La ténotomie chez le veau - Ma revue n° 019 du 01/01/2019 - Le Point Vétérinaire.fr
Ma revue n° 019 du 01/01/2019

MALFORMATION CONGÉNITALE

Membres et appareil locomoteur

Auteur(s) : Justine Eppe*, Salem Djebala**, Calixte Bayrou***, Hélène Casalta****, Linde Gille*****, Arnaud Sartelet******

Fonctions :
*Clinique vétérinaire universitaire
Faculté de médecine vétérinaire
Quartier Vallée 2
Avenue de Cureghem 7
4000 Liège
Belgique

La rigidité articulaire congénitale du veau peut être traitée par une ténotomie, suivie de la pose d’une attelle maintenant l’extension articulaire.

Dans les cas sévères de rigidité articulaire congénitale (RAC) ou d’arcure/bouleture, le traitement médical et la physiothérapie ne suffisent pas à rétablir des angles articulaires normaux. Il est alors nécessaire de recourir à une ténotomie des fléchisseurs du carpe, pour corriger une arcure ou une flexion du ou des carpes, et à une ténonomie des fléchisseurs profond et superficiel du doigt, pour corriger une bouleture ou une flexion du ou des boulets [4-6].

Cette chirurgie simple, rapide et réalisable avec peu de matériel peut facilement être effectuée à la ferme. En fonction du grade de la RAC, la chirurgie est ou non conseillée.

Après l’acte chirurgical, la confection d’une attelle est indispensable. Ces deux étapes ont la même importance pour la réussite de l’intervention.

ÉTAPE 1 INDICATION DE LA TÉNOTOMIE CHEZ LE VEAU

La ténotomie peut être indiquée en traitement de toute rigidité en flexion d’un membre du type arcure ou bouleture [1]. La RAC en est l’indication la plus courante (encadré). Il est cependant possible de rencontrer des cas d’arcure et de bouleture acquis, notamment chez des animaux plus âgés, à la suite d’un traumatisme (fracture), d’une épiphysite ou encore d’une paralysie du nerf radial [1]. Ce dernier cas de figure est très rare, et peu de publications sont disponibles sur ces cas particuliers. Cet article traite de la ténotomie chez le veau atteint de RAC.

ÉTAPE 2 PRONOSTIC ET RÉUSSITE DE LA TÉNOTOMIE

Le pronostic est bon pour les grades I et II, réservé pour le grade III et mauvais pour le grade IV. Pour ce dernier, l’euthanasie est conseillée.

En 2013, une enquête téléphonique réalisée auprès des éleveurs avait pour objectif de connaître les résultats des traitements effectués sur les veaux présentant une RAC [5]. Cette étude prend en compte les traitements médicaux, dont la simple pose d’attelles, et le traitement chirurgical. Le taux de succès des traitements est de 64,5 %. À la clinique vétérinaire universitaire de Liège (CVU-ULiège), les veaux présentés sont principalement de grades III et IV. Les autres sont soit traités en ferme par le vétérinaire de l’exploitation, soit euthanasiés à cause de la sévérité des lésions. Environ 80 % des veaux référés à la CVU-ULiège sont traités par ténotomie, 10 % par mise en place d’attelles et 10 %, essentiellement des veaux de grade IV, sont euthanasiés. Le taux de succès après ténotomie est d’environ 65 %. Les veaux morts après le traitement (35,1 %) ont été euthanasiés en clinique, parce que la RAC a persisté, ou sont morts à la ferme pour d’autres raisons que la RAC. En ce qui concerne le grade IV, l’étude a montré une inversion de la tendance. Pour ce grade, seuls 35 % des veaux ont été traités chirurgicalement. Les 65 % restants ont été euthanasiés sans traitement.

ÉTAPE 3 PHASE PRÉOPÉRATOIRE

Examen général du veau

Avant toute chirurgie, un examen général minutieux du veau est effectué. Il est nécessaire de connaître précisément l’âge du veau, puisque la chirurgie doit être réalisée entre 5 et 10 jours de vie, compromis entre un bon transfert colostral, un bon démarrage, la diminution des risques liés à l’anesthésie et le développement de complications de la RAC (plaie de décubitus, omphalite) [4]. L’examen général permet d’exclure la présence d’une gastroentérite néonatale, d’une septicémie, d’une atteinte respiratoire, d’une omphalite aiguë et des lésions liées au décubitus. Ces maladies sont des contre-indications à la prise en charge chirurgicale et il est préférable de postposer l’intervention, en prenant des précautions pour éviter les plaies de décubitus. Au terme de cet examen général, un grade de RAC est attribué au veau (photos 1a et 1b).

