Ostéopathie hypertrophiante associée à des lésions intrapulmonaires chez un sharpeï - Le Point Vétérinaire expert canin n° 395 du 01/05/2019
Le Point Vétérinaire expert canin n° 395 du 01/05/2019

MEDECINE INTERNE

Cas clinique

Auteur(s) : Caroline Dumartinet*, Amandine Drut**, Jean-Baptiste Koch***, Aurélie Laborde****, Marion Fusellier-Tesson*****

Fonctions :
*CHV Saint-Martin
275, route Impériale, 74370 Saint-Martin-Bellevue
caroline.dumartinet@gmail.com
**Dipl. ECVIM, Service de médecine interne
Oniris, Site de la Chantrerie, 44307 Nantes Cedex 3
***Clinique vétérinaire du Cèdre
Route de Caen, 14610 Épron
****Clinique vétérinaire de la Découverte
39, rue de La Villeneuve, 56100 Lorient
*****Service d’imagerie médicale
Oniris, Site de la Chantrerie, 44307 Nantes Cedex 3

L’ostéopathie hypertrophiante est un syndrome caractérisé par des réactions périostées sur les os longs des extrémités en lien avec des lésions chroniques, d’origine néoplasique ou non, le plus souvent de localisation pulmonaire.

Une chienne sharpeï stérilisée de 12 ans est référée pour une boiterie du membre thoracique gauche apparue de manière progressive. Deux semaines avant la consultation référée, la chienne a présenté une boiterie du membre thoracique gauche motivant une consultation chez un premier vétérinaire. Un traitement symptomatique constitué d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) (méloxicam, 0,1 mg/kg/j pendant 7 jours) a été mis en place en première intention. Devant l’absence de réponse au traitement, des radiographies du membre thoracique gauche ont été réalisées, montrant des lésions ostéoprolifératives et ostéolytiques en regard du métacarpe et de la première phalange du doigt II. Des radiographies thoraciques (clichés non transmis) avaient été réalisées 6 mois avant la consultation pour explorer une toux chronique et avaient révélé une opacification pulmonaire bronchique diffuse en faveur d’un processus inflammatoire ou néoplasique.

CAS CLINIQUE

1. Examen clinique

À l’examen des appareils cardio-vasculaire et respiratoire, un souffle cardiaque systolique apexien gauche de grade 2/6 est identifié, ainsi que des crépitements et des sifflements pulmonaires bilatéraux.

L’examen orthopédique à distance révèle une boiterie de grade 3/5 (c’est-à-dire une boiterie permanente avec un soulagement franc de l’appui par rapport au sol) du membre thoracique gauche. À l’examen rapproché, le doigt II de ce membre présente une néoformation sous-cutanée de consistance indurée de 1 cm de diamètre, adhérente aux tissus sous-jacents. Une néoformation sous-cutanée de plus petite taille et de consistance identique est mise en évidence à la palpation du doigt II du membre thoracique droit. Une douleur modérée est également relevée lors de la palpation et de la mobilisation des deux carpes.

2. Hypothèses diagnostiques

La localisation et la répartition symétrique des lésions en partie distale des membres thoraciques, associées à la mise en évidence d’anomalies pulmonaires sur de précédents clichés radiographiques du thorax et de bruits adventices à l’auscultation pulmonaire, évoquent fortement une ostéopathie hypertrophiante.

Les autres hypothèses évoquées sont une tumeur osseuse primitive multifocale ou métastatique, une ostéomyélite par dissémination hématogène ou des lésions d’arthrose.

3. Examens complémentaires

Radiographies des carpes

Des clichés radiographiques de face des carpes, des métacarpes et des phalanges des deux membres thoraciques sont réalisés afin de caractériser les lésions et de préciser leur extension locale (photo 1). Des lésions d’ostéoprolifération lisse sont identifiées sur les faces médiale et latérale des métacarpes II, en région distale. Une ostéoprolifération amorphe est présente sur la face médiale de l’articulation métacarpo-phalangienne des doigts II, plus marquée à droite. L’examen révèle également, sur la phalange proximale des doigts II du membre thoracique droit, des lésions d’ostéoprolifération lisses à palissadiques en face médiale médiodiaphysaire et des lésions d’ostéoprolifération lisses en face latérale.

Ces images sont compatibles avec une ostéopathie hypertrophiante, secondaire à un processus tumoral ou à un phénomène inflammatoire chronique à distance.

