Intérêts de la génétique en oncologie vétérinaire - Le Point Vétérinaire expert canin n° 397 du 01/07/2019
Le Point Vétérinaire expert canin n° 397 du 01/07/2019

ONCOLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Anaïs Prouteau*, Benoît Hédan**

Fonctions :
*Équipe “génétique du chien”
Institut de génétique et développement
UMR6290, CNRS, université de Rennes
2, avenue du Pr Léon Bernard
35043 Rennes

La génétique est l’une des sciences fondamentales de ce début de siècle. Lorsqu’elle s’applique à comprendre certains mécanismes sous-jacents au développement des cancers, elle peut faire émerger de nouveaux traitements, parfois directement utilisables dans la pratique quotidienne.

En médecine humaine comme en médecine vétérinaire, le cancer est l’une des principales préoccupations sanitaires du XXIe siècle. Comme chez l’homme où son incidence suit une tendance croissante, différentes études nécropsiques menées chez le chien montrent que le cancer est la cause de mortalité de 45 % des individus de plus de 10 ans [7] et de 23 % des animaux tous âges confondus. D’autres études plus récentes, à l’initiative des collèges américains, de l’Institut national du cancer (NCI, États-Unis) ou des clubs de races anglais, placent le cancer en première cause de mortalité chez le chien [2, 14].

La recherche en oncologie a permis, au fil des années, de mieux connaître et appréhender ces maladies. Avec les récentes avancées en médecine vétérinaire canine et féline, les propriétaires sont de plus en plus demandeurs de soins et le vétérinaire a un rôle important à jouer dans le traitement, curatif ou palliatif, de l’animal cancéreux.

Le cancer regroupe un grand nombre de maladies qui ont le point commun de provenir de cellules qui se divisent et prolifèrent de façon incontrôlée. Il est maintenant bien établi que les cancers sont des maladies génétiques, à la fois quant à leur apparition et à leur progression (photo 1). Pour bien comprendre la part de la génétique en oncologie, deux types d’altérations sont à distinguer : les mutations germinales ou “prédisposantes” qui expliquent la survenue de cancers familiaux ou héréditaires, et les mutations “somatiques” qui s’accumulent au cours de la vie d’un individu et génèrent l’apparition de cellules tumorales dans un tissu donné.

Cet article vise à apporter les connaissances nécessaires au praticien pour prendre la mesure du rôle grandissant de la génétique en oncologie vétérinaire.

GÉNÉTIQUE ET FORMATION DES CELLULES TUMORALES

1. Le cancer, une maladie génétique

Le développement d’une tumeur résulte de l’accumulation de mutations qui touchent des gènes régulateurs de la prolifération, de la survie cellulaire, et de l’intégrité du génome au sein d’une cellule de l’organisme. Ces gènes clés dans la cancérogenèse sont répartis en deux caté­gories : les gènes suppresseurs de tumeurs et les oncogènes.

Les gènes suppresseurs de tumeurs ont pour principale fonction d’empêcher l’emballement de la division cellulaire et constituent un “frein” du cycle cellulaire. Les protéines codées par ces gènes peuvent, par exemple, réparer l’ADN lors d’erreurs des polymérases (protéine p53), ralentir ou inhiber le cycle cellulaire (PTEN, inhibiteurs de cyclines) ou induire l’apoptose (protéine p53). À l’inverse, les oncogènes sont des gènes qui, une fois mutés, jouent le rôle “d’accélérateur” du cycle cellulaire et confèrent à la cellule somatique d’un tissu donné un phénotype cancéreux. Ils codent des oncoprotéines comme les facteurs de croissance (fibroblast growth factor ou FGF, vascular endothelial growth factor ou VEGF, platelet derived growth factor ou PDGF, stem cell factor ou SCF, etc.) et leurs récepteurs (FGFR, VEGFR, PDGFR ou le récepteur c-kit). Ces récepteurs, appelés récepteurs tyrosine kinase, sont activés par des ligands spécifiques et provoquent une cascade de phosphorylations qui aboutissent à l’activation de la prolifération cellulaire.

