Effets indésirables graves postvaccinaux chez le chat - Le Point Vétérinaire n° 404 du 01/04/2020
Le Point Vétérinaire n° 404 du 01/04/2020

VACCINATION

Dossier

Auteur(s) : Martin Monier*, Élisabeth Begon**, Sandrine Rougier***, Éric Fresnay****, Séverine Boullier*****, Sylviane Laurentie******

Fonctions :
*École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse martin.monier@hotmail.fr
**Anses-ANMV, département
pharmacovigilance
14, rue Claude Bourgelat
35300 Fougères
pharmacovigilance@anses.fr
***Anses-ANMV, département
pharmacovigilance
14, rue Claude Bourgelat
35300 Fougères
pharmacovigilance@anses.fr
****Anses-ANMV, département
pharmacovigilance
14, rue Claude Bourgelat
35300 Fougères
pharmacovigilance@anses.fr
*****École vétérinaire de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse
******Anses-ANMV, département
pharmacovigilance
14, rue Claude Bourgelat
35300 Fougères
pharmacovigilance@anses.fr

Les objections face à l’injection vaccinale ne tiennent pas devant la réalité chiffrée : l’incidence de ses effets indésirables est extrêmement faible. Elle peut encore baisser grâce à une surveillance accrue.

Employés quotidiennement en médecine vétérinaire, les vaccins sont des médicaments à part entière qui requièrent une utilisation raisonnée. Ils peuvent en effet être à l’origine d’effets indésirables. Mentionnés dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP), ces effets sont rares et le plus souvent bénins (photo 1). Par exemple, un syndrome fébrile transitoire, une réaction au site d’injection ou, dans des cas plus graves, une hypersensibilité de type choc anaphylactique peuvent être observés. Néanmoins, la vaccination constitue un pilier de la médecine préventive.

Ces effets sont évalués lors de la procédure d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par le biais d’études cliniques, réalisées dans des conditions standardisées et chez un nombre limité d’animaux. Une fois le produit commercialisé, les remontées de terrain, par le biais de la pharmacovigilance, permettent de réévaluer constamment le profil et la fréquence des effets indésirables, donc le rapport bénéfice/risque de chaque médicament (encadré 1).

1 État des lieux

En France, 33 vaccins sont commercialisés pour l’espèce féline, regroupant cinq valences : typhus (T), coryza (C, combinant calicivirus et herpèsvirus félins), leucose (L), rage ® et chlamydiose (Ch). Ces valences peuvent être associées afin d’assurer une protection optimale adaptée à chaque individu selon son âge et son mode de vie (photo 2).

Entre 2014 et 2018, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a réalisé une étude rétrospective basée sur les déclarations d’événements indésirables graves liés aux vaccins destinés au chat. L’objectif est de décrire les effets indésirables graves les plus couramment observés et d’identifier les potentiels facteurs de risque, afin de guider le vétérinaire dans sa pratique vaccinale, de l’élaboration du protocole jusqu’au suivi postvaccinal.

2 Étude

Matériels et méthodes

Les cas étudiés proviennent de la base de données nationale de pharmacovigilance, gérée par l’Anses-ANMV. L’étude a retenu les déclarations spontanées d’événements indésirables jugés graves (encadré 2), survenus chez des chats en France à la suite d’une injection vaccinale, et enregistrées par l’agence entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018. Selon le lien de causalité entre le produit administré et l’effet observé, les experts de l’Anses-ANMV ou du Centre de pharmacovigilance vétérinaire de Lyon (CPVL) ont attribué à chaque cas une note d’imputabilité (encadré 3). Dans cette étude, seules les déclarations notées A, B et O/O1, pour lesquelles aucun autre médicament non vaccin ne présente une imputation plus forte, sont retenues.

Le nombre de doses vendues de tous les vaccins commercialisés en France pendant la période d’étude est fourni par les titulaires des AMM. Afin de réaliser les calculs d’incidence, il est admis qu’une dose vaccinale vendue correspond à un chat vacciné. En ce qui concerne les vaccins multiespèces contenant la valence rabique seule, les titulaires des AMM ont estimé la proportion de doses administrées aux chats (de 10 à 35 % selon le produit). L’incidence d’un événement indésirable donné se calcule, conformément aux recommandations européennes, en divisant le nombre de chats concernés par le nombre estimé de chats vaccinés sur la période étudiée [1].

