Corps étrangers œsophagiens chez le chien : probabilité de perforation et conséquences - Le Point Vétérinaire expert canin n° 394 du 01/04/2019
Le Point Vétérinaire expert canin n° 394 du 01/04/2019

GASTRO-ENTÉROLOGIE

Analyse d’article

Auteur(s) : Laetitia Lucarelli

Fonctions : Clinique vétérinaire château 9
16, rue Jules-Ferry
13220 Châteauneuf-les-Martigues
laetitia.lucarelli@laposte.net

Les chiens ingèrent fréquemment des corps étrangers (CE) non digestibles [8]. Les signes cliniques associés à la présence d’un CE œsophagien incluent dysphagie, ptyalisme et régurgitations [2, 5]. La principale complication est une perforation secondaire de l’œsophage. De façon expérimentale, il a été démontré que des perforations d’un diamètre inférieur à 12 mm peuvent guérir spontanément [2]. Peu d’études cliniques se sont toutefois intéressées à la probabilité d’apparition d’une perforation œsophagienne à la suite de l’ingestion d’un CE et à sa prise en charge [3, 7].

FACTEURS DE LRISQUE DE PERFORATION ŒSOPHAGIENNE

1. Nature du corps étranger

Dans cette étude, seuls les hameçons et les os étaient à l’origine de perforations secondaires. Quinze des 125 chiens en ont été atteints, soit 12 %. Les os, coincés contre la paroi œsophagienne, exercent une pression importante sur les tissus, ce qui est probablement à l’origine d’une nécrose, puis d’une perforation. Les hameçons se piquent dans la paroi de l’œsophage, créant ainsi une perforation souvent minime.

Selon différentes études, la probabilité de perforation secondaire, tous types de CE œsophagiens confondus, est rapportée entre 5 et 18 % [1, 3].

2. Autres facteurs

Les études précédentes ont suggéré que les chiens de petite race présentent un risque plus important de perforation secondaire que les chiens de plus grande race [2, 4]. Dans cette étude, aucune corrélation n’a été mise en évidence entre le poids du chien et la survenue d’une perforation.

Le temps écoulé entre l’ingestion du CE et la présentation est, en revanche, un facteur conditionnant la survenue d’une perforation. Ce risque augmente pour les CE qui restent bloqués plus de 72 heures. Ces résultats sont en accord avec les études antérieures [2, 8].

Les chiens avec un hameçon (10/37, soit 27 %) ont une plus grande probabilité de présenter une perforation que les chiens avec un autre type de CE perforant (os : 5/55, soit 9 % ; autres : 0/33, soit 0 %).

MÉTHODES DE DIAGNOSTIC

Dans cette étude, les CE œsophagiens ont tous été visualisés sur des radiographies thoraciques. La radiographie a permis l’identification d’une perforation dans 4 cas sur 15 (27 %). Pour 10 autres chiens (67 %), l’existence d’une perforation a été mise en évidence lors de l’endoscopie digestive et, pour le dernier animal, lors de la chirurgie. Le diagnostic radiographique d’une perforation œsophagienne est établi grâce à la visualisation d’air autour du CE ou à la détection d’un pneumomédiastin ou d’un pneumothorax. Cependant, cet examen manque de sensibilité car l’opacification aérique peut être discrète. La perforation peut aussi survenir au moment de l’extraction du CE : elle peut être le résultat de l’insufflation et des manœuvres de retrait [6].

Dans cette étude, un chien a développé un pneumomédiastin après l’extraction du CE par endoscopie. Il est donc conseillé de pratiquer des radiographies (de face et de profil) après la procédure de retrait du CE.

TRAITEMENTS ET DEVENIR

La prise en charge d’un CE œsophagien consiste à intervenir par endoscopie en remontant le CE par la gueule ou en le délogeant, puis en le redirigeant vers l’estomac (photo) [8]. Dans cette étude, 95 % des CE ont été extraits de cette manière sans léser l’œsophage.

Le retrait du CE par endoscopie est tenté pour 13 des 15 chiens présentant une perforation. Neuf CE ont été extraits avec succès mais, parmi eux, 1 chien a été euthanasié pendant l’acte endoscopique en raison d’une perforation trop importante due à l’ingestion d’un os.

Une intervention chirurgicale de première intention a été nécessaire chez 2 chiens et, en seconde intention, chez les 4 pour lesquels le retrait du CE par endoscopie a échoué. Ces interventions chirurgicales ont concerné cinq hameçons et un os. Les chiens avec perforation secondaire à un hameçon sont vivants. En revanche, le chien qui avait ingéré un os présentait une nécrose tissulaire trop délabrante et a été euthanasié pendant l’acte chirurgical.

Dans cette étude, le traitement mis en place après le retrait du CE inclut l’absence de réalimentation immédiate par la gueule (durant les 12 premières heures), la pose d’une sonde de ­réalimentation (œsophagienne ou gastrique), la prescription de médicaments gastroprotecteurs (sucralfate +/- famotidine) et d’une antibiothérapie.

Tous les chiens avec un CE œsophagien non perforant ont survécu, ainsi que la majorité des chiens avec une perforation (87 %). Dans une étude rétrospective concernant des chats et des chiens ayant subi une chirurgie de l’œsophage, 50 des 63 animaux (79 %) avaient un CE et 30 d’entre eux (60 %) avaient une perforation œsophagienne. L’issue générale était bonne, avec plus de 80 % de survie après la sortie [7].

