Pratique de la téléanesthésie en médecine vétérinaire - Le Point Vétérinaire n° 293 du 01/03/2009
Le Point Vétérinaire n° 293 du 01/03/2009

TÉLÉANESTHÉSIE

Infos

FOCUS

Auteur(s) : Véronique Vienet-Ganora

Fonctions : Vétérinaire commandant de sapeur-pompier
Vétérinaire chef départemental SDIS 06
06270 Villeneuve-Loubet

Tout vétérinaire praticien peut être confronté à la capture d’un animal. La téléanesthésie est parfois requise. Il convient d’en connaître le cadre réglementaire avant de la pratiquer.

La téléanesthésie permet de neutraliser à distance un animal au moyen d’une fléchette (seringue auto-injectable) qui contient un tranquillisant ou un anesthésique. Cette technique fait appel à :

- un matériel spécifique, le projecteur hypodermique, arme réglementée de sixième catégorie ;

- l’emploi d’anesthésiques dans des conditions particulières (espèces exotiques, urgence, etc.). La téléanesthésie requiert trois compétences : médicale (acte d’anesthésie), officinale (détention des produits) et légale (port d’armes). Cet acte doit être réfléchi et raisonné, sous la responsabilité du vétérinaire. Tout praticien peut y être confronté : le vétérinaire libéral ou de zoo, le vétérinaire sapeur-pompier ou attaché à une fourrière, etc.

Principes

La téléanesthésie est indiquée en présence d’animaux :

- de type prédateur (exotiques ou non) qui présentent un comportement d’agressivité ne permettant pas une approche ni une capture manuelle ;

- de type proie (exotiques, sauvages ou domestiques) qui, à l’approche de l’homme, recouvrent un comportement de fuite.

Elle est aussi valable pour les espèces sauvages apprivoisées (cervidés, bisons), qui restent des animaux imprévisibles et surtout s’ils sont habitués au contact humain. En effet, la perte de la peur de l’homme peut les rendre dangereux. La téléanesthésie est conseillée pour des espèces de poids supérieur à 50 kg. Chez les petites espèces, l’impact de la flèche peut facilement blesser et les zones de tir sont limitées.

L’anesthésie à distance requiert des connaissances sur le comportement de l’animal à capturer, sur les modalités d’action des anesthésiques (temps d’induction, durée, réveil, toxicité des produits, diffusion par la voie intramusculaire, autorisation de mise sur le marché ou non, marge de sécurité des anesthésiques, temps d’attente pour les animaux de rente, etc.) et sur les conditions d’emploi des projecteurs hypodermiques. De plus, le risque de rendre un animal plus dangereux ne doit pas être négligé, s’il n’est pas maîtrisé (périmètre de sécurité) pendant la période préanesthésique, surtout pour les espèces de type proie (fuite, charge).

Le choix de l’anesthésique doit être effectué en fonction de l’espèce animale, des données scientifiques disponibles, des conditions d’intervention. L’objectif de l’immobilisation chimique est d’inhiber le comportement de défense ou de fuite d’un animal en vue de sa manipulation sans danger pour lui-même et les intervenants.

La réussite d’une capture d’un animal par téléanesthésie dépend de plusieurs facteurs : le comportement animal, les moyens humains, le matériel.

Aspects réglementaires

En raison de la triple compétence nécessaire, l’emploi de cette technique est régi à la fois par le Code rural, le Code de la santé publique et la réglementation sur les armes.

• Selon le Code rural (art. L. 243-1 modifié par la loi n° 2001-6 du 4/1/2001), la prescription, l’implantation intramusculaire et la délivrance d’anesthésiques sont de la compétence exclusive du vétérinaire avec l’impossibilité de déléguer cet acte de capture et de contention d’un animal à l’aide de médicaments (art. L. 243-2) sous peine d’exercice illégal.

• Le Code de la santé publique réglemente l’emploi des anesthésiques dans le cadre de l’acquisition, la détention et la délivrance de ces produits (art. L. 5142-1) réservés aux seuls ayants droit (vétérinaires praticiens, pharmaciens d’officine).