Afin d’estimer la couverture vaccinale de la population féline française, il est considéré qu’une dose de vaccin essentiel (contenant les valences typhus ou coryza) vendue correspond à un animal vacciné, et qu’un vaccin non essentiel est systématiquement associé à un vaccin essentiel [1]. Ainsi, seuls les vaccins essentiels sont comptabilisés pour évaluer le nombre de chats vaccinés en France. Les données relatives à l’effectif de la population féline sont issues d’une enquête Facco-Kantar [9].

La comparaison du profil des animaux ayant présenté un effet indésirable déclaré, par rapport à celui de la population féline française, s’est appuyée sur les données de répartition par âge de la population féline et sur la proportion de chats de race en France, issues d’une enquête TNS Sofres réalisée pour l’I-CAD en 2016 [10]. Aucune information concernant le poids n’a pu être exploitée dans ces différentes enquêtes.

Les tests statistiques utilisés dans cette étude sont le test du Chi2, et le proportional reporting ratio (PRR) qui sert à identifier, dans les bases de données de pharmacovigilance, des disproportions de déclaration pour un couple médicament/entité clinique. Le test du Chi2, utilisé en parallèle du PRR, est calculé à partir du même tableau de contingences. Le PRR s’interprète comme un risque relatif [2]. Trois cas de figure peuvent se présenter pour les associations vaccin/effet indésirable testées : soit l’association est significativement sous-représentée ou surreprésentée, soit aucune différence significative n’est mise en évidence, soit les effectifs de l’association (moins de trois cas pour le couple médicament/entité clinique) ne permettent pas la réalisation du calcul. Dans ce troisième cas de figure, aucune conclusion ne peut être tirée quant à la représentation de l’association.

Résultats

CHIFFRES GLOBAUX

Entre 2014 et 2018, 16 123 580 doses de vaccins considérés comme essentiels ont été vendues, soit 3 224 716 annuellement. L’enquête Facco-Kantar estime à 13 480 000 le nombre de chats en France, ce qui permet d’évaluer la couverture vaccinale de la population féline à 24 % (photo 3) [9]. Cette valeur est similaire à celle fournie par l’Observatoire national de la vaccination du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV) pour l’année 2017.

Pendant la période d’étude, l’Anses-ANMV a reçu 6 588 déclarations de pharmacovigilance concernant l’espèce féline, dont 847 relatives à des vaccins, soit 1 200 chats concernés par des événements indésirables postvaccinaux. En ne retenant que les cas jugés graves, et en leur appliquant les critères d’imputabilité retenus, il reste 340 déclarations d’effets indésirables graves au sens strict (concernant 476 chats) et 69 déclarations relatives à des suspicions de manque d’efficacité (97 chats).

Ces chiffres, rapportés au nombre total de doses vendues sur la même période, permettent de calculer les incidences suivantes :

- pour les effets indésirables graves : 0,208 cas pour 10 000 chats vaccinés, soit un chat sur 48 173 ;

- pour les suspicions de manque d’efficacité : 0,042 cas pour 10 000 chats vaccinés, soit un chat sur 236 400.

PROFIL DES CHATS ATTEINTS

Dans cette étude, l’âge des chats affectés n’est précisé que pour 430 d’entre eux (75 %), et leur race pour 332 individus (56 %). Les jeunes sont significativement surreprésentés (p < 0,001) par rapport à la population féline, à la fois en termes d’effets indésirables et de suspicions de manque d’efficacité. En effet, 46,4 % des animaux présentant des effets indésirables ont moins d’un an, tandis que ceux de 1 à 11 ans sont significativement sous-représentés (photo 4). Ce phénomène est encore plus marqué pour le manque d’efficacité, puisque 67,1 % des chats atteints ont moins d’un an (p < 0,001) (figure 1).

