Insulinome et déficit nerveux chez une chienne - Le Point Vétérinaire n° 294 du 01/04/2009
Le Point Vétérinaire n° 294 du 01/04/2009

Endocrinologie canine

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Marc Dhumeaux*, Philippe Haudiquet**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
35, avenue Patton
49000 Angers
**Clinique vétérinaire
35, avenue Patton
49000 Angers

Un diagnostic de polyneuropathie périphérique associée à un insulinome pancréatique est établi chez une chienne. Un traitement chirurgical de la tumeur sécrétante est instauré.

Une chienne setter anglais âgée de 11 ans et pesant 16 kg est présentée en consultation pour une léthargie et une anorexie qui datent de quelques jours et des troubles locomoteurs apparus la veille. Aucun antécédent médical marquant n’est relaté. L’animal est correctement vacciné et des traitements contre les parasites internes et externes lui sont régulièrement administrés.

Cas clinique

1. Examen clinique

À l’examen clinique, la chienne est abattue. Sa température rectale est de 37,8 °C. Sa fréquence cardiaque est de 100 battements par minute et aucune anomalie n’est décelable à l’auscultation cardiorespiratoire. L’animal n’est pas déshydraté et le temps de remplissage capillaire est normal. Il est maigre (état corporel évalué à 2/9) et une amyotrophie des muscles des membres et de la face est observée (photo 1). La chienne est incapable de se tenir debout ou de se déplacer sans soutien. Un déficit proprioceptif et une hyporéflexie sont mis en évidence sur les quatre membres. Des trémulations des muscles des membres et de la face sont observées. Une paralysie des muscles du côté droit de la face est notée à l’examen des nerfs crâniens, faisant suspecter un déficit fonctionnel homo-latéral du nerf facial. Les autres nerfs crâniens ne présentent pas d’anomalies. L’examen neurologique est en faveur d’une polyneuropathie périphérique. À ce stade, le diagnostic différentiel inclut des troubles endocriniens (hypothyroïdie, hypocorticisme, hypoglycémie induite par une tumeur insulinosécrétante), un syndrome paranéoplasique ou une polyradiculonévrite auto-immune.

2. Examens complémentaires

Examens sanguins

• Le bilan biochimique révèle une hypoglycémie à 0,38 g/l. Tous les autres paramètres (albumine, protéines totales, alanine aminotransférase, phosphatases alcalines, amylase, lipase, créatinine, urée, calcium, phosphore, sodium, potassium, chlorure) sont dans les valeurs usuelles.

• La numération et la formule sanguines mettent en évidence une hyperleucocytose (17 400 leucocytes/µl), avec une monocytose, une neutrophilie et une lymphopénie. L’hémoglobinémie et la numération plaquettaire sont dans les valeurs normales.

• Trois mesures de l’insulinémie associées à celles de la glycémie, à jeun, à 2 heures d’intervalle sont réalisées. À trois reprises, une hyperinsulinémie est détectée, respectivement à 48, à 53 et à 102 µU/ml (la valeur normale est inférieure à 20 µU/ml chez un chien à jeun), associée à des valeurs de la glycémie toujours inférieures à 0,6 g/l.

Imagerie médicale

• Un examen échographique de l’abdomen ne révèle aucune anomalie de la région pancréatique et des structures avoisinantes.

• Des clichés radiographiques du thorax, de face et des deux profils, ne montrent aucune anomalie.

3. Diagnostic

La mise en évidence d’une hyperinsulinémie concomitante d’une glycémie inférieure à 0,6 g/l sur troiséchantillons de sang prélevés chez l’animal à jeun permet d’établir le diagnostic d’insulinome.

La polyneuropathie périphérique pourrait être un symptôme paranéoplasique de l’insulinome.

La décision est prise d’une exploration chirurgicale de la cavité abdominale à la recherche d’un insulinome pancréatique et d’une exérèse, si possible, de la tumeur.

4. Traitement

Réanimation

Après 3 jours d’hospitalisation pendant lesquels sont instaurées une fluidothérapie à l’aide de lactate de Ringer à un débit d’entretien (60 ml/kg/24 h), une réalimentation à base de Fortol® (550 kcal/j en six repas) et une corticothérapie à l’aide de dexaméthasone (Dexadreson®) à la dose de 0,1 mg/kg/j par voie intraveineuse, l’animal est anesthésié et préparé pour l’intervention.