Les altérations de ces gènes qui apportent un avantage à la cellule sont sélectionnées et accumulées au cours des divisions cellulaires et permettent, in fine, la transformation tumorale. Il est estimé que cinq ou six mutations au minimum sont nécessaires pour transformer une cellule saine en cellule tumorale [19, 20].

2. Caractéristiques du cancer

Les mutations induisant la transformation en cellule tumorale concernent des gènes impliqués dans des voies clés et confèrent à la cellule de nouvelles capacités biologiques. Ainsi, à l’heure actuelle, dix fonctions biologiques sont décrites comme altérées lors de cancers, permettant aux cellules cancéreuses de se diviser et de répliquer leur génome de façon illimitée, de résister à la mort cellulaire, de produire des signaux de prolifération et d’échapper aux signaux suppresseurs de croissance, d’induire l’angiogenèse pour favoriser le développement de la tumeur, d’échapper au système immunitaire, d’induire une inflammation péritumorale et de déréguler les voies énergétiques (utilisation de la glycolyse préférentiellement, figure 1) [20]. L’instabilité génomique est une caractéristique émergente des cellules cancéreuses, qui leur permet d’acquérir des mutations leur conférant des résistances aux drogues ou des capacités d’invasion et de métastase [16].

3. Importance de l’environnement dans le développement des cancers

Les différentes mutations génétiques qui donnent naissance à la cellule tumorale peuvent se produire spontanément au cours des divisions cellulaires, mais également être provoquées par des facteurs environnementaux mutagènes tels que le tabac ou les rayons ultraviolets. L’augmentation de l’incidence de certains cancers chez l’homme au cours du XXe siècle montre l’influence majeure de l’environnement et reflète que certains comportements sont directement impliqués dans la survenue des cancers, comme la consommation de tabac et le cancer du poumon, les maladies infectieuses (notamment la présence d’Helicobacter pylori) et le cancer de l’estomac, ou encore l’urbanisation et le cancer du sein.

Des études épidémiologiques menées chez le chien (études de cohortes et cas-témoins) ont également mis en évidence des facteurs de risque dans le développement de certains cancers (tableau 1). Chez le chat, les principaux facteurs de risques connus sont les injections répétées de vaccins pour le fibrosarcome au site d’injection, et l’infection par le FIV ou le FeLV pour le lymphome (le FeLV entraînant principalement l’apparition de lymphomes médiastinaux, photos 2a et 2b).

PRÉDISPOSITIONS RACIALES À CERTAINS CANCERS

L’apparition de certains cancers est parfois favorisée par des mutations dites “germinales” ou prédisposantes, transmises de génération en génération et qui réduisent le nombre d’étapes nécessaires à la transformation tumorale. Cela concerne environ 10 % des cas de cancer chez l’homme et explique la forte augmentation du risque, dans certaines familles, de développer un mélanome ou les cancers du sein et de l’ovaire. Chez le chien, la dermatofibrose nodulaire se transmet selon un mode autosomal dominant et est associée à des cystadénomes ou à des cystadénocarcinomes rénaux. Elle touche principalement le berger allemand, le boxer et le golden retriever et est une bonne illustration du cancer familial [31].

Cependant, chez l’homme comme chez le chien, la majorité des cancers sont des maladies multifactorielles qui impliquent des facteurs de prédisposition et des facteurs environnementaux.

1. De nombreux cancers spécifiques d’une race

Bien que sensibilisé aux spécificités raciales, il est difficile pour le praticien d’évaluer l’importance des cancers au sein d’une race. En effet, cela nécessite le plus souvent de vastes études épidémiologiques (menées par exemple avec les assurances de santé, les laboratoires d’anatomo-pathologie, etc.) pour mettre en évidence l’influence de la race sur les prévalences, les types et les âges d’apparition des cancers. Ces études pointent le risque létal élevé associé au cancer chez de nombreuses races, qui représente parfois plus de la moitié des causes de mortalité, comme chez le bouvier bernois (tableau 2 et photo 3) [22].