LIMITES DE L’ÉTUDE

Des limites attribuables au caractère rétrospectif de l’étude sont à souligner. La nature exacte et surtout la dimension de la perforation sont souvent des informations manquantes. La décision d’une intervention chirurgicale n’est pas systématiquement explicitée. Ainsi, l’étude ne permet pas de faire ressortir un consensus dans la prise en charge (médicale versus chirurgicale) d’une perforation œsophagienne secondaire à un CE. De la même façon, les traitements postopératoires diffèrent selon les cliniciens et un plan de traitement optimal ne peut être retenu.

Enfin, 2 animaux ont été euthanasiés à la demande du propriétaire en phase peropératoire, en raison de lésions tissulaires œsophagiennes jugées trop graves. Or ces chiens auraient peut-être pu survivre ; le taux de mortalité de l’étude est donc influencé à la hausse en incluant la mortalité par euthanasie.

Conclusion

Les perforations œsophagiennes secondaires à des CE sont peu fréquentes chez les chiens évalués dans cette étude. Le pronostic des perforations œsophagiennes est bon et une gestion médicale après extraction du CE par endoscopie suffit dans la majorité des cas. L’ingestion d’hameçons et le délai entre l’ingestion et la présentation initiale sont des facteurs de risque de perforation.

Références

  • 1. Deroy C, Corcuff JB, Billen F et coll. Removal of oesophageal foreign bodies: comparison between oesophagoscopy and oesophagotomy in 39 dogs. J. Small Anim. Pract. 2015;56 (10):613-617.
  • 2. Gianella P, Pfammatter NS, Burgener IA. Oesophageal and gastric endoscopic foreign body removal: complications and follow-up of 102 dogs. J. Small Anim. Pract. 2009;50 (12):649-654.
  • 3. Houlton JEF, Herrtage ME, Taylor PM et coll. Thoracic oesophageal foreign bodies in the dog: a review of ninety cases. J. Small Anim. Pract. 1985;26 (9):521-536.
  • 4. Michels GM, Jones BD, Huss BT et coll. Endoscopic and surgical retrieval of fishhooks from the stomach and esophagus in dogs and cats: 75 cases (1977-1993). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1995;207 (9):1194-1197.
  • 5. Rousseau A, Prittie J, Broussard JD et coll. Incidence and characterization of esophagitis following esophageal foreign body removal in dogs: 60 cases (1999-2003). J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2007;17 (2):159-163.
  • 6. Sale CSH, Williams JM. Results of transthoracic esophagotomy retrieval of esophageal foreign body obstructions in dogs: 14 cases (2000-2004). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2006;42 (6):450-456.
  • 7. Sutton JS, Culp WTN, Scotti K et coll. Perioperative morbidity and outcome of esophageal surgery in dogs and cats: 72 cases (1993-2013). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2016;249 (7):787-793.
  • 8. Thompson HC, Cortes Y, Gannon K et coll. Esophageal foreign bodies in dogs: 34 cases (2004-2009). J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2012;22 (2):253-261.

Conflit d’intérêts

Aucun.

RÉSUMÉ

OBJECTIFS

Déterminer la probabilité d’une perforation œsophagienne secondaire à un corps étranger (CE) chez le chien et en caractériser les signes cliniques, le diagnostic, les traitements et le pronostic.

MÉTHODE

Étude rétrospective sur 125 chiens présentant un CE œsophagien, sélectionnés entre 2005 et 2013, en utilisant les banques de données médicales de deux universités vétérinaires américaines à l’aide de mots clés. Les paramètres répertoriés sont le poids, l’intervalle de temps écoulé entre l’ingestion du CE et la présentation initiale en consultation, la nature et la localisation du CE, la présence ou l’absence de perforation œsophagienne, les méthodes de diagnostic de la perforation, les complications peropératoires, les traitements et le suivi.

RÉSULTATS

• Aucun lien de cause à effet n’a été mis en évidence entre le poids du chien et le risque de perforation.

• L’intervalle médian entre l’ingestion du CE et la présentation initiale est significativement plus long pour les chiens avec une perforation œsophagienne (24 heures, tous CE confondus, 12 heures pour les hameçons, 96 heures pour les os) comparés aux chiens sans perforation (2 heures, tous CE confondus, 1 heure pour les hameçons, 24 heures pour les os).

• Les os (55/125, soit 44 %) et les hameçons (37/125, soit 30 %) sont les CE les plus fréquemment ingérés. Une perforation œsophagienne est survenue chez 15 de ces 125 chiens (10 hameçons et 5 os, 12 %). L’ingestion d’un hameçon est associée à un risque significativement plus important de générer une perforation œsophagienne comparée à l’ingestion d’un os.

• La majorité des chiens avec une perforation œsophagienne (13/15, 87 %) ont survécu, incluant les 10 chiens avec une perforation secondaire à un hameçon. Les 2 autres chiens ont été euthanasiés pendant l’intervention en raison d’une perforation œsophagienne majeure.

• Parmi les 13 chiens qui ont survécu, 8 n’ont pas nécessité d’intervention chirurgicale (61 %).

• Tous les chiens avec un CE œsophagien non perforant sont vivants à la sortie.

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