GASTRO-ENTÉROLOGIE
Analyse de synthèse
Auteur(s) : Géraldine Hazart*, Laurence Bailly**, Céline Porret***
Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Hutins
7, avenue Napoléon III
74160 Saint-Julien-en-Genevois
**Clinique vétérinaire des Hutins
7, avenue Napoléon III
74160 Saint-Julien-en-Genevois
***Clinique vétérinaire Armonia
37, rue Serge-Mauroit
38090 Villefontaine
La gastroscopie, permettant d’apprécier l’aspect des lésions et de réaliser des biopsies diagnostiques, se révèle ici l’examen de choix pour cette affection rare.
La mise en évidence, chez un animal, d’une anémie microcytaire hypochrome doit motiver la recherche d’un saignement chronique afin d’y mettre un terme. L’échographie est un des examens permettant de déterminer l’origine de ce saignement et d’orienter ensuite vers d’autres examens plus ciblés. Cet article illustre un cas rare de gastrite hypertrophique associé à une anémie et diagnostiqué grâce à des biopsies échoguidées.
Un chien croisé griffon mâle entier de 10 ans est présenté en consultation pour essoufflement et fatigabilité. L’animal est correctement vermifugé et vacciné contre les valences CHPLR(1). Il reçoit une alimentation sèche de bonne qualité. Aucun antécédent n’est rapporté. La propriétaire décrit depuis quelques jours un abattement, un essoufflement, une intolérance à l’effort et une anorexie.
Les muqueuses sont très pâles avec un temps de remplissage capillaire difficile à évaluer. Le chien présente une tachypnée et une tachycardie (tableau 1). L’auscultation cardiorespiratoire met en évidence un souffle cardiaque. Le pouls est bondissant, concordant avec le choc précordial. La palpation abdominale est normale. L’analyse d’urine ne met aucune anomalie en évidence (pH de 7, densité de 1,040).
Les muqueuses pâles de ce chien sont l’anomalie clinique majeure mise en évidence lors de l’examen. Les hypothèses s’orientent autour de la suspicion d’anémie. Les causes centrales (aplasie médullaire, affection dysimmunitaire médullaire, hémopathies malignes) et périphériques (pertes sanguines ou anémies hémolytiques) sont donc à envisager. Une vasoconstriction périphérique des muqueuses à la suite d’un état de choc ne peut cependant être exclue à ce stade des investigations et l’orientation diagnostique nécessite donc une confirmation de l’anémie.
La numération et la formule sanguines confirment l’existence d’une anémie sévère, régénérative, microcytaire hypochrome et met en évidence une thrombocytose marquée (tableau 2).
L’examen du frottis sanguin permet de détecter une faible anisocytose érythrocytaire et la présence d’annulocytes. Une anémie par carence en fer et saignement chronique est donc suspectée.
L’examen radiographique du thorax à l’admission ne révèle aucune anomalie majeure (photo 1). La tachypnée et le souffle cardiaque sont donc imputés à l’anémie sévère.
Le bilan de coagulation réalisé au chevet de l’animal est normal (temps de prothrombine [PT] de 15 secondes et temps de thromboplastine partielle activée [aPTT] de 85 secondes pour des valeurs usuelles respectives de 11 à 17 secondes et de 72 à 102 secondes).
Une échographie abdominale est alors préconisée afin de mettre en évidence l’origine des pertes sanguines suspectées. La paroi gastrique présente un épaississement diffus marqué avec conservation des couches. Une hypertrophie des plis gastriques est visualisée (photo 2). Le reste des structures abdominales est dans les limites de la normale.
Un examen biochimique sanguin de base est également réalisé. La créatinine est discrètement diminuée (41,55 mmol/l). Les autres paramètres sont dans les valeurs usuelles (tableau 3).
Une fois stabilisé, l’animal est référé pour la réalisation d’un examen endoscopique. La gastroscopie révèle la présence d’une hypertrophie sévère et diffuse de la muqueuse gastrique. De nombreuses ulcérations superficielles sont visibles à sa surface. Cette hypertrophie concerne la quasi-totalité de l’estomac du fundus à l’antre pylorique (photos 3a et 3b). Le pylore et la zone péripylorique semblent épargnés.
