GÉRIATRIE
Dossier
Auteur(s) : Ludivine Jacquemin-Bietrix
Fonctions : (DU rhumatologie du sujet âgé,
DIU kinésithérapie
et réhabilitation gériatriques)
Clinique vétérinaire de l’Arche
192, avenue de Romans
26 000 Valence
Le concept de fragilité existe depuis 1968 et n’a commencé à constituer un domaine de recherche que depuis une vingtaine d’années, domaine actuellement en vive expansion. La gérontoprévention vétérinaire s’inspire des données de la médecine humaine.
Les soins apportés aux animaux de compagnie, ainsi que la médicalisation croissante et toujours plus performante, augmentent petit à petit leur espérance de vie. Ainsi, à l’instar du phénomène observé dans la population humaine mondiale, ces animaux vivent fréquemment leurs dernières années avec une maladie chronique, ou dans un état de vieillissement avancé. Aussi, les techniques de physiothérapie et de rééducation fonctionnelle s’imposent de plus en plus comme des moyens de préservation de la qualité et du confort de vie des animaux seniors.
Selon le dictionnaire Larousse, le vieillissement est « le fait de devenir vieux », et « regroupe l’ensemble des phénomènes qui marquent l’évolution d’un organisme vivant vers la mort ». Plus précisément, le vieillissement est « l’ensemble des processus physiologiques et psychologiques qui modifient la structure et les fonctions de l’organisme à partir de l’âge mûr » [4].
Il est la résultante des effets de facteurs génétiques (vieillissement intrinsèque) intriqués à des facteurs environnementaux auxquels l’organisme est soumis tout au long de sa vie. Il s’agit d’un processus lent et progressif qui doit être distingué des manifestations cliniques des maladies. L’état de santé d’un sujet âgé résulte habituellement des effets du vieillissement et des effets additifs de maladies passées (séquelles) et actuelles, qu’elles soient chroniques ou aiguës.
Le vieillissement engendre une perte d’adaptabilité, tant au niveau des cellules et des organes qu’à celui de l’individu lui-même.
La perte de masse musculaire liée au vieillissement est appelée sarcopénie (“sarx” signifiant chair et “penia” manque, en grec). Alors qu’une période d’inactivité musculaire (boiterie, immobilisation, etc.) engendre une atrophie des fibres musculaires, la perte de masse musculaire liée à la sarcopénie provient non seulement d’une atrophie des fibres, mais aussi de la réduction de leur nombre. Cette dernière résulte de l’apoptose de motoneurones et d’une balance déséquilibrée entre la protéosynthèse et la protéolyse musculaire [6, 14, 19] (figure 1).
L’existence de ce phénomène est établie chez le chien et le chat. Notons que, en général, le poids corporel de l’animal reste stable puisque, lors de sarcopénie, le tissu musculaire est progressivement envahi par du tissu adipeux [9, 18].
Certains auteurs jugent que le terme de sarcopénie est trop restrictif pour illustrer l’atteinte fonctionnelle liée à la sénescence. Ils préconisent plutôt l’utilisation du terme “dynapénie” (pour perte de force) [7]. En effet, comme le contrôle nerveux de la contraction musculaire est également affecté, cela est susceptible d’entraîner des répercussions importantes sur la force maximale produite, la vitesse d’installation de la force, ainsi que sur la précision des mouvements [20].
Ainsi, de nombreux facteurs sont impliqués dans le vieillissement des capacités musculaires et ceux-ci dépassent largement la seule diminution de la masse musculaire (figure 2). D’ailleurs, dans son consensus paru en 2019, l’European Working Group on Sarcopenia in Older People (EWGSOP) élève la faiblesse musculaire au premier plan des indicateurs d’une probable sarcopénie [5].
Le contrôle de la posture est un facteur essentiel à la réalisation des mouvements. Au-delà du vieillissement de la fonction musculaire, les capacités locomotrices sont altérées par la senescence du contrôle postural, que ce soit au niveau des capteurs sensoriels (atteinte de l’acuité proprioceptive, visuelle, vestibulaire) qu’à celui des centres d’intégration et de contrôle (fonctions altérées avec notamment perte des automatismes) ou des effecteurs (chute de la force musculaire, des capacités de coordination musculaire et des amplitudes de mouvement) (figure 3).
Chez l’homme, les études sont nombreuses et démontrent, par exemple :
- une diminution de la capacité à détecter la position et la direction des mouvements des articulations [22]. La perte de la sensibilité proprioceptive des membres se caractérise par une altération de l’organisation sensorimotrice [11]. Le nombre de mécanorécepteurs diminue, ainsi que leur sensibilité, entraînant notamment une atteinte de l’efficacité du réflexe myotatique [16] ;
- une modification du système vestibulaire dans son ensemble avec, entre autres, une diminution du nombre de cellules sensorielles et de fibres nerveuses efférentes [15] ;
- une atteinte des structures centrales entraînant une diminution de rapidité et d’efficacité dans le traitement des informations, une baisse de la capacité d’attention ou encore des perturbations des synergies au sein des groupes musculaires agonistes et antagonistes [21, 24].
La perte des capacités fonctionnelles liée au vieillissement s’effectue à une vitesse variable d’un individu à l’autre. À âge égal, au sein d’une même espèce et d’une même race, les animaux âgés peuvent présenter des états très différents. En effet, le processus de vieillissement n’est pas uniforme pour un individu donné (entre ses différents organes) et n’est pas univoque entre les individus. Cette perte des capacités fonctionnelles conduit à une diminution de la quantité des réserves fonctionnelles, nécessaires pour faire face à une situation de stress (figure 4). Cela définit la vulnérabilité.
