PARASITOLOGIE PRATIQUE
Dossier
Auteur(s) : Jacques Guillot
Fonctions : DVM, PhD, dipl. EVPC
Parasitologie, mycologie,
dermatologie
École nationale vétérinaire d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
Le parasite Angiostrongylus vasorum peut sévir dans des foyers répartis sur tout le territoire national. Connaître les sources et les modes de contamination est une étape préalable essentielle pour comprendre l’épidémiologie et lutter contre la maladie.
Les tous premiers cas d’angiostrongylose canine ont été décrits dans le sud-ouest de la France et le parasite Angiostrongylus vasorum a longtemps été considéré comme l’une des nombreuses particularités françaises… Les enquêtes épidémiologiques de ces 15 dernières années ont clairement mis en évidence que l’aire de répartition d’ A. vasorum dépasse largement le foyer historique du Sud-Ouest et qu’il est maintenant possible de décrire des cas d’angiostrongylose un peu partout sur le territoire national, mais aussi dans plusieurs pays européens, et même bien au-delà, avec des cas d’infestation rapportés au Canada, aux États-Unis, au Brésil, en Bolivie et en Ouganda [6, 11]. Cette répartition est-elle le résultat d’une réelle émergence ou le simple reflet d’une plus grande connaissance de la maladie et de l’amélioration du diagnostic ? La question reste entière. Ce qui est certain, c’est que la définition des sources et des modes de contamination est une étape préalable indispensable pour la compréhension de l’épidémiologie de la maladie et la mise en place de méthodes de lutte. Cet article porte plus particulièrement sur les modes de contamination du chien.
Le tout premier cas d’angiostrongylose est décrit en 1853 à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) [14]. Les nématodes mis en évidence sont identifiés comme appartenant à une nouvelle espèce (avec comme dénomination initiale Strongylus vasorum, puis Angiostrongylus vasorum au début du XXe siècle). Très tôt, l’hypothèse d’une contamination par voie orale est émise, mais les modalités précises de contamination sont restées inconnues pendant plus de 1 siècle. En 1884, Laulanié est le premier à entreprendre des recherches sur le cycle évolutif d’ A. vasorum. Considérant le caractère enzootique de la maladie en collectivité, cet enseignant de l’école de Toulouse privilégie l’hypothèse d’un cycle direct, autrement dit sans hôte intermédiaire, et met en place une expérimentation consistant à faire ingérer à des chiens des morceaux de poumons de leurs congénères présentant des lésions d’angiostrongylose. Laulanié rapporte de nombreux échecs, mais aussi, très étrangement, des résultats apparemment positifs. Les travaux de Railliet et Cadiot (en 1892 à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, ENVA), puis de Cuillé et Darraspen (dans les années 1930 à l’ENVT), montrent qu’il est possible de retrouver des larves L1 (parfois en très grand nombre) dans les matières fécales de chiens infestés et que ces larves sont fragiles et ne subissent aucune transformation dans le milieu extérieur (photo 1) [4, 13]. Dans ces conditions, l’intervention d’un hôte intermédiaire devient plus que probable, mais il faudra attendre les années 1960 et les travaux du Pr Jean Guilhon à l’ENVA pour que la démonstration du cycle hétéroxène d’ A. vasorum soit définitivement apportée [8, 9]. Cette découverte n’aurait pas été possible sans la grande ténacité de Jean Guilhon, mais pas non plus sans une visite dans un chenil de chiens de chasse en zone d’enzootie d’angiostrongylose dans les Pyrénées-Atlantiques. Jean Guilhon y fait l’observation que les animaux se répartissent en deux groupes : des teckels avec une prévalence d’infestation très élevée (80 %) et des bleus de Gascogne avec une prévalence d’infestation beaucoup plus faible (30 %). Les teckels ont accès à un enclos dans lequel les limaces sont très nombreuses et les chiens en ingèrent régulièrement. Les bleus de Gascogne sont dans un local séparé avec un sol en terre battue. Cette simple observation a été le départ d’une série d’expériences qui ont permis de décrire toutes les étapes du cycle d’ A. vasorum (figure). Dans un premier temps, Jean Guilhon a fait ingérer à des chiens sains des limaces provenant de l’élevage des Pyrénées-Atlantiques. Par la suite, des essais d’infestation de 17 espèces de mollusques, des limaces du genre Arion principalement, mais aussi des escargots terrestres ou dulçaquicoles, à partir de larves L1 ont été tentés. Ces essais ont été concluants pour 11 espèces de gastéropodes.
