PARASITOLOGIE PRATIQUE
Dossier
Auteur(s) : Géraldine Hazart
Fonctions : Clinique vétérinaire des Hutins
7, avenue Napoléon III
74160 Saint-Julien-en-Genevois
Les lésions cardio-pulmonaires classiquement attendues lors d’angyostrongylose ne doivent pas occulter les autres atteintes que provoque la migration des parasites, comme une coagulopathie, parfois responsable d’hémorragies.
Les troubles de la coagulation nécessitent souvent une prise en charge en urgence et la détermination rapide d’un diagnostic afin d’être gérés le plus efficacement possible, surtout lorsqu’ils sont associés à des troubles nerveux centraux d’apparition aiguë. L’association de troubles de la coagulation, de lésions pulmonaires et d’une éosinophilie doit motiver la recherche de parasites, en particulier Angiostrongylus vasorum. Il est désormais avéré que sa zone d’endémie s’est considérablement étendue.
Une chienne husky de Sibérie stérilisée et âgée de 8 ans est référée pour des troubles nerveux associés à un saignement sur une plaie depuis 24 heures (photos 1a et 1b). Elle vit en maison près de Genève, est correctement vaccinée pour les valences CHPLR et régulièrement traitée contre les parasites internes (Profender® tous les 3 mois) et externes (Frontline® combo tous les mois). Ses propriétaires rapportent depuis l’âge de 2 ans des crises convulsives généralisées ayant motivé la mise en place d’un traitement anticonvulsivant. Avec 2,5 mg/kg de phénobarbital par voie orale deux fois par jour, les crises sont stabilisées à environ deux par an. Quelques jours avant le début des symptômes, une plaie sur la queue a été suturée par le vétérinaire traitant. La veille de la consultation, la chienne a présenté une crise convulsive généralisée de type tonico-clonique ayant duré plusieurs minutes. Depuis cet épisode, elle présente une vigilance altérée, une démarche automatique et un tourner en rond. Un saignement de la plaie de la queue a également été observé (écoulement permanent). Le vétérinaire traitant a réalisé une numération formule sanguine qui a révélé une thrombopénie modérée (138 000 plaquettes/mm3) et une anémie discrète (hémoglobinémie à 11,5 g/dl). Aucun frottis sanguin n’a cependant été réalisé. Le profil biochimique de base est normal.
L’observation à distance en salle de consultation révèle une baisse de vigilance associée à des déambulations. L’animal présente une tachypnée sans dyspnée associée. Les constantes à l’admission sont rapportées (tableau 1). Une hémorragie des sclères bilatérale est notée. L’examen rapproché de la peau ne met pas en évidence d’hématomes ou de pétéchies. La plaie de la queue saigne de manière continue. L’examen neurologique révèle une douleur cervicale en latéralisation. Un discret déficit proprioceptif est suspecté sur les membres postérieurs et les clignements à la menace sont absents. Le reste de l’examen neurologique ne présente pas d’anomalie.
L’altération du niveau de conscience et les déambulations indiquent une atteinte cérébrale. La présentation d’une crise convulsive localise les lésions au prosencéphale, ce qui permet également d’expliquer l’absence de clignement à la menace. La présence de saignements concomitants à l’apparition des signes nerveux oriente prioritairement les hypothèses vers un trouble de la coagulation à l’origine d’une hémorragie cérébrale. Sous réserve de confirmation de la numération plaquettaire, la thrombopénie modérée ne permet pas d’expliquer les saignements spontanés. Des troubles de la coagulation secondaire (intoxication aux anticoagulants, coagulation intravasculaire disséminée [CIVD], hémophilie) ou une thrombopathie doivent donc être envisagés.
La numération formule sanguine est réévaluée. Une anémie régénérative normocytaire normochrome modérée, une leucocytose éosinophilique et neutrophilique modérée et une discrète thrombopénie sont observées (tableau 2). Le frottis sanguin semble conforter ces valeurs et met en évidence une anisocytose érythrocytaire.
