ANTIBIOTHÉRAPIE
Traitement, prévention
Auteur(s) : Aude Ferran
Fonctions : Unité pédagogique physiologie-thérapeutique
École nationale vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31076 Toulouse Cedex
Dans certains cas, l’association d’antibiotiques permet d’élargir le spectre d’activité ou d’atteindre plusieurs sites infectieux. Toutefois, il convient d’être prudent et de connaître les limites de cette pratique.
La prise en charge d’une infection bactérienne consiste généralement à administrer un antibiotique à l’animal. Dans la plupart des cas, un seul antibiotique est suffisant pour éradiquer la bactérie pathogène. Plus rarement et dans des situations bien particulières, une association d’antibiotiques peut être envisagée. Il est alors nécessaire de comparer le gain potentiel d’efficacité avec les risques de sélection de bactéries résistantes associés à l’utilisation concomitante de plusieurs antibiotiques. La plupart des associations en médecine vétérinaire et humaine ne reposant sur aucun essai clinique randomisé, il est indispensable de considérer les niveaux de preuve de l’intérêt clinique des associations comme extrêmement bas (encadrés 1 et 2).
Lorsque la bactérie pathogène n’est pas identifiée et qu’un traitement probabiliste est mis en place, il convient de proposer un traitement permettant une activité antibactérienne sur des agents pathogènes peuvent avoir des sensibilités différentes aux antibiotiques (exemple : Gram+ et Gram-). Pour obtenir cette couverture large, il est parfois nécessaire d’utiliser une association de deux substances (photo 1).
Un animal peut être atteint de deux infections bactériennes distinctes pour lesquelles les bactéries pathogènes ont des sensibilités différentes aux antibiotiques. Deux antibiotiques différents sont alors nécessaires pour cibler les deux bactéries impliquées dans les maladies.
Dans le cas où la bactérie pathogène a plusieurs foyers infectieux, deux antibiotiques dont la distribution tissulaire est différente peuvent être utilisés en association.
Deux antibiotiques peuvent être utilisés pour cibler une seule bactérie pathogène à un site infectieux donné. L’objectif, en utilisant l’association, est de faciliter l’éradication de la bactérie par synergie ou de maintenir une efficacité contre les bactéries qui deviendraient résistantes à un des antibiotiques en cours de traitement.
Cette stratégie n’est conseillée que pour des bactéries très difficiles à éradiquer et lorsque la preuve de la synergie a été apportée. Il n’existe pas d’exemple en médecine bovine.
→ Le développement des multirésistances bactériennes aux antibiotiques est à l’origine de recommandations et de réglementations pour encourager une utilisation plus raisonnée des antibiotiques. L’antibiothérapie raisonnée consiste à optimiser l’usage des antibiotiques afin d’obtenir une efficacité maximale sur les bactéries pathogènes, en préservant les bactéries commensales.
Dans l’idéal, seules les bactéries pathogènes devraient être tuées par l’antibiotique et un spectre d’activité se limitant à l’espèce, au genre ou même à la souche pathogène serait donc nécessaire, ce qui est, bien entendu, impossible. Tout traitement antibiotique affecte les bactéries commensales (tube digestif, nasopharynx, peau, etc.). Cependant, plus le nombre et la diversité des bactéries affectées par le traitement augmentent, plus le risque de sélection de résistances est important. Souvent, les associations ont un spectre plus large que les monothérapies. Elles peuvent donc favoriser la sélection de résistances chez les bactéries commensales.
→ Réduire le nombre d’antibiotiques utilisés pour traiter une infection bactérienne est une bonne pratique en antibiothérapie. Cependant, l’avantage d’un seul antibiotique à très large spectre, tel qu’une fluoroquinolone ou une céphalosporine de 3e ou de 4e génération, par rapport à une association de deux antibiotiques à spectre plus étroit est très discutable, car le nombre de bactéries affectées par les traitements sera probablement similaire. De plus, les résistances induites par ces antibiotiques à très large spectre qui sont d’importance critique (AIC) sont souvent transmissibles et peuvent réduire l’activité d’autres antibiotiques, avec un risque d’impasse thérapeutique. Le décret 2016-317 concernant les AIC et interdisant l’usage des antibiotiques récents à très large spectre en première intention est en partie issu de ces constatations.
Pour que l’association d’antibiotiques présente un intérêt, ceux-ci doivent rester actifs et ne pas être antagonistes. La situation idéale serait d’obtenir une synergie, c’est-à-dire une augmentation de l’activité des antibiotiques lorsqu’ils sont administrés en association.
En pratique, il est très difficile de prédire les interactions (synergie, indifférence ou antagonisme) entre deux antibiotiques in vivo, mais il semblerait que la plupart de ceux associés par deux soit indifférents, c’est-à-dire que l’activité d’un antibiotique ne soit pas influencée par la présence d’un second (figure et encadré 3).
Il convient de ne pas administrer deux antibiotiques de la même famille (deux ß-lactamines, deux fluoroquinolones, etc.).
En effet, leur cible bactérienne étant la même, ils sont en compétition sur cette cible et, l’effet antibactérien n’est pas augmenté. En revanche, la toxicité pour l’animal peut se cumuler.
Il est important de ne pas administrer deux antibiotiques à très large spectre. Il n’existe en effet aucune indication à cela. Cette association impacte fortement les bactéries commensales, avec un risque de toxicité digestive et une très forte pression de sélection de résistances.
Il convient de ne pas administrer deux antibiotiques lorsque la sensibilité de la bactérie est connue(1).
