ÉTAPE2 : Les analyses biochimiques : éviter les erreurs(2) - Le Point Vétérinaire n° 405 du 01/05/2020
Le Point Vétérinaire n° 405 du 01/05/2020

En 10 Étapes

Auteur(s) : Antoine Lecomte

Fonctions : LDHvet, Laboniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

Le choix des analyses biologiques et leur interprétation se font à partir du contexte anamnestique et clinique. Les caractéristiques des tests utilisés sont également à prendre en compte.

Dans le cadre d’une démarche diagnostique rigoureuse, l’interprétation d’un résultat biologique doit intégrer l’ensemble du processus de l’analyse (conditions préanalytiques, analytiques et postanalytiques)(1).

Pour interpréter un test diagnostique de façon optimale, les quatre critères à considérer sont les conditions analytiques, l’hypothèse de départ, les performances du test et l’intervalle de référence appliqué.

ÉVALUER L’INTÉRÊT DIAGNOSTIQUE D’UN TEST

1. Performances diagnostiques

La sensibilité diagnostique d’un test (Se) est la probabilité d’obtenir un résultat positif chez un animal malade, tandis que la spécificité diagnostique (Sp) est la probabilité d’obtenir un test négatif chez un animal non malade (encadré et figure 1). Ces notions sont théoriques et n’ont de sens que si elles sont interprétées conjointement et en connaissant le seuil diagnostique utilisé pour les calculer.

Le choix d’une valeur seuil capable de discriminer les individus malades et les sains est déterminant (figures 1 et 2). En pratique, il est préférable de choisir deux seuils (un supérieur, un inférieur), au-dessus et en dessous desquels l’interprétation du résultat est raisonnablement certaine : l’animal est sain ou malade. Lorsque le résultat d’un test est intermédiaire (c’est-à-dire dans la zone dite “grise”), la décision diagnostique, thérapeutique ou pronostique doit intégrer d’autres examens complémentaires pour comprendre pourquoi le résultat est incertain ou, éventuellement, le même examen peut être renouvelé ultérieurement.

Ainsi, ce qu’il faut retenir en pratique :

– un test à la fois 100 % spécifique et 100 % sensible n’existe pas ;

– les données renseignées par les fabricants de tests (par exemple, tests rapides FIV, parvovirose, lipase pancréatique, etc.) doivent impérativement inclure la sensibilité, la spécificité et les seuils diagnostiques correspondants. Dans le cas contraire, il est impossible d’évaluer réellement les performances diagnostiques.

2. Importance de l’intuition clinique du praticien

En pratique clinique, la question posée lors de la réalisation d’une analyse biologique n’est pas « quelle est la probabilité pour que la valeur mesurée soit anormale sachant que l’animal est malade ? », mais bien « quelle est la probabilité que l’animal soit malade sachant que j’obtiens une valeur anormale ? », et son corollaire « quelle est la probabilité pour que l’animal ne soit pas malade sachant que j’obtiens une valeur normale ? ». Connaître la sensibilité et la spécificité d’un test ne permet pas de répondre à ces questions. C’est l’examen des valeurs prédictive positive (VPP) et négative (VPN) qui est utile dans ce contexte (tableau) : la VPN correspond à la capacité d’un test à exclure la maladie, tandis que la VPP correspond à sa capacité à la confirmer.

Dans la majorité des cas, un test diagnostique s’inscrit dans une démarche visant à mettre en évidence l’existence d’une maladie suspectée au préalable. Ainsi, pour chaque résultat d’un test, la probabilité que l’animal soit affecté par la maladie recherchée (dite “probabilité prétest”) dépend non seulement de la prévalence de cette maladie dans la population, mais aussi du contexte anamnestique, clinique et biologique de l’animal. Par exemple, lors du dépistage d’une dysplasie vasculaire hépatique chez un chihuahua qui ne présente aucun signe clinique, la probabilité prétest de diagnostiquer cette maladie est égale à la prévalence globale de la maladie. Si cette recherche s’effectue chez un jeune chihuahua qui présente un retard de croissance et des troubles nerveux, la probabilité prétest est fortement majorée.

Lors d’un test diagnostique dont les sensibilité et spécificité sont établies à un seuil fixé, les VPP et VPN ne sont influencées que par la probabilité prétest.

