Étape 4 : Approche physiopathologique de l’exploration biologique rénale - Le Point Vétérinaire n° 407 du 01/07/2020
Le Point Vétérinaire n° 407 du 01/07/2020

En 10 Étapes

Auteur(s) : Antoine Lecomte*, Nicolas Soetart**, Laetitia Jaillardon***

Fonctions :
*LDHvet Laboniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

L’évaluation de la fonction rénale doit être maîtrisée par le vétérinaire, en parallèle de la physiopathologie de l’organe, afin de confirmer puis de préciser le diagnostic et le pronostic d’une maladie rénale, et d’adapter au mieux la thérapeutique et le suivi.

Les maladies rénales, ou à conséquence rénale, sont fréquentes en médecine vétérinaire. L’exploration biochimique du rein fait partie du quotidien des praticiens. Cependant, la complexité de la physiopathologie rénale rend délicate l’interprétation des marqueurs biologiques courants. L’objectif de cet article est d’intégrer la physiopathologie rénale à la compréhension des anomalies biochimiques pour les interpréter de manière rigoureuse.

PHYSIOPATHOLOGIE RÉNALE

Le rein est un organe indispensable à l’homéostasie de l’organisme. Ses principales fonctions sont l’élaboration de l’urine, qui permet l’excrétion des déchets et des toxiques de l’organisme, la régulation de l’équilibre hydrominéral et celle de la pression artérielle. Le rein est indispensable à l’équilibre acidobasique de l’organisme et a également une activité endocrine. Avant d’aborder la pathologie clinique rénale, il est essentiel de connaître l’organisation générale et la physiopathologie du rein.

1. Organisation générale du rein

L’unité fonctionnelle du rein est le néphron, formé d’un glomérule et de tubules (tubule proximal, anse de Henlé, tubule distal et tube collecteur). La filtration glomérulaire correspond à la filtration du sang par le glomérule du rein, un ensemble vasculaire qui va de l’artériole afférente à l’artériole efférente. Elle est sélective selon la taille des molécules - seules celles inférieures à 60 000 kDa passent du plasma à l’urine - et leur charge - la membrane basale, composée de collagène et de protéoglycanes, est chargée négativement et repousse les molécules négatives (figure 1).

Tout ce dont l’organisme a besoin est largement réabsorbé au niveau du tube contourné proximal, y compris les peptides, tandis qu’au niveau de l’anse de Henlé et du tube contourné distal, un ajustement a lieu, assurant l’homéostasie de l’organisme (rôles de la vitamine D et du système rénineangiotensine-aldostérone, etc.). Le tube collecteur a essentiellement pour fonction la réabsorption d’eau et d’urée, sous le contrôle de l’hormone antidiurétique (ADH ou vasopressine).

2. Définition de l’insuffisance rénale

Avant toute chose, la différence entre une insuffisance et une lésion organique doit être connue. Une insuffisance organique, qui correspond à une incapacité totale ou partielle de l’organe à exercer son rôle, se manifeste par des répercussions cliniques et/ou biologiques. Une lésion organique peut s’accompagner de signes biologiques spécifiques, mais n’est pas systématiquement associée à des signes cliniques et biologiques généraux, tant qu’il n’y a pas d’insuffisance organique significative.

Le rein est un organe émonctoire dont le rôle est d’éliminer les déchets toxiques issus de la circulation sanguine dans l’urine. Cette élimination est proportionnelle au débit de filtration glomérulaire, qui correspond au volume de sang filtré par kilogramme de poids vif et par unité de temps. Ainsi, une insuffisance rénale se définit par l’incapacité du rein à réaliser sa fonction émonctoire de manière satisfaisante. Elle a un impact sur la santé de l’animal et se traduit par une diminution du débit de filtration glomérulaire.

