PNEUMOLOGIE
Cas clinique
Auteur(s) : Delphine Dullin
Fonctions : Bristol-Myers Squibb
3, rue Joseph Monier
92506 Rueil-Malmaison
Le pyothorax ne concerne pas que les chats d’extérieur. Il affecte aussi ceux d’intérieur à la suite, par exemple, du passage parapneumonique de germes commensaux.
Le pyothorax est une affection réputée réservée aux chats ayant accès à l’extérieur. C’est une généralité qui souffre de beaucoup d’exceptions. Son origine est souvent difficile à appréhender et les signes cliniques peu spécifiques. Il convient de l’envisager systématiquement en cas de difficultés respiratoires, y compris sans événement traumatique préalable ou chez des animaux vivant à l’intérieur.
Une chatte européenne stérilisée de 16 ans, vivant strictement en intérieur sans congénère, est présentée pour une dyspnée à dominante inspiratoire et un abattement d’apparition aiguë, sans toux ni éternuements. Une dysorexie, observée depuis une semaine, a évolué vers une anorexie depuis trois jours. Une paralysie laryngée bilatérale a été diagnostiquée il y a un an. Un scanner a permis d’identifier fortuitement un kyste médiastinal, présumé congénital et d’origine brachiale, cranialement au cœur. Sa vidange a révélé un contenu aseptique sans permettre une résolution de la paralysie laryngée. La réalisation d’une latéralisation chirurgicale du cartilage aryténoïde droit a jusqu’à présent donné des résultats satisfaisants.
L’examen clinique montre une chatte abattue en dyspnée à dominante inspiratoire et en tachypnée. Elle présente des bruits de frottement à l’auscultation thoracique et un sifflement laryngé qui est stable. L’auscultation cardiaque est lointaine, mais sans anomalie. La déshydratation est de 5 %, les muqueuses sont roses avec un temps de recoloration capillaire normal et le pouls est bien frappé. La température rectale est de 39 °C. Il n’y a pas d’œdème de la face, ni de signes évoquant une compression vasculaire. Le score d’état corporel est de 4 sur 5.
Lors de dyspnée à dominante inspiratoire, en l’absence d’anémie, d’acidose et de toux, l’origine est à rechercher au niveau de l’espace pleural et de l’arbre respiratoire profond (tableau 1).
Les hypothèses prioritaires, compte tenu du contexte, sont :
– une infection intrathoracique de type pneumonie, secondaire à une fausse déglutition en raison de la paralysie laryngée, ou de type pyomédiastin par l’abcédation du kyste médiastinal et potentiellement par sa rupture ;
– un élargissement du kyste médiastinal qui peut être associé à un épanchement pleural dû à l’entrave du retour veineux ;
– une cardiopathie, sans rapport avec les antécédents évoqués, mais à considérer vu sa prévalence élevée chez le chat, avec un œdème pulmonaire et/ou un épanchement pleural.
La chatte est suffisamment stable pour effectuer des radiographies thoraciques afin d’explorer ces hypothèses. Elles mettent en évidence un épanchement pleural bilatéral volumineux, venant masquer entièrement la silhouette cardiaque et le kyste médiastinal. Le parenchyme pulmonaire n’est pas intégralement évaluable (photos 1 et 2).
Une échographie thoracique est réalisée dans le but d’explorer la structure du cœur, le volume du kyste, et la présence de potentielles lésions pulmonaires de type abcès ou masse. La paroi du kyste est fine (inférieure à 1 mm), aucune bride n’est visible, le contenu est anéchogène. Son aspect et son volume n’ont pas changé depuis le dernier contrôle. Le cœur est subjectivement normal ; son oreillette gauche n’est pas dilatée. L’épanchement est bilatéral. Aucune masse pulmonaire n’est visualisée. Afin d’affiner le diagnostic et à fins thérapeutiques, une thoracocentèse doit être entreprise en vue d’analyser le liquide d’épanchement.
Compte tenu de la paralysie laryngée et du tempérament peu coopératif de l’animal, une anesthésie générale, avec intubation, est réalisée. La thoracocentèse permet la vidange de 75 ml d’un liquide épais, floculeux et nauséabond.
Le kyste médiastinal est ponctionné sous contrôle échographique par un abord latéral gauche et vidé de 15 ml d’un liquide séro-hémorragique paucicellulaire composé de quelques globules rouges et lymphocytes différenciés.
L’analyse cytologique du liquide d’épanchement révèle une population dense majoritairement composée de neutrophiles plus ou moins dégénérés contenant des vacuoles de phagocytose renfermant des coques et des bacilles et d’une moindre quantité de macrophages multivacuolaires (photo 3). Les bactéries sont également observées en position extracellulaire (photo 4).