En pratique, trois points sont importants à retenir :

– plus la prévalence d’une maladie est élevée (VPP élevée et VPN faible), plus le test est fiable, aussi bien pour détecter que pour exclure la maladie ;

– en cas de faible prévalence d’une maladie (VPP faible, VPN élevée), le test diagnostique est fiable pour exclure la maladie ;

– autrement dit, le choix d’un test diagnostique et son interprétation doivent être raisonnés selon le contexte global de chaque animal.

3. Conséquences sur le bilan de santé

En raison de la diminution de la VPP en cas de faible prévalence, la réalisation systématique d’un test de dépistage sur une population d’animaux “tout venant” a peu intérêt. Par ailleurs, à l’occasion d’un bilan de santé, la mise en évidence d’une anomalie biologique est à interpréter avec une grande prudence. Cependant, il faut aussi garder à l’esprit que les anomalies biologiques précèdent souvent l’expression clinique des maladies. Ainsi, chez un animal apparemment sain, un résultat biologique anormal lors d’un bilan de santé n’est pas à négliger.

Si un bilan de santé systématique n’a pas de sens, il peut en revanche être justifié dans un contexte de dépistage, notamment, lorsque la prévalence d’une maladie est majorée dans une population donnée (prédisposition génétique ou raciale, impact géographique, mode de vie, etc.).

Prenons deux exemples. Les performances diagnostiques des tests rapides de la lipase pancréatique spécifique canine pour la pancréatite aiguë sont évaluées à 94 % pour la sensibilité et à 78 % pour la spécificité, avec un seuil de positivité à 200 µg/l [4].

→ Un chien mâle stérilisé de 5 ans est présenté pour un bilan de santé. Il ne montre aucun signe clinique. Un bilan sanguin est réalisé, incluant un test rapide pour mesurer la lipase pancréatique canine. La probabilité prétest est estimée à 5 %. Dans ce cas, la VPP est de 18 %. Autrement dit, même si le test est positif, ce chien n’a que 18 % de chances d’être effectivement malade. En revanche, dans ce contexte de faible probabilité prétest, la VPN est élevée. Ici, la réalisation du test n’a aucun intérêt, car il permet de confirmer que l’animal est sain, ce qui est déjà connu.

→ Un chien mâle stérilisé de 5 ans est présenté pour des vomissements aigus, un abattement et une douleur abdominale. Un test rapide est réalisé pour mesurer la lipase pancréatique canine, car une forte suspicion clinique de pancréatite aiguë est émise. La probabilité prétest est estimée à 50 %. Dans ce cas, la VPP est de 81 %. Dans ce contexte de forte suspicion, le test diagnostique est tout à fait interprétable.

INTERVALLES DE RÉFÉRENCE

Le concept d’intervalles de référence est utilisé quotidiennement par les vétérinaires. Pour bien comprendre ces notions et s’en servir à bon escient pour l’interprétation des résultats, il est indispensable de bien les définir et de comprendre comment ils sont établis.

1. Définitions

Les notions relatives aux intervalles de référence ont été définies en médecine humaine avant d’être appliquées à la médecine vétérinaire [3, 5].

Un individu de référence est un animal sélectionné selon des critères donnés. En général, c’est un individu “sain”. Toutefois, des intervalles de référence peuvent aussi être établis pour des animaux malades, notamment pour préciser les seuils de décision clinique (par exemple, intervalle de référence pour la phosphatémie chez les animaux atteints de maladie rénale chronique). Les intervalles de référence sont établis sur un échantillon représentatif de la population des individus de référence (ou échantillon de référence).

Les valeurs de référence sont obtenues par la mesure d’une substance chez des individus qui constituent un échantillon représentatif de la population de référence. La distribution de ces valeurs de référence permet de calculer des limites de référence qui définissent un intervalle de référence. Ce dernier contient généralement 95 % de l’échantillon de référence (figure 3).

