Que faire en cas d’avortement chez la brebis ? - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

PETITS RUMINANTS

Diagnostic

Auteur(s) : Xavier Nouvel

Fonctions : Pathologie de la reproduction
Département Élevage et produits,
santé publique vétérinaire
École nationale vétérinaire de Toulouse,
23, chemin des Capelles, BP 87614,
31076 Toulouse Cedex

Un protocole national de diagnostic différentiel des avortements chez les petits ruminants est proposé : il vise à codifier les seuils d’alerte et les prélèvements à effectuer en fonction des suspicions.

Les avortements chez la brebis doivent être considérés comme un trouble majeur. Ils ont un impact sanitaire : parmi les maladies à l’origine d’avortements, certaines sont des zoonoses (brucellose, fièvre Q, etc.). Mais ils ont également un impact économique important par la genèse de pertes parfois insidieuses de produits et des baisses de production laitière.

AVORTEMENTS ET BRUCELLOSE

La déclaration des avortements est obligatoire chez les ruminants. Cette très ancienne surveillance événementielle a été mise en place dans le cadre de la lutte contre la brucellose. Depuis 2014, l’ensemble des départements de France métropolitaine, à l’exception des Pyrénées-Atlantiques(1), est officiellement indemne de brucelloses ovine et caprine. La vigilance vis-à-vis de cette maladie est toutefois toujours d’actualité comme le montrent des cas de réémergence découverts en 2012 en Haute-Savoie ou suspectés en 2013 en Corse [2]. La déclaration des avortements est un facteur de succès de la détection précoce de tout nouveau foyer. Elle a été actualisée par l’arrêté du 10 octobre 2013 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire des brucelloses ovine et caprine [1]. Dans cet arrêté, la définition de l’avortement et le seuil d’intervention ont été modifiés (encadré 1). La réduction de la période de mortinatalité de 24 à 12 heures et l’intervention uniquement en cas d’avortements répétés (trois avortements au minimum en 7 jours ou moins) visent à mieux s’adapter à la réalité pour atteindre un taux de déclaration maximal.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES AVORTEMENTS

Un groupe de travail, animé par l’Institut de l’élevage et l’École nationale vétérinaire de Toulouse au sein de l’unité mixte technologique (UMT) Santé des petits ruminants, a récemment amorcé des réflexions sur le diagnostic différentiel des avortements chez la brebis et la chèvre [3]. Ce travail collaboratif impliquant également les groupements de défense sanitaire (GDS), les groupements techniques vétérinaires (GTV), les laboratoires d’analyses, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a été repris et unifié avec les travaux similaires réalisés chez les bovins de l’UMT Maîtrise de la santé des troupeaux bovins (Institut de l’élevage, Oniris) dans une réflexion collaborative pilotée par le GDS France et la plateforme nationale d’épidémiologie en santé animale (plateforme ESA). De ces réflexions est né l’Observatoire et suivi des causes d’avortement chez les ruminants (Oscar) associé à un protocole national harmonisé de diagnostic différentiel des avortements chez les ruminants [5]. Le seuil d’alerte recommandé pour la mise en place de cette démarche de diagnostic différentiel est de trois avortements au minimum en 7 jours ou moins en cas de série d’avortements rapprochés (comme défini pour la brucellose). À cela s’ajoute un seuil d’alerte pour des séries plus espacées dans le temps : 4 % d’avortements sur un lot de femelles mises à la reproduction inférieur à 250 femelles et à partir du dixième avortement pour les lots supérieurs à 250 femelles sur la période de mise bas (fixée à 3 mois). Le recueil des commémoratifs et des éléments cliniques et lésionnels est une étape fondamentale de la réussite de la démarche diagnostique (encadré 2). Il convient de quantifier précisément les avortements, de préciser le stade de gestation où ils surviennent, de caractériser les animaux atteints (classe d’âge, animaux introduits, etc.). Le protocole national harmonisé définit des maladies à rechercher en première ou seconde intention et un minimum de prélèvements requis (tableaux 1 et 2). Sans se priver du recours aux analyses indirectes, il privilégie la détection directe sur écouvillonnages vaginaux, liquide stomacal et organes d’avortons, associée aux prélèvements nécessaires à la surveillance réglementaire de la brucellose (sérums des femelles ayant avorté et écouvillon vaginal si séropositivité) (figures 1 et 2, photos 1 et 2).

Pour chacun des agents retenus, un minimum de prélèvements et d’analyses est préconisé (tableau 3). Pour l’interprétation des résultats, une gradation à quatre niveaux d’imputabilité des séries d’avortements aux différents agents a été définie : forte, possible, peu probable, non conclusive (tableau 4). Des arbres décisionnels pour chacune des maladies sont disponibles sur le site de l’Institut de l’élevage (http://idele.fr/) (tableau 5) [4]. S’il est souhaitable que tout vétérinaire suive au minimum ce protocole, il ne doit pas s’interdire de réaliser aussi d’autres analyses si ses observations lui permettent de suspecter un agent non inclus. D’autres causes, a priori moins fréquentes, peuvent ainsi être impliquées et recherchées en troisième intention ou d’emblée selon les orientations épidémiocliniques, par exemple : Campylobacter jejuni, Campylobacter fetus, Yersinia pseudotuberculosis, Yersinia spp., Anaplasma marginale, Anaplasma phagocytophilum, Mycoplasma spp., le virus de Schmallenberg (SBV), Neospora caninum, phyto-œstrogènes, produits embryotoxiques (benzimidazoles anthelminthiques ou autres).

