L’intoxication par les engrais chez l’animal - Le Point Vétérinaire n° 404 du 01/04/2020
Le Point Vétérinaire n° 404 du 01/04/2020

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Martine Kammerer

Fonctions : Capae-Ouest, Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
capaeouest@oniris-nantes.fr

L’intoxication due aux fertilisants concerne tous les animaux domestiques, car ces produits sont couramment utilisés, par les agriculteurs comme par les particuliers.

Le toxique

Les engrais sont des produits destinés à nourrir les plantes, en apportant les éléments essentiels à leur croissance (azote, phosphore et potassium), auxquels sont parfois associés divers oligo-éléments. L’étiquetage de l’engrais indique donc généralement de façon très visible trois chiffres qui représentent l’apport NPK, exprimé de façon conventionnelle en élément azote, anhydride phosphorique et oxyde de potassium. Ainsi, un engrais 15.6.12 signifie N 15 %, P205 6 % et K20 12 %. Cette mention, essentielle pour l’agronome, est de peu d’intérêt pour évaluer le risque d’intoxication et les conséquences d’une ingestion accidentelle par les animaux. Le plus important pour le vétérinaire est avant tout la forme chimique sous laquelle ces éléments sont présents. Or cette information n’est pas fournie avec précision, c’est pourquoi il est impossible de proposer des doses toxiques valables globalement.

Espèces concernées

L’intoxication par les fertilisants peut être observée chez toutes les espèces domestiques car ce sont des produits fréquemment utilisés, tant par les agriculteurs que par les particuliers. Mais en pratique, elle concerne principalement les bovins et les chiens. Chez les bovins, elle est généralement liée à une négligence de stockage. Lorsque les sacs d’engrais sont laissés à la vue, la curiosité des animaux et l’appétence des produits font le reste. Chez le chien, l’intoxication survient non seulement lorsque l’engrais est à sa portée, mais aussi par léchage ou ingestion après l’épandage dans le jardin, par exemple. Quant au chat, il est surtout concerné par les engrais pour plantes vertes, en particulier lorsqu’il boit l’eau résiduelle dans la soucoupe des pots ou des jardinières.

Effets toxiques et tableau clinique

L’apport de phosphore ne représente pas un grand danger. L’élément est présent essentiellement sous la forme de phosphates, lesquels sont peu résorbés. Lors d’ingestion, une hyperphosphorémie n’est pas à redouter sauf dans le cas d’engrais purement phosphorés (superphosphates). Lorsqu’il s’agit d’un engrais mixte, la seule manifestation clinique observée est une diarrhée, liée à l’effet irritant sur la muqueuse et à l’appel d’eau dans la lumière intestinale.

Le potassium, présent sous la forme de chlorure, de sulfate ou de nitrate, est en théorie plus dangereux, car bien résorbé. Néanmoins, une hyperkaliémie consécutive à l’ingestion d’engrais est rarement constatée. Elle serait à l’origine de troubles du rythme cardiaque et d’une faiblesse musculaire.

La potentialité toxique de l’azote est très variable selon la forme chimique présente et l’espèce animale concernée. Il peut s’agir de nitrate, d’ammoniaque, d’urée ou de matière organique, et le devenir dans l’organisme de ces différentes formes est bien différent. Le nitrate est une forme d’azote à action rapide pour la plante qui est particulièrement dangereuse pour les ruminants, surtout les bovins. Dans le rumen, cet ion est en effet rapidement réduit en nitrite à action méthémoglobinisante et vasodilatatrice. Le sang prend alors une couleur marron caractéristique, et les manifestations de l’anoxie apparaissent (faiblesse musculaire, tremblements, ataxie et polypnée, convulsions si l’animal est poussé à l’effort), d’autant plus marquées que le taux de méthémoglobine est élevé. Une diarrhée est également fréquente. L’évolution peut être fatale, car la dose létale chez les bovins est de l’ordre de 300 mg/ kg, soit seulement 180 g pour une vache de 600 kg. Chez les monogastriques, l’ingestion d’engrais nitraté est beaucoup moins grave : elle provoque seulement une diarrhée et a un effet diurétique.