En ce qui concerne la répartition raciale des chats de l’étude, compte tenu du faible nombre de données disponibles, seule une dichotomie est effectuée entre les chats de race (toutes races confondues) et les autres (cités comme “européens” dans les déclarations). La proportion de chats de race en France est estimée à 29 %, tandis qu’ils représentent 40 % des chats atteints d’effets indésirables, et 62 % des cas de manque d’efficacité [2]. Les chats de race sont significativement surreprésentés, à la fois pour le manque d’efficacité et les effets indésirables (p < 0,001).

INCIDENCE ET ASPECT CLINIQUE DES EFFETS INDÉSIRABLES GRAVES

Les 340 réactions observées, tous vaccins confondus, sont classées selon leur tableau clinique (symptômes et délai d’apparition) et réparties en huit syndromes différents (figure 2).

Trois d’entre eux regroupent 83 % des cas : les “réactions non spécifiques”, les “réactions évoquant une hypersensibilité de type I” et le groupe “autres” (photo 5). Les “réactions non spécifiques” se manifestent cliniquement par une léthargie chez 67 % des individus, une anorexie (52 %), une hyperthermie (52 %) et des vomissements (45 %). Les “réactions évoquant une hypersensibilité de type I (HS I)” - les immunoglobulines E (IgE) n’ont pas été dosées - comprennent les chocs anaphylactiques, cités pour 15 % des individus atteints, mais ne s’y limitent pas. Sont également déclarés des troubles respiratoires (dyspnée citée dans 35 % des déclarations, œdème pulmonaire dans 27 %) et digestifs (vomissements, 34 %). Le groupe “autres” réunit les cas qui ne peuvent être rattachés à aucune catégorie en raison de leur tableau clinique inattendu et/ou d’un délai d’apparition retardé. Tous ces cas ont reçu une note d’imputabilité O ou O1. Les signes cliniques les plus couramment cités sont une léthargie (36 %), une hyperthermie (27 %), une anorexie (22 %), des vomissements (19 %) et une diarrhée (16 %). Les “troubles nerveux” se manifestent par des signes purement de cette sorte, tels qu’une ataxie (45 %) et des convulsions (23 %), associés à une atteinte systémique avec hyperthermie dans 27 % des cas. Les “réactions au site d’injection” regroupent les sarcomes félins postinjection, mais aussi d’autres réactions locales jugées graves en raison de leur extension, de leurs répercussions systémiques et/ou de la lourdeur du traitement mis en place. Sont ainsi rapportés des symptômes purement locaux tels qu’une infection (33 %), une douleur (24 %), un sarcome au site d’injection (24 %), une nécrose au site d’injection (19 %), parfois associés à des troubles généraux comme une léthargie (29 %) ou une hyperthermie (24 %).

Parmi les réactions au site d’injection, un sarcome postinjection est observé chez 8 chats pendant la période d’étude, ce qui correspond à une incidence d’un cas pour 2 866 342 chats vaccinés. Les localisations sont la scapula gauche/droite, le flanc gauche/droit, et la région interscapulaire. Ils sont rapportés après l’utilisation de vaccins vivants, inactivés, recombinants ou d’associations de ces différents types de vaccins.

Un “limping syndrom”, ou syndrome de boiterie, une affection associée au calicivirus (à la fois aux souches sauvages et vaccinales), est rapporté dans 5 déclarations, regroupant 8 chats. Les signes cliniques les plus cités sont une boiterie (43 %), une hyperthermie (43 %) et une douleur articulaire (43 %). L’âge de 7 des 8 chats affectés est précisé, et 6 ont moins d’un an. Ces réactions sont classées graves, en raison des symptômes locomoteurs associés à une atteinte de l’état général, parfois à l’origine d’une hospitalisation.

Enfin, des “réactions évoquant une hypersensibilité de types II et III” sont également décrites, respectivement chez 14 et 5 animaux. Celles de type II sont des cas d’anémie dont le caractère hémolytique est confirmé dans 9 cas et suspecté dans 5 cas, tandis que celles de type III montrent des profils variés : insuffisance rénale aiguë (2 cas), hépatopathie avec ictère (1 cas), vascularite (1 cas) et pancréatite aiguë (1 cas).