Des biopsies sont réalisées. Leur examen histopathologique montre une hyperplasie diffuse et sévère de l’épithélium de surface et de la partie superficielle des glandes avec formation de projections dans la lumière gastrique. Les cellules qui prolifèrent sont bien différenciées, cylindriques, à cytoplasme abondant éosinophile et à petit noyau rond basal. Elles sécrètent fréquemment du mucus. Le chorion sous-jacent montre un œdème et une congestion marqués associés à une augmentation modérée à marquée du nombre de lymphocytes et de plasmocytes disséminés. La lumière des glandes contient fréquemment des bactéries spiralées qui se retrouvent en surface (photo 4).
Il s’agit donc d’une gastrite hypertrophique géante (de type maladie de Ménétrier chez l’homme), associée à une infection par des bactéries spiralées intralésionnelles et à l’origine d’un saignement gastrique chronique ayant causé une anémie par carence en fer.
À son admission, le chien est placé sous oxygénothérapie via une sonde nasale (débit de 150 ml/kg/min). L’animal est transfusé. Les tests sanguins rapides de compatibilité réalisés au chevet de l’animal étant permissifs, il reçoit 100 ml de sang frais au débit de 5 ml/kg/h. Un traitement médical est également instauré. Le chien reçoit 1 g de sucralfate(2) (Ulcar®) par voie orale (PO) trois fois par jour, ainsi que de la cimétidine (Zitac®) à raison de 5 mg/kg PO trois fois par jour. Pour traiter les bactéries spiralées, une antibiothérapie est mise en place : métronidazole à la dose de 10 mg/kg et amoxicilline à la dose de 20 mg/kg PO deux fois par jour pendant 3 semaines. Une supplémentation orale en fer est également administrée, jusqu’à normalisation des valeurs de la lignée rouge de l’hémogramme.
Une amélioration des valeurs de la lignée rouge est observée à la suite de la transfusion, puis de la mise en place du traitement médical. L’hémoglobinémie est à nouveau dans les valeurs usuelles 15 jours après l’initiation du traitement. Au moment de la rédaction de ce cas, 3?années se sont écoulées sans récidive. Le traitement anti-acide est toujours administré.
La gastropathie hypertrophique de Ménétrier est une affection caractérisée par une hyperplasie des cellules à mucus de l’estomac associée à une raréfaction des cellules pariétales, résultant en un épaississement de la paroi gastrique avec hypertrophie des plis gastriques. Rare en médecine humaine, cette affection est très peu décrite en médecine vétérinaire avec, a priori, huit cas rapportés [2, 3, 5-8].
En ce qui concerne la présentation clinique, notre cas se distingue par l’absence de symptôme digestif autre que la dysorexie. En effet, les cas décrits présentent une clinique dominée par des vomissements chroniques, voire de l’hématémèse, des douleurs abdominales, de l’anorexie et de l’amaigrissement [2, 3, 5-8]. Ce chien, au contraire, a seulement présenté une anorexie semblant contemporaine de l’anémie. Après interrogation plus poussée des propriétaires, il semblerait également que des épisodes de pica aient été présentés de façon sporadique par l’animal.
L’anémie fréquemment mise en évidence chez les animaux atteints est secondaire à des micro-saignements chroniques de la muqueuse gastrique. Cependant, elle n’est généralement pas le signe d’appel de cette affection, puisque des symptômes digestifs la précèdent le plus souvent. L’installation chronique de l’anémie explique probablement le bon état général du chien à son admission, alors que l’hémoglobinémie était sévèrement diminuée. Une hypoprotéinémie due à une hypoalbuminémie ou à une panhypoprotéinémie est également souvent associée à la maladie de Ménétrier chez l’homme et chez le chien, secondaire à une exsudation digestive des protéines [3, 6, 8]. Là encore, ce cas se distingue de ceux décrits précédemment, puisque les protéines totales et l’albumine demeuraient dans les valeurs usuelles.