Les études réalisées avec les laboratoires d’anatomo-pathologie ont permis d’identifier des prédispositions raciales pour des cancers spécifiques (tableau 3). Ainsi, le golden retriever est prédisposé au mastocytome, au sarcome des tissus mous et au sarcome histiocytaire. Certaines études américaines montrent que cette race est également prédisposée au lymphome [35, 52], mais cela n’a pas été confirmé par une récente étude européenne [10]. Cette différence peut s’expliquer par la présence de facteurs de risque différents selon les régions géographiques, mais également par des variations génétiques entre les lignées de golden retriever européennes et américaines [10]. Par ailleurs, dans le cadre de l’étude d’un type de cancer, certaines races peuvent apparaître prédisposées à différents sous-types. Ceci est bien illustré avec le mélanome : le caniche le labrador, le golden retriever et le rottweiler sont prédisposés au mélanome buccal et ce dernier est aussi touché par les mélanomes digités et unguéaux (photo 4). Le labrador, quant à lui, est prédisposé au mélanome oculaire [18]. Dans le cas du lymphome de haut grade, le boxer et le labrador présentent particulièrement l’immunophénotype T, alors que le rottweiler et le dobermann développent plutôt des lymphomes B (photo 5) [10, 35].

Ces cancers spécifiques à certaines races sont en fait des cancers familiaux. En effet, les chiens d’une même race étant apparentés à plus ou moins de générations, la construction du pedigree permet de montrer la transmission familiale de ces cancers au sein de grandes familles. Cela reflète l’enrichissement en mutations prédisposantes observé chez certaines races en lien avec des pratiques d’élevage comme la consanguinité et la surutilisation de certains étalons champions (figure 2).

2. Conséquences pour le clinicien

Connaître les races à risque permet de suspecter plus précocement un type de cancer ou de mettre en place des moyens de prévention lorsqu’ils existent. Une étude récente sur les facteurs de risque du sarcome histiocytaire chez le bouvier bernois montre que le risque de développer la maladie est augmenté chez les chiens ayant présenté des troubles orthopédiques, et qu’il est diminué chez ceux qui ont reçu un traitement anti-inflammatoire [43].

Il est important d’inciter le propriétaire à informer l’éleveur du développement d’un cancer spécifique chez un chien issu de son élevage. En effet, ces retours sont nécessaires pour que les éleveurs et les clubs prennent conscience des cancers qui affectent leurs races et des unions à risque. Bien que souvent désemparés en l’absence d’outil de sélection, les éleveurs peuvent toutefois limiter les accouplements potentiellement à risque et sélectionner sur la longévité, afin de limiter l’expression de cancers chez le jeune chien. Ces cancers sont susceptibles d’être plus agressifs et plus fréquemment observés chez les collatéraux d’un chien atteint dans son jeune âge. Le développement des études génétiques a permis d’identifier des altérations prédisposantes chez le bouvier bernois notamment [1, 23, 47], et des tests génétiques d’aide à la sélection sont maintenant proposés aux éleveurs pour le sarcome histiocytaire (http://www.antagene.com/fr/commander/test-sh, photo 6). Le praticien doit être conscient des avantages et des limites de ces tests afin de les recommander de façon pertinente et adaptée à ses clients. Ils bénéficient principalement aux éleveurs en permettant d’améliorer leur sélection pour limiter la prévalence du sarcome histiocytaire.

ALTÉRATIONS SOMATIQUES PROPRES AU TISSU TUMORAL

Grâce aux récentes avancées technologiques, un séquençage rapide de génomes entiers est désormais possible. Ce séquençage de nouvelle génération (NGS) a permis de séquencer des milliers de tumeurs humaines de différents types et sous-types histologiques. À l’aide de ces techniques, des altérations spécifiques de certains cancers, et récurrentes chez différents individus atteints, ont été identifiées. Ces découvertes expliquent l’intérêt croissant de la génétique en oncologie humaine, tant pour la prévention, le diagnostic, le pronostic que pour le choix thérapeutique. Cette discipline devrait également se développer en médecine vétérinaire, pour bénéficier à l’oncologie.