Les veaux présentant une RAC de grade avancé (III ou IV) restent longtemps couchés et présentent plus de risques de développer des complications telles qu’une infection ombilicale, une arthrite ou une périarthrite. Dans ces cas, le pronostic s’assombrit et il convient de discuter avec l’éleveur de l’issue et de la stratégie thérapeutique. La présence d’une arthrite est une contre-indication au traitement chirurgical et l’euthanasie est alors recommandée.

Il convient, par ailleurs, de vérifier si d’autres anomalies congénitales, telles qu’une fente palatine ou une macroglossie, sont présentes sur ce veau ; selon la gravité d’une telle lésion, la ténotomie pourrait être contre-indiquée [1].

Le bilan de cet examen général conditionnera la décision d’effectuer ou non la chirurgie.

Mesure de l’attelle

La mesure de l’attelle peut se faire soit sur animal vigile, soit sur animal tranquillisé. La mesure à effectuer est, pour le membre antérieur, la distance allant de la pointe du coude à la couronne, au niveau du talon (bulbe du talon), et, pour le membre postérieur, de la pointe du jarret (pour éviter une blessure) jusqu’au talon.

Matériel nécessaire

Le matériel nécessaire consiste en deux scalpels équipés de lames n° 11 et n° 24, des ciseaux de Mayo, des pinces hémostatiques courbes (du type Mosquito), des aiguilles triangulaires, ainsi qu’un champ opératoire en plastique et des compresses stériles.

La protection de la plaie chirurgicale nécessite des compresses, un gel de povidone iodée (Isobétadine® gel) et une bande adhésive de 5 cm de largeur (Sparadrap®).

Pour constituer l’attelle, le matériel consiste en une gouttière (du type gouttière de toit disponible en magasin de bricolage) découpée à la dimension du veau, de l’ouate sous gaze, du Sparadrap®, de l’ouate, une chaussette pour plâtre, des bandes légères en coton de 10 cm de largeur (Cambric®, par exemple), des bandes cohésives de 10 cm de largeur (du type Vtrap®).

Tranquillisation et préparation du veau à la chirurgie

La chirurgie se déroule sous tranquillisation profonde (avec une diète alimentaire de 12 heures). Cette dernière consiste en une injection de 0,2 mg/kg de xylazine par voie intramusculaire (IM). Le veau est positionné sur la table en décubitus latéral. Les autres membres sont solidement attachés à la table.

En ferme, une palette de bois posée sur un ballot de paille ou surélevée à l’aide d’un engin agricole du type manitou peut être utilisée comme table opératoire ; elle fournit des points d’attache utiles pour réaliser cette intervention.

Le membre est ensuite tondu entièrement jusqu’à l’épaule ou jusqu’au jarret. L’onglon est recouvert d’un gant. Une asepsie à la povidone iodée (Isobétadine®) et à l’alcool est réalisée.

Anesthésie locale

Pour l’articulation du boulet, une anesthésie palmaire haute est réalisée, à raison de 2 × 2 ml de xylocaïne 2 % au niveau du tiers proximal de canon, de part et d’autre des tendons fléchisseurs, dans l’interligne entre le ligament suspenseur du boulet et le fléchisseur profond des doigts (photos 2 et 3). Pour l’articulation du carpe, une injection sous-cutanée en région péritendineuse de 4 ml de xylocaïne 2 % est pratiquée au niveau du site d’incision, proximalement à l’os pisiforme du carpe.

ÉTAPE 4 PHASE CHIRURGICALE

Les figures 1 et 2 présentent des rappels anatomiques des sites chirurgicaux pour la ténotomie [2, 3]. Ces rappels permettent de localiser les vaisseaux et les nerfs à ne surtout pas léser lors de cette chirurgie.

Incision cutanée

Pour la ténotomie des fléchisseurs des doigts, une incision cutanée de 2 à 3 cm à la lame n° 24 est réalisée en partie palmaire/plantaire, au niveau du tiers moyen du canon. Une fois la peau incisée, la gaine tendineuse est incisée à l’aide d’une lame n° 11.