• La réglementation sur les armes (décret n° 95-589 du 6/5/1995 modifié) classe les projecteurs hypodermiques (fusils, pistolets, sarbacanes) en armes de sixième catégorie, objets susceptibles d’être dangereux pour la sécurité publique. Le port et le transport d’une arme sont donc interdits sur la voie publique pour toute autre personne que les fonctionnaires habilités dans le cadre de leurs missions, c’est-à-dire les fonctionnaires des services de police et de répression.

Sont donc concernés, étant donné que l’animal errant et/ou l’animal dangereux sont réglementairement sous la responsabilité administrative du maire : les polices municipales (arrêté du 17/9/2004 fixant les conditions techniques d’utilisation des projecteurs hypodermiques par les agents de police municipale pour la capture des animaux dangereux ou errants), les sapeurs-pompiers habilités et les vétérinaires sapeurs-pompiers (décret n° 2006-220 du 23/2/2006).

Les agents de police municipale nommément désignés pour utiliser la téléanesthésie, en cas d’urgence uniquement, sont placés sous l’autorité médicale d’un vétérinaire qui doit être présent sur les lieux. Ce dernier est choisi par le maire conformément à l’article L. 242-4 du Code rural. Il peut s’agir soit d’un vétérinaire praticien libéral, soit d’un vétérinaire sapeur-pompier. Une convention entre le maire et le praticien libéral définit les modalités (rémunération, conditions d’intervention, lieu de stockage des armes, espèces animales concernées, etc.). Elle doit être adressée pour avis au conseil régional de l’Ordre des vétérinaires. En raison des responsabilités engagées, notamment pour le vétérinaire praticien, cette convention est un document essentiel.

Les vétérinaires sapeurs-pompiers sont autorisés à utiliser les projecteurs hypodermiques lors d’opérations impliquant des animaux dangereux, blessés ou en difficulté, avec possibilité de déléguer le tir sur la voie publique à des sapeurs-pompiers habilités.

• Sur la voie publique, le vétérinaire doit être présent sur les lieux, avec la responsabilité du choix du produit anesthésique utilisé. L’autorisation de port ou de transport d’armes est sous la responsabilité communale pour le praticien libéral, sous la responsabilité du service départemantal d’incendie et de secours (SDIS) pour les vétérinaires sapeurs-pompiers. Il est recommandé, compte tenu des risques qui peuvent être pris lors de la réalisation de cet acte, de définir correctement les termes de la convention entre le maire et les vétérinaires libéraux pour la responsabilité.

• Pour les interventions se déroulant dans l’enceinte d’un établissement de type parc zoologique, par exemple, l’arme doit être présente dans l’établissement et le tir ne peut avoir lieu que dans ce dernier. La détention, l’emploi des anesthésiques et l’acte médical restent sous la responsabilité et la compétence du vétérinaire attaché à l’établissement. Il en est de même pour les interventions se déroulant dans un domicile ou une exploitation (bovin récalcitrant par exemple). Dans ce cas, le vétérinaire doit disposer d’une autorisation de transport d’armes délivrée par le préfet.

Les praticiens de la direction départementale des services vétérinaires ne sont pas autorisés à utiliser les projecteurs hypodermiques (note DGAL/SDSPA/N 2004-8247 du 20/10/2004).

Matériel

Le choix du matériel est effectué en fonction des principales espèces animales : taille, volume anesthésique nécessaire, puissance à l’impact, distance de tir. Lorsqu’une polyvalence est recherchée, il convient de privilégier le fusil hypodermique.

La sarbacane est historiquement le premier moyen utilisé. Elle est efficace à très courte distance (au maximum 5 m et pour les animaux en cage ou se trouvant dans un parc zoologique), pour un volume injectable de 3 à 5 ml au maximum selon les modèles, avec peu de bruit et un impact faible de la flèche.

Pour les autres projecteurs hypodermiques (pistolet, fusil), le choix est fonction de deux techniques de propulsion de la flèche :

- à gaz chaud (propulsion par balle à blanc de flèches métalliques) ;

- à gaz froid (propulsion par de l’air comprimé, généralement CO2, de flèches plastiques).

