Les tests urinaires : entre traditions et nouveautés - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

Diagnostic

Auteur(s) : Nicolas Herman*, Cathy Trumel**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Mazets,
15400 Riom-ès-Montagnes
**Résident ECBHM,
Pathologie des ruminants
***Laboratoire central de biologie,
École nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex 03

L’analyse d’urine, facile à mettre en œuvre et réalisable au chevet de l’animal, est une source d’informations non négligeable. Elle doit faire partie intégrante de l’examen clinique des ruminants.

Si, en pratique, le prélèvement suivi de l’examen des urines n’est pas systématiquement réalisé, il fait partie intégrante de l’examen clinique d’un bovin. Sans même avoir recours à l’analyse des urines, la simple observation de la miction et de l’aspect macroscopique des urines peut faire suspecter une atteinte haute ou basse de l’appareil urinaire. Le développement de la biochimie urinaire, malgré de réelles limites analytiques, permet, de nos jours, des investigations nutritionnelles et un diagnostic individuel plus précis.

EXAMENS RÉALISABLES AU CHEVET DE L’ANIMAL

L’examen des urines peut se réaliser à partir d’une urine obtenue par miction spontanée (obligatoire chez les mâles) ou sondage, après nettoyage de la vulve à l’eau et séchage.

1. Aspect macroscopique des urines

Physiologiquement, l’urine est un substrat aqueux, limpide, de couleur jaunâtre ayant une odeur légèrement aromatique. Des urines très claires suggèrent une densité urinaire diminuée et potentiellement une atteinte rénale. Une couleur rougeâtre à brunâtre est évocatrice d’une hématurie (sang en nature), d’une hémoglobinurie (pigment sanguin en solution) ou d’une myoglobinurie (pigment musculaire). La centrifugation des urines est alors nécessaire pour distinguer l’hématurie de l’hémoglobinurie-myoglobinurie [7]. Les présences concomitantes de pus et de caillots sanguins sont très évocatrices d’une pyélonéphrite. Cependant, lors de miction spontanée et surtout autour du vêlage, les écoulements vaginaux peuvent se mélanger aux urines et fausser l’interprétation.

2. Bandelette urinaire

Le dépistage urinaire par bandelette constitue un moyen simple de révéler de nombreuses maladies à un stade précoce. Il peut s’agir de maladies métaboliques (corps cétoniques dans les urines), rénales (présence de protéines et/ou de glucose dans les urines) ou d’infections urinaires (présence de leucocytes), etc.

Sur la bandelette urinaire, il existe différentes plages d’intérêt en médecine bovine :

- la plage “Glucose” possède de bonnes à très bonnes sensibilité et spécificité. Une positivité doit toujours être interprétée conjointement avec une mesure de glycémie. Une positivité sans hyperglycémie associée est en faveur d’une atteinte rénale. Une positivité avec hyperglycémie est logique. Le seuil de détection du glucose dans les urines varie selon les bandelettes autour de 70 à 100 mg/dl (4 à 6 mmol/l) ;

- la plage “Corps cétoniques” possède une bonne sensibilité et une spécificité excellente (valeurs variables selon les seuils de détection utilisés). Une positivité doit amener le praticien à réaliser une mesure de b-hydroxybutyrate sanguin (méthode de référence). Selon les bandelettes, l’acétone et l’acide acéto-acétique sont détectés à des seuils respectifs de 70 à 100 mg/dl (12 à 17 mmol/l) et de 5 à 10 mg/dl (0,5 à 1 mmol/l) ;

- la plage “Protéines” possède une excellente sensibilité et une spécificité médiocre (beaucoup de faux positifs). En effet, l’alcalinité physiologique de l’urine des bovins conduit à un nombre extrêmement important de réactions positives. Ainsi, l’interprétation de la plage “Protéines” chez les bovins doit être réalisée conjointement avec celle de la plage “pH”. Une protéinurie fortement positive devrait être confirmée par un test de Heller (test à l’acide nitrique, (photo 1, encadré 1). Le seuil de détection des protéines dans les urines est autour de 30 mg/dl ;

- la plage “Leucocytes” possède chez les bovins une sensibilité médiocre et une très bonne spécificité. Cependant, il est assez rare chez les bovins de détecter une positivité sans modification macroscopique des urines, auquel cas un examen cytologique devrait être réalisé. Le seuil de détection des leucocytes urinaires est autour de 5 à 15 cellules/champ à l’examen au microscope du sédiment urinaire.

Les autres plages ont assez peu d’intérêt en médecine bovine. Les artefacts sont nombreux (tableau 1).

