La population des vétérinaires ruraux - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

PROFESSION

Management, économie

Auteur(s) : Jacques Guérin

Fonctions : Pragmavet
Saint-Marc
56140 Pleucadeuc
Conseil national de l’Ordre des vétérinaires
Revue de l’Ordre des vétérinaires
34, rue Bréguet
75011 Paris

L’évolution considérable de la population des vétérinaires ruraux doit amener à se poser des questions sur l’avenir du maillage vétérinaire, indispensable pour une surveillance efficace, nécessaire en santé animale et en santé publique vétérinaire.

Traiter la question de la population des vétérinaires ruraux impose dans un premier temps de s’entendre sur la définition des mots et d’emblée de poser un postulat : sont qualifiés de “ruraux” les vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre exerçant la médecine et la chirurgie des animaux de rente et la pharmacie vétérinaire pour ces mêmes animaux. Ce périmètre est plus restreint que celui des vétérinaires établis dans les territoires ruraux et qui, pour certains, exercent exclusivement auprès des animaux de compagnie, de sport et de loisirs, dont les équidés.

L’autre préalable est de convenir qu’en l’état actuel des travaux relatifs à la démographie vétérinaire, même si un premier atlas démographique a été publié et que des travaux ont été menés par l’unité mixte de recherche (UMR) Métafort de VetAgro Sup, campus de Clermont-Ferrand, l’analyse, certes chiffrée et documentée, repose essentiellement sur des éléments descriptifs, mais ne s’aventure pas fondamentalement sur le terrain des causes et des facteurs explicatifs (encadrés 1 et 2) [1, 2].

La démographie vétérinaire est un champ d’investigations en devenir, dont l’intérêt est grandissant pour adapter, sur la base de données fiables, les politiques publiques, alors que le risque de voir s’installer des déserts vétérinaires dans certains territoires ruraux émerge et heurte la certitude, jusqu’ici non contestée, d’un maillage vétérinaire efficient quant à la surveillance des maladies animales réglementées ou émergentes en France.

38,6 % DES VÉTÉRINAIRES DÉCLARENT UNE COMPÉTENCE POUR LES ANIMAUX DE RENTE

→ La compilation des données personnelles des vétérinaires arrêtées au 31 décembre 2015 dénombre 6 976 vétérinaires déclarant soigner une des espèces animales de rente, sur un total de 18 084 inscrits au tableau de l’Ordre des vétérinaires. L’âge moyen est de 44,2 ans. Il est légèrement supérieur à l’âge moyen de la population globale (+ 0,54 an). La population des vétérinaires ruraux est fortement masculine (67 %) et plutôt proche de la cinquantaine, alors que le point d’équilibre entre les vétérinaires femmes et hommes inscrits au tableau, et toutes espèces confondues, vient d’être atteint début février 2017.

→ 2 892 vétérinaires ruraux sont âgés de moins de 40 ans, dont 1 535 sont des femmes (53 %) et 1 357 des hommes (47 %). Cette tranche d’âge contraste avec les plus de 40 ans, qui sont principalement des hommes (3 297 hommes, 80,7 %). L’évolution de la pyramide des âges des vétérinaires ruraux est sujette à de fortes interrogations conditionnant, à terme, des choix de la part des pouvoirs publics, notamment en ce qui concerne les profils de recrutement à l’entrée des écoles vétérinaires en France (figure 1). La question est d’autant plus sensible qu’elle n’est pas sans relation avec l’évolution que les femmes vétérinaires donneront à leur carrière. En 2015, 810 diplômés ont cessé d’exercer la médecine et la chirurgie des animaux, dont 252 vétérinaires âgés de moins de 40 ans. 164 de ces diplômés sont des femmes (65 %). Il s’agit bien là d’un point de vigilance qui devra faire l’objet d’une surveillance toute particulière dans les 5 ans à venir.

UN EXERCICE MIXTE COMPLEXE À QUALIFIER

→ Caractériser qualitativement et quantitativement l’exercice des vétérinaires ruraux est une équation à multiples inconnues. La seule certitude est d’affirmer qu’il n’est plus tenable de raisonner en nombre de diplômes exerçant auprès des animaux de rente, alors que cette pratique est exclusive pour 34 % des vétérinaires ruraux, prédominante pour 38,9 % et occasionnelle pour 27,1 % d’entre eux. Il convient aussi d’intégrer la notion maintenant plus répandue d’exercice à temps partiel et à temps choisi, qui est une demande sociétale forte des plus jeunes générations de vétérinaires ruraux, quelles que soient les modalités d’exercice (tableau).

