L’intoxication par les hydrocarbures chez les carnivores domestiques - Le Point Vétérinaire n° 403 du 01/03/2020
Le Point Vétérinaire n° 403 du 01/03/2020

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier

Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr

L’intoxication aux hydrocarbures ne se limite pas aux oiseaux mazoutés lors des marées noires. Les animaux domestiques sont souvent victimes de ces substances courantes dans notre environnement quotidien.

Le toxique

Les hydrocarbures sont un large groupe chimique de composés majoritairement formés de carbone et d’hydrogène, le plus souvent dérivés du pétrole. Ils sont présents dans les carburants automobiles ou se retrouvent dans certains outillages de jardin (tondeuse thermique, etc.), les huiles lubrifiantes pour les moteurs (et consécutivement l’huile de vidange) ou les dégrippants, les liquides de frein (dans lesquels ils sont éventuellement associés à des additifs comme l’antigel), les solvants (white spirit, par exemple) ou les détachants ménagers (notamment pour le linge), les allume-feu solides ou liquides, etc.

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Dans les cas recensés par le Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des dix dernières années, les hydrocarbures représentent presque 2 % des appels, avec une certaine stabilité au cours du temps.

Les chats sont les premiers touchés (environ la moitié des déclarations), suivis de près par les chiens (46,5 %) et loin devant les espèces de rente ou les nouveaux animaux de compagnie. Il s’agit essentiellement d’intoxications domestiques, accidentelles (chute dans une cuve de fioul ou une bassine d’huile de vidange) ou “volontaires” (nettoyage du pelage au white spirit après une aspersion accidentelle de peinture). Des expositions environnementales sont également possibles (passage dans du goudron frais, avec éventuelle brûlure thermique associée).

Doses toxiques

Il est difficile d’établir des doses précises en raison de la grande variabilité des hydrocarbures, et cela d’autant plus qu’il s’agit surtout d’un effet par contact. La dose létale médiane (DL50) par ingestion des différents composés varie de 4 à plus de 20 ml/kg. La toxicité dépend du pouvoir couvrant (la capacité des produits à s’étaler augmente la surface lésée et favorise le passage à travers la peau et les muqueuses, alors que les plus visqueux seront moins délétères), du temps de contact, de la volatilité (qui majore le risque d’inhalation) et surtout de la voie d’exposition (la voie respiratoire étant la plus préoccupante, suivie de l’ingestion puis du contact cutané).

Pathogénie

Du fait de leur capacité à dissoudre les lipides, les hydrocarbures sont principalement irritants par contact avec la peau et les muqueuses, le tube digestif, le tractus respiratoire, par altération du film gras protecteur. Concernant leurs effets systémiques, notamment au niveau hépatique et rénal, les mécanismes en jeu sont encore mal connus.

Tableau clinique et lésionnel

Généralement, les hydrocarbures sont d’abord décelés à l’odeur, présente sur le pelage, dans l’haleine, les vomitats, les fèces, etc.

Les symptômes locaux regroupent :

- des lésions cutanées, qui peuvent évoluer durant les premiers jours, avec un érythème, une peau sèche, voire cartonnée, des zones de nécrose. Une dépilation réversible peut aussi survenir au cours du mois qui suit l’exposition ;

- des signes digestifs, tels que salivation, vomissements, diarrhée, anorexie (particulièrement fréquente chez le chat) ;

- des signes respiratoires comme une toux, des râles, une dyspnée, une cyanose, un œdème pulmonaire (par destruction du surfactant) qui peuvent se développer sur trois à quatre jours, avec un risque de surinfections ultérieures ;

- des irritations oculaires, plus rarement des ulcères cornéens, avec un risque d’autotraumatisme consécutif au prurit.

Les troubles plus généraux comprennent :

- une hyperthermie qui survient en général dans les trois à quatre heures (délai variant d’une à 24 heures) ;

- des signes neurologiques tels qu’une dépression du système nerveux central, pouvant aller jusqu’au coma, parfois une agitation, des tremblements, voire des convulsions. Des troubles “comportementaux”, en lien avec la douleur locale, peuvent mimer une neurotoxicité légère ;

- parfois une hépatomégalie, souvent asymptomatique cliniquement, plus rarement une dégénérescence centrolobulaire ;

- une arythmie cardiaque dans de rares cas, décrite à la suite d’une inhalation ;

- une insuffisance rénale prérénale (hypoperfusion due à l’inflammation, pertes hydroélectriques), rarement une atteinte directe du rein avec une nécrose tubulaire.