Le diagnostic de la maladie de Ménétrier est histopathologique. Cependant, les lésions macroscopiques gastriques peuvent déjà être fortement évocatrices : la muqueuse de l’estomac présente un aspect cérébriforme, comme décrit par Pierre Ménétrier en 1888 [4]. L’ensemble des lésions décrites dans ce cas pourrait également être secondaire à une hypersécrétion de gastrine accompagnant un gastrinome pancréatique (maladie de Zollinger-Ellison). La mesure de la gastrinémie aurait donc pu être intéressante, mais n’a pas été réalisée. L’exploration échographique abdominale n’a cependant mis en évidence aucune anomalie pancréatique ou hépatique. Or, il semble que plus de 85 % des gastrinomes présentent des métastases hépatiques au moment du diagnostic [9].
Chez l’homme, des infections concomitantes par Helicobacter pylori sont fréquemment mises en évidence sans que le rôle de cet agent soit clairement identifié. La pathogénie de la maladie de Ménétrier est effectivement encore mal comprise, mais le schéma proposé est que l’infection par H. pylori créerait des lésions muqueuses à l’origine d’une production anormale de facteurs de proliférations cellulaires de la muqueuse gastrique via l’activation de récepteurs aux tyrosines kinases [1]. Cet agent infectieux a été mis en évidence dans un seul autre cas publié [2].
En médecine humaine, la maladie de Ménétrier est fortement suspectée d’être une affection précancéreuse. De même, dans les publications de médecine vétérinaire, les lésions évoluent souvent jusqu’à l’apparition d’un carcinome gastrique dans les 2 à 5 ans après le diagnostic de gastrite hypertrophique [3, 5]. Van der Gaag et coll. et Rallis et coll. rapportent deux cas de chiens morts rapidement après le diagnostic de gastropathie hypertrophique (respectivement 26 et 135 jours après leur admission), rendant leur suivi impossible [6, 7]. Ces données pourraient justifier chez le chien dont il est question ici des examens endoscopiques et histopathologiques de contrôle réguliers afin de détecter le plus précocement possible l’apparition de cellules néoplasiques. Une ligne de conduite a été proposée aux propriétaires n’ayant pas souhaité réaliser d’examens supplémentaires.
Le traitement de la maladie associe le plus souvent un volet médical (protecteurs de la muqueuse gastrique, inhibiteurs de la pompe à protons) à une gastrectomie [3, 5, 6, 8]. Les deux cas de médecine vétérinaire décrits avec la seule mise en place d’un traitement médical sont morts rapidement [5, 6]. En médecine humaine, les traitements chirurgicaux sont réservés aux patients réfractaires au traitement médical qui utilisent essentiellement des anticorps monoclonaux contre les récepteurs aux tyrosines kinases. Le traitement médical simple mis en place ici (sucralfate et anti-acides) a permis une bonne rémission clinique des symptômes. L’animal est toujours vivant et en bonne santé, 3 ans et demi après le diagnostic. L’utilisation des anticorps monoclonaux n’a fait l’objet d’aucune description en médecine vétérinaire et les coûts prohibitifs de ces thérapies rendent leur usage difficile en pratique courante.
La gastrite de Ménétrier est une affection aussi rare en médecine humaine que vétérinaire et dont le diagnostic est histopathologique. L’examen gastroscopique s’est ici révélé celui de choix, car il permet de réaliser des prélèvements. Le pronostic d’une maladie de Ménétrier doit rester réservé, cette affection pouvant représenter une lésion précancéreuse.
(1) Maladie de Carré, hépatite de Rubarth, parvovirose, leptospirose, rage.
(2) Médicament à usage humain.
Aucun.
→ Une anémie microcytaire hypochrome doit faire suspecter une carence en fer par saignement chronique et motiver la recherche de son origine.
→ L’examen gastroscopique permet de visualiser les lésions gastriques et d’en réaliser des biopsies afin d’obtenir un diagnostic.
→ Le rôle des bactéries de type Helicobacter est encore mal connu, mais celles-ci doivent être traitées lorsqu’elles sont mises en évidence.
→ La maladie de Ménétrier est une affection potentiellement précancéreuse.