1. Définition et illustration dans les cancers canins

Une altération somatique est une modification du support génétique apparue lors du développement tumoral, donc présente dans l’ADN de la tumeur, mais pas dans l’ADN constitutionnel de l’individu. Ces mutations peuvent soit apporter un avantage à la cellule tumorale et être sélectionnées (elles sont alors dites mutations “driver”), soit être des événements secondaires reflétant l’anarchie du matériel génétique dans la tumeur (elles sont appelées mutations “passager”).

Les principales altérations somatiques étudiées sont les mutations ponctuelles (changement d’une partie d’un gène affectant un ou quelques nucléotides) et les remaniements chromosomiques, qui touchent de grandes régions génomiques, comme les fusions de gènes (translocations), les gains ou les pertes de régions chromosomiques (amplifications/délétions) ou encore les inversions (figure 3). L’étude de la récurrence de ces événements sur un grand nombre de tumeurs permet de distinguer les mutations “driver” des “passager”.

De cette manière, des marqueurs spécifiques de certains cancers ont été identifiés chez le chien, comme l’inactivation des gènes BRCA1 et BRCA2 (breast cancer 1 et 2) dans les tumeurs mammaires de la chienne ou la mutation de l’oncogène BRAF (codant pour la protéine kinase B-Raf) retrouvée dans 80 % des carcinomes prostatiques et dans de nombreux carcinomes transitionnels de la vessie et de l’urètre (67 à 87 %) [12, 37]. De même, le proto-oncogène KIT est retrouvé muté dans les tumeurs stromales gastro-intestinales humaines, dans 8 à 35 % des mastocytomes canins selon le grade [13] et jusqu’à 67 % des mastocytomes félins [11, 27, 28], conférant aux cellules tumorales un avantage prolifératif et d’inhibition de l’apoptose.

Ces marqueurs spécifiques peuvent avoir quatre fonctions majeures :

- aide au diagnostic ;

- valeur pronostique ;

- aide pour le choix thérapeutique ;

- suivi du patient.

2. Intérêt de ces altérations génétiques pour le diagnostic

Voici quelques exemples de cancers canins pour lesquels des altérations génétiques sont connues et utilisées dans le cadre du diagnostic.

Sarcome histiocytaire

En médecine humaine, les lymphomes et les sarcomes des tissus mous représentent des catégories de cancers très hétérogènes dont les sous-types sont caractérisés par l’identification d’altérations génétiques spécifiques. En médecine vétérinaire, le sarcome histiocytaire et le lymphome, en l’absence d’immunomarquages spécifiques, peuvent être confondus histologiquement. La connaissance des altérations chromosomiques spécifiques permet à la société Sentinel, aux États-Unis [49], de proposer un test (the Cadet® HM assay) pour établir un diagnostic de certitude.

Lymphomes canin et félin

La polymerase chain reaction for antigen receptor rearrangement (Parr), ou test de clonalité, est un outil développé pour différencier une prolifération lymphocytaire néoplasique d’une lymphoprolifération non néoplasique. Elle consiste à amplifier les régions génomiques spécifiques des lymphocytes qui codent pour les récepteurs aux antigènes, correspondant au TCR pour les lymphocytes T (T cell receptor) et à l’IGH (chaîne lourde de l’immunoglobuline) pour les lymphocytes B. Cette région amplifiée par polymerase chain reaction (PCR) est spécifique d’un clone lymphocytaire et chaque clone sera représenté par un produit de PCR unique. Lors de l’analyse d’un échantillon, la présence d’un seul et unique produit de PCR indique la présence d’un clone lymphocytaire majoritaire, qui est fréquemment un clone tumoral, alors que de multiples produits de PCR soulignent l’existence de différents lymphocytes présents lors de l’inflammation (photo 7). Chez le chien et le chat, le manque de spécificité de la méthode provient du fait que certaines infections (comme celle à Ehrlichia canis chez le chien [8]) et inflammations (infiltrations digestives lymphoplasmocytaires chez le chien et le chat [29, 39, 41]) peuvent présenter une monoclonalité.