Seuls les trois syndromes les plus déclarés entraînent une mortalité supérieure à 5 cas. Le taux de mortalité est de 34 % pour les “réactions non spécifiques”, de 44 % pour les “réactions évoquant une HS I” et de 37 % pour les “autres”, soit respectivement 51, 49 et 50 animaux. Tous syndromes confondus, il y a 0,102 cas de mortalité pour 10 000 chats vaccinés, soit un pour 98 314 chats vaccinés.

ANALYSE COMPARÉE DES DÉLAIS D’APPARITION DES SYNDROMES

Les “réactions évoquant une hypersensibilité de type I” sont celles qui apparaissent le plus précocement après la vaccination (figure 3). En effet, 71 % des cas surviennent dans l’heure qui suit l’injection. Ensuite viennent les "réactions non spécifiques", dont les premiers signes se déclarent dans les 24 heures suivant la vaccination dans 69 % des cas.

Les “troubles nerveux” se manifestent au cours des 24 premières heures dans 80 % des cas, et 98 % d’entre eux dans les 7 jours qui suivent la vaccination. Les signes cliniques du groupe “autres” apparaissent plus tardivement, de 24 heures après la vaccination (6 %) jusqu’à 30 jours après l’injection.

Assez logiquement, les réactions au site d’injection surviennent lus tard, puisque seuls 21 % des symptômes se déclarent dans les 48 heures, dont 26 % plus d’un mois après l’injection.

ÉTUDE COMPARÉE DES VACCINS

Tous syndromes confondus, trois vaccins présentent une incidence d’effets indésirables graves supérieure à un sur 10 000 : Nobivac® Tricat Trio, Purevax® RC et Leukocell ® 2 (figure 4). Parmi les 64 chats ayant développé des effets indésirables graves après l’administration de Nobivac® Tricat Trio, 37 proviennent d’un refuge, et sont regroupés dans deux déclarations. Une seule déclaration fait état d’effets indésirables à la suite de l’injection de urevax® RC chez 5 chats, dont le nombre de doses vendues sur la période d’étude est faible. De la même façon, 5 chats au total, cités dans 5 déclarations, ont présenté des effets indésirables après la vaccination par Leukocell® 2. Dans le calcul d’incidence, le nombre de chats affectés par un vaccin donné est rapporté à celui des animaux traités avec ce même vaccin. Le proportional reporting ratio (PRR), quant à lui, compare la proportion de cas avec un effet indésirable déclaré pour un vaccin donné à la proportion de cas pour lesquels ce même effet est rapporté avec tous les autres vaccins de l’étude. Ce ratio, utile pour évaluer l’association avec les différents vaccins, n’a pu être calculé que pour cinq syndromes. Pour les trois autres, les effectifs étaient trop faibles pour permettre ce calcul (tableau).

Selon les données reçues par l’Anses-ANMV durant la ériode d’étude, Fevaxyn® Pentofel et Rabigen® Mono sont significativement surreprésentés dans les “réactions évoquant une HS I”, avec un PRR respectivement égal à 3,19 et 2,35 (p < 0,01). De la même façon, les vaccins Versifel® CVR et CVR-C sont surreprésentés dans les cas de "réactions non spécifiques" (PRR de 1,43 et 2,95 respectivement, < 0,05), tandis que Nobivac® Tricat Trio est sous-représenté pour ce type de réaction (PRR de 0,25, < 0,001). Versifel® FeLV est significativement surreprésenté lors de “troubles neurologiques” (PRR de 3,12, < 0,02) et Leucofeligen® dans les réactions au site d’injection (PRR de 4,61, p < 0,001).

Le calcul du PRR a également permis d’évaluer l’impact du nombre de valences administrées conjointement sur le risque d’apparition d’effets indésirables, pour deux syndromes : les “réactions non spécifiques” et les “réactions évoquant une HS I”. Le risque d’apparition de réactions non spécifiques augmente lors de l’administration simultanée de cinq valences (PRR de 1,92, p < 0,05), tandis que pour celles évoquant une hypersensibilité de type I, le seuil se situe à quatre valences (PRR de 2,09, p < 0,001).