Pour le carpe, une incision cutanée à la lame n° 24 d’une longueur de 4 à 5 cm est pratiquée proximalement à l’os pisiforme du carpe, en partie médiale de la face palmaire, le long de l’insertion des muscles fléchisseurs radial et ulnaire du carpe (photo 4).

Chargement des tendons

À l’aide d’une pince hémostatique courbe, le praticien effectue le chargement, l’un après l’autre, des tendons fléchisseurs du carpe, lors de l’atteinte du carpe, et des tendons fléchisseurs superficiel et profond, lors de l’atteinte du boulet, en les isolant de leur gaine (photos 5 et 6).

Ténotomie

Les tendons sont sectionnés un à un à l’aide de la lame n° 11. Pour l’articulation du boulet, lorsque la rigidité est encore importante après la section des tendons fléchisseurs superficiel et profond ainsi que de la gaine, une fragilisation du ligament suspenseur du boulet (LSB) peut être réalisée (photo 7). Pour ce faire, il convient de planter la lame n° 24 dans le LSB et de la faire pivoter d’un quart de tour à gauche et à droite.

Suture cutanée

Seule une suture cutanée est effectuée à l’aide de points simples ou d’un surjet simple, en utilisant un polyfilament synthétique résorbable (Vicryl® déc. 5, par exemple) (photo 8).

Protection de la plaie

Des compresses de povidone iodée (Isobétadine® gel) sont appliquées sur la plaie chirurgicale et maintenues à l’aide d’un ruban adhésif (Sparadrap®) (photo 9).

Le second membre est opéré de la même façon, dans la foulée du premier.

ÉTAPE 5 CONFECTION DE L’ATTELLE

L’attelle en gouttière, préalablement découpée à la bonne taille, est rembourrée à l’aide d’une bande d’ouate sous gaze pour éviter tout frottement et toute blessure au contact du plastique des extrémités et des bords latéraux de la gouttière.

Un double étrier serré sur l’onglon est créé à l’aide de ruban adhésif Sparadrap® (photo 10). Une chaussette (jersey tubulaire) est enfilée sur le membre. Deux ou trois couches d’ouate sont posées sur l’ensemble du membre, excepté sur les onglons (photo 11). Il convient de bien rembourrer le coude et le jarret pour éviter toute blessure par frottement de l’attelle. L’ouate est serrée à l’aide de bandes légères (Cambric®), lui-même fixé à l’aide de ruban adhésif Sparadrap®. La gouttière est posée sur l’ensemble et serrée à l’aide de ruban adhésif Sparadrap® (photos 12, 13 et 14). L’extension du membre dans la gouttière peut être facilitée par l’utilisation d’une sangle (du type sangle de fixation de chargement). De nombreux praticiens utilisent de la résine seule, en laissant dépasser les doigts pour réduire et stabiliser les membres en extension d’un veau atteint de RAC. Dans les cas sévères, l’immobilisation par la mise en place d’un plâtre de marche ne permet pas une réduction optimale et favorise l’ankylose en flexion. L’utilisation d’une gouttière est donc recommandée.

À ce stade de l’intervention, il est important de forcer l’extension et de veiller à la linéarité du membre. Une fois la gouttière fixée et serrée, une bande cohésive Vtrap® est posée, l’étrier et la chaussette sont rabattus entre deux passages de Vtrap® et l’étrier est fixé à l’aide de ruban adhésif Sparadrap® en face craniale, pour bien étendre l’articulation.

L’attelle est convenable lorsque la pointe de l’onglon dépasse, forçant ainsi l’extension à chaque pas du veau. Chaque degré d’extension gagné en posant l’attelle est une étape gagnée vers la réussite de l’opération.

Le veau garde l’attelle durant 2 à 3 semaines, en fonction de la sévérité de l’atteinte. Lorsque la réduction n’est pas suffisante après la mise en place du dispositif, il est recommandé de confectionner une nouvelle attelle après 2 semaines et de la maintenir en place durant 2 nouvelles semaines.

Une injection de méloxicam à la dose de 0,5 mg/kg par voie sous-cutanée est effectuée le jour de la chirurgie. Un traitement à base de pénicilline en IM (20 000 UI/kg) est administré pendant 5 jours.

Les jours suivant la chirurgie, l’éleveur doit lever régulièrement le veau jusqu’à ce que celui-ci le fasse de lui-même (photo 15). Lors de cette manœuvre journalière, il peut également vérifier que le dispositif n’est responsable d’aucune lésion. En cas de blessure ou de glissement de l’attelle, il est impératif de lui en confectionner une nouvelle.