Les pistolets hypodermiques, quels que soient les modèles, permettent des tirs à faible distance (au maximum 10 à15 m), pour des interventions d’urgence sur des petites espèces animales, avec une faible pression à l’impact de la flèche et un volume injectable de 3 ou 5 ml au maximum. L’inconvénient majeur est l’absence de possibilité de réglage de la pression de tir avec une absence de système de visée, rendant la technique de tir délicate.

Les fusils hypodermiques, selon les modèles, autorisent des distances de tir plus grandes (50 à 100 m au maximum), selon le poids de la flèche et les conditions météorologiques. Ils sont utilisables sur des espèces de grande taille (fort impact de la flèche). La distance optimale de tir est de 20 à 30 m, pour un volume de flèche de 1,5 à 15 ml pour les fusils à gaz chaud, de 10 ml pour ceux à gaz froid. La pression de tir est réglable. Les systèmes de visée (lunette, viseur point rouge ou laser) améliorent les performances de tir.

Dans tous les cas, en raison du faible volume injectable autorisé (au maximum 15 ml), une hyperconcentration des anesthésiques est souvent indispensable. La manipulation d’une flèche chargée nécessite des conditions de sécurité très strictes, sous la responsabilité du vétérinaire (risque toxique pour les différents intervenants lors de la manipulation des produits et/ou lors d’erreurs de tir).

De plus, la maîtrise du matériel (tir, manipulation des seringues) nécessite un entraînement régulier.

Consignes de sécurité

Aucune opération de téléanesthésie ne doit être initiée sans vérification préalable des équipements d’urgence destinés aux intervenants et à l’animal.

Il convient d’identifier l’espèce concernée, et le poids, et l’état physiologique de l’animal.

Le choix et la préparation de l’anesthésique sont effectués par le vétérinaire selon des protocoles connus ou établis (anesthésie générale, immobilisation, etc.).

La zone de tir doit être la plus calme possible avec un minimum d’intervenants et l’acte est effectué de préférence le matin. Il convient de surveiller l’animal en permanence, sans le courser. La distance de tir doit être évaluée correctement, par rapport à une cible immobile et de profil, en tenant compte des conditions météorologiques (vent, pluie). Le tir doit être effectué en présence du vétérinaire, seule personne compétente pour anticiper les réactions possibles de l’animal. La zone d’impact doit être choisie afin de préserver la vie de celui-ci tout en permettant un tir efficace dans des zones très vascularisées (masses musculaires des membres). Les temps d’induction de l’anesthésique par voie intramusculaire (entre 5 et 25 minutes selon l’espèce et les produits) doivent être respectés avant la capture physique de l’animal. Les médicaments d’urgence doivent être prévus afin de sécuriser le réveil ou de parer à tout incident anesthésique éventuel.

Il est indispensable d’assurer une contention correcte et adaptée à l’espèce animale (un ruminant même endormi peut montrer un comportement de fuite au moment de la contention physique). Le vétérinaire anesthésiste doit rédiger une ordonnance conforme à la prescription dans le cadre du suivi et s’assurer de la prise en charge effective de l’animal anesthésié.

L’immobilisation chimique ou téléanesthésie doit donc être considérée comme une spécialisation de l’anesthésie vétérinaire, exécutée dans des circonstances souvent des plus difficiles : sans examen clinique préalable de l’animal, à distance et dans l’urgence. Ce n’est donc pas un acte anodin, tant les conséquences humaines et animales peuvent être graves. Les risques élevés liés à la pratique de cette méthode de capture nécessitent une connaissance du comportement de l’animal et une maîtrise parfaite des produits utilisés et de la technique de tir. La téléanesthésie doit donc résulter d’un acte réfléchi et calculé en prenant en compte la sécurité des personnes et de l’animal. Quelle que soit l’espèce animale, cette méthode d’anesthésie a les mêmes exigences de sécurité et d’efficacité qu’une anesthésie classique.

EN SAVOIR PLUS

- Grandidier G, Vienet V. La téléanesthésie n’est pas un acte anodin. Semaine Vét. 2002;1066:14.

- Chai N, Le Gendre X. Téléanesthésie des ongulés sauvages. Point Vét. 2001;32(215):48-51.

- D. Holopherne. Téléanesthésie chez les bovins : technique et précautions”. Point Vét. 2008 ; 39(n° spécial “Chirurgie et anesthésie des bovins en pratique”):37-44.

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