Les affections qui entraînent une réduction des capacités fonctionnelles majorent la vulnérabilité, qu’il s’agisse de maladies à durée limitée (figure 5) ou chroniques (figure 6). Chez les sujets qui présentent une faible diminution des capacités fonctionnelles et qui conservent une quantité de réserves importante, la communauté scientifique parle de “vieillissement réussi”. Ces individus sont capables de faire face à des stress importants et leurs problématiques de santé sont, le plus souvent, assez proches de celles des sujets adultes moins âgés (figure 7).
Cette vulnérabilité de l’organisme aux événements sources de stress a donné lieu, au sein de la communauté scientifique, à la reconnaissance du concept de fragilité.
La Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) propose de définir la fragilité comme un syndrome clinique. Selon ce groupe, « la fragilité se définit par une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs ». Ainsi, chez un sujet fragile, tout élément stresseur, même minime (comme une opération bénigne, une infection peu sévère, une modification thérapeutique, un changement de lieu de vie, etc.), peut avoir pour conséquence une modification radicale et disproportionnée de son état de santé [3].
Si cet élément conduit à une chute des capacités fonctionnelles en deçà des besoins dans les conditions basales, il est alors question de décompensation fonctionnelle. Par exemple, le patient n’est alors plus capable, du jour au lendemain, de se déplacer.
L’image couramment utilisée pour illustrer le concept de fragilité est celle d’un “équilibre instable”.
L’un des points majeurs qui justifient l’intérêt pour le syndrome de fragilité, selon la SFGG, c’est que « la prise en charge de ses déterminants pourrait réduire ou retarder ses conséquences ». Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible [3, 23].
Au sein d’une population de sujets âgés, tous ne disposent donc pas de la même quantité de réserves fonctionnelles : les sujets robustes sont distingués des sujets préfragiles et des sujets fragiles.
Chez l’homme, les critères phénotypiques de fragilité retenus par la Haute autorité de santé (HAS) et la SFGG sont ceux proposés par Fried [10] : perte de poids, fatigue, sédentarité, ralentissement de la marche, faiblesse musculaire (évaluée à la préhension). L’identification de trois critères ou plus chez un patient amène à le considérer comme un sujet fragile, un à deux critères comme un sujet préfragile, et aucun critère comme un sujet robuste. D’autres symptômes cliniques sont également rapportés par d’autres auteurs dans le syndrome de fragilité. Une baisse des capacités d’équilibre, des difficultés cognitives et une vulnérabilité au stress en font partie [26].
La fragilité et son évaluation chiffrée sont encore peu étudiées chez les animaux et ont fait l’objet de rares publications [1, 12]. Néanmoins, les premières similitudes rapportées chez le chien, notamment dans la corrélation entre les critères phénotypiques de fragilité et le risque de mortalité, sont plutôt encourageantes quant à la transposition de ce concept chez les animaux de compagnie.
Les premières échelles d’évaluation proposées seront peut-être, à l’avenir, des outils judicieux dans la prise en charge globale des animaux, que ce soit en médecine ou en orthopédie [1, 12].
Reconnaître la fragilité permet de mettre en œuvre des actions correctives qui visent à éviter ou à retarder le stade de décompensation (il s’agit de prévention secondaire). Ces actions de prévention sont nombreuses : proposer des exercices de renforcement musculaire lors de sarcopénie, encourager des exercices de contrôle postural en cas de déficit proprioceptif, prescrire un rééquilibrage alimentaire face à une perte de poids, etc.
Même à un âge avancé, le système neuromusculaire conserve une capacité de plasticité importante [8, 13, 25]. Ainsi, un programme d’entraînement est susceptible d’améliorer les performances du système neuromusculaire, donc les capacités fonctionnelles du patient âgé (figure 8).
Il est également possible d’intervenir sous la forme d’actions préventives, afin de retarder et/ou de minimiser la perte des capacités fonctionnelles liée au vieillissement. Ainsi, l’entrée dans un état de fragilité peut être repoussé (il s’agit de prévention primaire).
Le rapport mondial sur le vieillissement et la santé, rédigé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2016, définit un cadre d’action pour favoriser le vieillissement en bonne santé, construit autour du concept des capacités fonctionnelles [17]. Les activités physique, cognitive et sociale sont les pierres angulaires du “bien vieillir”.
Une initiative de grande envergure est conduite actuellement aux États-Unis : le dog aging project suit une cohorte de plus de 10 000 chiens. Ce projet, mené par les universités de Washington et du Texas, a pour objectif de comprendre comment le patrimoine génétique, le mode de vie et l’environnement influent sur le vieillissement. Il permettra certainement de mettre en lumière, à son tour, les facteurs qui ont un impact positif significatif sur le vieillissement des chiens de compagnie.
La capacité correctrice et préventive des exercices de rééducation fonctionnelle sur les réserves fonctionnelles du patient âgé et vis-à-vis de l’état de fragilité est une piste que la profession vétérinaire sera amenée à considérer dans les années à venir. La réhabilitation gériatrique trouve sa place dans une prise en charge globale de l’individu. Elle pourrait être sollicitée aussi bien en pathologie médicale qu’en pathologie orthopédique. À l’heure où la médecine préventive s’impose de plus en plus dans nos cliniques, la réhabilitation gériatrique représente un maillon fort en devenir du suivi de l’animal senior.
Aucun.