Une partie du prélèvement est insérée dans un milieu de culture sans oxygène et envoyée au laboratoire de bactériologie.
Un diagnostic de pyothorax polymicrobien est établi. L’interprétation des clichés radiographiques post-thoracocentèse n’ont pas permis de statuer clairement sur l’état du parenchyme pulmonaire, en raison de l’épanchement résiduel, de l’état d’embonpoint du chat et du flou cinétique induit par son caractère peu coopératif une fois la détresse respiratoire résolue.
Bien que majoritairement inspiratoire, la présence d’une composante expiratoire à la dyspnée, en l’absence de toux, est évocatrice d’une atteinte du territoire bronchiolaire. Associée à la paralysie laryngée et au mode de vie du chat, en intérieur strict sans congénère, l’origine suspectée du pyothorax est une pneumonie par fausse déglutition dont l’infection a suivi un passage parapneumonique.
Dans un premier temps, une approche sans pose de drain est choisie par la propriétaire.
La chatte est hospitalisée sous perfusion (Ringer lactate à raison de 4 ml/kg/h) et une antibiothérapie probabiliste à large spectre est mise en place, à base de sulbactam + ampicilline (Unacim®) à la posologie de 20 mg/kg par voie intraveineuse (IV) toutes les 8 heures, et de métronidazole à la dose de 15 mg/kg en IV lente toutes les 12 heures. Le protocole est complété par un plan de réalimentation initié à la moitié du besoin énergétique journalier, réparti en six repas quotidiens. Un monitoring échographique de la cavité pleurale et des thoracocentèses sont réitérés si nécessaire.
Après 72 heures, malgré deux nouvelles thoracocentèses, la production de pus continue, et le chat commence à refuser les gavages. Il est alors décidé, en accord avec la propriétaire, de poser un drain thoracique et une sonde naso-œsophagienne.
La chatte est anesthésiée à l’aide de l’association de buprénorphine (30 µg/kg IV), de midazolam (0,2 mg/kg IV) et d’alfaxolone (IV à effet). Sa respiration est contrôlée manuellement. Le thorax est entièrement tondu et lavé chirurgicalement. Une incision cutanée de quelques millimètres est réalisée à la hauteur du 11e espace intercostal gauche, au niveau du tiers dorsal. Un drain de 10 Fr est inséré par cette entrée et tunnelisé en sous-cutané jusqu’à la 8e côté devant laquelle il est ensuite poussé au travers des muscles intercostaux pour rejoindre l’espace pleural gauche. Il est enfin avancé en direction cranio-ventrale le long de la paroi thoracique, sur environ 10 cm, en s’assurant que toute la partie fenestrée du drain se trouve en intrathoracique ou sous la peau. L’espace pleural est vidangé puis lavé à l’aide de 20 ml/kg de Ringer lactate tiède.
Le contrôle échographique permet de voir que l’épanchement pleural dans l’hémithorax droit est aussi vidangé par le drain. Un second drain est donc superflu. Un laçage chinois est réalisé pour le fixer. Une compresse recouverte de povidone iodée (gel à 10 %) est appliquée sur le site d’insertion cutanée et un pansement entourant le thorax est mis en place pour limiter le léchage et garder le site propre. Un contrôle radiographique permet de vérifier le bon positionnement du drain.
Les lavages pleuraux sont réalisés sur un animal non sédaté.
Quatre jours après la pose du drain, la production passe en dessous de 2 ml/kg/j, les neutrophiles n’ont plus un aspect dégénéré, les macrophages sont de plus en plus nombreux et il n’y a plus de bactéries intracellulaires ou extracellulaires. Un contrôle radiographique permet de s’assurer qu’aucune logette limitant le drainage ne s’est formée. Le drain est donc retiré et la chatte gardée sous surveillance encore 24 heures.
Une radiographie de contrôle, le lendemain, montre un espace pleural de nouveau virtuel, aucun pneumothorax secondaire au retrait du drain ou récidive d’épanchement n’est observé. Les poumons présentent une opacité interstitielle discrète diffuse et le kyste médiastinal ne s’est pas reconstitué depuis la ponction (photos 5).
La chatte retrouve progressivement l’appétit une fois le drain retiré et son état général s’améliore nettement. L’antibiothérapie est poursuivie sous forme orale au domicile, jusqu’au contrôle radiographique un mois plus tard.
La culture bactérienne est revenue négative, ce qui peut arriver sans que cela remette en cause une origine infectieuse.