2. Variabilité biologique et analytique

Outre les conditions préanalytiques, qui sont les plus fréquemment incriminées dans les erreurs d’interprétation diagnostique(1), il existe deux principales sources de variations de la mesure d’un paramètre biologique chez un individu de référence :

– la variabilité biologique (intra-individuelle et interindividuelle) qui peut être liée à la race, à l’âge, au statut physiologique ou pathologique, etc. ;

– la variabilité analytique liée à la méthode qui peut être systématique (par exemple en surestimant ou sousestimant) ou aléatoire (imprécision). La conséquence logique de ces variabilités est qu’un intervalle de référence n’est valable que pour une méthode et une population de référence données. Ainsi, les intervalles de référence fournis dans la littérature ne doivent pas être appliqués stricto sensu. Ils ne servent qu’à donner un ordre de grandeur des résultats attendus.

3. Réalisation pratique et sources d’erreurs

En pratique, pour établir des valeurs de référence, les laboratoires constituent leur population de référence en choisissant a priori les critères d’inclusion. Les conditions préanalytiques et analytiques sont standardisées. Dans l’idéal, 120 individus au minimum, répondant aux critères de sélection, sont nécessaires pour constituer un intervalle de référence, même si, dans certaines conditions, des méthodes de calcul permettent de réduire ce nombre à 40 animaux [3]. Dans un premier temps, les valeurs aberrantes sont exclues. Puis, les limites de référence sont calculées par différentes méthodes choisies selon la taille de l’échantillon. Par convention, ces limites de référence incluent 95 % des valeurs les plus proches de la médiane, ce qui signifie que 5 % des individus sains présentent un résultat “anormal”, c’est-à-dire en dehors de l’intervalle de référence (figure 4).

En médecine vétérinaire, la réalisation d’intervalles de référence apparaît alors difficile en pratique (coût, nombre suffisant d’animaux sains répondant à des critères de sélection donnés, tout en ayant une variabilité individuelle suffisante, etc.).

La population de référence peut ne pas être représentative de la population générale, soit parce que l’échantillon de référence est très homogène (exemple des intervalles de référence calculés sur des animaux de laboratoire aux caractéristiques similaires), soit parce que le nombre d’animaux inclus est insuffisant.

Ainsi, l’intervalle de référence calculé peut être trop large (tous les animaux comparés seront "normaux") ou trop restreint (tous les animaux comparés seront “anormaux”).

4. Application aux automates des cliniques

Les intervalles de référence fournis par les automates utilisés dans les cliniques vétérinaires sont identiques pour tous les appareils d’une même série. Or, les conditions analytiques sont très variables d’une structure à l’autre. Cela est dû au fait que les systèmes de mesure de la plupart de ces appareils sont des méthodes de chimie sèche, connues pour leur robustesse, peu sensibles aux conditions analytiques [6].

Aussi, dès l’achat d’un analyseur, il est indispensable de savoir comment les intervalles de référence ont été réalisés. En effet, des intervalles de référence très larges sont fréquemment fournis par ces automates de paillasse. Cela est lié, le plus souvent, à une mauvaise sélection de la population de référence (voir plus haut). Enfin, notons l’importance critique d’un contrôle qualité adapté et régulier, sans lequel un biais ne peut être exclu, rendant les intervalles de référence inapplicables(1) [2].

5. Notion de référence individuelle (exemple de la créatininémie)

La variabilité biologique, qui complique l’application des intervalles de référence, peut être diminuée en utilisant chaque animal comme son propre témoin (disparition de la variabilité interindividuelle). Ceci est d’autant plus intéressant lorsqu’il s’agit des marqueurs biologiques tardifs d’une maladie dont la variabilité interindividuelle est forte.

Par exemple, la créatininémie étant influencée par la masse musculaire de l’animal, son augmentation audelà de l’intervalle de référence peut n’être observée qu’en cas de forte diminution du débit de filtration glomérulaire (les valeurs de référence de la créatininémie étant les mêmes, quel que soit le format de l’animal dans une espèce donnée). Si un facteur de risque est identifié (animal âgé, hypertension artérielle, historique de lésions rénales), il est alors intéressant de réaliser une mesure régulière de la créatininémie. Ainsi, en considérant un intervalle de référence de 50 à 120 µmol/l pour la créatininémie, une valeur de 110 µmol/l chez un animal qui a, selon ses antécédents, une créatininémie basale de 70 µmol/l, traduit une forte diminution du débit de filtration glomérulaire, bien que la valeur reste dans l’intervalle de référence.