Conclusion

La ténotomie est un traitement intéressant de la RAC. Moyennant une bonne classification du grade, la réalisation opportune de la chirurgie et le positionnement correct de l’attelle, cette intervention est une option thérapeutique intéressante, qui présente un bon taux de succès.

Références

  • 1. Anderson DE, Saint Jean G. Diagnostic and management of tendon disorders in cattle. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1996;12 (1):85-116.
  • 2. Barone R. Muscles de la ceinture et du membre thoracique. Dans : Arthrologie et myologie, 4e éd., tome 2, Éditions Vigot, Paris. 2011:693-812.
  • 3. Budras KD, Habel RE. Thoracic limb. In: Bovine Anatomy. 1st ed., Schlütersche GmbH & Co. KG, Hannover. 2003:2-13.
  • 4. Djebala S, Sartelet A. Ténotomie chez le veau. Point Vét. 2016;336:66-67.
  • 5. Djebala S, Sartelet A, Moula N et coll. Classification de la rigidité articulaire congénitale chez les veaux de race blanc-bleu belge. Point Vét. 2016;364:68-72.
  • 6. Sartelet A. Étude des principales maladies du système locomoteur chez les veaux de race blanc bleu belge. Mémoire, diplôme d’étude approfondie en science vétérinaire orientation médecine vétérinaire. Université de Liège. 2007:49p.
  • 7. Sartelet A, Knapp E. Congenital articular rigidity outbreak due to ruminal dysfunction in a Belgian blue cattle herd. Communication orale Farah Day. 2013.
  • 8. Van Huffel X. Clinical and Experimental Contribution to the Pathogenesis of Congenital Articular Rigidity in the Calf in Belgium. Phd thesis, université de Gand. 1990:135p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ

Zoom sur la rigidité articulaire congénitale

→ Définition clinique

La rigidité articulaire congénitale (RAC) des membres est une rétraction des tendons fléchisseurs. Cette rétraction entraîne une bouleture et/ou une arcure, selon l’articulation atteinte. Cette affection est toujours bilatérale et les membres antérieurs sont plus touchés (54 %) que les postérieurs (17,6 %) ; certains veaux, par ailleurs, présentent une atteinte des quatre membres (20,3 %) [5].

→ Épidémiologie

La RAC est la malformation congénitale la plus fréquente en race blanc-bleu-belge. Elle touche environ 1 % des veaux culs-de-poulain en Belgique [5, 8]. Ces 5 dernières années (depuis le 1er janvier 2013), la clinique universitaire de Liège a opéré plus de 200 cas de veaux présentant une RAC.

→ Étiologie

Elle est principalement liée au manque de mouvement in utero du veau, lui-même dû à des causes très variées (carence : vitamine E, sélénium et iode ; toxique : intoxication au lupin ; virus : virus de Schmallenberg ; génétique : syndrome d’arthrogrypose et de palatoschisis en race charolaise, entre autres causes). Dans les cas d’atteintes liées à des virus ou à des toxiques, les veaux présentent de l’arthrogrypose et d’autres symptômes associés qui, de manière générale, poussent à l’euthanasie.

En race blanc-bleu-belge, et dans le cas particulier de la RAC, le manque de mouvement in utero pourrait provenir d’une carence en vitamine E ou en sélénium, éventuellement couplée à une disproportion fœto-maternelle [7].

Cette affection touche principalement des veaux mâles (95 % des cas) et des animaux nés en présentation postérieure (81 % des cas). Les veaux RAC sont, en moyenne, 15 % plus lourds que les veaux sains [3, 5].

Quatre grades sont distingués (tableau).

Points forts

→ La classification en grade de la rigidité articulaire congénitale (RAC) est indispensable pour établir un pronostic et un plan de traitement adéquat.

→ Idéalement, le traitement est réalisé entre 5 et 10 jours de vie.

→ Au moment de la pose de l’attelle, il convient de s’assurer que l’onglon dépasse bien du dispositif, que le membre est linéaire et que l’articulation est en extension maximale.

→ Après l’opération, il est important de stimuler le veau pour qu’il se lève et de veiller à ce qu’il ne se blesse pas avec son attelle.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient chaleureusement les étudiants qui enrichissent la base de données en photographies et ont ainsi permis d’illustrer généreusement cet article.

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