Leptospirose hépatique sans atteinte rénale chez le chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 396 du 01/06/2019
Le Point Vétérinaire expert canin n° 396 du 01/06/2019

MALADIE INFECTIEUSE

Analyse d’article

Auteur(s) : Laetitia Lucarelli

Fonctions : Clinique vétérinaire VetHorizon
16 A, rue Jules-Ferry
13220 Châteauneuf-les-Martigues
laetitia.lucarelli@laposte.net

La leptospirose canine est habituellement caractérisée par une insuffisance rénale aiguë, parfois accompagnée d’une atteinte hépatique 7. Cependant, quelques cas d’hépatite sans atteinte rénale, associée à la présence de Leptospira spp. (L. spp.), sont rapportés dans les publications scientifiques [6, 8]. La technique d’hybridation in situ en fluorescence (FISH, pour fluorescence in situ hybridization) permet d’identifier les bactéries localisées dans le parenchyme hépatique [5]. Cette technique pourrait aider à établir le rôle de L. spp. lors d’hépatite sans atteinte rénale.

HÉPATITE SANS ATTEINTE RÉNALE

Chez les 10 chiens inclus dans l’étude, une augmentation des paramètres hépatiques est observée : l’activité des alanine amino-transférases (ALAT) est multipliée par neuf par rapport aux valeurs de référence (médiane 9, intervalle entre 1 et 39 fois) et l’activité des phosphatases alcalines (PAL) est multipliée par quatre (médiane 4, intervalle entre 1 et 14 fois). Ils ne présentent pas d’atteinte rénale associée (créatininémie inférieure à 1,58 mg/dl et absence de glucosurie).

Les données histologiques sont en accord avec les études précédentes : les chiens présentent une hépatite granulomateuse légère à sévère, caractérisée par une infiltration histiocytaire, neutrophilique et lymphocytaire en région périportale [1, 2]. La recherche par la méthode FISH et l’identification via la réaction en chaîne par polymérase (PCR) ont permis d’identifier la présence de Leptospira interrogans (L.i) et de Leptospira kirschneri (L.k) chez les 10 chiens (photo 1).

Lors d’hépatite granulomateuse, les différentes causes à considérer sont les infections bactériennes (L. spp., Mycobacterium spp., Bartonella spp., etc.), fongiques (rares en France) et à protozoaires (Leishmania infantum, Toxoplasma gondii, Neospora canis, etc.), les infestations parasitaires (Larva migrans, etc.), ainsi que les accumulations de cuivre [4].

LEPTOSPIROSE PERSISTANTE

1. Causes possibles

Des biopsies hépatiques ont été renouvelées entre 4 et 18 mois après la présentation initiale pour 4 chiens sur 10. La technique FISH, couplée à l’identification spécifique par PCR, a de nouveau mis en évidence la présence de L. spp., malgré un traitement antérieur à base de doxycycline (10 mg/kg/j pendant au moins 14 jours). Les causes possibles d’une infection persistante sont une réinfection après l’exposition aux mêmes sources environnementales, un manque de pénétration des antibiotiques (doxycycline +/- amoxicilline et acide clavulanique) au niveau hépatique, une durée de traitement insuffisante ou une résistance des leptospires aux antibiotiques [7].

2. Immunodépression et co-infections

Une immunosuppression sous-jacente et l’existence de co-infections pourraient également expliquer la persistance des leptospires chez certains chiens. L’un d’eux était atteint d’une hypothyroïdie et d’un hypercorticisme, un autre d’une déficience en immunoglobulines G, et la moitié des chiens de l’étude présentaient des co-infections au niveau hépatique identifiées par la méthode FISH. Des études expérimentales indiquent que la sévérité de la maladie est conditionnée par la virulence des souches de leptospires et par la réponse immunitaire de l’hôte [3, 9].

TAUX DE SURVIE

Le taux de survie est de 60 % (6 sur 10). Dans les publications, il est compris entre 52 et 83 % [7]. Les 4 chiens qui n’ont pas survécu ont été euthanasiés à la suite d’une dégradation de leur fonction hépatique. Le foie de l’un d’entre eux a été biopsié une seconde fois lors de l’autopsie. Les 6 chiens survivants ont présenté une diminution de leurs paramètres hépatiques lors du suivi. Parmi eux, 3 chiens sont restés asymptomatiques et 3 chiens ont subi une seconde biopsie.

LIMITES DE L’ÉTUDE

1. Caractère rétrospectif

Des limites, inhérentes au caractère rétrospectif de l’étude, sont à souligner. Ainsi, certaines données médicales sont incomplètes et la prise en charge des animaux n’est pas standardisée.

La chronologie des différents prélèvements, tests, traitements et suivis par rapport à la présentation initiale n’est pas assez détaillée et parfois confuse.

Enfin, une atteinte rénale subclinique ne peut être exclue. La créatinine étant un marqueur tardif du dysfonctionnement rénal, des biopsies associées à une recherche de leptospires (PCR) auraient été pertinentes.

2. Limites de la technique FISH

La méthode FISH a permis l’identification moléculaire des micro-organismes du genre Leptospira et la PCR d’en identifier les espèces (L.i/L.k). Cette technique FISH offre également la possibilité de visualiser la répartition spatiale des leptospires dans le tissu. Cet aspect, non exploité dans l’étude, aurait pu apporter des éléments de réponse quant au rôle des leptospires dans la physiopathologie des hépatites granulomateuses. De plus, des études complé­mentaires, utilisant la méthode Fish comme outil de détection des leptospires, restent à mener sur des groupes de chiens atteints d’hépatite granulomateuse de différentes origines, sur des groupes atteints d’autres affections hépatiques, et sur un groupe contrôle de chiens sains.