→ Les projections reposent, d’une part, sur la déclaration des espèces que les vétérinaires revendiquent soigner et, d’autre part, sur la pondération de leur implication auprès des animaux de rente, selon une hiérarchisation des choix annoncés. La clé de répartition attribuant la valeur 1 au choix de l’espèce traitée de rang 1, la valeur 2/3 à l’espèce de rang 2 et de 1/3 à l’espèce de rang 3 est un choix critiquable, mais qui a l’avantage d’être simple, accessible, applicable à un plus grand nombre et répétable, faute de disposer d’études scientifiques plus précises reposant sur l’étude de panels.

→ À défaut de pouvoir répondre à la question de la cohérence de la couverture vétérinaire dans les territoires ruraux au regard de la demande des détenteurs des animaux de rente, cette approche considère le gisement de compétences des vétérinaires ruraux pour les animaux de rente. L’expression de ce potentiel dans la réalité de l’exercice quotidien des vétérinaires est un autre sujet.

→ Tout en restant prudent sur l’interprétation qu’il convient de faire de la compilation des données recueillies, les choix opérés permettent des représentations graphiques comparant les densités d’élevages exprimées en unités de gros bovin (UGB) à la population de vétérinaires ruraux, exprimée en compétences pondérées pour les espèces de rente.

→ L’Atlas démographique de la profession vétérinaire 2016 présente une succession de représentations graphiques pour les espèces principales dont la densité est exprimée soit en UGB, soit en nombre de têtes (bovins lait et bovins allaitants), soit en nombre d’élevages par orientation espèce et par commune [1].

→ Ces cartographies permettent d’identifier et de surveiller les zones à plus grand risque de rupture entre l’offre et la demande en compétences vétérinaires pour les animaux de rente (figure 2). D’autant plus que la population des vétérinaires ruraux exerçant de manière exclusive ou prédominante se contracte de 3,2 % en 5 ans, de l’ordre de 580 diplômes. En 2015, 122 diplômes revendiquant soigner des espèces de rente à titre principal ont été “perdus”. L’arrivée de 40 consœurs n’a pas compensé le départ ou la réorientation professionnelle de 162 confrères.

UN TROPISME D’INSTALLATION EN LIEN AVEC L’ÉCOLE D’ORIGINE

→ Tant l’Atlas démographique de la profession vétérinaire 2016 que les travaux VeTerrA menés par l’UMR Métafort identifient un facteur d’influence du lieu d’installation des vétérinaires diplômés : le lieu de formation initiale. Schématiquement, les vétérinaires formés à Maisons-Alfort (tous profils confondus) s’établissent principalement dans la grande couronne autour de Paris ; ceux formés à Lyon, dans le secteur est - sud-est de la France ; ceux formés à Toulouse, dans le Sud ; ceux formés à Nantes, dans le Grand-Ouest ; et ceux formés à Liège (Belgique), dans le Nord.

→ L’UMR Métafort a démontré, dans son étude VeTerrA, un lien négatif entre le diplôme vétérinaire obtenu à l’École nationale vétérinaire d’Alfort et l’installation dans un territoire rural [2]. L’analyse du tableau de l’Ordre des vétérinaires montre que 1 211 diplômés d’Alfort exercent auprès des animaux de rente (32,3 % du total des diplômés alforiens), alors que la population de vétérinaires ruraux est constituée de 1 455 vétérinaires toulousains (42,1 % de leur total), 1 348 vétérinaires lyonnais (40 % de leur total), 1 209 vétérinaires nantais (43,6 % de leur total), 1 754 vétérinaires liégeois (47,6 % de leur total) et 432 vétérinaires issus d’un autre pays de l’Union européenne (UE) (40,4 % du total des diplômés d’autres pays de l’UE).

LOCALISATION GÉOGRAPHIQUE ET FACTEURS D’INFLUENCE

→ En dehors de l’influence de l’école de formation, les travaux VeTerrA sur la base de données des vétérinaires de 2010 explorent d’autres pistes [2].

→ Selon un premier modèle étudiant la localisation des vétérinaires suivant un découpage en unités urbaines de 2010, il convient de constater que les vétérinaires ruraux s’installent dans les communes rurales et dans les villes isolées pour respectivement 18 et 14 % d’entre eux. Une ville isolée est définie comme une unité urbaine composée d’une seule commune où résident au moins 2 000 habitants.