SUSPICIONS DE MANQUE D’EFFICACITÉ

Entre 2014 et 2018, 69 suspicions d’un manque d’efficacité concernant des vaccins félins ont fait l’objet d’une déclaration, correspondant à 97 chats. Deux vaccins présentent une incidence aberrante en raison du faible nombre de doses vendues sur la période d’étude. Feligen® CRP/R et urevax® RCP affichent une incidence supérieure à 0,10 our 10 000 chats vaccinés (figure 5).

Ces suspicions concernent la valence typhus (T) pour 61 % des chats affectés, puis la valence leucose (L) dans 20 % des cas, et la valence coryza dans seulement 14 % des cas. Cependant, dans 62 % des déclarations, le lien de causalité entre le vaccin administré et le déclenchement de la maladie n’est pas vérifié (imputation O ou O1), seuls 8 % des cas étant imputés A (probable).

3 Discussion

Limites de l’étude

Bien que réalisée sur cinq ans et incluant un nombre conséquent de chats, cette étude présente un certain nombre de limites qu’il convient de prendre en compte lors de l’interprétation des résultats.

Tout d’abord, comme toute étude fondée sur des déclarations spontanées (système de remontée passive d’informations), la sous-déclaration et les biais de déclaration sont à considérer. Pour la sous-déclaration, si elle est impossible à quantifier précisément, il est estimé que seul un effet indésirable sur neuf est effectivement déclaré [3]. De plus, le chat est un animal qui cache souvent son mal-être, contrairement au chien, et a tendance à s’isoler plutôt qu’à se rapprocher de son maître lorsqu’il va mal. Ainsi, un certain nombre d’effets indésirables sont probablement passés inaperçus, ou ont été observés trop tardivement pour faire le lien avec l’acte vaccinal.

Des biais de déclaration peuvent conduire un vétérinaire, voire un propriétaire, à déclarer plus volontiers certains types d’effets indésirables. Par exemple, lorsque l’innocuité d’un médicament a focalisé l’attention dans les médias, la presse professionnelle ou encore sur les réseaux sociaux, il en découle une augmentation du nombre de déclarations pour ce médicament. Ces biais ne sont pas toujours identifiables, mais il est important de les garder à l’esprit dans le cadre d’une comparaison entre plusieurs médicaments.

Afin de ne pas écarter les cas inattendus, les déclarations d’imputabilité O et O1 sont conservées dans cette étude mais, pour un certain nombre d’entre elles, l’effet observé n’est probablement pas réellement lié au vaccin.

Enfin, la réalisation de calculs d’incidence exacts nécessiterait de connaître les effectifs réels des chats ayant réagi et des chats ayant été vaccinés. Or, seul le nombre de chats ayant réagi et pour lesquels il existe une déclaration est connu, et le nombre de chats vaccinés n’est qu’une estimation fondée sur les volumes de vente des vaccins. Cependant, même avec ces limites, ce calcul permet de comparer entre elles les incidences de différents vaccins.

Profil des chats atteints

Cette étude tend à montrer que les jeunes chats, de moins d’un an, sont plus à risque de développer des effets indésirables, ou de présenter un manque d’efficacité vaccinale. Ce résultat, déjà mis en évidence chez le chien, est toutefois à nuancer, car les jeunes chats sont davantage vaccinés que les adultes, les protocoles de primovaccination incluant souvent plusieurs injections [4]. De plus, la persistance éventuelle d’anticorps d’origine maternelle est certainement à l’origine de nombreux cas de suspicion d’un manque d’efficacité [11].