Après le résultat de l’antibiogramme, combiner plusieurs antibiotiques auxquels la bactérie est sensible n’apporte aucun avantage. En revanche, la pression de sélection sur les bactéries de la flore commensale est augmentée. La bactérie pathogène n’est pas plus vite éradiquée, mais les résistances peuvent être plus facilement sélectionnées.
L’association d’antibiotiques doit être raisonnée et ne doit pas constituer une parade à une absence de diagnostic en espérant qu’au moins un antibiotique sera actif sur la bactérie pathogène.
Lorsque l’agent pathogène est connu par des données épidémiocliniques ou par isolement, un seul antibiotique, avec le spectre le plus étroit possible, doit toujours être choisi.
Dans le contexte actuel de prévention de l’antibiorésistance, de nombreux projets de recherche, principalement en médecine humaine, visent à identifier des associations originales de deux antibiotiques (ou d’un antibiotique avec une substance non antibiotique) capables de freiner le développement de résistances en cours de traitement. Il est donc à prévoir que, dans les prochaines années, de nouvelles recommandations d’associations d’antibiotiques seront proposées en médecine humaine et vétérinaire. Ces nouvelles associations ne garantiront pas une meilleure efficacité des traitements, mais seront plus vertueuses pour la prévention des résistances bactériennes.
(1) À l’exception des cas où la bactérie est un agent pathogène connu comme étant difficile à éradiquer (exemple : rhodococcose chez le poulain, tuberculose chez l’homme).
Aucun.
Exemple : association de pénicilline G et de dihydrostreptomycine pour cibler les bactéries à Gram+ (pénicillines) et celles à Gram- (dihydrostreptomycine).
→ L’association triméthoprime (TMP)-sulfamides est souvent considérée comme synergique. Cependant, l’association TMP-sulfaméthoxazole (qui est le seul sulfamide associé au TMP en médecine humaine) a été spécifiquement optimisée pour la médecine humaine avec, par exemple, des demi-vies très proches pour les deux substances qui assurent leur présence simultanée chez le patient et un rapport des doses de TMP/sulfamides de 1/5, qui confère à l’association une activité antibactérienne maximale. En médecine vétérinaire, le rapport des doses de TMP/sulfamides de 1/5 a été conservé sans que sa pertinence ne soit confirmée. De plus, la demi-vie du TMP chez les bovins est d’environ 2 heures, alors que celles de la sulfadoxine, de la sulfadiméthoxine et de la sulfadiazine sont respectivement d’environ 13, 7 et 5 heures.
→ Une étude a montré que le TMP est très peu efficace chez les bovins, qui ont la particularité d’avoir des concentrations élevées de thymidine dans leur plasma [1]. La thymidine, qui est un inhibiteur de TMP, bloque l’activité antibactérienne de celui-ci et, souvent, seul le sulfamide de l’association reste actif au site infectieux.
→ En résumé, l’association TMP-sulfamides chez les bovins n’est probablement pas plus efficace que l’utilisation d’un sulfamide seul. Il convient donc d’interpréter très prudemment les résultats de sensibilité in vitro (antibiogramme) et de ne s’intéresser qu’aux résultats « sulfamides seuls ». En effet, les résultats de sensibilité in vitro à l’association TMP-sulfamides ne tiennent pas compte de l’inhibition in vivo chez le bovin du TMP par la thymidine.
Exemple : un veau atteint simultanément d’une infection pulmonaire et d’une infection digestive peut recevoir un antibiotique ciblant les pathogènes respiratoires (macrolides) et un autre ciblant les pathogènes digestifs (néomycine).
Exemple : lors d’infection digestive à Escherichia coli chez le veau associée à une septicémie, un antibiotique local non absorbé, qui restera dans la lumière du tube digestif (néomycine), peut être couplé à un antibiotique qui passe facilement dans la circulation sanguine ou à un autre administré par voie systémique (sulfamide).
Le décret 2016-317 du 16 mars 2016 a conduit à une forte limitation des possibilités d’utilisation des antibiotiques d’importance critique (AIC) qui ont un large spectre d’activité. Une des conséquences de ce décret est l’obligation d’utiliser des associations d’antibiotiques, en remplacement des AIC, dans les situations où un large spectre est requis (absence d’identification de la bactérie sans données épidémiocliniques suffisantes).
1er exemple : rifampicine associée à un autre antibiotique (clarithromycine ou érythromycine) pour le traitement de la rhodococcose chez le poulain.
2e exemple : traitement de la tuberculose (jusqu’à quatre antibiotiques en association pour cibler Mycobacterium tuberculosis) chez l’homme (photo 2).
Les lois de Jawetz datant de 1953 recommandaient, à partir de résultats d’études, de ne pas associer un antibiotique bactériostatique et un antibiotique bactéricide [2]. Ces lois in vitro ont été largement acceptées et diffusées, notamment dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP) des médicaments vétérinaires. Cependant, il semblerait que ces lois ne se vérifient pas systématiquement. Les quelques données cliniques humaines disponibles ne montrent pas d’antagonisme entre antibiotiques bactériostatiques et bactéricides [3]. Le caractère bactériostatique ou bactéricide d’un antibiotique ne semble donc pas être un critère de choix dans la pertinence ou non d’une association.
→ L’efficacité du traitement est rarement augmentée par les associations.
→ Les associations augmentent le risque de sélectionner des bactéries résistantes.
→ Lorsqu’un large spectre est requis, l’association d’antibiotiques peut permettre de s’affranchir d’un recours aux antibiotiques critiques.
Exemple : les agents pathogènes pulmonaires (Pasteurella, Mannheimia, Histophilus) chez les bovins sont très souvent sensibles aux antibiotiques utilisés dans cette indication. Même en l’absence d’antibiogramme, les associations ne sont pas utiles pour le traitement des infections pulmonaires chez les bovins.