Sous forme ammoniacale ou uréique, les engrais azotés sont également très dangereux chez les ruminants. Leur consommation peut conduire à une hyperammoniémie, qui entraîne dans un premier temps une alcalose sanguine, mais l’inhibition du cycle de Krebs qui s’installe conduit rapidement à une acidose métabolique. La traduction clinique, lorsque l’évolution est aiguë, est dominée par une hyperexcitation combinée à une fréquente agressivité, des tremblements ou des convulsions, ainsi qu’une dyspnée liée à un œdème pulmonaire. La forme subaiguë se traduit par une météorisation accompagnée d’une diarrhée, et l’évolution est alors le plus souvent favorable en quelques heures. Le diagnostic de confirmation repose sur la mesure de l’ammoniémie, ainsi que sur la mise en évidence des anomalies biochimiques sanguines (acidose, hyperkaliémie et hyperglycémie).

L’ammonitrate et les engrais uréiques restent très utilisés en agriculture, mais pour le jardin ce sont surtout les engrais organiques d’origine naturelle qui prédominent. Si c’est une très bonne chose du point de vue environnemental, cela peut représenter un vrai danger pour le chien. En effet, cette matière organique est très souvent d’origine animale, à base d’issues d’abattoir : sang séché, corne broyée, farine de plumes, fientes de volailles… toutes choses très appétentes pour lui. Le chien qui a accès au sac d’engrais pourra donc en consommer une grande quantité. Même après l’épandage dans le jardin, il est fréquent qu’il fouille la terre pour le retrouver. La composition complexe du produit est à l’origine d’une gastroentérite parfois sévère. L’animal présente d’abord une polydipsie et des vomissements, puis une diarrhée, avec douleur abdominale, anorexie et abattement.

La cyanamide calcique est une forme particulière d’engrais azoté, qui a également une action antimousse et corrige le pH des sols trop acides. Notamment utilisée sur le gazon, elle provoque une gastroentérite qui peut être très sévère et hémorragique. Cet engrais semble lui aussi appétent pour le chien, et il faut donc conseiller la prudence lors de son emploi.

Les oligo-éléments associés sont en trop faible concentration par rapport aux éléments essentiels pour modifier sensiblement le tableau clinique et la conduite à tenir. Ils peuvent néanmoins accentuer l’action irritante sur la muqueuse digestive.

Traitements

Potassium : le traitement recommandé fait appel aux salidiurétiques (furosémide) et à la perfusion alcalinisante qui corrige l’acidose souvent associée et permet le trappage intracellulaire du potassium.

Azote : chez les bovins, le traitement de la méthémoglobinémie repose sur l’injection lente par voie intraveineuse de bleu de méthylène à 1 % dans une solution isotonique de chlorure de sodium à la posologie de 4 mg/kg. Le diagnostic de laboratoire de l’intoxication passe par la mesure du taux de méthémoglobine, ou encore par le dosage des nitrates/nitrites dans le sang, l’urine ou le contenu stomacal. Ammoniac : chez les ruminants, le traitement spécifique, à mettre en œuvre précocement, consiste en l’administration de vinaigre, car la baisse du pH ruminal s’oppose à la résorption de l’ammoniac (2 à 8 litres par animal de la dilution de moitié).

Ammonitrate et engrais organiques : chez le chien, le traitement repose sur les pansements digestifs et les antiémétiques, éventuellement associés à des suppléments nutritionnels visant à rééquilibrer la flore digestive. Le charbon permet d’adsorber les substances organiques, mais reste sans effet sur les substances minérales.

EN SAVOIR PLUS

1. Kelch WJ, Kerr LA. Nitrate toxicosis in cattle due to careless handling of fertilizer. Large Anim. Pract. 1997;18 (4):41-42.2. Means C. Treating fertilizer ingestions? As easy as N-P-K. Today’s Vet. Pract. 2016;6 (3):49-53.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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