Radiographies pulmonaires

En raison de la détection de bruits adventices à l’auscultation pulmonaire, un examen radiographique du thorax est réalisé afin de rechercher un foyer inflammatoire ou néoplasique pulmonaire à l’origine des lésions d’ostéopathie hypertrophiante (photos 2a et 2b). Les clichés révèlent une lésion d’opacité tissulaire nodulaire d’environ 2 cm de diamètre, située cranio-ventralement à la bifurcation trachéo-bronchique et provoquant une déviation dorsale de la trachée dans sa partie terminale. Une opacification miliaire à nodulaire de l’ensemble du champ pulmonaire est également notée.

Scanner thoracique

Un examen tomodensitométrique du thorax est effectué afin de préciser les caractéristiques et la localisation des lésions pulmonaires. Il met en évidence deux structures nodulaires focales intrapulmonaires. La première lésion mesure 2,5 cm de diamètre et se situe dans le lobe cranial gauche, contre la paroi thoracique (photo 3a). La seconde lésion mesure 0,8 cm de diamètre et est localisée dans le lobe cranial droit (photo 3b). De très nombreuses calcifications bronchiques diffuses pouvant être liées à l’âge de l’animal ou à une hypercalcémie chronique sont également mises en évidence. La déviation de la trachée identifiée sur les clichés radiographiques n’est pas retrouvée à l’examen tomodensitométrique (artefact d’origine positionnelle).

Une affection néoplasique pulmonaire, pouvant être primaire ou métastatique, est suspectée. Toutefois, une origine inflammatoire (granulomes ou abcès, par exemple) ne peut être totalement exclue.

Autres examens complémentaires

Devant l’impossibilité de réaliser un scanner abdominal pour des raisons financières, une échographie abdominale est pratiquée et ne montre aucune anomalie. Un lavage broncho-alvéolaire et des ponctions à l’aiguille fine échoguidées de la lésion nodulaire située contre la paroi thoracique sont effectués, afin de confirmer la nature néoplasique des lésions pulmonaires et d’en préciser l’origine (épithéliale, mésenchymateuse, tumeur à cellules rondes). L’ensemble des prélèvements se révèle pauvre en cellules et l’examen cytologique ne permet pas d’obtenir un diagnostic étiologique. La réalisation de biopsies pulmonaires est déclinée par les propriétaires.

4. Diagnostic et pronostic

L’aspect radiographique des lésions sur les membres thoraciques est diagnostique d’une ostéopathie hypertrophiante, pour laquelle une lésion néoplasique pulmonaire est suspectée.

Le pronostic dépend directement de la nature des lésions pulmonaires. Un processus néoplasique est envisagé, pouvant être primaire ou métastatique, et de nature épithéliale, mésenchymateuse ou à cellules rondes (lymphome, notamment). En l’absence de diagnostic de certitude, le pronostic reste toutefois réservé à sombre.

5. Traitement et évolution

Un traitement antalgique est instauré avec du tramadol.

Trois mois après la consultation référée, la chienne présente une boiterie de grade 2/5 ainsi qu’une dyspnée mixte modérée.

Six mois après la consultation référée, la chienne est présentée chez le vétérinaire traitant pour une dégradation de l’état général, ainsi qu’une aggravation de la dyspnée et des difficultés locomotrices. Un examen radiographique du thorax est effectué, montrant une aggravation des lésions pulmonaires (les radiographies n’ont pas été fournies). Une euthanasie est effectuée. L’autopsie est refusée par les propriétaires.

DISCUSSION

1. Diagnostic et causes de l’ostéopathie hypertrophiante

L’ostéopathie hypertrophiante, ou syndrome de Cadiot-Ball Alamartine, est un syndrome caractérisé par une prolifération périostée diaphysaire qui touche les os longs des extrémités (métacarpes et métatarses) et qui se propage vers le squelette diaphysaire axial [2, 4]. Ces lésions sont bilatérales et symétriques [2].

Le diagnostic de l’ostéopathie hypertrophiante est principalement clinique et radiographique [2, 3].

Comme dans le cas décrit, les chiens sont présentés pour des boiteries moyennes à sévères associées à un gonflement des membres distaux, pouvant parfois être chauds au toucher [2, 3]. Sur les clichés radiographiques, une ostéoprolifération, le plus souvent palissadique, est observée le long des diaphyses des os longs. Les articulations ne sont pas atteintes chez les animaux, contrairement à ce qui est rencontré chez l’homme. Les corticales en regard des zones d’ostéoprolifération ne sont pas lysées [2].

