L’intoxication par les benzodiazépines chez l’animal domestique - Le Point Vétérinaire n° 405 du 01/05/2020
Le Point Vétérinaire n° 405 du 01/05/2020

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier

Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr

L’usage quotidien des benzodiazépines comme somnifères, calmants ou anxiolytiques par de nombreuses personnes expose les animaux domestiques à leur ingestion accidentelle.

Bien que leur utilisation ait reculé ces dernières années, la France s’illustre encore malheureusement comme le deuxième pays européen en termes de consommation de benzodiazépines. Ces médicaments sont donc susceptibles de se retrouver à la portée de nos animaux domestiques et d’entraîner leur intoxication.

Le toxique

En médecine humaine, les benzodiazépines sont majoritairement utilisées comme anxiolytiques (bromazépam, alprazolam, oxazépam, prazépam, lorazépam, diazépam, clorazépate, clobazam, etc.), hypnotiques (lormétazépam et loprazolam, ainsi que zolpidem et zopiclone qui sont des molécules apparentées aux benzodiazépines même si elles n’appartiennent pas à proprement parler à cette classe), éventuellement antiépileptiques (clonazépam) ou myorelaxants (tétrazépam, actuellement suspendu).

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Dans les cas recensés par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des dix dernières années, les benzodiazépines, qui concernent un peu moins de 3 % des appels, figurent parmi les médicaments les plus fréquemment incriminés.

Le chien est de loin la principale espèce concernée (82,6 % des appels), suivi par le chat (16,4 %), puis, de façon beaucoup plus anecdotique, par les autres animaux de compagnie (lapin, perroquet, etc.).

Il s’agit essentiellement d’intoxications domestiques, le plus souvent dues à l’ingestion accidentelle des médicaments laissés accessibles, parfois consécutives à une automédication maladroite du propriétaire désireux de tranquilliser son animal. Dans de rares cas, l’usage malveillant de neuroleptiques peut être soupçonné, par exemple pour neutraliser un chien de garde en vue d’un cambriolage, mais la classe médicamenteuse en cause n’est alors pas identifiée.

Doses toxiques

Les benzodiazépines montrent une bonne tolérance chez les carnivores domestiques, avec une marge de sécurité assez large. Les doses toxiques varient selon chaque composé, mais restent élevées. Par exemple, la dose létale médiane (DL50) du lorazépam chez le chien serait supérieure à 2 g/kg, celle du diazépam dépasserait 800 mg/kg.

L’ingestion est considérée comme significative au-delà de l’équivalent de 20 mg/kg de diazépam (dont la fourchette thérapeutique classique est de 0,5 à 2 mg/kg).

Pathogénie

Les benzodiazépines agissent essentiellement en se fixant sur des récepteurs spécifiques, présents principalement au niveau du système nerveux central, mais aussi dans divers organes (reins, foie, cœur et poumons) qui modulent l’acide gamma-aminobutyrique (Gaba), inhibant l’émission des signaux et diminuant l’activité neuronale. À un moindre degré, d’aut res neurot ransmet teurs (acétylcholine, catécholamines, sérotonine notamment) pourraient être impliqués.

Avant leur élimination urinaire, les benzodiazépines sont métabolisées par le foie, mais pour certaines, les métabolites peuvent être pharmacologiquement actifs, de la même manière que la molécule mère. Quant à la sensibilité hépatique spécifique du chat, probablement liée à un déficit en glucurono-conjugaison, son mécanisme reste inconnu.

Tableaux clinique et lésionnel

Les troubles peuvent débuter entre dix minutes et deux heures après l’ingestion, avec dix à quinze minutes après des signes tels qu’une somnolence, une ataxie, une désorientation, un décubitus. La sédation peut s’accompagner d’une hypothermie. En théorie, elle peut aller jusqu’au coma, mais cela reste très rare. L’effet dépresseur s’exerce également sur les plans cardiovasculaire (bradycardie, hypotension) et respiratoire.

Dans certains cas, notamment lors d’ingestion massive ou chez de jeunes animaux de moins de 6 mois, des réactions paradoxales sont au contraire observées, avec une agitation, une agressivité, des tremblements, voire des convulsions même si ces dernières restent exceptionnelles. Une alternance de phases en “hypo” puis en “hyper” est possible. Enfin, les benzodiazépines sont connues pour leur effet orexigène, et une polyphagie est fréquemment rapportée. Des cas sporadiques de nécrose hépatique sont décrits chez des chats traités plusieurs jours avec du diazépam (sans corrélation avec la dose administrée), mais rien n’indique que ce phénomène soit généralisable à l’intoxication aiguë par les benzodiazépines.

