elle doit être menée méthodiquement sans oublier de mettre en évidence un seul organe [7]. Le diagnostic est orienté vers les maladies le plus fréquemment rencontrées selon les lésions observées, organe par organe(2).

L’animal est placé sur le dos, les pattes avant et arrière écartées (tenues par un aide ou attachées). Une incision de la peau est ensuite pratiquée depuis le menton jusqu’à l’anus en ligne droite. Elle est complétée par deux ouvertures partant du milieu du thorax vers l’extrémité des membres antérieurs et du milieu de l’abdomen vers l’extrémité des membres postérieurs (figure 2). La peau est décollée. Les chaînes mammaires sont observées à ce moment-là. Ensuite, les muscles sont incisés sur la ligne blanche depuis l’ombilic jusqu’au sternum, puis les dernières côtes sont contournées (figure 3). Les organes abdominaux sont ainsi mis en évidence. Enfin, les côtes sont incisées de chaque côté du thorax, de même que le diaphragme le long des côtes, et le plastron costal est soulevé, ce qui dégage les muscles jusqu’au larynx. Les organes de la cavité thoracique et la trachée sont alors extériorisés (photo 1).

Dans la cage thoracique, le cœur, les artères et les veines partant du cœur, les poumons, la trachée-artère, les bronches et le diaphragme sont observés attentivement. Dans l’abdomen, l’attention est portée sur le foie, l’estomac, la rate, l’intestin grêle, le cæcum et le côlon (photo 2).

Étape 4 : examens complémentaires

L’autopsie à elle seule permet parfois d’établir le diagnostic. C’est notamment le cas lors de parésie cæcale ou de syndrome EEL. En revanche, pour bon nombre de lésions, il est nécessaire, si le propriétaire est motivé, de pratiquer un examen complémentaire (tableau 2) [3, 8, 9].

1. Virus

En cas de suspicion de VHD, il est impossible d’établir un diagnostic de certitude à l’autopsie car une pasteurellose suraiguë entraîne un tableau lésionnel identique. Le diagnostic peut être confirmé par recherche du virus, soit à l’aide d’un test Elisa sandwich antigène, soit par RT-PCR (real time polymerase chain reaction). Le diagnostic de myxomatose, autre maladie virale fréquente, est confirmé par l’examen histologique. Ce dernier oriente le praticien notamment sur la forme de myxomatose et permet de faire le diagnostic différentiel avec la syphilis.

2. Bactéries

L’examen bactériologique est fréquemment utilisé pour obtenir un antibiogramme (photos 3 et 4). Pour les pasteurelles, l’enzyme ornitine décarboxylase est recherchée : c’est un marqueur de virulence qui permet de ne pas traiter une pasteurelle commensale. Pour les staphylocoques, seul S. aureus est pathogène. Grâce à la PCR multiplex(3), l’agent pathogène isolé peut désormais être classé ou non parmi les souches hypervirulentes. Les nombreuses résistances de cette bactérie imposent un antibiogramme, ainsi que pour les klebsielles ou les salmonelles. Pour les colibacilles, il convient de réaliser une numération et de déterminer au moins le sérotype pathogène (O103, O15, O109). Des tests biochimiques (utilisation du rhamnose) permettent de distinguer un sérotype O103 pathogène d’un autre. Le caractère attachant effaçant de la bactérie peut aussi être recherché par PCR ou histologie [1, 10, 18].

3. Parasites

Un examen direct des ectoparasites à la loupe ou au microscope permet la diagnose (encadré) [3, 4, 9, 17]. Les teignes sont cultivées puis identifiées et, enfin, une coprologie détermine quels sont les endoparasites potentiels possibles [12, 13, 15, 19].

Il convient de compter les coccidies intestinales (Eimeria). Si le seuil de 5 000 ookystes par gramme de contenu digestif est dépassé, leur identification après sporulation est requise car certains ne sont pas pathogènes, alors que d’autres le sont beaucoup (tableau 3) [14].