→ Cette localisation peut aussi être approchée selon le zonage en aires urbaines, construction de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de manière à obtenir une vision des unités urbaines selon leur taille et leurs aires d’influence sur le territoire (figure 3).

→ Les travaux VeTerrA tendent à montrer que " le nombre de vétérinaires ruraux au sein des bassins de vie dépend essentiellement de ses caractéristiques agricoles et de son caractère plus ou moins urbanisé, mais peu de ses caractéristiques sociodémographiques (revenu, emploi) et de l’offre de services (notamment les services publics) ". Il est ainsi documenté que la population des vétérinaires ruraux est influencée par la demande agricole, mais également par les caractéristiques des exploitations agricoles (orientation élevage, part des agriculteurs de plus de 55 ans).

Conclusion

Ces premiers éléments démographiques et sociodémographiques sont de nature à ouvrir des pistes de réflexion susceptibles d’interpeller les pouvoirs politiques quant aux décisions à prendre dès maintenant pour assurer la vitalité du réseau des vétérinaires ruraux dans les territoires. Le soutien financier du ministre en charge de l’agriculture au programme visant à l’immersion pendant 16 semaines de 25 étudiants en zone rurale et dans des clientèles mixtes est une première étape qui doit tirer vers le haut l’ensemble des politiques de stages en zone rurale des écoles nationales vétérinaires, tout au long du cursus de formation initiale. Les discussions relatives aux facteurs de maintien d’un maillage vétérinaire efficient dans les territoires, notamment avec les éleveurs, sont aussi de nature à faire progresser cette question, en précisant par exemple la demande des éleveurs sur ce sujet et, par voie de conséquence, en agissant pour que l’offre vétérinaire soit en adéquation. L’apport de la communauté scientifique à ce projet est essentiel afin de construire une analyse précise et solide sur laquelle la profession vétérinaire et les pouvoirs publics pourront s’appuyer pour prendre les décisions qui s’imposent.

Références

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Parmi les jeunes vétérinaires ruraux (moins de 40 ans), 53 % sont des femmes, alors que, tous âges confondus, elles ne représentent que 33 % d’entre eux.

→ La proportion de vétérinaires à activité rurale exclusive ou prédominante a chuté de 3,2 % en 5 ans.

→ Le lieu d’installation des vétérinaires est corrélé à celui de leur formation.

→ Les vétérinaires ruraux sont majoritairement installés dans des pôles urbains (ou leur couronne).

ENCADRÉ 1
Rôle de l’Observatoire national démographique

L’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire est né du constat d’une absence de données consolidées relatives aux diplômés vétérinaires susceptibles de guider les politiques publiques ou, plus simplement, de permettre aux vétérinaires de disposer d’informations sur leur installation (photo 1). Il a vocation à être une source de données pérennes, mise à jour annuellement et non limitée aux seuls vétérinaires exerçant la médecine et la chirurgie des animaux. Il est une mine d’informations en 334 pages organisées en une approche nationale, puis par région. La gestion de cet observatoire, fruit de 6 années de travail et d’évolution des bases de données de l’Ordre des vétérinaires, n’est concevable qu’avec la participation active des vétérinaires, seuls garants de la qualité des données qu’ils transmettent.

https://www.veterinaire.fr/fileadmin/user_upload/documents/accueil/atlas-demographique.pdf

ENCADRÉ 2
VeTerrA Massif central

VeTerrA Massif central, pour vétérinaires et territoires ruraux attractifs, explore les conditions susceptibles de favoriser l’installation durable des vétérinaires dans les territoires ruraux (photo 2). Ce programme de recherche porté par l’unité mixte de recherche (UMR) Métafort de VetAgro Sup, campus de Clermont-Ferrand, est à saluer comme un travail de référence en ce qu’il aborde le maillage vétérinaire en zone rurale et le risque que chacun pressent de la désertification médicale vétérinaire à travers trois axes : la localisation des installations des vétérinaires et l’évolution de ces installations, l’analyse des conditions facilitant l’installation des vétérinaires dans les territoires et l’établissement de relations vétérinaires-éleveurs positives, l’analyse des politiques publiques.

http://veterra.vetagro-sup.fr/wp-content/uploads/2015/12/rapport-final-veterra.pdf

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