Protocole anesthésique

Une prémédication est réalisée à l’aide d’acépromazine (Calmivet®) à la dose de 0,05 mg/kg et de chlorhydrate de morphine (Morphine Cooper®(1)) à la dose de 0,2 mg/kg par voie sous-cutanée. Une antibioprophylaxie à base de céfalexine (Rilexine®) est mise en place à la dose de 20 mg/kg par voie intraveineuse. Trente minutes plus tard, l’induction est réalisée à l’aide de thiopental (Nesdonal®) à la dose de 10 mg/kg par voie intraveineuse. L’animal est intubé et un relais anesthésique gazeux est réalisé à l’aide d’un mélange d’oxygène et d’isoflurane (Forène®(2)).

Protocole opératoire

Une laparotomie médiale est effectuée. Une masse de 1,5 cm de diamètre est présente dans la partie centrale du pancréas (photo 2). Elle est réséquée et envoyée au laboratoire pour analyse histopathologique (photos 3 et 4). L’exérèse nécessite la section de l’artère pancréatico-duodénale. Une anastomose artérielle termino-terminale est requise afin de maintenir la vascularisation du pancréas. Une autre masse de 0,5 cm de diamètre présente dans un lobe hépatique est également réséquée et analysée.

L’analyse histologique confirme la présence d’un insulinome et le fait que la masse hépatique est une métastase de la tumeur pancréatique (photo 5).

Lors de la même anesthésie, une biopsie du muscle gastrocnémien est également réalisée et envoyée au laboratoire dans du formol pour analyse histo-pathologique. Elle met en évidence des lésions d’atrophie et de nécrose musculaires, et renforce le diagnostic de polyneuropathie périphérique avec une dégénérescence musculaire consécutive (photo 6).

5. Évolution postopératoire

• Après l’intervention, de la dexaméthasone (Dexadreson®) est administrée quotidiennement à la dose de 0,1 mg/kg par voie intraveineuse.

Les valeurs de la glycémie à jeun dans les jours qui suivent l’opération restent basses, en général inférieures à 0,6 g/l.

La polyneuropathie périphérique n’a pas évolué. La chienne présente quelques mouvements volontaires des membres, mais elle est incapable de se tenir debout et de se déplacer seule. Les trémulations des muscles de la face sont toujours présentes. Les mouvements de la tête et du cou, eux, sont normaux. Les continences urinaire et fécale sont conservées. À l’examen des nerfs crâniens, le déficit fonctionnel du nerf facial est toujours présent du côté droit. Des séances de rééducation biquotidiennes comprenant une mise en position debout, une marche avec soutien et des mouvements de flexion-extension des quatre membres sont instaurées.

Dans les jours qui ont suivi l’opération, la chienne est moins léthargique et a recouvré de l’appétit.

• Devant l’absence d’amélioration des valeurs de la glycémie malgré l’exérèse de la tumeur pancréatique, quatre nouvelles mesures de l’insulinémie à jeun à 2 heures d’intervalle chacune, associées à celles de la glycémie sont effectuées 9 jours après l’intervention. Des résultats de 43, 33, 20 et 23 µU/ml avec des valeurs de la glygémie systématiquement inférieures à 0,6 g/l révèlent la persistance de tissu insulinosécrétant dans l’organisme. Une nouvelle échographie abdominale met en évidence un nodule hypoéchogene de 0,76 cm de diamètre dans le lobe hépatique latéral gauche, évocateur d’une métastase hépatique de l’insulinome pancréatique (photo 7). Les propriétaires refusent toute autre exploration chirurgicale car la présence de métastases disséminées est fort probable.

• Dix-sept jours après l’intervention, l’état de la chienne se dégrade rapidement. Elle est tachycarde et son temps de remplissage capillaire est augmenté (3 secondes). En revanche, la fréquence respiratoire et l’état d’hydratation sont normaux. Une numération et une formule sanguines révèlent une hyperleucocytose (91 800 leucocytes/µl). Un traitement de l’état de choc est mis en place. Le lendemain, l’état clinique de l’animal est meilleur, mais les propriétaires décident son euthanasie. L’autopsie n’a pas été acceptée.