Au contrôle un mois plus tard, la chatte présente toujours un excellent état général et la courbe respiratoire ne montre aucune anomalie. Sur les radiographies thoraciques, le champ pulmonaire est d’opacité normale, mais une nouvelle déformation d’opacité liquidienne/tissulaire dans le médiastin cranial évoque une potentielle récidive du kyste (photos 6). Compte tenu des caractéristiques échographiques stables du kyste et du bon état général de la chatte, il n’est pas ponctionné. L’antibiothérapie est alors arrêtée.
La latéralisation du cartilage aryténoïde lors de paralysie laryngée est un facteur de risque de bronchopneumonie par fausse route susceptible d’évoluer en pyothorax. Compte tenu de l’état laryngé et du mode d’apparition brutal de la symptomatologie du pyothorax chez ce chat, un suivi hebdomadaire de sa fréquence respiratoire, lors d’un instant de repos, a été conseillé. En cas d’élévation de plus de 20 % de la valeur habituelle de ce paramètre, des radiographies du thorax étaient préconisées, à la recherche d’une pneumonie, voire d’un pyothorax, pour un dépistage et une prise en charge précoces visant à éviter potentiellement la pose d’un drain et une hospitalisation.
Deux études rétrospectives, en 2002 et 2005, ont permis une mise à jour des connaissances sur le pyothorax félin [1, 7]. Jusqu’alors, il était essentiellement diagnostiqué chez des chats mâles non stérilisés, ayant accès à l’extérieur et présentant une plaie de morsure thoracique ou un corps étranger végétal dans l’espace pleural. Il a donc été longuement admis que le pyothorax se développait secondairement à une inoculation transthoracique ou par migration d’un corps étranger aspiré. Les deux études, au début des années 2000, identifient au contraire une incidence croissante et devenue majoritaire dans une population de chats castrés vivant uniquement à l’intérieur [7, 8].
Les germes isolés appartiennent essentiellement au microbiote commensal oropharyngé, ce qui laisse suspecter un passage parapneumonique infectieux, les agents pathogènes passant ainsi du poumon à l’espace pleural à la faveur d’une pneumonie [2]. L’anatomie laryngée du chat du cas décrit, qui a en outre subi une latéralisation du cartilage aryténoïde droit, constitue un facteur favorisant la descente des germes oropharyngés dans les voies respiratoires et leur passage parapneumonique, susceptible de provoquer un pyothorax.
Les résultats de culture ne sont pas toujours concluants, comme l’illustre le cas présenté, en raison de la présence d’inhibiteurs de croissance (antibiothérapie initiée avant le prélèvement) ou d’une grande quantité de pus empêchant la multiplication bactérienne ou d’un accident intervenu lors du transfert ou du traitement du prélèvement. Comme il s’agit généralement d’une population polymicrobienne similaire au microbiote commensal oropharyngé, l’antibiothérapie doit cibler les bactéries anaérobies facultatives et obligatoires [2]. Compte tenu des directives européennes concernant l’antibiorésistance, l’association de pénicilline potentialisée et de métronidazole semble la meilleure combinaison de première intention, à réévaluer après la réception de l’antibiogramme. La durée de traitement recommandée par l’American College of Veterinary Internal Medicine (Acvim) est de trois semaines au minimum, et généralement de quatre à six semaines [6]. Des radiographies thoraciques de contrôle permettent d’adapter la durée du traitement [3].
Il n’existe pas de consensus sur la pose d’un drain thoracique pour la prise en charge du pyothorax. Quelques publications indiquent qu’une thoracocentèse unique, suivie d’une antibiothérapie par voie systémique, pourrait suffire dans les cas où la quantité de pus est faible [3, 5]. Mais actuellement, la majorité des auteurs recommandent la pose de drains thoraciques qui doit être bilatérale si le pyothorax concerne les deux hémithorax et que le cloisonnement médiastinal est intègre (encadré 1) [3-6]. De même, aucun consensus n’existe concernant la réalisation de lavages pleuraux, cependant une étude rétrospective rapporte une durée d’hospitalisation avec drain plus courte en cas de lavages (encadré 2) [4]. Chaque technique présente des avantages et des inconvénients (tableau 2). Le drain doit être retiré lors d’évolution favorable (encadré 3).
Une approche chirurgicale, par thoracotomie ou thoracoscopie, est nécessaire face à une suspicion d’abcès pulmonaire et/ou de mise en évidence d’un corps étranger par l’imagerie médicale postdrainage (scanner de préférence, ou radiographie) ou en cas de non-réponse au traitement médical (persistance d’une quantité importante d’épanchement après trois à sept jours de drainage thoracique, obstruction des drains ou formation de logettes ou d’adhésions intrathoraciques limitant leur efficacité) [3].
Le pronostic d’un pyothorax n’est plus aussi sombre que décrit autrefois. Si la prise en charge est rapide et que l’animal survit aux premières 48 heures, les chances de guérison sont excellentes [3].