3. Densité urinaire

La mesure de la densité urinaire permet d’évaluer la capacité rénale à concentrer les urines. Elle doit être interprétée en fonction de l’état d’hydratation de l’animal. L’intervalle de référence de la densité urinaire chez les bovins sains a été déterminé en France dans une étude récente réalisée chez 111 bovins de 32 cheptels différents. Il est compris entre 1,020 et 1,040 [1].

La densité urinaire doit être mesurée à l’aide d’un réfractomètre correctement étalonné et non pas grâce à la bandelette urinaire. Sa diminution (urines limpides) doit amener le praticien à explorer une atteinte de la fonction rénale ou toute autre affection à l’origine d’une diminution de la concentration des urines.

4. pH urinaire

La mesure du pH devrait être réalisée dès que possible après la récolte de l’urine car l’évaporation du CO2 peut faire augmenter sa valeur [2]. Il est recommandé d’utiliser un pH-mètre électronique correctement étalonné ou des bandelettes mesurant spécifiquement le pH. À l’échelle individuelle et s’il n’est pas accompagné d’une mesure du pH sanguin, le pH des urines a assez peu d’intérêt.

La bonne corrélation entre le bilan alimentaire cations-anions (BACA) et le pH urinaire permet une estimation adéquate du risque de fièvre de lait (pH élevé s’il est supérieur à 8,25 dans les 2 dernières semaines de gestation). À l’échelle du troupeau, il est également possible de vérifier les effets d’une ration à BACA négatif dans une optique de prévention de fièvre de lait. En pratique, il est conseillé de prélever et de mesurer le pH urinaire le même jour chez au moins 6 vaches dans les 2 ou 3 dernières semaines de gestation. La moyenne des valeurs de pH urinaire doit être comprise entre 6 et 7 [3].

EXAMENS RÉALISABLES AU CABINET OU EN LABORATOIRE SPÉCIALISÉ

Des tests urinaires dynamiques avec collecte des urines sur 24 heures sont effectués en médecine humaine, mais sont difficilement réalisables en médecine vétérinaire, particulièrement chez les ruminants. Ils ont donc été remplacés par des analyses ponctuelles.

1. Cytologie urinaire

La cytologie se pratique sur le culot de sédimentation après centrifugation à 1 500 tours/min pendant 5 minutes [7]. Ce simple examen devrait être systématiquement réalisé lors de suspicion de calculs urinaires et peut être effectué dès lors qu’une atteinte urinaire d’origine infectieuse (recherche de bactéries) ou rénale (recherche de cylindres, cellules épithéliales) est suspectée.

2. Bactériologie urinaire

Une mise en culture des urines ainsi qu’un antibiogramme peuvent être réalisés si les urines ont été prélevées par cathétérisme et de la façon la plus proche possible de la stérilité (photo 2).

3. Fraction d’excrétion

La fraction d’excrétion (FE) est un marqueur de la fonction tubulaire rénale (encadré 2). La FE d’un constituant du plasma par le rein est la fraction de la quantité filtrée par le glomérule qui n’est pas réabsorbée et est par conséquent excrétée dans l’urine [6]. Elle est principalement déterminée pour les électrolytes et exprimée comme le ratio de la clairance d’un électrolyte donné sur la clairance de la créatinine :

FE (X) = [X] urine × [créatinine] urine / [X] plasma × [créatinine] urine.

Utilisation pratique : évaluation des apports en ions de la ration

De façon simple, la ration apporte chaque jour à un bovin une quantité variable d’électrolytes. Les concentrations plasmatiques en électrolytes ne variant que très peu, la quantité ingérée maintient l’homéostasie plasmatique en électrolytes. L’excrétion rénale permet de se débarrasser ou pas du surplus ionique. Les FE chez les bovins sont donc extrêmement sensibles à la ration ingérée en quantité et en qualité. Par exemple, chez des bovins nourris pendant 15 jours avec une ration volontairement largement supplémentée en calcium et en phosphore, les FE en calcium et en phosphore ont été multipliées, en moyenne, par 2,7 et 17 respectivement dès le deuxième jour de supplémentation [5]. Les rations étant souvent largement excédentaires en potassium, les FE en potassium chez les bovins sont souvent très élevées.

L’utilisation des fractions d’excrétion en nutrition bovine rend possible la mise en évidence d’un défaut (FE diminuées) ou d’un excès (FE augmentées) d’apport par la ration en électrolytes, alors même que leurs concentrations plasmatiques se trouvent dans les intervalles de référence.

Les FE peuvent également être mesurées chez des vaches au tarissement dans une optique de gestion du risque d’hypocalcémie post-partum. Par exemple sont recherchées des FE du magnésium (risque si FE basse), du calcium (risque si FE élevée), du phosphore (risque si FE élevée) et du potassium (risque si FE élevée) (tableau 2).