Cependant, ce débit est conditionné non seulement par le bon fonctionnement des néphrons (figure 1), mais aussi par la capacité de l’organisme à perfuser le rein (volémie, pression artérielle) et à excréter l’urine. Les termes d’insuffisance prérénale, rénale et postrénale sont parfois employés. En réalité, c’est un abus de langage, car le terme d’insuffisance ne s’applique qu’à un organe (voir plus haut).

3. Physiopathologie des trois types de néphropathies

Deux localisations lésionnelles principales sont observées dans le rein : les glomérulaires et les tubuloinsterstitielles. Quelle que soit la localisation primitive, une lésion glomérulaire entraîne une lésion tubulo-interstitielle et inversement, puisque l’une et l’autre aboutissent à une fibrose de l’organe. D’où l’importance de détecter précocement la maladie rénale, avant même son expression clinique. Des néphropathies vasculaires sont également décrites. Elles sont provoquées par l’hypertension artérielle et des microangiopathies thrombotiques ou ischémiques.

Néphropathies glomérulaires, syndrome néphrotique et fibrose rénale

Les lésions glomérulaires, ou glomérulopathies, se présentent sous différentes formes. La forme principale est la glomérulonéphrite, une lésion inflammatoire du glomérule associée à des lésions tubulo-interstitielles et vasculaires secondaires. Elle est notamment à médiation immune chez les animaux de compagnie [4]. Souvent, elle est secondaire à une autre maladie dont l’origine peut se situer n’importe où dans l’organisme (cutanée, cardiaque, digestive, etc.) [19]. Cette affection primaire entraîne la formation de complexes immuns qui se logent dans le glomérule, aboutissant à une augmentation de sa perméabilité suivie de sa destruction. D’autres mécanismes lésionnels peuvent intervenir lors de glomérulopathie : l’amyloïdose (rapportée chez le shar pei, le beagle, l’abyssin), l’ischémie et l’hypoxie rénale (lors de chocs hypovolémiques par exemple), le dépôt de certaines substances comme les cristaux d’oxalates de calcium lors d’intoxication à l’éthylène glycol, ou encore le relargage de réactifs oxydants en cas de syndrome d’ischémie-reperfusion.

Lors de glomérulopathie, l’augmentation de la perméabilité du glomérule entraîne le passage de protéines dans l’urine. Ces dernières sont réabsorbées au niveau tubulaire, mais le seuil de réabsorption du tubule proximal étant faible, une protéinurie est rapidement observée. Cette protéinurie, lorsqu’elle persiste, participe au processus multifactoriel de la fibrose rénale (figure 2). En effet, les protéines s’accumulent dans les néphrocytes des tubules proximaux, déclenchent leur apoptose, et promeuvent des signaux profibrotiques, notamment via leur action proinflammatoire et prooxydante (figure 3).

Le syndrome néphrotique est un ensemble d’anomalies cliniques et biologiques présentes dans les cas de lésions glomérulaires particulièrement sévères. Sa physiopathologie n’est pas entièrement élucidée. Les anomalies biologiques associées sont une hypoalbuminémie (généralement entre 15 et 20 g/l, parfois plus importante) menant à l’accumulation de fluides extravasculaires (œdèmes, épanchements), une protéinurie et une hypercholestérolémie [2, 9]. Lors de pertes protéiques rénales sévères, un risque de coagulopathie existe. Par exemple, la fuite urinaire d’antithrombine III peut être à l’origine d’un état hypercoagulable qui majore le risque de thrombose, puis à un état hypocoagulable par surconsommation de plaquettes et de facteurs de coagulation [19].

L’identification du syndrome néphrotique est indispensable lors de suspicion clinique et biologique, car celui-ci a un impact négatif considérable sur le pronostic [9].