L’émergence de cas d’angiostrongylose canine en Europe à partir du début des années 2000 a réveillé l’intérêt pour cette parasitose et les études portant sur les modes de contamination des chiens se sont multipliées. Pour la plupart, ces dernières portent sur l’identification du nématode chez ses hôtes intermédiaires. La présence de larves L3 (le stade infestant pour le chien) a ainsi été rapportée chez une trentaine d’espèces de mollusques gastéropodes : des limaces, mais aussi des escargots terrestres [1, 6]. Par ailleurs, une infestation a pu être reproduite chez des escargots aquatiques d’origine tropicale (comme Biomphalaria glabrata). Au Danemark, une étude a montré qu’il était possible de retrouver des larves d’ A. vasorum chez neuf espèces différentes de gastéropodes présents dans l’environnement immédiat de chiens ayant présenté une angiostrongylose. La charge parasitaire moyenne était inférieure à 10 larves par gastéropode et la prévalence d’infestation des hôtes intermédiaires était comprise entre 2 et 33 % [15]. La limace Arion rufus, encore appelée grande loche, est l’hôte intermédiaire principal en Europe (photo 2). Certaines études semblent montrer que le nombre de larves infestantes est proportionnel à la taille de l’hôte intermédiaire. Dans les conditions naturelles, l’infestation des gastéropodes se fait soit par ingestion des larves L1, soit par pénétration active des larves à travers la sole pédieuse. Dans l’organisme des gastéropodes, les larves d’ A. vasorum évoluent et deviennent infestantes (stade L3) pour un hôte définitif au bout de 16 à 25 jours. Elles demeurent vivantes et infestantes pour le chien pendant au moins 6 mois.
Le mode de contamination classique, du moins celui qui peut être utilisé lors des infestations expérimentales du chien, est l’ingestion d’un gastéropode porteur de larves L3. D’ailleurs, plusieurs études indiquent que des propriétaires de chiens atteints d’angiostrongylose ont vu leur chien ingérer des limaces ou des escargots [7, 16].
Depuis quelques années, un mode de contamination alternatif à l’ingestion directe des gastéropodes est évoqué : il est possible que des chiens se contaminent en léchant des cadavres de limaces ou simplement le sol comportant des sécrétions de gastéropodes. Certains auteurs évoquent même le simple fait d’ingérer des brins d’herbe sur lesquels une limace ou un escargot contaminé se serait préalablement déplacé (photo 3) [5]. Ces hypothèses sont étayées par la capacité de survie des larves L3, estimée à quelques jours dans le milieu extérieur [2]. Une étude récente a montré que la contamination à partir de la trace de mucus laissée par le déplacement des gastéropodes était possible avec le parasite A. cantonensis, mais que ce mode de transmission n’était pas majoritaire [10].
L’intervention d’hôtes paraténiques est très vraisemblable puisqu’il est possible de diagnostiquer des cas d’angiostrongylose chez des chiens qui n’ont pas l’habitude d’absorber des gastéropodes. Les hôtes paraténiques (petits rongeurs, oiseaux ou batraciens) peuvent faire le lien entre l’hôte intermédiaire et l’hôte définitif. Ils assurent la survie et la dispersion des larves L3 d’ A. vasorum. Cependant, à ce jour, la liste des hôtes paraténiques avérés demeure limitée. Bolt et coll. (1993) ont apporté la preuve que la grenouille commune (Rana temporaria) pouvait héberger (voire assurer le développement) des larves d’ A. vasorum (photo 4) [3]. En 2015, Mozzer et Lima sont parvenus à reproduire le cycle évolutif d’ A. vasorum en utilisant des poulets domestiques comme hôtes paraténiques [12]. La possible intervention d’oiseaux ou de batraciens dans la transmission est un élément épidémiologique important pour la circulation du parasite chez le renard. L’impact pour le chien est sans doute plus limité.
Une bonne connaissance des modes de contamination par Angiostrongylus vasorum permet d’envisager une prévention de l’affection souvent grave qu’il provoque. S’il est illusoire de s’attaquer aux sources environnementales, certains anthelminthiques disposent de l’indication “prévention de l’angiostrongylose” proprement dite ou “réduction du niveau de l’infestation causée par les stades préadultes (L5) et adultes”, ce qui permet de prévenir le risque de la maladie clinique.
Aucun.