La bactériologie du lait - Ma revue n° 017 du 01/01/2017 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 017 du 01/01/2017

MAMMITES

Diagnostic

Auteur(s) : Olivier Salat*, Guillaume Lemaire**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de la Haute-Auvergne, 15100 Saint-Flour
olivier.salat@free.fr

Le développement des analyses de lait en cabinet permet de cibler les traitements antibiotiques, en accord avec les bonnes pratiques d’antibiothérapie.

Jusqu’aux années 2000, en France, le recours aux analyses bactériologiques de lait était ponctuel et passait obligatoirement par les laboratoires spécialisés, essentiellement les laboratoires vétérinaires départementaux. Introduite en France par une praticienne de Mayenne d’origine néerlandaise, Ellen Schmitt-van de Leemput, l’identification bactérienne simplifiée du lait a connu un véritable essor dans les cabinets vétérinaires exerçant en clientèle laitière. Des tests rapides de bactériologie ont été développés ces dernières années, offrant des méthodes simples et rapides pour détecter les agents pathogènes présents dans le lait (photo 1). Actuellement, l’émergence de l’antibiorésistance comme problème de santé publique et les bonnes pratiques de l’antibiothérapie qui en découlent sont de moins en moins compatibles avec des traitements antibiotiques utilisés en aveugle. Ainsi, l’isolement de l’agent pathogène responsable est devenu de plus en plus courant lors d’infection mammaire. Les motivations, les caractéristiques des diverses méthodes utilisées et leur application pratique sont exposées et discutées dans cet article.

POURQUOI FAIRE DE LA BACTÉRIOLOGIE DE LAIT EN 2017 ?

1. Limite de l’orientation clinique

Lors d’une mammite clinique caractérisée par une modification du lait avec ou sans atteinte du quartier, mais sans signes généraux, la variabilité des agents pathogènes isolés est grande, bien que les streptocoques dominent (figure 1). À partir des seuls signes cliniques, le vétérinaire n’est pas en mesure de se faire une idée précise de l’origine de la maladie, donc de choisir le traitement le plus adapté (photos 2a et 2b). Les spécialités disponibles répondent à cette problématique en proposant des associations d’antibiotiques ou des molécules à large spectre. Avec une telle approche, la guérison bactériologique est souvent limitée, surtout pour les staphylocoques [1].

Quant aux mammites subcliniques, elles ne sont pas toutes dues à Staphylococcus aureus (figure 2). L’identification de la bactérie est alors un prérequis indispensable à toute tentative de traitement en lactation. En effet, seul un traitement ciblé permet d’obtenir des taux de guérison acceptables, en prenant en compte les autres paramètres qui influent sur la réussite de la prise en charge (parité, nombre de quartiers infectés, ancienneté de l’infection).

2. Bonne pratique de l’antibiothérapie

En l’absence d’isolement d’une bactérie, l’administration d’un antibiotique n’a pas de fondement et devrait être évitée. Cela concerne environ un cas de mammite clinique non sévère sur huit. De plus, lors de mammite non sévère dues à Escherichia coli, les spécialités à base d’antibiotiques disponibles en Europe n’ont pas encore démontré un quelconque intérêt. Ainsi, pour un quart des mammites cliniques non sévères, le recours à des antibiotiques ne se justifie pas. Dans le contexte actuel, ces résultats doivent interpeller.

Lors du tarissement, de nombreuses vaches (et a fortiori de quartiers) reçoivent encore un traitement antibiotique, qui n’est pas justifié, ces animaux ne présentant aucune infection mammaire. Le risque d’infection mammaire pour des vaches dont les concentrations cellulaires sont basses (au moins inférieures à 300 000 cellules) est faible. Une analyse bactériologique systématique du lait de ces animaux avant le tarissement permettrait d’administrer des antibiotiques aux seules vaches dont l’infection est avérée.