Néphropathies tubulointerstitielles

Les lésions tubulaires sont polymorphes. Elles peuvent concerner l’ensemble de l’appareil tubulaire, par exemple lors de néphrite tubulointerstitielle (1) fréquemment associée aux maladies rénales chroniques chez le chat. Beaucoup plus rarement, elles touchent une partie très restreinte, comme le tube contourné proximal, lors de syndrome de Fanconi. Elles sont aussi multifactorielles : inflammatoires et/ou infectieuses (leptospirose ou pyélonéphrite), métaboliques (hypercalcémie, diabète sucré), toxiques (nécrose tubulaire par accumulation de pigments biliaires à la suite d’une hyperhémolyse ou d’une maladie hépatique notamment), vasculaires, etc.

Cependant, si les bases lésionnelles intéressant les tubules rénaux sont très variées, elles aboutissent fréquemment à une néphrite tubulointerstitielle et à une fibrose rénale, car elles engendrent une protéinurie (encadré 1).

Néphropathies vasculaires

Le rein est particulièrement sensible aux conditions hémodynamiques et métaboliques de l’organisme. Ainsi, certaines affections sont corrélées au développement de néphropathies :

- le rein est un organe cible des lésions hypertensives. En effet, une hypertension artérielle persistante peut générer une hypertension glomérulaire. Cela entraîne à la fois le relargage de molécules inflammatoires et une protéinurie par l’augmentation de la perméabilité et de la pression de filtration glomérulaire. Ainsi, la mise en place et la progression d’une maladie rénale sont des conséquences classiques de l’hypertension artérielle et vice versa, notamment par l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Une exploration biologique rénale doit donc être systématique lors d’hypertension artérielle [3] ;

- le diabète sucré est la première cause de maladie rénale chronique chez l’homme, avec un mécanisme physiopathologique clairement élucidé qui implique de nombreuses voies métaboliques et hémodynamiques [22]. Chez les animaux de compagnie, le lien entre ces deux maladies n’est encore que fortement suspecté [16]. Il est indispensable de surveiller régulièrement (chaque trimestre) la fonction rénale chez les animaux diabétiques.

BIOLOGIE CLINIQUE ET DIAGNOSTIC

Compte tenu de son rôle majeur dans l’excrétion des déchets et des toxiques de l’organisme, dans la régulation de l’équilibre hydrominéral, de la pression artérielle et de l’équilibre acidobasique et de sa fonction endocrine, l’évaluation biologique de l’intégrité de la fonction rénale peut être réalisée grâce à :

- l’évaluation et l’analyse urinaire (densité et bandelette urinaires, RPCU, etc.) ;

- la mesure sanguine des déchets et toxiques habituellement excrétés dans l’urine, dont l’urée, la créatinine, les phosphates, le potassium, la diméthylarginine symétrique (SDMA), etc. ;

- l’évaluation endocrine rénale (phosphates, calcium, vitamine D, parathormone, hémogramme “rouge” via l’érythropoïétine) ;

- la mesure de la pression artérielle.

1. Paramètres sanguins classiques (urémie et créatininémie)

La créatine est produite par le foie par une voie de détournement du cycle de l’urée. Elle est exportée vers tous les tissus, en particulier dans le muscle, et sert de molécule de réserve d’énergie (échange de phosphate avec l’adénosine triphosphate). Elle est oxydée en créatinine, qui est éliminée dans l’urine. La créatinine est librement filtrée par le glomérule et non réabsorbée au niveau tubulaire. Sa concentration plasmatique est donc théoriquement corrélée au débit de filtration glomérulaire. Cependant, une augmentation de la créatininémie intervient seulement si le débit de filtration glomérulaire baisse de manière significative et en l’absence d’hypercatabolisme musculaire (fort amaigrissement) [7] (figure 4). Ainsi, la mesure de la créatinine est un bon outil de suivi d’une maladie rénale, mais elle ne permet pas un diagnostic précoce.