Les temps de coagulation sont évalués sur prélèvement de sang citraté. Le temps de Quick est augmenté de manière marquée (supérieur à 100 secondes, valeurs usuelles de 11 à 17 secondes), le temps de céphaline activée l’est de manière plus modérée (120 secondes, valeurs usuelles 72 à 102 secondes). Ces anomalies sont compatibles avec une intoxication aux anticoagulants, une CIVD, un déficit en facteur II ou X. Une insuffisance hépatique est moins probable, le profil biochimique de base étant normal.
Des radiographies thoraciques de face et de profil sont réalisées afin d’explorer la tachypnée. Une microcardie compatible avec une hypovolémie (provoquant une rétraction, qui n’est pas systématique) est observée. Les champs pulmonaires présentent une opacification péribronchique diffuse modérée, compatible avec des foyers de saignements, une pneumopathie infectieuse (bactérienne, parasitaire) (photos 2a et 2b).
Les lésions pulmonaires associées à l’éosinophilie sanguine et à l’augmentation des temps de coagulation motivent la réalisation d’une analyse coproscopique par la technique de Baermann. L’examen est positif pour les larves d’ Angiostrongylus vasorum.
Un scanner de l’encéphale est effectué afin de caractériser les lésions encéphaliques à l’origine des troubles nerveux. En précontraste, une lésion hyperdense hétérogène est observée dans le lobe occipital droit. Cette lésion n’est pas significativement rehaussée en postcontraste et est compatible avec une hémorragie cérébrale ou sous-méningée. Elle est associée à une compression sévère du lobe occipital droit (photos 3a et 3b).
Il s’agit d’un cas d’angiostrongylose avec des troubles de la coagulation secondaires et des hémorragies, notamment au niveau du système nerveux central.
À son admission, la chienne est placée sous fluidothérapie d’entretien. Avant l’obtention des résultats de l’analyse coproscopique, un traitement probabiliste à la vitamine K1 est mis en place afin de contrer une éventuelle intoxication aux anticoagulants. Ce traitement est suspendu après obtention du diagnostic et l’animal est alors traité avec du fenbendazole (Panacur®) par voie orale, 50 mg/kg en deux prises quotidiennes pendant 3 semaines.
La chienne présente une récupération progressive et complète sur une dizaine de jours. Au moment de la rédaction de ce cas, 7 mois se sont écoulés depuis l’hospitalisation. Aucune anomalie clinique n’est rapportée par son vétérinaire traitant.
Angiostrongylus vasorum est un nématode parasite du cœur droit, des artères pulmonaires (et de nombreuses localisations ectopiques) du chien, du renard et des canidés sauvages. La contamination s’effectue via l’ingestion d’hôtes intermédiaires (limaces, escargots) ou via l’environnement contaminé par les stades larvaires. Des hôtes paraténiques tels que la grenouille commune peuvent également participer à ce cycle. Certaines régions sont considérées depuis des décennies comme endémiques (sud de la France, Irlande, Italie, Danemark, pays de Galles, Angleterre) [4]. Cependant, depuis plusieurs années, le nombre de cas cliniques semble augmenter et de nouvelles zones endémiques apparaissent (Allemagne, Suisse). La chienne du cas décrit vit en banlieue urbaine à proximité de Genève. L’article de Lurati et coll. rapporte une prévalence de cas cliniques de 2,21 % autour de Genève, cette région représentant un nouveau foyer endémique [4].
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer l’expansion de cette maladie. Tout d’abord, les renards, également hôtes définitifs, jouent le rôle de réservoir. Leur présence croissante dans les villes et les zones périurbaines pourrait participer à la propagation de la maladie. Les mouvements de chiens à travers le monde, de plus en plus fréquents, peuvent également constituer un facteur de risque. Enfin, le réchauffement climatique pourrait créer de nouvelles conditions plus propices au développement des hôtes intermédiaires [1].