Discussion

1. Étiologie et physiopathologie

L’insulinome pancréatique est une tumeur maligne qui atteint les cellules Β des îlots de Langerhans, responsables de la sécrétion d’insuline dans le pancréas endocrine. Les cellules tumorales ont la capacité de sécréter de l’insuline, y compris lorsque la glycémie est basse (inférieure à 0,6/0,7 g/l). L’absence de synthèse et de sécrétion de l’insuline étant le principal moyen de régulation de la glycémie lors de phases de jeûne, l’animal atteint est sujet à un état d’hypoglycémie chronique et, éventuellement, à des crises d’hypoglycémie. C’est le tableau clinique que la chienne présente dans le cas décrit.

2. Diagnostic

Signes cliniques

L’hypoglycémie explique la majorité des signes cliniques présentés par un chien atteint d’un insulinome pancréatique [8]. Les principaux symptômes rapportés en cas d’insulinome sont une léthargie, des crises convulsives, une faiblesse, des fasciculations musculaires et une ataxie [8]. À la consultation initiale, la chienne du cas décrit présente tous ces signes. L’insulinome touchant principalement des chiens âgés (en moyenne 10 ans), les propriétaires peuvent attribuer ces signes au vieillissement de l’animal [8]. Cela peut retarder la prise en charge de la maladie. La maigreur constatée n’est pas un signe courant lors d’insulinome peu ou pas métastasé. Il est difficile de savoir si la chienne a réellement perdu de la masse graisseuse, car elle n’a jamais été grasse. En revanche, l’amyotrophie généralisée pourrait être la conséquence de la polyneuropathie périphérique.

Examens biochimiques

Le diagnostic définitif de l’insulinome repose sur la découverte, à l’examen biochimique sanguin, d’une glycémie à jeun inférieure à 0,6 g/l associée à une insulinémie supérieure à 20 µU/ml [8]. L’analyse de plusieurs échantillons prélevés à quelques heures d’intervalle chez un animal à jeun augmente la probabilité de constater une glycémie basse (inférieure à 0,6 g/l) associée à une insulinémie anormalement haute. Cependant, lors de suspicion d’insulinome, le constat, sur un seul échantillon, d’une hypoglycémie accompagnée d’une insulinémie inappropriée permet de poser le diagnostic avec certitude.

Dans le cas décrit, lors des deux séries de mesures réalisées respectivement 3 jours avant et 9 jours après l’intervention chirurgicale, la présence de tissu insulinosécrétant a été confirmée. Le seuil de la glycémie choisi est justifié par le fait que la sécrétion d’insuline est normalement inhibée chez un chien sain pour une valeur de la glycémie inférieure à 0,6 g/l [8].

Échographie abdominale

L’échographie abdominale n’est pas un examen sensible pour la détection d’un insulinome. Dans une étude réalisée chez 44 chiens atteints d’insulinome, l’échographie ne permet de révéler la présence d’une tumeur pancréatique que chez 14 d’entre eux (32 %) [8]. Un autre essai, incluant 16 chiens atteints de tumeurs pancréatiques diverses dont 13 sont des insulinomes, détermine une sensibilité de 75 % pour cet examen complémentaire [13]. Sa sensibilité pour la détection des métastases est de 55 % [13]. Cependant, cet examen ne doit pas être exclu car il participe au bilan d’extension du processus néoplasique. Les insulinomes sont des tumeurs malignes qui métastasent dans environ 50 % des cas [1]. Les principales localisations des métastases sont le foie, l’omentum péripancréatique et les nœuds lymphatiques régionaux (nœuds lymphatiques duodénaux, mésentériques, hépatiques et spléniques) [8]. Pour le cas exposé, aucune tumeur n’a été détectée à l’échographie abdominale réalisée avant l’opération, mais, lors de l’intervention, une tumeur de 1,5 cm de diamètre a été décelée dans le corps du pancréas et une autre de 0,5 cm de diamètre dans le foie. Cela peut s’expliquer par le fait que toutes les zones du pancréas ne sont pas toujours accessibles à l’échographie, la présence de gaz dans l’estomac, le duodénum, le côlon ou le jéjunum pouvant gêner leur visualisation. Lors de l’examen échographique réalisé 9 jours après l’intervention, un nodule hypoéchogène a été retrouvé dans le foie, correspondant probablement à une métastase de l’insulinome pancréatique, non détectée lors de l’intervention chirurgicale.