L’urée est un produit du catabolisme des protéines par le foie. Elle a de nombreux rôles dans l’organisme, en particulier dans le maintien de la volémie et de la pression artérielle par son pouvoir osmotique. Ainsi, même si elle est filtrée par le glomérule, sa réabsorption tubulaire est très variable. Aussi, l’urémie ne doit jamais être mesurée sans la créatininémie, car une hyperurémie isolée est fréquente lors de troubles volémiques ou de saignements digestifs. Contrairement à une idée reçue, l’urée n’est pas toxique. Lorsqu’elle s’accumule, elle est excrétée au niveau salivaire puis détruite par les uréases bactériennes qui libèrent de l’ammoniac en excès, toxique quant à lui. La “crise d’urémie” est en réalité une “crise d’ammoniémie”.

En outre, rappelons l’importance critique de prendre du recul vis-à-vis des intervalles de référence appliqués, notamment pour la créatininémie (2).

2. Métabolisme phosphocalcique

La calcémie et la phosphatémie doivent s’interpréter conjointement (rapport Ca/P entre 1,8 et 2,2 normalement). Les ions phosphates étant filtrés passivement par le glomérule, une baisse du débit de filtration glomérulaire est classiquement liée à une augmentation de la phosphatémie due à la diminution d’excrétion des phosphates. Cette hyperphosphatémie est proportionnelle à l’intensité de la réduction du débit de filtration glomérulaire, ce qui rend son évaluation indispensable lors d’une exploration biochimique rénale. En effet, l’hyperphosphatémie est associée à des durées de vie plus courtes lors de maladie rénale chronique chez le chat et constitue l’une des principales cibles thérapeutiques en cas d’affection rénale [1, 18].

La diminution d’excrétion des phosphates et la baisse de la synthèse de vitamine D3 (3) par l’appareil juxtaglomérulaire entraînent une hyperparathyroïdie secondaire qui permet le maintien sur une longue durée d’une phosphatémie correcte (la parathormone étant phosphaturiante). Cependant, lors de la progression de la maladie, les remaniements structurels et fibrosants rénaux sont à l’origine d’une mauvaise excrétion des phosphates. Cela favorise une hyperphosphatémie, malgré l’augmentation de la parathormone. Une hyperphosphatémie est donc le signe d’une maladie rénale avancée et grave.

En dépit de la diminution de la synthèse de vitamine D3, la calcémie se maintient longtemps dans les valeurs usuelles grâce à l’action hypercalcémiante de la parathormone (via l’augmentation de l’absorption digestive et de la résorption osseuse).

Lors d’insuffisance rénale aiguë, il est possible de mettre en évidence une hyperphosphatémie, secondairement à la diminution brutale du débit de filtration glomérulaire.

3. Exploration biologique des lésions glomérulaires

Une lésion glomérulaire peut évoluer à bas bruit pendant plusieurs mois. Comme vu plus haut, la persistance d’une protéinurie est délétère pour le rein. Elle entraîne des lésions tubulaires secondaires, ainsi qu’un état profibrotique, proinflammatoire et prooxydant qui favorisent la progression de la maladie rénale et assombrissent le pronostic.

Dans ce contexte, la systématisation de l’analyse d’urine à chaque consultation est indispensable (4). Même si la densité urinaire est variable lors de glomérulopathie (isosthénurique ou hyposthénurique), la mise en évidence d’une densité urinaire basse doit inciter le praticien à réaliser un rapport protéines sur créatinine urinaires (RPCU) pour s’assurer de l’absence de protéinurie [9]. En effet, si les urines sont diluées, le seuil de détection de la bandelette urinaire peut ne pas être atteint. Ainsi, le RPCU est un test diagnostique indispensable lors de suspicion d’une maladie rénale, en particulier glomérulaire : au-dessus de 2, une lésion glomérulaire est fortement suspectée [10].