La présentation clinique de l’angiostrongylose canine est polymorphe, rendant son diagnostic parfois délicat. Elle est majoritairement dominée par des troubles respiratoires : le plus souvent de la toux et de la dyspnée, voire de l’intolérance à l’effort [1-6]. Des saignements et des troubles nerveux sont moins couramment rapportés et accompagnent souvent les précédents [1-5]. Ce chien présentait un tableau clinique dominé par des troubles de la coagulation et des symptômes nerveux. Seule une tachypnée était présente et pouvait être imputée à d’autres causes (stress, anémie, douleurs, saignements pulmonaires). Les publications rapportent une proportion de 4 % de cas d’angiostrongylose présentés pour des troubles neurologiques [3]. Ceux-ci découlent d’hémorragies dans le système nerveux central ou de dommages tissulaires dus à la migration larvaire. La présence de saignements externes dans le cas présent a permis de suspecter rapidement une anomalie de coagulation potentiellement associée à une hémorragie cérébrale. En l’absence de ceux-ci, et vu l’âge de l’animal et son statut épileptique, d’autres hypothèses auraient pu être émises (période postictale prolongée, néoplasie).
Le mécanisme physiopathologique des hémorragies lors d’angiostrongylose n’est pas totalement élucidé. L’intervention d’une CIVD de bas grade, donc la consommation des plaquettes et des facteurs de coagulation, est suggérée [3]. La chienne présentait en effet une augmentation des temps de Quick et de céphaline activée ainsi qu’une thrombopénie modérée.
La présence d’une leucocytose éosinophilique dans le cas décrit a également permis d’envisager rapidement une hypothèse parasitaire. Cette anomalie hématologique n’est cependant pas systématique. Willesen et coll. la rapportent dans 21 % des cas [6].
Le choix de l’imagerie de l’encéphale s’est porté ici sur la réalisation d’un scanner. La forte suspicion d’une hémorragie cérébrale récente a orienté ce choix. En effet, en phase aiguë de saignement, le scanner présente une sensibilité supérieure à l’imagerie par résonance magnétique [7].
Différents traitements sont à la disposition du clinicien lors d’angiostrongylose. Le fenbendazole est un traitement de choix. Il possède une action larvicide, ovocide et adulticide. La formulation le plus souvent utilisée est le Panacur®, elle n’a cependant pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France pour le traitement ou la prévention de l’angiostrongylose.
Plusieurs formulations à base de milbémycine oxime possèdent une AMM dans cette indication thérapeutique, à raison d’une administration par semaine pendant 4 semaines. Ces formulations présentent également une AMM pour la prévention.
Depuis peu également, l’association imidaclopride-moxidectine (Advocate®) a son AMM pour le traitement de l’angiostrongylose chez le chien. Deux administrations en spot-on à 30 jours d’intervalle sont préconisées.
Le pronostic de cette affection doit être réservé lorsqu’elle s’accompagne de troubles de l’hémostase, d’autant plus lorsque des déficits neurologiques sont présents. Les quatre cas décrits par Gredal et coll. sont des cas nécropsiques et les auteurs présentent une synthèse des cas publiés avec 65 % de morts [2]. Une prise en charge la plus précoce possible pourrait probablement augmenter les chances de guérison.
L’angiostrongylose est une affection de moins en moins rare et pour laquelle un diagnostic et une prise en charge les plus précoces possibles augmentent les chances de guérison. Son polymorphisme peut la rendre difficile à suspecter. Elle doit faire partie du diagnostic différentiel face à des troubles de la coagulation en zone endémique. L’association de lésions radiographiques compatibles et d’une éosinophilie permet d’orienter les hypothèses et de rapidement traiter l’animal. L’apparition de nouvelles zones endémiques semble légitimer la mise en place d’une prophylaxie chez les chiens exposés. Des études sont en cours pour obtenir un consensus en ce sens et préciser les recommandations.
Aucun.