Ces dernières années, plusieurs équipes ont mis au point différentes amorces afin d’améliorer la sensibilité de la méthode. En tant qu’outil diagnostique, la Parr n’intervient qu’après l’analyse histologique et l’immunophénotypage lors de diagnostic difficile, et il est montré qu’elle peut apporter un gain de sensibilité dans la détection des lymphomes digestifs félins lorsqu’elle est associée à ces analyses [29].

Cet examen peut être réalisé sur des biopsies, du liquide d’épanchement ou des cytoponctions.

La Parr est également d’une aide précieuse dans le suivi de la maladie résiduelle dans le sang ou les nœuds lymphatiques lors de lymphome chez le chien, et permet ainsi de documenter une rémission sur le plan moléculaire (photo 8) [3, 34, 48].

Carcinome urothélial

Un laboratoire américain a récemment développé un test diagnostique pour le carcinome urothélial canin grâce à l’identification de la mutation du gène BRAF dans les urines des chiens atteints [12]. Comme cela a été mentionné plus haut, cette mutation est présente dans un grand nombre de cas (67 à 87 %) et permet un diagnostic aisé et non invasif, ainsi qu’un suivi thérapeutique. L’étude de Decker et coll. a montré une concordance de 100 % (n = 9) entre la détection de cette mutation dans la tumeur et l’urine.

3. Intérêt de ces altérations pour préciser le pronostic

Dans certains cas, l’étude d’altérations génétiques peut compléter les données histologiques et préciser un pronostic. Le récepteur tyrosine kinase c-kit est une protéine transmembranaire codée par le gène KIT, présente sur de nombreux types cellulaires et particulièrement sur les mastocytes. Ce récepteur est activé par le stem cell factor (SCF) qui induit une cascade de signalisations et active la prolifération, la motilité et la survie des cellules [9, 32] (figure 4). Lorsqu’il est muté, le récepteur est continuellement activé, indépendamment de sa liaison avec le SCF. Cette mutation est maintenant bien connue dans le mastocytome canin et est devenue un facteur pronostique supplémentaire des deux systèmes de classification existants (grading de Patnaik et grading de Kiupel). Plusieurs études montrent que les mutations du gène KIT, qui ont lieu le plus souvent dans l’exon 11, sont corrélées à un grade élevé (entre 30 et 55 % des tumeurs de grade II-III de Patnaik ou haut grade de Kiupel) et signent un phénotype agressif du mastocytome associé à un pronostic plus sombre [13, 17, 50, 51, 57]. La détection de la mutation peut être réalisée par certains laboratoires d’anatomo-pathologie vétérinaires, par séquençage du gène (de l’exon 11 plus particulièrement) sur un prélèvement tumoral. Selon certaines études, la mutation de KIT est corrélée à un pattern d’expression aberrant de sa protéine au sein de la cellule tumorale [53]. Ce pattern, observé par immunohistochimie, peut être membranaire (cas normal) ou cytoplasmique (focal ou diffus) et présente aussi une valeur pronostique [17, 30].

D’autres marqueurs génétiques restent à définir dans les différents types de cancers pour mieux prédire leur comportement biologique et leur pronostic.

4. Intérêt de ces altérations pour le traitement : avènement des thérapies ciblées

En plus de leur potentielle valeur pronostique, les altérations génétiques du cancer peuvent constituer des cibles thérapeutiques intéressantes.