En début d’évolution et parfois pendant plusieurs mois, la seule anomalie biologique observée lors de glomérulopathie est une protéinurie, associée ou non à une polyuropolydipsie. Les marqueurs rénaux sanguins courants (urémie, créatininémie, SDMA, bilan phosphocalcique, kaliémie) sont dans les valeurs usuelles. Ce n’est qu’à partir du moment où la glomérulopathie évolue vers une fibrose rénale suffisamment étendue que les marqueurs biologiques sanguins sont modifiés (voir plus bas), ce qui constitue d’ailleurs un facteur pronostique négatif [9]. Ainsi, une maladie rénale très grave peut être présente sans anomalie biologique sanguine significative de l’urée, de la créatinine, de la SDMA, de la phosphatémie et de la kaliémie !

Dans les cas sévères de glomérulopathie (stade du syndrome néphrotique), une hypoalbuminémie, voire une panhypoprotéinémie sont observées.

4. Exploration biologique du tubule rénal

Le tubule est le lieu privilégié de la réabsorption de l’eau, en particulier par l’action de l’aldostérone (réabsorption d’eau grâce au sodium) et de l’hormone antidiurétique (ou vasopressine, réabsorption d’eau grâce à l’urée).

La principale anomalie biologique observée lors de lésions tubulaires généralisées est une incapacité à diluer et à concentrer les urines. Cela se traduit par une diminution de la densité urinaire. Ces pertes en eau, difficilement compensées par la polydipsie, aboutissent donc à une déshydratation extracellulaire, à l’origine d’une hémoconcentration. Cependant, la dilution des urines en dessous d’une densité de 1,008 est un processus actif qui nécessite un système tubulaire intègre. Ainsi, une hyposthénurie ou une franche hypersthénurie sont des arguments en défaveur d’une lésion tubulaire (figure 5).

L’ionogramme est également un outil de choix pour l’exploration fonctionnelle du tubule rénal. En effet, la concentration plasmatique en potassium est majoritairement régulée par le rein sous l’action de l’aldostérone (et du pH plasmatique). Celle-ci permet l’excrétion urinaire du potassium et la réabsorption de sodium (et d’eau par osmose) via une pompe “Na/K/H+ ATPase”. Un hyperaldostéronisme est fréquemment observé lors de maladie rénale [8]. Par conséquent, tant que la fonction tubulaire est suffisamment conservée, une normokalémie ou une hypokaliémie (très fréquente chez le chat) peut être mise en évidence, parfois associée à une hypernatrémie (les concentrations en sodium étant moins finement régulées) [17]. Toutefois, plus la maladie rénale progresse, moins le potassium est excrété. Cela entraîne une hyperkaliémie proportionnelle à la gravité et à l’ancienneté de l’insuffisance rénale. Lors d’insuffisance aiguë, une hyperkaliémie est aussi notée en raison de l’arrêt brutal de la filtration. La recherche de cette hyperkaliémie est indispensable lors de suspicion clinique d’une insuffisance rénale aiguë, car elle constitue une urgence vitale (conséquences neuromusculaires dont certaines sont cardiaques).

Lors de lésions localisées du tube collecteur, d’insensibilité des récepteurs à l’hormone antidiurétique (hypokaliémie, hypercalcémie, hypercorticisme, etc.) ou de défaut de sécrétion de cette hormone (lésions hypophysaires), un diabète insipide survient, aboutissant à une dilution excessive, avec une densité urinaire effondrée (hyposthénurie). Notons que cet effondrement de la densité urinaire n’est possible que si les tubules en amont sont fonctionnels.

L’insuffisance de réabsorption tubulaire proximale du glucose peut être à l’origine d’une glucosurie. Cette glucosurie sans hyperglycémie est caractéristique et classiquement observée en cas de maladies tubulaires (leptospirose ou syndrome de Fanconi, par exemple) [21, 24].

La réabsorption des ions bicarbonates s’effectue principalement au niveau du tube contourné proximal, tandis que l’excrétion de protons a lieu dans le tube contourné distal (et le tube collecteur). Lors de lésions tubulaires sélectives, une acidose métabolique est observée (acidose tubulaire rénale), souvent associée à une hypokaliémie (due à un hyperaldostéronisme secondaire). En revanche, lors d’atteinte généralisée, avec perte de sensibilité des tubules à l’aldostérone (ou lorsqu’elle est insuffisamment produite, notamment en cas d’insuffisance surrénalienne), une acidose métabolique avec hyperkaliémie est constatée.