Le diagnostic de l’ostéopathie hypertrophiante est important, car cette affection est toujours secondaire à une atteinte sous-jacente et constitue donc un signe d’appel. Dans 80 % des cas, l’ostéopathie hypertrophiante intervient avant les symptômes de la cause initiale [1]. Ce syndrome est causé le plus souvent (90 % des cas) par une tumeur primitive pulmonaire ou par des métastases pulmonaires [1, 5]. D’autres affections pulmonaires non néoplasiques ont été décrites (encadré).

Cependant, des affections extrapulmonaires peuvent aussi être dues, comme ici, à une ostéopathie hypertrophiante. Cette dernière a été mise en évidence en association avec des lésions intrathoraciques non pulmonaires (exemples : sarcomes et granulomes œsophagiens) ou des lésions intra-abdominales (exemples : rhabdomyosarcomes vésicaux, tumeurs ovariennes, prostatiques, rénales et hépatiques, néphroblastomes, carcinomes adrénocorticaux) [2, 3, 5, 7].

2. Physiopathogénie de l’ostéopathie hypertrophiante

La pathogénie de l’ostéopathie hypertrophiante reste largement inexpliquée. Quatre hypothèses principales ont été évoquées. La plupart de ces théories ne permettent pas d’expliquer l’apparition d’une ostéopathie hypertrophiante pour l’ensemble des causes décrites précédemment et un mécanisme plurifactoriel est plausible.

La première théorie mise en avant est la formation de shunt artérioveineux autour des lésions pulmonaires. Ces shunts provoqueraient une hypoxémie des tissus conjonctifs et du périoste des extrémités distales. Cela conduirait à la synthèse de facteurs de croissance osseuse. La deuxième hypothèse consiste en la production de facteurs de croissance par des cellules tumorales. La troisième hypothèse met en jeu un dépôt de méga­caryocytes ou d’agrégats plaquettaires dans la circulation sanguine distale. Ces plaquettes libéreraient des facteurs de croissance, entraînant la prolifération de fibroblastes ainsi qu’une réaction périostée. La dernière hypothèse consiste en un mécanisme réflexe neurovasculaire. Ce réflexe proviendrait de branches afférentes thoraciques du nerf vague et provoquerait une augmentation du flux sanguin dans les tissus conjonctifs et périostés des membres distaux. Cette hypothèse permettrait d’expliquer l’ostéopathie hypertrophiante due à des lésions soit intrathoraciques, soit extrathoraciques. En effet, il est supposé que les lésions extrathoraciques provoquant de l’ostéopathie hypertrophiante suivraient la distribution du nerf vague [2, 4].

3. Évolution de l’ostéopathie hypertrophiante et pronostic

Malgré la pathogénie toujours obscure de l’ostéopathie hypertrophiante, il a été montré qu’en procédant à l’élimination de la cause primaire, les lésions osseuses sont susceptibles de rétrocéder [3, 4, 6, 7]. Ainsi, la résection des tumeurs (intrathoraciques ou intra-abdominales), l’élimination des Dirofilaria par chirurgie, un parage d’abcès pulmonaires, des traitements antibiotiques ou antiparasitaires adaptés, ou une chimiothérapie sont autant de traitements à envisager selon la cause primaire, d’où l’importance d’en déterminer la nature [2]. Dans le cas décrit, la cause des masses pulmonaires n’a pu être déterminée avec précision malgré les examens mis en œuvre (lavage broncho-alvéolaire, cytoponctions échoguidées). D’autres examens ont été proposés aux propriétaires afin d’obtenir le diagnostic définitif, notamment des biopsies des masses pulmonaires. La chirurgie (lobectomie pulmonaire) n’a pas été proposée en raison de l’atteinte de plusieurs lobes, mais elle aurait permis de réaliser une analyse histologique des masses pulmonaires.

Une régression des lésions osseuses est observée dans les 2 à 5 semaines après l’élimination de la cause primaire et celles-ci continuent à involuer progressivement durant plusieurs mois [2, 3].

Le pronostic des chiens atteints d’ostéopathie hypertrophiante dépend de la cause primaire [6]. Ceux qui sont atteints d’ostéopathie hypertrophiante due à une tumeur pulmonaire ont un pronostic très sombre. En effet, la médiane de survie en cas de tumeur pulmonaire est estimée entre 0 et 348 jours selon le stade TNM(1) de la tumeur au moment du diagnostic [8].