À l’échelle individuelle, les FE sont un des outils pouvant éventuellement différencier une atteinte rénale tubulaire d’une atteinte glomérulaire. Une augmentation des FE est évocatrice d’une atteinte tubulaire [6].

Erreurs analytiques, préanalytiques et facteurs de variation physiologiques

La mesure des ions et de la créatinine dans les urines n’a pas été validée en pathologie clinique animale, et les procédures de contrôle sont bien souvent absentes ou non disponibles. De nombreux facteurs de variation comme le sexe, la race ou l’âge ont été étudiés dans plusieurs espèces et sont susceptibles de faire varier les valeurs de FE [6].

Ainsi, l’utilisation des fractions d’excrétion devrait se limiter aux investigations nutritionnelles et à la recherche en néphrologie. L’interprétation des valeurs doit se faire de façon critique en gardant à l’esprit les nombreux facteurs de variations analytiques et physiologiques [7].

4. Protéinurie : rapport protéines/créatine urinaire et électrophorèse

Même s’il est économiquement aberrant de mettre en œuvre de tels outils pour le diagnostic individuel, il peut être intellectuellement épanouissant d’arriver à distinguer des atteintes rénales glomérulaire et tubulaire.

Évaluation quantitative : rapport protéines/créatinine urinaires

Le rapport protéines/créatinine urinaires (RPCU) est couramment utilisé en médecine canine pour confirmer et estimer l’intensité d’une protéinurie. Un RPCU fortement augmenté est évocateur d’une atteinte glomérulaire. La créatininurie est utilisée comme facteur de correction de la concentration ou de la dilution de l’urine. L’intervalle de référence du RPCU d’un bovin sain est compris entre 0,04 et 0,22 [1]. Un RPCU supérieur à 0,22 permet donc de confirmer une protéinurie, par exemple mise en évidence à la bandelette urinaire par le test de Heller, ou suspectée sur la base de l’examen clinique, du bilan biochimique ou des commémoratifs. Parce qu’une infection du tractus urinaire ou un syndrome inflammatoire sévère peuvent modifier le RPCU, celui-ci devrait toujours être interprété conjointement avec les résultats de l’analyse d’urine complète.

Évaluation qualitative : électrophorèse

Lors de protéinurie, la détermination de la nature des protéines présentes dans l’urine favorise la localisation de la portion du rein atteinte. L’électrophorèse, méthode fondée sur la différence de migration des protéines en fonction de leur poids moléculaire, permet ainsi de caractériser les protéines présentes dans l’urine. Une atteinte du glomérule est caractérisée par une perte d’albumine et de protéines de haut poids moléculaire (> 69 kDa). Une atteinte tubulaire se traduit par une perte de protéines de plus faible poids moléculaire (< 69 kDa).

Conclusion

Trop souvent délaissée, l’analyse d’urine reste un élément important de l’examen clinique du bovin. Elle est facile, rapide et bien souvent riche en informations. Les outils actuellement disponibles ne sont pas nouveaux, mais leur utilisation, notamment en nutrition, tend à se développer. Les nombreux facteurs de variation analytiques et l’absence d’intervalles de référence scientifiquement établis en ce qui concerne les FE en rendent l’interprétation délicate. L’utilisation du RPCU et de l’électrophorèse en médecine individuelle permet de confirmer et de localiser l’atteinte rénale (glomérulaire ou tubulaire). La localisation du segment rénal atteint permet d’orienter le diagnostic étiologique et le traitement à éventuellement mettre en place.

Références

  • 1. Ancel C. Détermination des intervalles de références de la densité urinaire et du rapport protéine/créatinine urinaire chez les vaches. Thèse vétérinaire, Toulouse. 2016-TOU3-4090
  • 2. Constable PD, Gelfert CC, Fürll M et coll. Application of strong ion difference theory to urine and the relationship between urine pH and net acid excretion in cattle.Am. J. Vet. Res. 2009;70 (7):915-925.
  • 3. DeGaris P, Lean I. Milk fever in dairy cows : a review of pathophysiology and control principes. Vet. J. 2008;176 (1):58-69.
  • 4. Fleming SA, Hunt EL, Brownie C et coll. Fractional excretion of electrolytes in lactating dairy cows. Am. J. Vet. Res. 1992;50:263-266.
  • 5. Hartmann H, Bandt C, Glatzel PS. Influence of changing oral mineral supply on kidney functions including renal fractional excretion of calcium, magnesium, and phosphate in cows. Berl. Münch Tierärztl. Wochenschr. 2001;114:267-272.
  • 6. Lefebvre H, Dossin O, Trumel C, Braun JP, Fractional excretion tests : a critical review of methods and applications in domestic animals. Vet. Clin. Pathol. 2008;37:4-20.
  • 7. Osborne CA, Stevens JB. Urinalysis : a clinical guide to compassionate patient care. Bayer corporation, library of congress. No 1999;98-61791.
  • 8. West JW, Coppock CE, Milam KZ et coll. Potassium carbonate as a potassium source and dietary buffer for lactating Holstein cows during hot weather. J. Dairy Sci. 1987;70:309-320.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRE 1
Évaluation de la protéinurie par le test de Heller

→ Dans un tube en plastique, déposer 1,5 à 2 ml d’une solution d’acide nitrique, incliner le tube le plus à l’horizontale possible puis déposer la même quantité d’urine.