L’analyse statistique montre également que les chats de race sont plus représentés que les “européens”, à la fois en termes d’effets indésirables et de manque d’efficacité. Cela peut signifier que les chats de race présentent une plus grande sensibilité aux effets indésirables et une moins bonne réponse à la vaccination. Selon une autre explication, surveillés de plus près par leur propriétaire après la vaccination, ce dernier serait davantage motivé à consulter, le cas échéant, pour les effets indésirables ou le manque d’efficacité observés, et le vétérinaire à réaliser une déclaration de pharmacovigilance. Enfin, le taux de vaccination est sans doute supérieur chez les chats de race, probablement déjà surreprésentés parmi la population de chats régulièrement vaccinés en France. Ainsi, prendre comme base de comparaison la proportion de chats de race dans la population féline totale (et non dans la population féline régulièrement vaccinée) accentue cette surreprésentation.

Incidence des différents syndromes

Les résultats obtenus sont globalement en accord avec ceux des publications, les principaux syndromes observés étant les “réactions évoquant une HS I” et les “réactions non spécifiques”. L’incidence de mortalité (0,102 pour 10 000 chats vaccinés) est proche de celle rapportée dans des études menées au Canada (2010-2014), au Royaume-Uni (1995-1999), ainsi qu’aux États-Unis (2002- 2005), respectivement 0,161, 0,081 et 0,081 [8, 7, 6]. De la même façon, les “réactions évoquant une HS I” sont décrites chez 0,049 chat sur 10 000 vaccinés, soit avec le même ordre de grandeur que dans les études précédentes, respectivement 0,029 et 0,018 [8, 7]. En revanche, l’incidence des HS I observée aux États-Unis (0,34 sur 10 000 chats vaccinés) est dix fois supérieure. Cet écart peut s’expliquer par la méthodologie employée pour recruter les chats présentant un effet indésirable : ils ont été inclus directement via l’analyse des fichiers clients des cliniques participantes, afin d’extraire des motifs de consultation compatibles avec un effet indésirable lié à la vaccination, et non à partir de cas ayant fait l’objet d’une déclaration d’effet indésirable. Cette étude s’affranchit donc du biais de sous-déclaration. Or, d’après une étude prospective menée par l’Anses-ANMV, il existe justement un facteur 9 entre le nombre d’effets indésirables déclarés et le nombre d’effets indésirables qui surviennent sur le terrain [3].

L’incidence des sarcomes félins postinjection relevée dans notre étude est très faible (0,003 pour 10 000 chats vaccinés), de même que dans celle menée aux États-Unis qui ne rapporte aucun cas lors du suivi des animaux deux ans après leur vaccination [6]. Sur la base de son faible effectif, notre étude n’a par ailleurs mis en évidence aucune association entre les sarcomes postinjection et le type de vaccin utilisé.

Impact du traitement lors d’hypersensibilité de type I

Au total, 113 chats ont développé une “réaction évoquant une HS I” (le dosage des IgE n’a pas été effectué). Parmi eux, 64 ont reçu un traitement et 49 n’ont pas été traités. Cette étude met en évidence l’impact significatif de la mise en place d’un traitement précoce sur le taux de survie : 79 % avec traitement versus 10 % sans traitement (p < 0,001). Les plus utilisés sont les corticoïdes (80 %), la fluidothérapie (32 %) et les antiémétiques (25 %). Les symptômes associés à une HS I apparaissent en 1 heure dans 71 % des cas, dans les 12 heures pour 85 %. Une surveillance du chat dans les heures qui suivent l’injection est donc indispensable pour observer précocement la majorité des manifestations cliniques d’hypersensibilité de type I, et pour mettre rapidement en place le traitement afin d’améliorer le pronostic.

Manque d’efficacité

Parmi les 97 chats présentant un manque d’efficacité vaccinale, la valence typhus est en cause dans 61 % des cas (59 chats), la leucose dans 20 % (19 chats) et le coryza dans 14 % (14 chats). Il est surprenant que le vaccin contre le coryza (classé essentiel, donc administré à tous les chats) soit à l’origine de moins de cas que celui contre la leucose (vaccin non essentiel). Sans doute certains cas de coryza, considérés comme non graves contrairement au typhus ou à la leucose, n’ont-ils pas été comptabilisés dans l’étude. En outre, les signes du coryza peuvent être frustes, et ne pas motiver une visite chez le vétérinaire, ni une déclaration de pharmacovigilance, contrairement à la leucose.