Établir un diagnostic en cas de mortalité chez le lapin n’est pas très difficile à condition de « dérouler » une démarche diagnostique méthodique et rigoureuse. Si l’autopsie est au centre de ce dispositif, l’examen attentif du cadavre et le recueil des commémoratifs sont essentiels. L’établissement du diagnostic étiologique requiert souvent un examen complémentaire.

  • (1) Voir l’article « Origines possibles de la mortalité selon les lésions observées » du même auteur, dans ce numéro.

  • (2) Voir l’article « Origines possibles de la mortalité selon les lésions observées » du même auteur, dans ce numéro.

  • (3) La PCR multiplex recherche plusieurs gènes en même temps.

Références

  • 1 – Boucher S. La klebsiellose chez le lapin de compagnie. La Lettre de la CNVSPA. 1998; 5: 81.
  • 2 – Boucher S. Diagnostic et traitement des parasitoses digestives des lagomorphes et rongeurs de compagnie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1999; 33: 3-316.
  • 3 – Boucher S. Les parasites de la peau et des poils des lapins de concours. FFC éd. Paris. FFC Infos. 2000; 199.
  • 4 – Boucher S. Pathologie cutanee nel coniglio da compagnia. Summa, Piccoli animali. 2000; 9: 63-65.
  • 5 – Boucher S. L’oxyuridose du lapin. Éleveur de lapins. Éd. du Boisbaudry. 2005.
  • 6 – Boucher S. Salmonelloses dans un groupe de lapins de compagnie. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2005; 40: 43-46
  • 7 – Boucher S. L’autopsie du lapin : geste technique. Bull. GTV. 2008; 47: 101-104.
  • 8 – Boucher S. Le diagnostic se confirme au laboratoire. Éleveur de lapins. Éd. du Boisbaudry. 2008.
  • 9 – Boucher S, Bulliot C, Doumerc G et coll. Examens complémentaires chez les NAC. Éd. du Point Vétérinaire Rueil-Malmaison. 2009: 343p.
  • 10 – Boucher S, Nouaille L. Manuel pratique des maladies des lapins, France Agricole, 2e éd. 2002: 272p.
  • 11 – Bussieras F. Les teignes du lapin, étude épidémiologique en France. Thèse de doctorat vétérinaire, Toulouse. 1989: 89.
  • 12 – Bussieras J, Chermette R. Parasitologie vétérinaire : helminthologie. Rosset éd., Paris. 1988.
  • 13 – Bussieras J, Chermette R. Parasitologie vétérinaire : protozoologie. Rosset éd., Paris. 1992.
  • 14 – Coudert P, Licois D, Drouet Viard F. Guidelines on techniques in coccidiosis research Cost “Eimeria species and strains of rabbits”. 1995; 89(820): 52-73.
  • 15 – Dawn GO. Parasites of laboratory animals. Royal Society of Medecine Services, Londres. 1992.
  • 16 – Euzeby J. Les parasites agents de dermatoses humaines d’origine zoonosique et leur rôle pathogène : étiologie, épidémiologie, caractères cliniques, contrôle. 1999: 304p.
  • 17 – Haffar A, Chermette R. Les affections du pelage et de la peau chez le lapin domestique. Dans : Brugere-Picoux J. Pathologie du lapin et des rongeurs domestiques. 2e éd. Maisons-Alfort. 1995: 265p.
  • 18 – Le Minor L, Richard C. Méthodes de laboratoire pour l’identification des entérobactéries. Éd. Institut Pasteur. 1993: 84-89.
  • 19 – Van Custem J, Rochette F. Mycoses des animaux domestiques. Ed. Janssen Research Foundation. 1992: 7-43.

Encadré : Localisation des parasites visibles à l’œil nu

• Oxyuridose : cæcum.

• Graphidose : estomac.

• Cysticercose : mésentère, foie.

• Gales : oreilles, peau.

• Cheyletiellose : dos.

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