En outre, les petits peptides (inférieurs à 60 000 kDa) filtrés par le glomérule (moins de 1 %) sont réabsorbés par le tube contourné proximal [7]. Lors de lésion tubulaire proximale (syndrome de Fanconi, par exemple), ces peptides ne sont pas réabsorbés et sont excrétés dans l’urine. La protéinurie est donc faible à modérée et associée à un RPCU bas, souvent inférieur à 1. L’électrophorèse des protéines urinaires met alors en évidence la présence d’une protéinurie sélective correspondant aux protéines tubulaires [2].

BIOLOGIE CLINIQUE ET PRONOSTIC

En médecine vétérinaire, la recherche de facteurs pronostiques des maladies rénales est en plein essor. L’hypercréatininémie, l’hyperphosphatémie, l’hyperkaliémie et la protéinurie sont liées à des durées de vie plus courtes [1, 9, 19, 24]. Ces marqueurs doivent donc être régulièrement évalués lors d’affection rénale. Certains autres acteurs du métabolisme phosphocalcique, comme la parathormone et le fibroblast growth factor-23 (FGF-23) dont l’intérêt est déjà démontré en médecine humaine, sont à l’étude en médecine vétérinaire comme marqueurs pronostiques du risque de développement de maladies cardiovasculaires chez les animaux atteints d’une maladie rénale chronique.

Le dosage des dérivés de l’arginine, comme les diméthylarginines symétrique et asymétrique, n’a pas fait la preuve consensuelle de sa supériorité par comparaison avec celui de la créatinine pour le diagnostic des maladies rénales [15]. Cependant, ils pourraient trouver leur place comme indicateurs pronostiques des formes chroniques (encadré 2).

Le suivi de la numération formule sanguine chez les animaux atteints de maladie rénale chronique est particulièrement important. En effet, dans ce contexte, les remaniements structurels rénaux peuvent entraîner une insuffisance de production de l’érythropoïétine avec le développement d’une anémie. Plus les remaniements sont importants, donc plus la maladie est ancienne et grave, plus l’anémie sera marquée. Par l’hypoxie qu’elle induit, l’anémie participe à la progression de la maladie. Elle doit donc être prise en charge médicalement et suivie régulièrement.

En outre, la fibrose est la conséquence ultime de toute lésion rénale et son évaluation a une importance pronostique majeure. Certains biomarqueurs déjà utilisés en médecine humaine, comme le transforming growth factor-beta (TGF-β), sont prometteurs pour évaluer cette fibrose rénale, mais ils ne sont pas disponibles en routine actuellement.

Conclusion

La pathologie rénale est complexe et peut aboutir à des manifestations cliniques et biologiques extrêmement pléomorphes. En pratique, les mécanismes physiopathologiques et les conséquences biologiques détaillés dans cet article s’entremêlent. Cela doit inviter le praticien à prendre du recul face aux résultats qui lui sont présentés. L’analyse d’urine reste l’examen incontournable pour la détection précoce des maladies rénales et doit être systématisée lors de toute consultation.

  • (1) Infiltration inflammatoire et fibrose de l’interstitium associée à une dilatation ou à une atrophie des différents tubules [4].

  • (2) Voir l’étape 2 : « Les analyses biochimiques : éviter les erreurs ».

  • (3) Calcitriol, hypercalcémiante et hyperphosphatémiante.

