Les envenimations ophidiennes chez l’animal - Le Point Vétérinaire n° 397 du 01/07/2019
Le Point Vétérinaire n° 397 du 01/07/2019

TOXICOLOGIE

Fiche toxicologie

Auteur(s) : Laurence Tavernier

Fonctions : CNITV, VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
cnitv@vetagro-sup.fr

Le serpent, animal venimeux emblématique, est un danger parfois surestimé, mais qui n’est pas non plus à négliger.

Malgré plusieurs critères de différenciation (photo), l’identification d’un serpent est difficile lorsque le contact est bref. En France métropolitaine, seules les vipères représentent un risque. Chez la couleuvre de Montpellier, qui est la seule venimeuse, les crochets, situés au fond de la cavité buccale, se prêtent mal à la morsure d’un animal domestique.

Les vipères les plus répandues sont la vipère aspic (Vipera aspis), présente au sud de la Loire, et la vipère péliade (Vipera berus) au nord, ainsi que dans le Massif central et le Morvan. L’inoculation du venin, sous pression, est volontaire. La morsure est surtout défensive, lorsque la vipère est surprise ou acculée. L’attitude offensive est rare, sauf en période de mue ou de reproduction, les vipères préférant la fuite en cas de danger.

Le venin a une composition complexe qui varie selon l’espèce, l’individu (facteurs génétiques), l’âge, voire les conditions environnementales. Il comprend des toxines (neurotoxines, cardiotoxines, myotoxines et hémotoxines) ainsi que des enzymes (hyaluronidases, protéases, phospholipases, etc.).

Espèces concernées et fréquence de l’intoxication

Les serpents sont, après les crapauds, les animaux venimeux à l’origine de la plupart des appels reçus au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) au cours des 10 dernières années, même si la fréquence de ces envenimations reste modérée.

Les espèces affectées sont majoritairement le chien (79 % des cas), à un moindre degré le chat (16 %). Probablement moins exposé et plus habile à éviter la morsure, ce dernier n’est toutefois pas résistant au venin. Enfin, l’intoxication des équidés (3 %), des animaux de rente et des autres animaux de compagnie reste anecdotique.

Le risque de morsure est soumis à une saisonnalité marquée, avec une augmentation en mars et avril (lorsque les vipères, sortant juste d’hibernation, sont moins réactives pour s’enfuir) et un pic en période estivale, quand les activités en pleine nature multiplient les possibilités de contact.

Doses toxiques

La variablilité de la composition du venin empêche d’établir précisément sa dose toxique. En outre, l’envenimation n’est pas systématique : dans 30 à 40 % des cas, la morsure est dite “blanche” ou “sèche”, donc sans inoculation de venin.

La sévérité des troubles dépend également de la zone touchée, une morsure au niveau de la face étant moins bénigne que celle d’un membre.

Pathogénie

Les toxines ont un effet dose-dépendant. Les neurotoxines (présentes chez V. aspis, exceptionnellement chez V. berus) et les myotoxines peuvent entraîner une paralysie. Les hémotoxines provoquent une hémolyse et les cardiotoxines une tachycardie et une arythmie.

Les enzymes, qui ont des effets chrono-dépendants, déclenchent une lyse des cellules et stimulent la réaction inflammatoire. Elles augmentent la perméabilité vasculaire, ce qui conduit à la formation d’hématomes. Une protéine mimant un facteur de coagulation stimule l’aggrégation plaquettaire.

Chez V. berus, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sont aussi soupçonnés de participer à la survenue d’une hypotension.

Tableau clinique

1. Signes locaux

Les signes localisés, observables précocement, sont les seuls présents lors des envenimations les moins sévères :

– une douleur vive et persistante ;

– la trace des crochets (2 plaies punctiformes espacées d’environ 1 cm, une seule si la morsure est tangentielle), parfois masquée par le pelage ou d’autres signes locaux ;

– un œdème froid et dur : il apparaît au cours des 2 heures qui suivent la morsure (en l’absence d’œdème après 6 heures, il s’agit probablement d’une morsure “blanche”) et peut s’étendre pendant 3 à 4 jours, parfois jusqu’à 1 semaine ;

– un érythème, des hématomes, parfois des zones de nécrose 3 à 4 jours après la morsure ;

– un syndrome des loges, qui fait partie des complications possibles.