Par extension, pour tous les analytes, il est théoriquement possible de calculer une variation minimale de référence au-delà de laquelle tout changement sera considéré comme pathologique. Ces données sont néanmoins difficiles à obtenir, car elles nécessitent des études cliniques rigoureuses, chronophages et donc coûteuses [1].

En pratique, les points importants sont les suivants :

– lorsque la valeur mesurée n’est pas franchement en dehors du domaine des valeurs usuelles (environ trois écarts-types), elle est difficilement interprétable. Selon le tableau clinique, il convient d’éventuellement réitérer l’analyse plus tard ou de réaliser d’autres examens complémentaires ;

– il faut se fier aux valeurs de référence validées par les laboratoires externalisés et ne pas interpréter des résultats soi-même avec des références bibliographiques ;

– mieux vaut se méfier de la programmation des valeurs de référence sur les automates vétérinaires, ne s’intéresser qu’aux valeurs et décider soimême quelles références choisir. La plus grande prudence est de mise vis-à-vis des raccourcis visuels (barre avec “-” / “normal” / “+”) ;

– un diagnostic ne s’établit pas uniquement sur une valeur biologique : le praticien doit interpréter tous les résultats biologiques en les intégrant au tableau clinique.

Conclusion

Il existe de nombreuses sources d’erreur dans l’interprétation d’un test diagnostique. Le praticien doit, pour une interprétation rigoureuse, disposer d’une estimation de la probabilité prétest, des performances diagnostiques du test, des erreurs préanalytiques et analytiques, et porter un regard critique sur les intervalles de référence qu’il utilise.

  • (1) Voir l’étape 1 « Analyses biochimiques : éviter les erreurs » dans le Point Vétérinaire n° 404 d’avril 2020.

  • (2) Seconde partie.

Références

  • 1. Site Vet Biological Variation, 2015 (consulté le 30/12/2019). Disponible sur http://www.vetbiologicalvariation.org.
  • 2. Flatland B, Freeman KP, Vap LM et coll. ASVCP guidelines: quality assurance for point-of-care testing in veterinary medicine. Vet. Clin. Pathol. 2013;42 (4):405-423.
  • 3. Friedrichs KR, Harr KE, Freeman KP et coll. ASVCP reference interval guidelines: determination of de novo reference intervals in veterinary species and other related topics. Vet. Clin. Pathol. 2012;41 (4):441-453.
  • 4. McCord K, Morley PS, Armostrong J et coll. A multiinstitutional study evaluating the diagnostic utility of the spec cPL™ and Snap® cPL™ in clinical acute pancreatitis in 84 dogs. J. Vet. Intern. Med. 2012;26 (4):888-896.
  • 5. Solberg HE. International Federation of Clinical Chemistry. Scientific committee, clinical section. Expert panel on theory of reference values and international committee for standardization in haematology standing committee on reference values. Approved recommendation (1986) on the theory of reference values. Part 1. The concept of reference values. Clin. Chim. Acta. 1987;165 (1):111-118.
  • 6. Weiser M, Vap L, Thrall M. Perspectives and advances in in-clinic laboratory diagnostic capabilities: hematology and clinical chemistry. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2007;37:221-236.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ : Performances d’un test

Le calcul de la sensibilité (Se) et de la spécificité (Sp) d’un test diagnostique s’obtient en comparant les résultats avec une méthode de référence qui distingue, théoriquement, tous les individus malades des sains – même si un tel test n’existe pas en réalité. Le calcul des sensibilité et spécificité (Se et Sp), des valeurs prédictives positives et négatives (VPP et VPN) s’effectue à partir du tableau de contingence obtenu. Notons que les valeurs prédictives positives et négatives peuvent aussi être calculées à partir de la sensibilité et de la spécificité.

Points forts

→ Un test diagnostique n’est pleinement utile que dans le cadre d’une forte suspicion clinique.

→ Un bilan de santé biologique systématique n’a qu’un intérêt limité, lié à l’établissement de valeurs basales individuelles.

→ Au moins 5 % des animaux sains présentent une valeur en dehors de l’intervalle de référence.

→ Un intervalle de référence n’est valable que pour une méthode analytique et une population données.

→ Si des facteurs de risque sont identifiés, un suivi biologique peut être plus intéressant que la comparaison à un intervalle de référence.

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