Rappelons qu’aucun vaccin ne peut revendiquer d’être efficace à 100 % et que l’efficacité vaccinale résulte de l’interaction entre le vaccin et le système immunitaire de l’animal vacciné. Elle dépend ainsi de plusieurs facteurs : certains sont liés au vaccin lui-même et à celui qui l’administre, comme une mauvaise conservation, une injection par une voie inappropriée, ou encore le non-respect d’une contre-indication (par exemple chez un animal immunodéprimé ou en mauvais état général), d’autres sont intrinsèques à l’animal, comme le jeune âge associé à la persistance d’anticorps maternels, la génétique, ou une infection préexistante [11]. Ainsi, malgré la réalisation d’un protocole vaccinal correct, certains individus ne répondent pas à la vaccination.

Étude comparée des vaccins

Parmi les 33 vaccins de l’étude, 30 présentent une incidence “très rare” (moins d’un cas sur 10 000 chats exposés). Les trois autres affichent une incidence “rare” (entre un cas pour 1 000 et un cas pour 10 000 individus exposés). Il convient cependant de prendre en compte les limites liées au calcul de l’incidence, telles que le faible nombre d’individus atteints/exposés pour un produit, ou encore un grand nombre de cas regroupés dans une seule déclaration.

Tous les vaccins de l’étude sont administrés par la même voie (sous-cutanée), avec le même volume (1 ml) et, pour la plupart, selon une fréquence d’injection similaire (rappel annuel). En revanche, les procédés de fabrication varient suivant les vaccins et les laboratoires pharmaceutiques, mais leur impact sur les résultats n’est pas évaluable, de même que celui des différents biais de déclaration. Ainsi, pour expliquer les résultats obtenus via le PRR, la seule hypothèse à discuter/évaluer est celle d’une différence de composition, en termes de souches vaccinales, d’excipients et d’adjuvants.

Parmi les sept associations significatives, quatre vaccins contiennent une souche ou un excipient qu’ils ne partagent avec aucun autre vaccin de l’étude. Concernant les “réactions évoquant une HS I”, il s’agit de la souche associée à la valence chlamydiose du Fevaxyn® Pentofel. De la même façon, les souches associées aux valences typhus et herpèsvirus de Versifel® CVR et CVR-C, deux vaccins surreprésentés dans les “réactions non spécifiques”, ne se retrouvent dans aucun autre vaccin, ainsi qu’un de leurs excipients, le milieu HAL-MEM. Enfin, Nobivac® Tricat Trio, vaccin sous-représenté dans les “réactions non spécifiques”, ne partage ses souches relatives aux valences typhus et herpèsvirus avec aucun autre vaccin. Il est donc possible de présumer que ces souches et/ou excipients ont un impact sur les résultats obtenus.

En revanche, la composition vaccinale ne permet pas d’expliquer les résultats pour les trois autres associations. En effet, les souches et les excipients contenus dans Rabigen® Mono, Versifel® FeLV et Leucofeligen® se retrouvent tous dans au moins un autre vaccin de l’étude. Toutefois, il faut garder à l’esprit que seuls les couples vaccin/syndrome pour lesquels le calcul est réalisable et le résultat significatif sont présentés ci-dessus. Lorsque le PRR n’est pas significatif pour un couple vaccin/syndrome, cela signifie soit qu’il n’existe pas d’association statistique entre ce syndrome et ce vaccin, soit qu’une telle association existe mais que notre étude n’a pas permis de la révéler, faute d’effectifs suffisants. Enfin, une association statistique n’est pas obligatoirement synonyme de causalité biologique.

Impact du nombre de valences injectées

Des études mettent en évidence le lien entre le nombre d’injections réalisées et l’apparition d’effets indésirables, dont les sarcomes félins postinjection [5]. Notre étude révèle de son côté l’impact du nombre de valences administrées conjointement. Ainsi, le nombre de valences injectées simultanément présente un impact significatif sur l’occurrence des “réactions évoquant une HS I” (PRR de 2,09, p < 0,001) et des “réactions non spécifiques” (PRR de 1,92, p < 0,05) chez le chat (photo 6). Ces résultats sont globalement en accord avec ceux de l’étude réalisée aux États-Unis entre 2002 et 2005 [6]. Il existe deux moyens de limiter le nombre de valences injectées, ainsi que celui des injections vaccinales tout au long de la vie de l’animal :

- adapter le protocole vaccinal à chaque individu (en particulier selon la situation épidémiologique, ou son état de santé) ;

- privilégier l’usage de vaccins dont le RCP revendique une durée d’immunité de deux à trois ans.