Radiographies thoraciques

L’insulinome, contrairement à de nombreuses tumeurs, ne métastase en général pas dans les poumons. Des radiographies thoraciques ont cependant été effectuées chez la chienne avant l’obtention des résultats de laboratoire qui ont permis d’établir le diagnostic avec certitude. De nombreux cancers, en particulier lors de forme généralisée, peuvent induire une hypoglycémie sévère et être à l’origine de métastases radiovisibles dans le thorax.

3. Traitement

Deux options thérapeutiques sont envisageables lors d’insulinome pancréatique : un traitement médical ou un traitement chirurgical. Ce dernier devrait être entrepris seulement en cas d’insulinome non métastasé, au regard des résultats des examens complémentaires réalisés pour le bilan d’extension. Dans le cas décrit, le diagnostic de certitude a été établi par la mise en évidence d’une hypoglycémie associée à une valeur inappropriée de l’insulinémie.

Le bilan d’extension a comporté seulement une échographie abdominale lors de laquelle aucune tumeur n’a été détectée.

En médecine humaine, le scanner abdominal est l’examen le plus utilisé pour le diagnostic des tumeurs du pancréas. Sa sensibilité pour la détection de l’insulinome chez le chien n’est pas encore déterminée [11]. La scintigraphie des récepteurs de la somatostatine est également utile pour la détection des insulinomes et de leurs métastases [10, 14, 16]. Un scanner abdominal et un examen scintigraphique n’ayant pas été acceptés par les propriétaires, une exploration chirurgicale a été planifiée.

Traitement chirurgical

Le traitement chirurgical consiste en l’exérèse de la tumeur pancréatique et des éventuelles métastases, si celles-ci sont découvertes lors de l’intervention. Dans une étude portant sur 78 chiens atteints, la tumeur était localisée dans le lobe gauche du pancréas dans 42 % des cas, dans le lobe droit dans 41 % des cas et dans la région centrale du pancréas dans 17 % des cas [8].

En général, les tumeurs localisées dans le lobe droit ou gauche du pancréas sont facilement résécables. En revanche, celles qui sont situées dans la région centrale de la glande sont souvent intimement liées à la vascularisation et aux canaux pancréatiques, rendant leur résection délicate et induisant un risque de complications postopératoires plus élevé. Dans le cas décrit, l’insulinome a été retrouvé dans la région centrale du pancréas ; l’artère pancréatico-duodénale a dû être sectionnée pendant la dissection et une anastomose artérielle termino-terminale a été réalisée.

Lorsque l’exérèse de la tumeur pancréatique est impossible ou que des métastases sont identifiées, un traitement médical destiné à maintenir la glycémie dans des valeurs normales peut être instauré. Dans certains cas, un contrôle efficace de la maladie pendant plusieurs mois est alors observé [8].

Traitement médical

Le traitement médical doit être réservé aux animaux dont les tumeurs sont non résécables ou pour lesquels les propriétaires refusent l’intervention chirurgicale.

• Afin de prévenir une sécrétion postprandiale massive d’insuline par les cellules tumorales, il est recommandé d’administrer plusieurs petits repas par jour, en prenant soin de limiter au minimum la quantité de sucres simples dans la ration [8]. Dans le cas décrit, six repas par jour de 92 kcal chacun ont été distribués au cours de l’hospitalisation, en se fondant sur le calcul du besoin énergétique quotidien de base pour un chien de 16 kg (besoin énergétique quotidien [en kcal] = 30 x poids vif + 70).

• L’administration de glucocorticoïdes (dexaméthasone à la dose de 0,1 mg/kg/j ou prednisone à celle de 0,5 mg/kg/j) permet de contrebalancer l’effet hypoglycémiant de l’insuline par la stimulation de la glycogénolyse hépatique [8].

• La streptozocine(3) semble être le médicament de choix pour une chimiothérapie lors d’insulinome. Cependant, son administration peut entraîner une nécrose du tube contourné proximal des néphrons et une insuffisance rénale aiguë. Un protocole d’administration de 500 mg/m2 de streptozocine(3) sur 2 heures diluée dans un volume approprié d’une solution de chlorure de sodium à 0,9 % à un débit de 18,3 mg/kg/h, précédé et suivi d’une administration de chlorure de sodium à 0,9 % au même débit pendant 3 et 2 heures, respectivement, paraît prévenir cet effet secondaire. Ce protocole doit être répété toutes les 3 semaines afin de limiter la croissance tumorale [15]. Dans le cas décrit, ce traitement n’a pas été administré à l’animal dans la période postopératoire immédiate, mais il aurait été également une option de gestion à long terme de l’endocrinopathie.