Examens complémentaires

Il n’existe pas d’analyse spécifique, le diagnostic repose plutôt sur les commémoratifs.

Quoique les atteintes de ces organes restent rares, mieux vaut vérifier les paramètres hépatiques et rénaux, notamment lors d’ingestion massive. Un examen radiographique permet d’apprécier les lésions pulmonaires, en prenant garde aux manifestations différées. Le suivi de la numération formule sanguine peut être intéressant pour détecter une surinfection.

Traitement éliminatoire

La décontamination cutanée est primordiale. Elle doit ménager l’opérateur (port de gants). Il est possible de commencer par essuyer le plus gros avec du papier absorbant. Le lavage est effectué à l’eau tiède, car une température plus élevée favorise la dissolution des hydrocarbures, mais aussi la vasodilatation qui pourrait augmenter le passage cutané. Réalisé à l’aide de détergents doux (liquide vaisselle ou savon de Marseille, plus dégraissants que les shampooings physiologiques), sous tranquillisation si besoin, il doit être soigneux et complet, sans oublier les zones difficiles d’accès (oreilles, espaces interdigités, zone anale, etc.). Plusieurs lavages consécutifs sont souvent nécessaires, et la coupe ou la tonte des poils peut aider à la décontamination. Pour les produits épais (goudron, huile de vidange), il est possible de les ramollir avec un produit gras (huile de paraffine ou même huile alimentaire ou margarine), appliqué en alternance avec les lavages.

En cas d’ingestion, les vomitifs sont en revanche déconseillés, en raison de la majoration du risque d’inhalation. Le charbon végétal activé ne montre pas une bonne efficacité. Faire avaler de l’huile de paraffine (1 à 2 ml/kg) est éventuellement envisageable.

La perfusion n’a pas d’impact sur l’élimination, mais elle peut apporter un soutien général, notamment si l’animal ne s’abreuve plus correctement.

Traitements symptomatique et de soutien

Des antiémétiques (maropitant à la dose de 1 mg/kg par voie sous-cutanée ou chlorhydrate de métoclopramide à raison de 0,5 à 1 mg/kg par voie sous-cutanée ou intramusculaire) doivent être administrés dès que possible. Le traitement digestif est complété par un pansement gastrique (phosphate d’aluminium à 145 mg/kg ou sucralfate de 250 à 1 000 mg en dose totale, selon le gabarit de l’animal), administré per os trois fois par jour, et un antiacide (oméprazole à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j, per os).

L’éventuelle anorexie doit être surveillée les jours suivants. Si nécessaire, l’animal est nourri par gavage ou sondage naso-oesophagien jusqu’à la reprise d’une alimentation spontanée. Celle-ci peut être favorisée par des médicaments orexigènes (diazépam à raison de 0,05 à 0,4 mg/kg par voie intraveineuse ou orale) et un aliment appétent.

En cas d’atteinte pulmonaire, une mise sous oxygène peut se révéler nécessaire, voire une ventilation artificielle. Des diurétiques sont recommandés en cas d’œdème pulmonaire (furosémide de 0,5 à 2 mg/kg, voire plus selon l’intensité de l’œdème et la réponse au traitement). Des soins locaux cutanés (pommade cicatrisante) et oculaires sont également à envisager.

Enfin, une antibiothérapie adaptée est mise en place en cas de surinfection bactérienne.

L’usage de corticoïdes est parfois utile (état de choc, forte inflammation), mais peut favoriser les surinfections.

En outre, d’autres antalgiques (morphiniques) sont prescrits selon l’état de l’animal et l’habitude du praticien.

Pronostic

Si l’animal reste asymptomatique pendant 24 heures, les répercussions à long terme sont improbables. Sinon, elles sont à surveiller sur plusieurs jours, essentiellement lors d’atteinte respiratoire. Bien que rare, la mortalité reste possible. Le pronostic est plus favorable lorsque l’animal est capable de s’alimenter.

EN SAVOIR PLUS

  • 1. Osweilern GD, Hovda LR, Brutlag AG et coll. Blackwell’s five-minute veterinary consult. Clinical companion. Small animal toxicology, Whiley-Blackwell. 2011:865p.
  • 2. Peterson ME, Talcott PA. Small animal toxicology. 3rd edition, Saunders Elsevier. 2013:911p.
  • 3. Poppenga RH, Gwaltney-Brant S. Small animal toxicology essentials. Whiley-Blackwell, 2011:336p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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