En oncologie humaine et vétérinaire, il existe différents axes de traitement du cancer : la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie/biothérapie (qui inclut l’immunothérapie), et les techniques d’oncologie interventionnelles (chimioembolisation, cryoablation, radiofréquence, etc.) qui tendent à se développer chez le chien et le chat. Ces dernières années, la compréhension des mécanismes fonctionnels de la cellule cancéreuse a permis l’essor de l’immunothérapie et des thérapies ciblées chez l’homme. Les thérapies ciblées consistent à bloquer une particularité de la cellule cancéreuse qui est impliquée dans la chaîne d’informations responsable de la prolifération et de la survie cellulaire. De cette manière, la cellule tumorale ne peut plus se diviser. Ces médicaments reposent sur le profil moléculaire de la tumeur (présence ou absence d’une mutation somatique spécifique) et non plus sur son type histologique. Ainsi, une même thérapie peut se révéler efficace sur des cancers qui touchent des organes différents ayant les mêmes altérations moléculaires. Chez l’homme, de nombreuses molécules de thérapie ciblée ont déjà obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) ou sont en cours d’essais cliniques.

En médecine vétérinaire, seules deux molécules de thérapie ciblée disposent actuellement d’une AMM : il s’agit du tocéranib (Palladia®) et du masitinib (Masivet®), qui font partie de la classe des inhibiteurs des récepteurs tyrosine kinase (ITK). Ces deux molécules n’ont pas tout à fait les mêmes cibles et disposent d’une AMM légèrement différente. Le masitinib agit notamment sur le récepteur c-kit et le platelet derived growth factor receptor (PDGFR). Il est indiqué dans le traitement du mastocytome canin de grades II et III de Patnaik non opérable portant la mutation c-kit [6, 32]. Le tocéranib possède un spectre plus large, car il cible notamment les récepteurs c-kit, PDGFR-β et le vascular endothelial growth factor receptor (VEGFR-2) [6, 30]. Ses indications sont les mastocytomes canins de grades II et III non opérables et récidivants. Les différents essais cliniques montrent une efficacité des deux molécules en monothérapie, avec un meilleur taux de réponse clinique chez les chiens porteurs d’une mutation du gène KIT [6, 17]. Il est également démontré que lors de mastocytome métastasé, la mutation KIT est présente dans la tumeur primaire et dans les métastases, ce qui illustre l’intérêt des ITK dans la prise en charge des maladies à un stade avancé [36].

Leur utilisation hors AMM dans le traitement de certains cancers du chien et du chat se révèle intéressante, notamment lors de carcinome thyroïdien, de carcinome des glandes apocrines des sacs anaux, des carcinomes de la tête et du cou et des tumeurs stromales gastro-intestinales (Gist) (photo 9) [4, 33, 46]. De plus, certaines études de toxicité montrent que les ITK peuvent être utilisés en association avec des molécules de chimiothérapie cytotoxiques comme la doxorubicine [42], la vinblastine [40] et le carboplatine [55]. Chez le chat, le tocéranib a démontré son efficacité dans le traitement du mastocytome, avec un bénéfice clinique obtenu dans 80 % des cas [5, 21].

5. Intérêt de ces altérations génétiques pour le suivi thérapeutique

Plus récemment, il a été montré qu’il est possible de détecter les cellules tumorales circulantes chez des chiens atteints de lymphome de haut grade [56]. Au cours de la chimiothérapie, la quantité de cellules tumorales diminue et passe sous le seuil de détection clinique et de l’imagerie. Les cellules lymphomateuses résiduelles sont à l’origine des récidives et peuvent être détectées dans le sang par les techniques de biologie moléculaire (comme la Parr détaillée plus haut). Grâce à la technique très sensible de PCR quantitative, des équipes japonaises ont déterminé la maladie résiduelle circulante chez des chiens à différents stades du traitement de chimiothérapie (type Chop : cyclophosphamide, doxorubicine, vincristine, prednisolone, protocole Wisconsin-Madison de 6 mois), avec une sensibilité de détection d’une cellule tumorale sur 10 000 cellules. La quantité de maladie résiduelle à la 11e semaine de traitement et à la fin du protocole a une valeur pronostique [45, 56]. Cette technique permet également de prédire la rechute clinique 2 semaines ou plus avant celle-ci (14 chiens sur 15) et semble être un outil intéressant à intégrer dans le suivi de l’animal sous traitement [44].