4. Pronostic

D’une manière générale, le pronostic vital des chiens atteints d’un insulinome est réservé à sombre. Une étude réalisée chez 39 animaux a rapporté une médiane d’espérance de vie de 74 jours (de 8 à 508 jours) pour les chiens traités à l’aide de prednisone et d’un régime alimentaire adapté, et une médiane d’espérance de vie de 381 jours (de 20 à 1 758 jours) pour ceux qui ont subi une exérèse de la tumeur pancréatique [20]. L’intervention chirurgicale semble donc être le traitement de choix de l’insulinome. Dans un autre essai où 52 chiens ont été opérés, la médiane d’espérance de vie a été d’environ 18 mois lors d’insulinome non métastasé et de 7 à 9 mois en présence de métastases [5].

5. Polyneuropathie périphérique

Une polyneuropathie périphérique est une affection des nerfs périphériques pouvant conduire à des troubles nerveux sensitifs et/ou moteurs [7]. De nombreux cas de polyneuropathie associée à une endocrinopathie (hypothyroïdie, hypercorticisme, diabète sucré) sont décrits chez le chien, mais seulement 11 cas de polyneuropathie périphérique associée à un insulinome ont été rapportés à ce jour dans cette espèce (tableau complémentaire sur www.WK-Vet.fr) [2, 4, 6, 9, 12, 17, 18, 19, 21].

Signes cliniques

Les signes nerveux rapportés lors de polyneuropathie périphérique associée à un insulinome sont une faiblesse musculaire, une parésie avec une incapacité de se déplacer ou de se tenir debout, un déficit proprioceptif, une hyporéflexie des nerfs spinaux, une paralysie des muscles de la face et une atrophie musculaire consécutive à la polyneuropathie [18]. Dans le cas décrit, la chienne est tétraparétique, incapable de se tenir debout et de se déplacer sans soutien, et présente une paralysie faciale du côté droit et une atrophie des muscles des membres et de la face.

Physiopathologie

La physiopathologie de ce trouble n’est pas connue. Trois hypothèses sont formulées pour expliquer la survenue de cette atteinte nerveuse :

- une anomalie du métabolisme des cellules nerveuses due à l’hypoglycémie chronique pourrait entraîner des lésions des neurones ;

- des substances toxiques directement produites par la tumeur pourraient affecter les nerfs périphériques ;

- des similitudes entre des antigènes tumoraux et ceux des cellules nerveuses pourraient induire une réponse immunitaire contre les cellules des nerfs périphériques [8]. En faveur de cette dernière hypothèse, une rémission complète des signes nerveux après 3 mois de traitement à base de prednisolone à la dose de 1 mg/kg/j a pu être obtenue dans un cas de polyneuropathie périphérique associée à un insulinome [21]. Cependant, cela n’est pas confirmé pour notre cas.

Diagnostic

Une forte suspicion de polyneuropathie périphérique est obtenue par l’examen neurologique. La confirmation du diagnostic peut s’effectuer à l’aide d’un examen électromyographique. Ce dernier n’a pas été réalisé dans le cas décrit pour des raisons techniques. Une autre méthode de confirmation du diagnostic est la réalisation de biopsies musculaires et nerveuses. Les nerfs fibulaire, ulnaire et tibial sont à privilégier, car ce sont les plus faciles à localiser pour le prélèvement. Le choix du muscle à prélever dépend de la localisation de la polyneuropathie. En général, les biopsies sont mises en œuvre sur les muscles des membres (muscle gastrocnémien ou triceps brachial) et révèlent des lésions d’atrophie musculaire consécutives à la polyneuropathie périphérique [3]. Dans le cas décrit, une biopsie du muscle gastrocnémien a été pratiquée et l’analyse histopathologique a mis en évidence ce type de lésion, renforçant le diagnostic de polyneuropathie périphérique. L’examen histopathologique a été réalisé sur un échantillon formolé. Idéalement, il aurait dû l’être sur un échantillon frais afin d’apporter plus d’informations. Aucune explication n’a pu être fournie chez la chienne du cas décrit sur la présence de foyers de nécrose musculaire. Aucune biopsie nerveuse n’a été pratiquée car cet acte peut entraîner un trouble neurologique irrémédiable pour l’animal.