2. Symptômes généraux

Les signes généraux d’une envenimation peuvent comprendre :

– une prostration ;

– une hypotension et un choc ;

– une tachycardie, des arythmies ;

– des vomissements, une diarrhée parfois hémorragique ;

– une dyspnée (réaction systémique ou œdème local de la gorge) ;

– une hémolyse ;

– une possible défaillance multi­viscérale ;

– une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), souvent différée de quelques jours, est la complication la plus fréquente ;

– un défaut de coagulation (effet anticoagulant direct ou lié à la consommation des plaquettes lors de CIVD) ;

– une insuffisance rénale aiguë (secondaire à l’hypovolémie ou aux troubles hématologiques) ;

– des troubles neurologiques (paralysie, éventuellement clonies), qui restent rares.

3. Surinfections

Les surinfections rapportées sont consécutives à l’inoculation concomitante de germes, notamment anaérobies, ou à une contamination secondaire des tissus endommagés.

Examens complémentaires

Quoique théoriquement possible, le dosage du venin n’est pas réalisé en pratique.

Il est surtout recommandé de suivre de près la coagulation et la numération plaquettaire. Les signes d’infection et d’atteinte viscérale doivent également être surveillés afin d’adapter le traitement.

Traitement

1. Gestes à proscrire

En cas de morsure, plusieurs réflexes sont à éviter :

– incision de la zone mordue ;

– aspiration ou succion du venin ;

– pose d’un garrot ;

– cautérisation, application de glace, etc.

2. Soins locaux

Dans un permier temps, il convient d’intervenir localement :

– tonte et désinfection, en évitant les produits vasodilatateurs (alcool, éther) qui favoriseraient la diffusion du venin. Les oxydants (eau oxygénée, hypochlorite de sodium) pourraient théoriquement dénaturer le venin, mais cet effet est fortement limité par le caractère punctiforme de la plaie ;

– mise au repos, en limitant la mobilisation du membre mordu (pose d’une attelle, porter l’animal) ;

– retrait du collier lors d’une morsure à la face (risque de garrot en cas d’œdème).

3. Traitement spécifique : la sérothérapie

Le sérum antivenimeux (Viperfav®) apparaît comme le traitement de choix pour améliorer le pronostic lors d’atteinte systémique. Mais en pratique vétérinaire, il reste généralement inaccessible (réserve hospitalière) et son coût est prohibitif (de l’ordre du millier d’euros). Faute de protocole spécifique au chien, il est toutefois possible d’extrapoler celui mis en place chez l’homme : 1 flacon de 4 ml dilué dans 100 ml de NaCl à 0,9 %, à injecter en 1 heure par voie intraveineuse lente.

4. Traitement éliminatoire

L’administration précoce de diurétiques (furosémide à la dose de 2,5 à 5 mg/kg par voie intraveineuse [IV] ou intramusculaire [IM]), associée à une fluidothérapie, pourrait favoriser l’élimination du venin. En revanche, les diurétiques n’ont pas d’efficacité sur l’œdème.

5. Traitement symptomatique

Le protocole à mettre en place comprend :

– une fluidothérapie (Ringer lactate ou NaCl à 0,9 %, en débit d’entretien, ou plus élevé en cas d’hypovolémie) ;

– des corticoïdes, même si leur usage est controversé : s’ils sont intéressants lors d’état de choc, ils n’ont pas d’efficacité sur l’œdème et pourraient favoriser certaines complications (CIVD, surinfections). Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), susceptibles de majorer le risque rénal, sont à éviter ;

– de l’adrénaline (0,01 mg/kg en IV ou IM) en cas de choc distributif ;

– des antalgiques, surtout morphiniques (par exemple, la buprénorphine à raison de 5 à 20 µg/kg en IV, ou le fentanyl à la dose de 2 à 4 µg/kg/h en perfusion continue) ;

– une oxygénation en cas de dyspnée (avec intubation si l’œdème obstrue les voies aériennes) ;

– une transfusion (apport de facteurs de coagulation, et de globules rouges après une hémolyse) ;

– une héparinothérapie (100 à 200 UI/kg par voie sous-cutanée toutes les 6 à 8 heures, pendant 2 à 3 jours et selon la coagulation) uniquement en cas de CIVD avérée ;

– une antibiothérapie raisonnée lors de surinfections.

Pronostic

Le pronostic est réservé, surtout au cours des premières heures. L’extension rapide de l’œdème, l’apparition d’hématomes ou de suffusions, ou encore une diarrhée hémorragique sont autant de facteurs défavorables.

La guérison reste cependant l’issue la plus fréquente, en général dans les 5 jours qui suivent la morsure. Selon une étude rétrospective sur les cas d’envenimation chez le chien, menée par le centre antipoison britannique entre septembre 1985 et décembre 2010, le taux de mortalité associé serait de 4,6 % seulement, mais le sérum antivenimeux a été utilisé dans plus de la moitié des cas.

EN SAVOIR PLUS

Conflit d’intérêts

Aucun.

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