Conclusion

La présence de leptospires dans le foie peut être responsable d’une hépatite granulomateuse sans signe d’atteinte rénale chez le chien, voire sans signe clinique. Le rôle de L. spp. dans ces cas singuliers n’est pas élucidé. Les leptospires pourraient être la cause primaire de l’hépatite, mais elles pourraient aussi intervenir secondairement, dans un contexte d’immunodépression/co-infections, ou encore être les facteurs déclenchants d’une hépatopathie à médiation immune. Le suivi des cas, avec une systématisation des biopsies de contrôle, la recherche des sources environnementales et la connaissance du statut immunitaire des animaux, surtout en cas de persistance ou de récidive de l’infection, sont autant d’éléments à prendre en compte pour mieux comprendre la pathogénicité de ces bactéries.

Références

  • 1. Adamus C, Buggin-Daubié M, Izembart A, et coll. Chronic hepatitis associated with leptospiral infection in vaccinated beagles. J. Comp. Pathol. Nov. 1997;117 (4):311-328.
  • 2. Bishop L, Strandberg JD, Adams RJ, et coll. Chronic active hepatitis in dogs associated with leptospires. Am. J. Vet. Res. Juin 1979;40 (6):839-844.
  • 3. Diament D, Brunialti MKC, Romero EC, et coll. Peripheral blood mononuclear cell activation induced by Leptospira interrogans glycolipoprotein. Infect Immun. 2002;70 (4):1677-1683.
  • 4. Hutchins RG, Breitschwerdt EB, Cullen JM, et coll. Limited yield of diagnoses of intrahepatic infectious causes of canine granulomatous hepatitis from archival liver tissue. J. Vet. Diagn. Investig. Off. Publ. Am. Assoc. Vet. Lab. Diagn. Inc. 2012;24 (5):888-894.
  • 5. Im J, Burney DP, McDonough SP, et coll. Canine hepatitis associated with intrahepatic bacteria in three dogs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2018;54 (1):65-70.
  • 6. Major A, Schweighauser A, Francey T. Increasing incidence of canine leptospirosis in Switzerland. Int. J. Environ. Res. Public Health. 2014;11 (7):7242-7260.
  • 7. Schuller S, Francey T, Hartmann K, et coll. European consensus statement on leptospirosis in dogs and cats. J. Small Anim. Pract. 2015;56 (3):159-179.
  • 8. Tangeman LE, Littman MP. Clinicopathologic and atypical features of naturally occurring leptospirosis in dogs : 51 cases (2000-2010). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2013;243 (9):1316-1322.
  • 9. Viriyakosol S, Matthias MA, Swancutt MA, et coll. Toll-like receptor 4 protects against lethal Leptospira interrogans serovar icterohaemorrhagiae infection and contributes to in vivo control of leptospiral burden. Infect. Immun. 2006;74 (2):887-895.

Conflit d’intérêts

Aucun.

RÉSUMÉ

OBJECTIFS

Décrire les cas de leptospirose hépatique canine, sans implication rénale, diagnostiqués via la technique d’hybridation in situ en fluorescence (FISH) associée à une identification par une réaction en chaîne par polymérase (PCR).

MÉTHODE

Étude rétrospective incluant 10 chiens suivis par l’université vétérinaire de Cambridge entre 2013 et 2016. Les chiens retenus dans l’étude sont atteints d’une hépatite granulomateuse (activité augmentée des enzymes hépatiques) confirmée à l’histologie : la présence de leptospires dans les prélèvements hépatiques est confirmée par la technique FISH et l’identification de l’espèce (Leptospira interrogans, L.i ; Leptospira kirschneri, L.k) est réalisée par PCR. Les animaux qui présentent une atteinte de la fonction rénale (créatininémie > 1,58 mg/dl) et/ou une glucosurie sont exclus. Les examens histologiques sont analysés selon les recommandations de la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA)(1) et, à l’aveugle, par deux vétérinaires pathologistes.

RÉSULTATS

• La leptospirose est diagnostiquée via une analyse sérologique, couplée ou non à une PCR sur urine et/ou sang.

• Les biopsies hépatiques montrent une inflammation granulomateuse plus ou moins marquée.

• Un traitement à base de doxycycline (10 mg/kg/j pendant au moins 14 jours) est mis en place chez 8 chiens sur 10. Les 2 derniers reçoivent un autre traitement antibiotique. La période de suivi des animaux s’étend de 22 à 878 jours (médiane de 434 j).

• Les biopsies hépatiques, associées à un traitement à la doxycycline, sont pratiquées une nouvelle fois chez 4 chiens sur 10, de 4 à 18 mois après la présentation initiale. Pour 3 d’entre eux, elles ont lieu lors du suivi, et pour le dernier au cours de l’autopsie. L.i et L.k restent toujours détectables chez 3 chiens sur 4.

• 6 chiens survivent et 4 chiens sont euthanasiés en raison de l’aggravation de l’hépatite.

  • (1) Des critères standard, cliniques et histologiques, ont été établis par un comité d’experts pour le diagnostic des maladies hépatiques (WSAVA Standards for Clinical and Histological Diagnosis of Canine and Feline Liver Diseases, WSAVA Liver Standardization Group, 2006).

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