ALIMENTATION
Diagnostic
Auteur(s) : Guillaume Lequeux
Fonctions : Membre de la Commission
Vaches laitières de la SNGTV
Labocea, BioAgropolis
10, rue Claude-Bourgelat
Javené, CS 30616
35306 Fougères Cedex
Les carences en oligo-éléments sont difficiles à diagnostiquer car les signes sont généralement peu spécifiques. Cependant, une démarche diagnostique adaptée permet de cerner et de corriger les anomalies de rationnement.
Les oligo-éléments jouent un rôle fondamental dans la santé et les performances des bovins. Toute carence a un impact sur ces facteurs de réussite de l’élevage. La fréquence de telles carences semble augmenter, en raison de l’amélioration des performances des animaux et de la diminution de la concentration en oligo-éléments des rations (avec l’utilisation d’espèces végétales davantage productives, mais aussi plus pauvres en oligo-éléments).
Les signes d’appel sont en général peu spécifiques, mais certains doivent alerter le praticien (tableau 1).
Dans le contexte actuel de l’élevage et de la maîtrise, du moins partielle, de l’alimentation et des facteurs de risque, les subcarences ou carences marginales sont plus fréquentes que les carences vraies [1]. Elles jouent un rôle non négligeable de facteur favorisant, aggravant ou d’entretien de troubles sanitaires protéiformes, multifactoriels et souvent réfractaires aux traitements habituels : mammites, santé du veau, infections, atteintes locomotrices, baisse des performances de reproduction, par exemple.
→ Recueil de l’anamnèse et des commémoratifs (notamment ration, eau, supplémentations éventuelles).
→ Examen des documents d’élevage (en se focalisant sur la production laitière, la reproduction, la néonatalogie).
→ Examen des animaux : classes d’âge concernées, signes cliniques.
→ Analyses de laboratoire, si besoin seulement. Ces analyses ne doivent être réalisées que pour infirmer ou confirmer une hypothèse diagnostique.
Les analyses (dosage des oligo-éléments) de fourrage et d’aliments pour bétail sont possibles dans la plupart des laboratoires. Dans l’idéal, il convient de prélever des lots homogènes (parcelle d’origine, mode de conservation).
Pour le foin, le prélèvement doit être d’au moins 1 kg. L’acheminement en sac fermé à 4 °C est nécessaire si le taux d’humidité est supérieur à 15 %.
Mais, dans tous les cas, une conservation de l’échantillon à 4 °C et de façon à le préserver des contaminations (sac plastique fermé hermétiquement) est préconisée.
Il s’agit d’une analyse intéressante mais d’interprétation difficile en raison :
- des nombreuses interactions (antagonismes parfois) entre les nutriments (tableau 2) ;
- de l’absence de mise en évidence des carences relatives ou secondaires ;
- de fortes variations de concentrations possibles ;
- de l’impossibilité de l’analyse d’une ration complexe ;
- des variations importantes possibles selon les modes de distribution ou la forme d’apport des oligo-éléments (organique ou inorganique), le broyage, la digestibilité du fourrage ;
- de la compétition possible entre les animaux pour la ration, dont le complément minéral et vitaminique ;
- des variations possibles de la valorisation de l’apport en fonction de l’état sanitaire des animaux.
L’objectif des analyses peut être de déterminer :
- une concentration moyenne en oligo-éléments chez les animaux ;
- une prévalence de carences en oligo-éléments (tableau 3).
Le prélèvement est effectué de préférence :
- à la veine jugulaire ou coccygienne ;
- avec une aiguille de diamètre important (16 à 18 G) ;
- en laissant couler le sang directement dans un tube ouvert (pas de prélèvement dans une seringue pour prévenir l’hémolyse de l’échantillon) ;
- sur un tube héparinate de lithium (éviter l’EDTA qui interfère avec les dosages) (photo 1) ;
- l’utilisation d’un tube sous vide est à éviter (contamination possible en oligo-éléments du plasma par le plastique du bouchon).
Le prélèvement est acheminé au laboratoire au maximum dans les 48 à 72 heures qui suivent sa réalisation sous couvert du froid positif (photo 2).
Il est recommandé de réaliser des classes d’animaux afin de minimiser les principaux facteurs de variation des résultats. En pratique, il convient de prélever entre 5 et 12 bovins par classe d’animaux [3]. Cette stratégie permet de déterminer le nombre d’individus (prévalence) dont les valeurs sont inférieures au seuil de carence. Une autre option, moins représentative que la première, est possible : analyser les résultats en réalisant la moyenne des mesures individuelles et comparer cette moyenne au seuil de carence. Dans ce dernier cas, un minimum de 7 ou 8 animaux est conseillé [4].
Seuls les animaux sains doivent être prélevés, en raison de l’effet majeur du stress et des phénomènes inflammatoires sur le résultat d’analyse.
Dans le cas de l’iode, certains médicaments (iodure de sodium en traitement de l’actinobacillose, ou encore le closantel et le nitroxinil) peuvent fausser le résultat. Il convient alors d’exclure les animaux qui les ont reçus.