Dans le cas décrit, un scanner abdominal aurait permis de manière plus sensible que l’échographie d’affiner le stade TNM du chien.

Lorsque la cause primaire ne peut être prise en charge, un traitement palliatif doit être mis en place en limitant la douleur et l’inconfort, ainsi que tout autre signe clinique impactant la qualité de vie, ce qui a été fait dans le cas présenté [3, 4]. Ici, en raison de la dégradation rapide du chien, la tumeur pulmonaire reste l’hypothèse la plus probable. L’autopsie aurait permis de conclure, mais elle a été refusée.

Conclusion

L’ostéopathie hypertrophiante est un syndrome connu depuis des années, mais dont la pathogénie n’est toujours pas élucidée. Les lésions osseuses sont toujours secondaires à une lésion tumorale ou inflammatoire pouvant toucher divers organes. Les tumeurs pulmonaires sont les lésions à l’origine d’une ostéopathie hypertrophiante les plus décrites dans les publications vétérinaires. L’élimination de la lésion primaire peut permettre une rémission complète des proliférations osseuses des membres en quelques semaines. Il est donc important de diagnostiquer l’origine du syndrome afin d’envisager la thérapie adaptée et de pouvoir fournir un pronostic aux propriétaires.

  • (1) Classification internationale. T : taille de la tumeur ; N : node (ganglion), indique si des ganglions lymphatiques ont été envahis ou non ; M : métastase, signale la présence ou l’absence de métastases.

Références

  • 1. Andréjak J. Le syndrome de Cadiot-Ball est le signe d’appel précoce d’une maladie sous-jacente. Sem. Vét. 2009;1357:42.
  • 2. Cetinkaya MA, Yardimci B, Yardimci C. Hypertrophic osteopathy in a dog associated with intra-thoracic lesions: a case report and a review. Veterinarni Medicina. 2011;56 (12):595-601.
  • 3. Chiang YC, Liu CH, Ho SY et coll. Hypertrophic osteopathy associated with disseminated metastases of renal cell carcinoma in the dog: a case report. J. Vet. Med. Sci./Japanese Society of Veterinary Science. 2007;69 (2):209-212.
  • 4. Dunn ME, Blond L, Letard D, DiFruscia R. Hypertrophic osteopathy associated with infective endocarditis in an adult boxer dog. J. Small Anim. Pract. 2007;48 (2):99-103.
  • 5. Foster WK, Armstrong JA. Hypertrophic osteopathy associated with pulmonary Eikenella corrodens infection in a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2006;228 (9):1366-1369.
  • 6. Grillo TP, Brandão CVS, Mamprim MJ et coll. Hypertrophic osteopathy associated with renal pelvis transitional cell carcinoma in a dog. Can. Vet. J. 2007;48 (7):745-747.
  • 7. Lee JH, Lee JH, Yoon HY et coll. Hypertrophic osteopathy associated with pulmonary adenosquamous carcinoma in a dog. J. Vet. Med. Sci. 2012;74 (5):667-672.
  • 8. Polton GA, Brearley MJ, Powell SM et coll. Impact of primary tumour stage on survival in dogs with solitary lung tumours. J. Small Anim. Pract. 2008;49 (2):66-71.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’ostéopathie hypertrophiante est un syndrome caractérisé par une prolifération périostée diaphysaire qui atteint les os longs des extrémités (métacarpes et métatarses) et qui se propage vers le squelette diaphysaire axial.

→ L’ostéopathie hypertrophiante est toujours une affection secondaire à une autre atteinte dans l’organisme.

→ Les tumeurs pulmonaires primaires sont les lésions les plus fréquentes à l’origine d’ostéopathie hypertrophiante.

→ L’élimination de la lésion primaire peut permettre une rémission des lésions osseuses.

ENCADRÉ

Affections pulmonaires non néoplasiques à l’origine d’une ostéopathie hypertrophiante

Des affections pulmonaires non néoplasiques peuvent traîner des lésions d’ostéopathie hypertrophiante :

– infections pulmonaires à Mycobacterium fortuitum, à Corynebacterium spp., à Eikenella corrodens ;

– maladies parasitaires à Dirofilaria immitus, à Spirocerca lupi ;

– bronchites éosinophiliques ;

– abcès pulmonaires ;

– corps étrangers intrathoraciques ;

– maladies cardiaques congénitales ou acquises ;

– endocardites bactériennes ;

– atélectasies focales.

D’après [2-5, 7].

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