3. Justification de l’emploi des antibiotiques critiques

Les nouvelles restrictions d’emploi des antibiotiques critiques imposent une analyse bactériologique et un résultat d’antibiogramme avant de pouvoir y recourir (décret n° 2016-317 du 16 mars 2016). Les mammites sévères ont deux caractéristiques : elles sont dues le plus souvent à des entérobactéries (Escherichia coli en très grande majorité) et le pronostic vital des vaches atteintes est engagé (présence d’une bactériémie dans environ la moitié des cas) (photos 3a et 3b, figure 3). L’approche de la médecine factuelle a démontré l’intérêt des fluoroquinolones sur ce type de mammites, l’analyse bactériologique est donc un préalable indispensable à leur utilisation [5]. Un résultat très rapide (si l’analyse est réalisée à la clinique vétérinaire) est obtenu, les colibacilles poussant vite sur les géloses. En cas de confirmation, l’examen bactériologique permet d’éviter des traitements répétés et anarchiques, ces infections mammaires générant souvent de violentes réactions inflammatoires qui mettent parfois jusqu’à 15 jours à disparaître, alors que l’agent pathogène est éradiqué de la mamelle dès le premier traitement.

COMMENT RÉALISER UN EXAMEN BACTÉRIOLOGIQUE DU LAIT ?

1. Examen bactériologique complet

Il s’agit de la méthode de référence, pratiquée dans les laboratoires vétérinaires départementaux par des bactériologistes confirmés. Elle permet une identification plus ou moins complète selon le niveau de technicité du responsable de la culture bactérienne. Elle repose sur l’emploi de milieux gélosés, de galeries API et de quelques tests supplémentaires.

2. Méthode bactériologique simplifiée

C’est la technique utilisée pour l’obtention des résultats épidémiologiques présentés dans les figures 1 à 3. Elle est fondée sur l’ensemencement de trois géloses et sur quelques tests simples d’investigation supplémentaires (photo 4). La méthode est mise en œuvre de façon plus ou moins complète par un nombre croissant de cabinets vétérinaires (figure 4) (voir [4] pour une description précise).

3. Tests d’identification rapide

Des tests rapides d’identification bactérienne ont été développés ces dernières années. Ils consistent en l’ensemencement de boîtes de Pétri uniques organisées en plusieurs compartiments (deux géloses : biplate ; trois géloses : triplate ; quatre géloses : quadriplate). L’identification de l’agent pathogène est permise par la pousse sélective sur un compartiment donné et par la couleur des colonies. Différents tests existent (Accumast®, Colorex Vet ID®, Vetorapid®), dont les performances sont variables selon les agents pathogènes considérés (tableau) [2, données personnelles].

COMMENT UTILISER LA BACTÉRIOLOGIE DU LAIT ?

1. Applications thérapeutiques

La précocité d’un traitement antibiotique lors d’une infection mammaire clinique est une priorité. Cette notion, qui fait consensus, est peu compatible avec le délai nécessaire à une culture bactérienne, et doit être relativisée. Tout d’abord, la question ne se pose pas pour les mammites sévères pour lesquelles le danger de complications par un choc endotoxinique est trop élevé pour différer l’antibiothérapie. Pour les mammites cliniques non sévères, un traitement immédiat n’est prioritaire qu’en cas d’infection récente. Lors d’infection ancienne, devenant clinique de façon différée ou en cas de rechute, la précocité du traitement n’a plus de justification. Les taux de guérison bactériologique pour ce type de mammites (51,9 %) sont beaucoup plus faibles que lors d’infection récente (86,5 %) [3]. L’identification bactérienne prend alors tout son sens, car elle permet la mise en œuvre d’un traitement ciblé. L’existence de concentrations cellulaires élevées avant un épisode clinique non sévère doit donc inciter à réaliser une culture bactérienne dont le résultat va orienter le traitement. Il convient d’éduquer les éleveurs à toujours prendre en compte les concentrations cellulaires relevées chez la vache avant que ne survienne l’épisode clinique pour choisir une stratégie thérapeutique.