Les kystes médiastinaux sont d’origine variée (parathyroïdien, thyroglossal, thymique branchial ou pleural). Le kyste brachial, celui suspecté chez le chat du cas présenté, est considéré comme d’origine congénitale. Contrairement au chien, il est généralement asymptomatique et découvert fortuitement. Ses caractéristiques radiographiques varient d’une masse à contours nets d’opacité tissulaire, cranialement au cœur, à une plage interstitielle mal délimitée. L’échographie thoracique révèle une paroi fine délimitant un espace anéchogène dont la ponction permet le retrait d’un contenu séreux paucicellulaire (lymphocytes, globules rouges, parfois des polynucléaires neutrophiles ou des macrophages en petit nombre). L’évolution de ces kystes (stabilité/augmentation de volume, absence/récidive postponction) est variable [9]. Dans le cas décrit, le caractère aseptique du contenu du kyste atteste qu’il s’agit d’une lésion indépendante du pyothorax.
Le pyothorax a longtemps été considéré comme une affection au pronostic sombre chez le chat entier ayant accès à l’extérieur. Les plus récents constats ont inversé ce consensus, en révélant une prédisposition du chat castré vivant à l’intérieur. Son diagnostic repose, in fine, sur l’analyse cytologique du liquide prélevé par thoracocentèse et son traitement sur un drainage de l’infection et une antibiothérapie systémique. La pose de drains thoraciques n’est pas un acte hautement technique et la majorité des chats qui survivent aux premières 48 heures bénéficient de bonnes chances de guérison.
Aucun.
→ Un chat âgé, atteint d’une paralysie laryngée traitée chirurgicalement il y a un an, souffre d’un pyothorax traité par la pose d’un drain et l’administration d’antibiotiques.
→ La prise en charge thérapeutique du pyothorax n’est pas consensuelle en médecine vétérinaire : thoracocentèse, pose d’un drain, lavage pleural, avec traitement antibiotique.
→ Les pyothorax sont polymicrobiens et l’antibiothérapie probabiliste de choix est une association amoxicilline-acide clavulanique et métronidazole.
→ Le pronostic du pyothorax est excellent si l’animal survit aux premières 48 heures.
ENCADRÉ 1 : Protocole de pose d’un drain thoracique chez le chat
– Choix du drain : 14 à 16 Fr, fenestré avec un trocart.
– Site d’incision cutanée : dans le tiers dorsal entre T10 et l’hypochondre.
– Tunnelisation sur deux espaces intercostaux pour éviter les fuites d’air (pneumothorax) avec le trocart en place.
– Site d’insertion pleurale : cranialement (vascularisation et innervation se trouvant caudalement) à la 8e ou 9e côte à l’aide du trocart, puis faire glisser le drain en intrathoracique au-delà du trocart (comme un cathéter) en s’assurant de ne pas le sentir coulisser en sous-cutané.
– Avancer le long de la face interne de la paroi thoracique en suivant une direction cranio-ventrale sur environ 12 à 18 cm.
– Lors du retrait complet du trocart, penser à clamper le drain pour éviter un pneumothorax iatrogène.
– Réaliser une radiographie de contrôle du positionnement du drain (photos 7).
– Fixer le drain à l’aide d’un laçage chinois.
ENCADRÉ 2 : Protocole de lavage pleural
– Utiliser un soluté isotonique (par exemple Ringer lactate).
– Tiédir le soluté de lavage (au four à micro-ondes par exemple, avec les précautions habituelles) pour prévenir les chocs hypothermiques.
– Administrer 10 à 25 ml/kg de soluté par session de lavage (ne pas dépasser 25 ml/kg).
– Au moins 75 % de la solution de lavage doit être récupérée. Pour cela, instiller progressivement le liquide de lavage en vérifiant régulièrement qu’il peut être réaspiré. Pour faciliter le drainage, réaliser des mouvements de balancier doux avec le tronc de l’animal pour aider la circulation du liquide. Si la récupération du liquide reste insuffisante face à un épanchement important objectivé par l’imagerie médicale, une intervention chirurgicale est nécessaire (thoracotomie).
– Réaliser des lavages toutes les 4 heures pendant les premières 24 à 48 heures, puis les espacer progressivement.
– Le volume et l’aspect cytologique de l’épanchement sont examinés quotidiennement.
ENCADRÉ 3 : Conditions du retrait du drain thoracique
– Production inférieure à 2 ml/kg/j.
– Résolution radiographique de l’épanchement.
– Résolution cytologique de l’infection (absence de germes, absence d’aspect dégénératif des neutrophiles et moindre densité cellulaire, apparition de macrophages).