Dans le cas décrit, il est impossible d’affirmer que la polyneuropathie périphérique est consécutive à l’insulinome. Pour l’affirmer, et ainsi prouver son caractère paranéoplasique, une régression, voire une rémission des signes nerveux après l’exérèse de la tumeur aurait dû être constatée. Comme il s’agissait d’une tumeur métastasée, cela ne pouvait se produire. D’autres types de polyneuropathies sont donc à envisager, comme une polyneuropathie périphérique liée à une hypothyroïdie ou une polyneuropahie périphérique idiopathique.

Traitement

Deux options sont envisageables pour le traitement de la polyneuropathie périphérique : la résection chirurgicale de tous les tissus insulinosécrétants ou un traitement médical à base de corticostéroïdes. Un chien traité uniquement par l’exérèse chirurgicale de la tumeur pancréatique a présenté une rémission complète des signes cliniques trois mois après l’intervention. Aucune métastase n’a été découverte [12]. Dans un autre cas, la résection de la masse pancréatique et des nœuds lymphatiques atteints n’a été suivie d’aucune régression des signes nerveux [2]. Dans le cas décrit, l’exérèse de l’insulinome pancréatique n’a été suivie d’aucune régression des signes nerveux, mais du tissu insulino-sécrétant était toujours présent dans l’organisme. Ainsi, la rémission des signes nerveux pourrait être obtenue après exérèse tumorale uniquement lorsque tout le tissu insulinosécrétant est extrait, tâche difficilement réalisable en présence de métastases.

Un traitement purement médical d’une polyneuropathie associée à un insulinome a permis une rémission des signes nerveux en 3 mois dans un cas [21]. Il a consisté en l’administration de prednisolone à la dose de 1 mg/kg/j pendant 10 jours, puis de 1 mg/kg un jour sur deux durant toute la vie de l’animal. Pour notre chienne, de la dexaméthasone à la dose de 0,1 mg/kg/j a été administrée en complément de la procédure chirurgicale. Ce traitement n’a pas eu pour effet une régression des signes de polyneuropathie.

Pronostic

Le pronostic de la récupération d’une fonction motrice normale est sombre et dépend du traitement instauré. Sur les 11 cas décrits jusqu’à présent, seulement 2 animaux ont guéri de leur polyneuropathie. L’un a subi une résection chirurgicale d’un insulinome non métastasé, l’autre a bénéficié d’un traitement médical à base de corticostéroïdes [12, 21]. Cependant, 7 des 11 chiens ont été euthanasiés au moment du diagnostic clinique ou lors d’une laparotomie exploratrice, avant même d’avoir été traité [2, 4, 17, 18, 19].

Chez le chien, l’insulinome est une endocrinopathie associée à un pronostic sombre. Son diagnostic repose principalement sur la découverte d’une hypoglycémie associée à une hyperinsulinémie à l’examen biochimique. Le traitement de choix est chirurgical et consiste en la résection de la tumeur pancréatique. Dans les cas où l’exérèse est impossible ou lors de cancer métastasé, une gestion médicale et, éventuellement, une chimiothérapie sont à envisager afin d’assurer un contrôle de la glycémie.

Une polyneuropathie périphérique est très rarement associée à un insulinome. La prise en charge de la polyneuropathie repose sur le traitement médical ou chirurgical de l’insulinome. Un plus grand nombre de cas rapportés serait utile pour la compréhension de la physiopathologie de la maladie et la découverte du traitement le plus efficace.

  • (1) Médicament humain.

  • (2) Médicament humain visé par l’arrêté ministériel du 07 février 2007

  • (3) Médicament humain réservé à l'usage hospitalier.

Références

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  • 21 - Van Ham L, Braund KG, Roels S, Putcuyps I. Treatment of a dog with an insulinoma-related peripheral polyneuropathy with corticosteroids. Vet. Rec. 1997;141:98-100.

POINTS FORTS

• L’insulinome fait partie des endocrinopathies pouvant entraîner une polyneuropathie périphérique.

• Le diagnostic d’un insulinome repose sur la détection d’une hyperinsulinémie associée à une hypoglycémie chez un animal à jeun.

• Le traitement de choix de l’insulinome est chirurgical, lorsque cela est possible.

• Le traitement médical de l’insulinome repose sur la prescription d’un régime alimentaire adapté et l’administration de molécules hyperglycémiantes.

• La physiopathologie et le traitement de la polyneuropathie périphérique associée à un insulinome ne sont pas connus à ce jour.

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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

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