MESURES DE MAÎTRISE

Une fois le diagnostic établi, des mesures de maîtrise spécifiques aux agents incriminés peuvent être proposées à l’élevage. Des fiches par maladie sont disponibles sur le site de l’Institut de l’élevage(2), elles rappellent ces mesures pour chacun des agents. Toutefois, il convient de rappeler à l’éleveur les mesures sanitaires non spécifiques qui s’imposent face aux agents abortifs, dont certains (comme Chlamydia abortus, Coxiella burnetii, etc.) sont zoonotiques. Outre les précautions particulières qui doivent être prises en filière “lait cru”, il convient de protéger les personnes et l’élevage vis-à-vis du risque infectieux. Les femelles ayant avorté doivent être identifiées et, si possible, isolées du reste du troupeau. Les matières potentiellement virulentes (placentas, avortons, etc.) sont à conserver séparément, avec précaution, pour une analyse et/ou être éliminées de l’environnement. Le port de gants lors de la manipulation des femelles ayant avorté, des placentas et des avortons doit s’imposer au vétérinaire, à l’éleveur et à tout autre intervenant de l’élevage. Les mesures sanitaires ou hygiéniques de base (nettoyage-désinfection des mains, des bottes, pédiluves, port de surchaussures, etc.) doivent être rappelées. Les personnes présentant un risque augmenté de contracter une zoonose (femmes enceintes, enfants, immunodéprimés, etc.) éviteront les contacts avec les animaux et l’élevage. Ces mesures doivent devenir un réflexe et être impérativement mises en place le plus précocement possible sans attendre les résultats d’analyses.

Conclusion

Les avortements chez la brebis doivent être un motif d’appel du vétérinaire par les éleveurs. Leur impact sur l’élevage et la santé publique impose aux vétérinaires d’y être réactifs et pro-actifs. La mise en place d’un protocole harmonisé pour le diagnostic étiologique lors d’avortements chez les ruminants et du dispositif d’Observatoire et suivi des causes d’avortements chez les ruminants est un atout pour améliorer la réussite diagnostique. Cette aide au diagnostic relayée par la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale devrait non seulement permettre de mieux suivre les maladies abortives en France, mais aussi être une source d’information utile et fiable pour orienter les praticiens. Ceci doit nous encourager à participer activement à ce dispositif pour sa réussite au service de l’élevage et des praticiens.

  • (1) En raison des campagnes de vaccination mises en place contre Brucella ovis, agent étiologique de l’épididymite contagieuse du bélier et non zoonotique pour lequel la vaccination interfère avec le diagnostic sérologique de la brucellose zoonotique.

Références

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Cadre légal des mesures techniques et administratives relatives aux avortements chez la brebis (articles 2 et 10 de l’arrêté du 10 octobre 2013)

→ Définition légale de l’avortement chez la brebis

Est considérée comme un avortement l’expulsion d’un fœtus ou d’un animal mort-né ou succombant dans les 12 heures suivant la naissance, à l’exclusion des avortements d’origine manifestement accidentelle.

→ Seuil d’intervention

La déclaration s’effectue dès lors que trois avortements ou plus ont été détectés sur une période de 7 jours ou moins.

→ Action de l’éleveur

Conformément à l’article L. 223-5 du Code rural et de la pêche maritime, tout détenteur d’ovins constatant un avortement ou ses symptômes chez une femelle est tenu :

a) d’isoler l’animal ayant avorté ou présentant des signes cliniques ;

b) d’éliminer les produits d’avortement par le circuit de l’équarrissage ;

c) d’écarter de la consommation humaine ou animale le lait et le colostrum provenant de l’animal ayant avorté ;

d) d’inscrire l’événement sur le registre d’élevage défini par l’arrêté du 5 juin 2000 susvisé ;

e) d’en informer le directeur départemental en charge de la protection des populations et le vétérinaire sanitaire.

→ Action du vétérinaire sanitaire

Lorsqu’il est informé de la survenue d’une série d’avortements ou d’une situation évocatrice de brucellose, le vétérinaire sanitaire :

a) évalue le contexte clinique et épidémiologique de l’élevage vis-à-vis du risque de brucellose ;

b) réalise des prélèvements et les fait parvenir sans délai à un laboratoire agréé ;

c) informe l’éleveur de la conduite à tenir ;

d) informe le directeur départemental en charge de la protection des populations du département où se trouve l’élevage.

ENCADRÉ 2
Démarche générale lors d’avortements chez la brebis

→ Documents techniques

Des documents techniques (fiches maladies, fiche de bonne réalisation des prélèvements, galerie photo) sont disponibles sur le site de l’Institut de l’élevage http://idele.fr/

→ Valorisation épidémiologique

Les documents issus de la valorisation épidémiologique des données seront mis en ligne dans le Centre de ressources de la plateforme ESA (http://www.plateforme-esa.fr).

Points forts

→ Le seuil d’alerte recommandé pour la mise en place de cette démarche de diagnostic différentiel est de trois avortements minimum en 7 jours ou moins en cas de série d’avortements rapprochés.

→ Le seuil d’alerte pour des séries plus espacées dans le temps est de 4 % d’avortements sur un lot de moins de 250 femelles mises à la reproduction et à partir du dixième avortement pour les lots de plus de 250 femelles sur la période de mise bas.

→ Le respect des prélèvements requis dans le cadre du protocole national harmonisé de diagnostic différentiel des avortements chez les petits ruminants (OSCAR) augmente fortement la probabilité de conclure.

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