L’analyse sur mélange de plasmas est envisageable seulement si le lot est homogène. Cependant, une perte d’information (l’hétérogénéité des valeurs entre animaux est masquée) est alors inévitable et l’interprétation n’est possible qu’en cas de valeurs particulièrement basses ou élevées. De plus, la prévalence d’individus touchés est souvent faible au sein d’un troupeau en cas de carence nutritionnelle et une analyse de mélange pourrait ne pas détecter ces individus.
Pour les oligo-éléments, en raison de la précision des méthodes actuelles, les valeurs obtenues par mélange de cinq animaux sont très proches de la moyenne des résultats individuels (données internes Labocea). L’analyse sur mélange n’est pas recommandée pour la glutathion peroxydase (GPX, permettant l’évaluation de la carence en sélénium) et les hormones thyroïdiennes.
Pour le sélénium (Se), il existe un marqueur nutritionnel (Se plasmatique) et un marqueur fonctionnel (activité de la GPX) qui sont bien corrélés, sauf en cas de supplémentation récente (tableau 4). Lors de supplémentation, le délai d’incorporation du Se dans la GPX lors de l’érythropoïèse induit un décalage entre l’augmentation de la sélénémie et celle de l’activité de la GPX. Ce décalage est de l’ordre de 150?jours, la durée de vie d’un érythrocyte étant de 100 à 150 jours. Le sélénium plasmatique rend compte davantage du statut sélénique récent, tandis que la GPX reflète la tendance à plus long terme. Ainsi, le taux de sélénium plasmatique permet la détection plus précoce d’une carence et reflète de manière rapide (2 à 6 jours) les apports alimentaires.
Dans le cas d’une supplémentation récente en sélénium, la mesure du sélénium plasmatique est à privilégier.
Il est possible de doser le cuivre, mais également la céruloplasmine et l’activité de la superoxyde dismutase (SOD) plasmatiques, plus rarement utilisées.
Le cuivre plasmatique n’est pas un indicateur précoce de carence (il commence à diminuer très tardivement, après épuisement des réserves hépatiques, dans un délai de 170?jours environ).
La céruloplasmine permet une bonne estimation du statut en cuivre du bovin, notamment dans les cas de carence en cuivre secondaire à un excès de molybdène. Cependant, il s’agit également d’un marqueur de l’inflammation, à interpréter en fonction de l’état inflammatoire de l’animal. Des valeurs élevées de céruloplasmine peuvent ainsi masquer une carence en cuivre.
Seule la zincémie est utilisable. Elle a tendance à diminuer lors de phénomènes inflammatoires, à l’inverse de la cuprémie.
La confirmation de la carence en cobalt (Co) peut être apportée par la mesure du Co plasmatique, mais surtout par celle de la vitamine B12 qui en est un excellent reflet.
Les marqueurs nutritionnels (iode inorganique plasmatique [IIP] et iode total) sont davantage recommandés pour le suivi de l’efficacité d’une supplémentation que pour le diagnostic de carence, même si certains auteurs proposent le dosage de ces marqueurs nutritionnels dans le diagnostic de carence chez l’animal.
L’IIP est à privilégier, car il est soumis uniquement aux variations à court terme (3?jours) de l’apport exogène d’iode. Il s’agit d’une mesure simple, mais qui ne renseigne pas sur la fonction thyroïdienne.
Les marqueurs fonctionnels (thyréostimuline ou thyroid stimulating hormone [TSH], thyroxine [T4]) peuvent être dosés, mais tous les laboratoires ne disposent pas de la technique requise. Ils permettent l’évaluation de la fonction thyroïdienne des animaux. La TSH est un marqueur indirect d’une carence en iode (moins spécifique de la nutrition iodée), mais sa variation reste tardive car elle est liée à une carence suffisamment longue et marquée pour provoquer un dysfonctionnement thyroïdien.
Le dosage de la T4 est le plus souvent réalisé sur la part totale (libre + liée). Cependant, ce résultat est plus difficile à interpréter car il dépend du taux de protéines de transport.
Il s’agit donc d’indicateurs d’insuffisance thyroïdienne à long terme, permettant le diagnostic de carence chez l’animal mais peu spécifiques de l’apport iodé récent par l’alimentation. Il est donc recommandé de les utiliser lorsque la maladie est installée dans l’élevage, plutôt que pour le diagnostic précoce d’un défaut d’apport par l’alimentation.
La mise en évidence de carences en oligo-éléments chez les bovins nécessite une démarche rigoureuse, ne reposant pas uniquement sur les examens de laboratoire. Ces derniers ne doivent être proposés qu’après le recueil des commémoratifs, des données d’élevage et l’examen des animaux. L’analyse sur animaux (sur le plasma le plus souvent, les résultats sur les autres matrices étant plus difficiles d’interprétation) peut être couplée, dans un second temps, à celle de la ration. Les analyses sur les sols, bien que possibles, sont d’un intérêt limité dans un tel contexte.
Aucun.
→ Les carences en élevage sont généralement marginales. Certains signes d’appel, bien que peu spécifiques, peuvent néanmoins alerter le praticien.
→ Après avoir effectué un recueil des commémoratifs pour orienter les recherches, le prélèvement sanguin sur un lot d’animaux choisis est à privilégier.
→ Selon les oligo-éléments recherchés, des marqueurs sanguins peuvent également être dosés et renseignent plus précisément sur le statut des animaux.