→ Un anneau blanchâtre à l’interface acide/urine se forme correspondant aux protéines urinaires précipitées (photo 1).

→ L’utilisation de l’acide nitrique est réglementée. La manipulation de ce produit doit se faire sous une hotte ou dans un endroit ventilé. Le produit ne doit pas être jeté dans les égouts ou l’environnement.

Points forts

→ L’analyse d’urine est un outil simple et riche en informations. La simple observation de la miction et de l’aspect macroscopique permet de suspecter une atteinte de l’appareil urinaire (haute ou basse).

→ L’interprétation de la plage “Protéines” de la bandelette urinaire doit se faire, chez les ruminants, conjointement avec la plage “pH”, l’alcalinité physiologique de l’urine des bovins entraînant un très grand nombre de faux positifs.

→ L’utilisation des fractions d’excrétion urinaires en nutrition bovine permet de mettre en évidence un défaut (fraction d’excrétion diminuée) ou un excès (fraction d’excrétion augmentée) d’apport par la ration en électrolytes, alors même que leurs concentrations plasmatiques se trouvent dans les intervalles de référence.

ENCADRÉ 2
Définition d’une fraction d’excrétion

→ Le rôle vital des reins est intimement lié à leur fonction dans l’homéostasie du milieu intérieur. Ils éliminent via l’urine les produits métaboliques terminaux (urée, acide urique, protons, créatinine, bilirubine, etc.), un grand nombre de substances exogènes, comme certains médicaments, et une quantité ajustée d’eau et d’électrolytes. La plupart des substances qui doivent être éliminées de l’organisme ne sont pas réabsorbées, comme la créatinine, et par conséquent sont éliminées en très grande partie dans l’urine. Inversement, les électrolytes, comme les ions sodium, le chlore et le bicarbonate ou le glucose, sont très fortement réabsorbés et leur excrétion fractionnelle est très faible. L’adaptation rénale des ruminants à des apports électrolytiques élevés, comme physiologiquement en potassium, consiste en une stimulation de la sécrétion distale et non en une inhibition partielle de la réabsorption proximale [6].

→ L’excrétion urinaire de chaque substance est la résultante de trois processus adaptables en permanence : la filtration glomérulaire, la réabsorption et la sécrétion tubulaire.

→ En physiologie rénale, la fraction d’excrétion (FE) d’un composé est définie par sa fraction filtrée qui est ensuite excrétée dans l’urine. C’est l’excrétion urinaire de ce composé par minute divisée par la quantité de ce même composé filtré par minute :

FE = quantité excrétée/quantité filtrée (équation 1).

Pour un composé donné X, la quantité excrétée dans l’urine équivaut à sa concentration dans l’urine ([X] urine) multipliée par le volume urinaire produit en une minute (V). La quantité filtrée par le glomérule est égale au débit de filtration glomérulaire (DFG) multiplié par la concentration plasmatique du composé ([X] plasma) :

FE (X) = [X] urine × V / DFG × [X] plasma (équation 2).

L’équation 2 correspond donc au ratio de la clairance rénale du composé X sur le débit de filtration glomérulaire (équation 3). C’est pourquoi le terme de “clairance fractionnelle” est parfois employé comme synonyme de celui de “fraction d’excrétion” :

DFG = [créatinine] urinaire × V / [créatinine] plasma (équation 3).

La FE peut donc être calculée à partir des équations 2 et 3 :

- FE (X) = [X] urine × V / ([créatinine] urinaire × V / [créatinine] plasma) × [X] plasma (équation 4) ;

- FE (X) = [X] urine × [créatinine] urine / [X] plasma × [créatinine] urine (équation 5).

En comparaison avec l’équation 2, mesurer la FE à l’aide de l’équation 5 ne requiert qu’un prélèvement concomitant de plasma et d’urine, et dispense de la collecte d’urine pendant un temps donné. L’utilisation de l’équation 5 se fonde sur l’hypothèse que la clairance rénale des électrolytes et celle de la créatinine sont stables ou changent proportionnellement au cours d’une journée.