2. Applications épidémiologiques

Deux types de situations se rencontrent en clientèle :

– dans les élevages pratiquant régulièrement les analyses bactériologiques de lait sur les mammites, qu’elles soient cliniques ou subcliniques, les résultats sont fournis avec l’origine probable de la bactérie (environnementale ou de traite) selon sa nature quand cela est possible (par exemple, pour les staphylocoques à coagulase négative, leurs origines étant très diverses, cette indication ne peut être donnée). Un bilan est également effectué chaque fin d’année en fonction des analyses bactériologiques disponibles pour proposer un protocole de traitement de première intention des infections récentes et des mesures préventives sont envisagées selon la prédominance des bactéries rencontrées ;

– lors d’audit en élevages, liés le plus souvent à une dégradation plus ou moins ancienne des concentrations cellulaires de tank, l’analyse bactériologique de lait chez les animaux infectés tient une place fondamentale dans la démarche. Associée aux caractéristiques des bovins atteints (âge, existence ou non de lésions sur la peau des trayons ou sur leur sphincter, morphologie de la mamelle, nombre de quartiers touchés) et à l’ancienneté de l’infection, elle permet de proposer la solution, thérapeutique ou non, la plus adaptée. Ainsi, une vache âgée de 9 ans infectée depuis plusieurs mois sur plus de deux quartiers ne fait pas l’objet d’une tentative de traitement en lactation. Mais, surtout, cet examen permet d’identifier les origines des infections mammaires en se fondant sur la diversité des bactéries, mais surtout des souches présentes. La réalisation d’antibiogrammes est alors un complément idéal à l’identification bactérienne car cette recherche donne une idée assez précise du caractère oligoclonal (donc contagieux) ou polyclonal (donc plutôt environnemental) de la bactérie en cas d’isolement répété. Cette information est fondamentale dans le choix des mesures préventives prioritaires.

Conclusion

La bactériologie de lait a pris une place prépondérante dans le domaine de sa qualité, et plus particulièrement dans le contrôle des infections mammaires. Dans un contexte d’antibiothérapie raisonnée et de limitation de l’usage des antibiotiques, cet outil essentiel n’a pourtant pas encore pris sa véritable place. Son développement en cabinet vétérinaire requiert que plusieurs conditions soient réunies : l’adhésion de tous les membres de la structure, une rigueur dans la démarche pour prévenir l’écueil de résultats faux, et une bonne organisation du travail. Dans l’économie d’un cabinet vétérinaire, les examens complémentaires représentent un domaine qui peut encore se développer et dont la plus-value est vraiment intéressante. Ce nouveau créneau, qui constitue une nouvelle source de revenus, valorise les compétences du vétérinaire.

Références

  • 1. Bradley AJ, Green MJ. Factors affecting cure when treating bovine clinical mastitis with cephalosporin-based intramammary preparations. J. Dairy Sci. 2009;92:1941-1953.
  • 2. Ganda EK, Bisinotto RS, Decter DH, Bicalho RC. Evaluation of an on-farm culture system (Accumast) for fast identification of milk pathogens associated with clinical mastitis in dairy cows. PLoS One. 2016 13;11(5):e0155314. doi: 10.1371/journal.pone. 0155314. eCollection 2016.
  • 3. Pinzón-Sánchez C, Ruegg PL. Risk factors associated with short-term post-treatment outcomes of clinical mastitis. J. Dairy Sci. 2011;94:3397-3410.
  • 4. Salat O, Lemaire G, Perrot F. Étiologie des mammites en fonction de la sévérité clinique et conséquences pour le traitement. Nouv. Prat. 2016;9:23-32.
  • 5. Suojala L, Kaartinen L, Pyorälä S. Treatment for bovine Escherichia coli mastitis – An evidence-based approach. J. Vet. Pharmacol. Ther. 2013;36:521-531.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les mammites subcliniques n’ont pas toutes pour origine Staphylococcus aureus et les analyses bactériologiques sont un prérequis au traitement.

→ En l’absence d’isolement d’une bactérie pour une mammite clinique non sévère, l’antibiothérapie devrait être évitée.

→ Les fluoroquinolones présentent un intérêt évident dans le traitement des mammites à entérobactéries, mais leur utilisation est soumise à une analyse bactériologique préalable.

→ La précocité du traitement se justifie en cas de mammite sévère ou lorsque l’infection est récente. Dans les autres cas, le début du traitement peut attendre les résultats d’analyses.

→ La réalisation d’analyses en élevage permet de proposer un traitement de première intention fondé sur les résultats antérieurs.

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