  • (4) Voir la rubrique “Analyse d’urine en 10 étapes” dans Le Point Vétérinaire n° 394 à 403.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1 : La protéinurie, pierre angulaire de la physiopathologie rénale

Toute atteinte des reins peut mener à des lésions secondaires par la mise en place de mécanismes pathologiques qui aboutissent à une fibrose rénale [4]. De nombreux médiateurs sont identifiés comme profibrotiques, soit directement (aldostérone), soit indirectement (système rénine-angiotensinealdostérone, protéinurie, hypoxie, stress oxydant) via une stimulation de la production de transforming growth factor-beta (TGF-ß) par les néphrocytes, principal promoteur de la fibrose rénale (figure 3) [5, 14, 23]. Parmi ces facteurs, la protéinurie tient une place centrale, car sa présence est associée à des durées de vie plus courtes [20]. Son traitement est corrélé à un allongement significatif de la survie lors de maladie rénale chronique. Rappelons ici que la mise en évidence d’une protéinurie persistante ou d’une hypertension artérielle réfractaire au traitement à l’amlodipine sont les uniques indications du traitement aux inhibiteurs du système rénineangiotensine-aldostérone (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 comme le telmisartan). Leur utilisation avant toute analyse d’urine, pourtant fréquente, est un non-sens et peut même entraîner une progression de la maladie rénale. L’évaluation de la protéinurie, analyse simple, disponible et peu coûteuse, est donc indispensable lors de toute maladie rénale, tant pour le diagnostic que pour les décisions thérapeutiques, le pronostic et le suivi du traitement.

Points forts

→ L’analyse d’urine est indispensable pour diagnostiquer une maladie rénale de façon efficace et précoce.

Afin d’appréhender au mieux une maladie rénale, un bilan biologique étendu (sanguin et urinaire) doit être réalisé, tant pour le diagnostic que pour le suivi et le pronostic.

→ La protéinurie tient une place centrale dans la physiopathologie rénale, notamment comme facteur de progression d’une lésion primaire.

→ En cas de doute sur une protéinurie (en particulier sur des urines diluées), un rapport protéines sur créatinine urinaires (RPCU) doit systématiquement être réalisé.

ENCADRÉ 2 : La diméthylarginine symétrique, des promesses non tenues ?

La symetric dimethylarginine (SDMA), un dérivé de l’arginine, peut être utilisée comme marqueur du débit de filtration glomérulaire (DFG). En effet, une proportion d’environ 90 % de la SDMA serait excrétée par le rein. Toutefois, la part métabolisée n’est pas précisément connue. Ces dernières années, des études chez le chien et le chat ont conclu que l’augmentation de la SDMA plasmatique serait un marqueur diagnostique précoce des maladies rénales chroniques (MRC) plus intéressant que la créatininémie [6, 12]. Ces études, pour le moment non reproduites, souffrent de nombreux biais méthodologiques : toutes ne mesurent pas la pression artérielle (alors que le DFG et donc la SDMA sont fortement influencés par cette dernière) ou ne prennent pas en compte la composition en arginine de l’alimentation, par exemple. Une publication récente ne confirme pas la supériorité de la SDMA pour le diagnostic précoce de la maladie rénale chez le chien, par rapport à la créatinine et à la cystatine. En revanche, le dosage concomitant de la créatinine et de la SDMA apparaît plutôt intéressant [15]. De plus, une étude récente semble indiquer que le seuil diagnostique de la SDMA, utilisé dans les travaux précédents pour rendre compte d’une diminution du DFG, est trop bas [11]. Il en résulte une mauvaise spécificité, avec plus de la moitié de faux positifs. Ainsi, la plus grande prudence s’impose concernant l’utilisation de la SDMA pour le diagnostic précoce des MRC. Notons tout de même que la SDMA, ainsi que l’asymmetric dimethylarginine (ADMA) pourraient présenter d’autres intérêts, notamment pour estimer le pronostic associé aux MRC. En effet, en médecine humaine, une augmentation des concentrations en SDMA et en ADMA constitue un bon marqueur du risque létal et d’une maladie cardiovasculaire chez les patients atteints de MRC [13].

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