6. Vers un nouveau concept : les biopsies liquides

En oncologie humaine, la réalisation de “biopsies liquides” s’est largement développée ces dernières années. Le principe est d’obtenir des informations sur l’ensemble de la tumeur grâce à l’analyse des cellules, des métabolites et de l’ADN tumoral libre présents dans le plasma ou les autres liquides biologiques (urine, épanchement, etc.). Au cours du développement d’une tumeur, des cellules tumorales vont relarguer leur ADN dans la circulation générale via des phénomènes de nécrose, d’apoptose, ou de sécrétion active (figure 5). Il est donc possible de détecter et de quantifier des altérations spécifiques de cancer dans le plasma grâce à la présence d’ADN tumoral circulant.

L’intérêt de détecter l’ADN circulant comme biomarqueur spécifique a déjà été démontré dans certains cancers pour le diagnostic, le pronostic, mais aussi lors du suivi thérapeutique, et ces nouvelles méthodes devraient bientôt s’appliquer à l’oncologie vétérinaire. Actuellement, le laboratoire de génétique du chien étudie la possibilité de détecter précocement des marqueurs plasmatiques de sarcome histiocytaire et de lymphome pour suivre leur évolution au cours d’un traitement, dans le but d’améliorer la détection et la prise en charge de ces cancers (photo 10).

Conclusion

Le futur de l’oncologie vétérinaire passera-t-il par une médecine personnalisée ? Avec les progrès de la génétique humaine, la caractérisation moléculaire des cancers est devenue une étape indispensable pour orienter les choix thérapeutiques. À titre d’exemple en France, 55 000 patients humains ont bénéficié, en 2011, d’un test de génétique moléculaire déterminant l’accès à une thérapie ciblée disposant d’une AMM. De plus, l’Institut national du cancer a permis la réalisation de 76 300 tests de génétique pour la recherche d’altérations moléculaires et la réalisation d’essais cliniques avec de nouvelles molécules. La sensibilité de ces méthodes de génétique ayant considérablement augmenté, ces marqueurs sont parfois utilisés en routine à l’hôpital pour le choix de la thérapie à mettre en place, pour préciser le pronostic ou pour le suivi de la réponse au traitement du patient. Pour des raisons de coûts, l’accès à ces outils en médecine vétérinaire est limité au monde de la recherche et à quelques centres américains de référence. Par exemple, le laboratoire américain Innogenics propose déjà des tests génétiques pour certains cancers canins (lymphome, sarcome, différents carcinomes, mélanome) permettant d’identifier des marqueurs moléculaires pour mieux les caractériser, et notamment prédire la sensibilité de la tumeur à différentes molécules. Il est probable que ces techniques s’intègrent peu à peu à la prise en charge des animaux en oncologie vétérinaire, en Europe et en France, dans les années à venir.

Conflit d’intérêts

Benoît Hédan collabore, avec le laboratoire Antagène, au développement du test génétique d’aide à la sélection pour le sarcome histiocytaire (test SH) cité dans cet article.

Points forts

→ Le cancer est une maladie multifactorielle due à l’interaction entre la génétique et l’environnement.

→ Les races de chiens sont des isolats génétiques qui peuvent concentrer un type de cancer particulier avec une forte prévalence.

→ L’étude du profil moléculaire des cancers a de nombreuses applications cliniques en médecine humaine. Certaines altérations ont une valeur pronostique et permettent de stratifier les patients. Le plus bel exemple en oncologie vétérinaire est la présence de la mutation KIT qui est associée à un mauvais pronostic lors de mastocytome canin.

→ Les altérations moléculaires du cancer peuvent être des cibles thérapeutiques. C’est encore le cas du mastocytome canin avec le développement des inhibiteurs des tyrosines kinases qui bloquent le récepteur c-kit muté.

→ En médecine vétérinaire, des techniques de biologie moléculaire sont à l’étude pour détecter la maladie résiduelle. Elles pourraient bientôt être intégrées dans le suivi du traitement des animaux atteints d’un cancer.

Remerciements

Les auteurs remercient Pauline de Fornel-Thibaud et MICEN-VET pour leur avoir aimablement fourni certaines photographies.

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