Conclusion

Cette étude permet de confirmer que les vaccins disponibles chez le chat présentent un très bon profil de sécurité d’utilisation. Cependant, le scepticisme qui entoure actuellement la vaccination, humaine comme vétérinaire, doit conduire le praticien à réévaluer sa pratique, à mieux informer et conseiller le propriétaire pour assurer une meilleure protection à l’animal en réduisant les risques d’effets indésirables (photo 7). Cela passe par le choix d’un protocole adapté, en termes d’âge, de fréquence d’injection, de nombre de valences injectées et de site d’administration. La connaissance des effets indésirables graves et de leur incidence, qui constitue la première étape de la surveillance postvaccinale, peut permettre la mise en place précoce d’un traitement, améliorant ainsi le pronostic pour l’animal.

  • (1) Selon le nombre d’animaux affectés par rapport au nombre d’animaux traités. La codification de cette fréquence est celle en vigueur en Europe.

Références

  • 1. European Commission. Rules governing medicinal products in the European Union. Guidelines on pharmacovigilance for medicinal products for veterinary use. EudraLex. 2011;9B:165p.
  • 2. European Medicines Agency, Committee for medicinal products for veterinary use. Recommendation on pharmacovigilance surveillance and signal detection of veterinary medicinal products. 2015:14p.
  • 3. Fresnay E, Laurentie S, Orand J. Étude de cas d’événements indésirables dus aux médicaments vétérinaires. Bulletin des GTV. 2015;(80): 95-102.
  • 4. Lohezic J. Les effets indésirables graves des vaccins chez le chien, étude rétrospective. Dépêche Vét. 2016;(390):28-35.
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Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1 : Fréquence des effets indésirables d’un médicament (1)

ENCADRÉ 2 : Définitions du cas grave et du cas inattendu chez l’animal

→ Effet indésirable grave : il provoque un handicap ou une incapacité importante, se traduit par une anomalie ou une malformation congénitale, est à l’origine de symptômes permanents ou prolongés chez l’animal traité susceptibles de mettre sa vie en danger ou d’entraîner sa mort.

→ Effet indésirable inattendu : sa nature, sa sévérité ou son évolution ne concordent pas avec les caractéristiques connues du médicament telles qu’elles figurent dans le résumé des caractéristiques du produit et la notice d’utilisation.

ENCADRÉ 3 : Système Abon d’imputation des événements indésirables en médecine vétérinaire

L’ensemble des données disponibles, confrontées à celles des RCP, de la littérature et aux précédents cas enregistrés, conduit à attribuer une note d’imputation à chacun des médicaments impliqués dans une déclaration. Cette note exprime l’évaluation du lien de causalité entre le médicament administré et les signes cliniques observés. Cinq notes (A, B, O/O1, N) sont prévues par les lignes directrices de l’Agence européenne du médicament : A (probable), B (possible), O (non classable/évaluable), O1 (non concluant), N (improbable). Pour l’évaluation de l’imputabilité, les facteurs suivants sont à considérer :

- association dans le temps (incluant une éventuelle disparition ou reprise des symptômes à l’arrêt du traitement ou lors d’administrations répétées) ou correspondance anatomique (notamment avec le site d’injection ou d’application du médicament) ;

- profil pharmaco-toxicologique, concentrations sanguines et expérience acquise sur le médicament ;

- présence d’éléments cliniques ou pathologiques caractéristiques ;

- exclusion des autres causes possibles ;

- exhaustivité et fiabilité des données fournies par la déclaration du cas ;

- mesure quantitative du degré de contribution d’un médicament au développement d’un effet indésirable (relation dose-effet).

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