Examens complémentaires

Théoriquement, il est possible de rechercher les benzodiazépines dans le sang et l’urine, mais peu de laboratoires sont adaptés, et en pratique l’ingestion est souvent connue. Pour la gestion clinique, un simple monitorage des paramètres vitaux (température, fréquences cardiaque et respiratoire) est recommandé avec, pour le chat, un contrôle de la fonction hépatique.

Traitements

Éliminatoire : il se heurte à deux écueils : d’une part, la rapidité de l’absorption, qui compromet son efficacité ; d’autre part, l’altération précoce de l’état de conscience, qui augmente les risques de fausseroute. Les vomissements provoqués et/ou le charbon végétal activé restent donc envisageables si l’ingestion est extrêmement récente, mais deviennent assez rapidement inefficaces, voire dangereux.

La perfusion simple et/ou les diurétiques ne sont pas utiles pour l’élimination (forte fixation aux protéines plasmatiques). Du fait de la liposolubilité des benzodiazépines, les émulsions lipidiques intraveineuses pourraient se montrer efficaces, mais compte tenu de leur difficulté de mise en place, elles ne sont généralement pas proposées face à des signes cliniques qui restent modérés.

Spécifique : le flumazénil est souvent indiqué chez l’homme comme antidote aux benzodiazépines. Pour les carnivores domestiques, il serait théoriquement utilisable (0,01 mg/ kg par voie intraveineuse), mais en pratique, il est inaccessible en dehors du milieu hospitalier. Il est surtout intéressant en cas de dépression majeure, notamment respiratoire, qui n’est quasiment jamais observée en médecine vétérinaire.

Symptomatique : il est surtout préconisé de garder l’animal au chaud, au calme et dans l’obscurité pour ne pas favoriser les réactions paradoxales, dans un environnement sécurisé, tant pour lui en raison du risque de polyphagie que pour l’entourage. Il convient d’avertir le propriétaire des possibles réactions d’agressivité, même chez un animal habituellement gentil, et de l’hospitaliser si nécessaire.

La perfusion éventuelle peut simplement apporter un soutien à l’état général, à évaluer selon le bénéfice attendu et le risque de voir l’animal tout arracher du fait de l’hyperréactivité ou de la polyphagie.

En cas de réactions paradoxales excessives, il est possible d’administrer du diazépam, sauf s’il s’agit de la molécule en cause. Même si ce médicament appartient à la même famille, il montre une bonne efficacité en pratique. D’autres tranquillisants peuvent être administrés (par exemple l’acépromazine à la dose de 0,01 à 0,02 mg/kg), avec prudence car une phase de dépression peut de nouveau se produire.

Pronostic

Chez un animal sans antécédents particuliers, le pronostic est généralement bon, même si une surveillance est recommandée dans les premières heures.

L’élimination est beaucoup plus rapide que chez l’homme, et plus encore chez le chien que chez le chat. Par exemple, la demi-vie du lorazépam serait autour d’une heure chez le chien au lieu de douze heures chez l’homme, celle du bromazépam d’environ trois heures chez le chien versus une vingtaine d’heures… Une bonne récupération est donc attendue chez l’animal dans les 24 à 48 heures, même lors de prise massive.

Toutefois, la polyphagie est à surveiller pendant deux à trois jours, à cause du risque de “surintoxication” qu’elle pourrait induire, l’animal étant susceptible d’ingérer des produits auxquels il n’aurait pas touché en temps normal.

Conflit d’intérêts

Aucun.

EN SAVOIR PLUS

1. Hovda LR, Brutlag AG, Poppenga RH et coll. Blackwell’s fiveminute veterinary consult, Clinical companion, Small animal toxicology. 2nd edition, Wiley-Blackwell. 2016:962p. 2. Peterson ME, Talcott PA. Small animal toxicology. 3rd edition, Saunders Elsevier. 2013:911p.3. Plumb DC. Plumb’s veterinary drug handbook. 9th edition, Wiley-Blackwell. 2018:1428p.4. Poppenga RH, Gwaltney-Brant S. Small animal toxicology essentials. Wiley-Blackwell. 2011:336p.
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