Ténosynovite sténosante du muscle long abducteur du pouce chez un labrador - Le Point Vétérinaire expert canin n° 391 du 01/12/2018
Le Point Vétérinaire expert canin n° 391 du 01/12/2018

CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE

Cas clinique

Auteur(s) : Mathieu Taroni*, Thibault Cachon**

Fonctions :
*Service de chirurgie des carnivores domestiques
Université de Lyon, VetAgro Sup,
campus vétérinaire
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

La ténosynovite sténosante du muscle long abducteur du pouce est une affection orthopédique peu diagnostiquée, qui a un bon pronostic après une prise en charge chirurgicale.

Un chien labrador mâle entier de 8 ans est présenté pour une boiterie avec appui chronique du membre thoracique gauche évoluant depuis 4 ans. Les boiteries chroniques récidivantes peuvent être des challenges thérapeutiques, c’est pourquoi un examen orthopédique et une approche systématique sont primordiaux. L’élargissement du diagnostic différentiel peut être nécessaire dans de rares cas où les causes les plus communes ont été éliminées. La ténosynovite du long abducteur du pouce (LAP) est une affection rare chez le chien, dont le diagnostic peut être relativement aisé.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs

L’animal présente une boiterie discrète avec appui du membre thoracique gauche après l’effort, à la suite d’un traumatisme survenu lors du jeu avec un autre chien. Elle répond aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) (molécule inconnue), administrés par cures de 1 à 2 semaines sporadiques. Des examens radiographiques de face et de profil du carpe gauche sont réalisés par le vétérinaire traitant, 2 ans après le traumatisme, en raison d’une aggravation de la boiterie. Ils mettent en évidence la présence d’une prolifération osseuse et d’un gonflement des tissus mous médialement à l’extrémité distale du radius. L’animal est mis au repos durant 2 semaines, mais la boiterie persiste.

2. Examen clinique

À son arrivée, l’animal est en bon état général, l’examen ne montre rien d’anormal. Un examen orthopédique est ensuite réalisé. Le chien présente un discret valgus du carpe gauche à l’arrêt et une boiterie marquée du membre thoracique gauche, sans suppression d’appui. À l’examen rapproché, un gonflement est noté en regard du processus styloïde radial et la flexion du carpe gauche est douloureuse. Le carpe semble cependant stable à la manipulation.

3. Examens complémentaires

Des radiographies de face et de profil mettent en évidence une prolifération osseuse péritendineuse médialement à l’extrémité distale du radius (photo 1). Une échographie du carpe gauche, motivée par ce qui a été observé à la radiographie, est réalisée sur animal vigile. Elle met en évidence une enthésopathie sévère du tendon du muscle LAP associée.

Les vues en valgus et en varus de l’articulation ne montrent pas d’anomalie.

Une ténosynovite engainante du muscle LAP est diagnostiquée. Une lésion concomitante du ligament collatéral médial ne peut être exclue.

4. Traitement

Deux injections de plasma autologue conditionné (ACP®, Arthrex) sont réalisées dans la gaine tendineuse sous contrôle échographique à 15 jours d’intervalle, associées à une immobilisation du membre par un bandage orthopédique de type robert-jones avec attelle palmaire. Aucune amélioration n’est notée.

Devant l’échec du traitement médical, une prise en charge chirurgicale par ténectomie du tendon du muscle long abducteur du pouce associée à une arthroscopie exploratrice de l’étage radio-carpien est réalisée.

5. Arthroscopie

Un bilan biochimique sanguin préopératoire (urée, créatinine, glucose, phosphatases alcalines, alanine aminotransférases, protéines totales) est réalisé en phase préopératoire et ne révèle aucune anomalie.

L’animal est anesthésié (morphine 0,1 mg/kg, valium 0,2 mg/kg, propofol 2 mg/kg par voie intraveineuse [IV], puis relais à l’isoflurane). Son membre thoracique gauche est préparé chirurgicalement.

Il est installé en décubitus dorsal. Une analgésie peropératoire est réalisée, avec de la morphine et des AINS (méloxicam 0,1 mg/kg IV). Une antibioprophylaxie peropératoire est réalisée (ampicilline/sulbactam 20 mg/kg IV, 20 minutes avant le début de l’intervention, puis toutes les 1 heure et demie). L’arthroscopie est réalisée avec un arthroscope de 1,9 mm orienté à 30° et inséré cranio-latéralement au niveau de l’espace radio-carpien. L’exploration de la partie palmaire et latérale de l’étage radio-carpien ne révèle aucune anomalie. Des villosités inflammatoires sont présentes en faible quantité dans le compartiment médial. Le ligament collatéral médial présente un pannus inflammatoire, mais aucune lésion des fibres n’est visualisée (photo 2).

6. Ténotomie

Les parties distale du radius et proximale du carpe sont abordées cranio-médialement. Après dissection du tissu sous-cutané, le tendon du muscle LAP est visualisé. Il est facilement repérable en raison de son orientation oblique en croisant cranialement le tendon de l’extenseur radial du carpe. Une gaine de tissu fibreux calcifié est visualisée (photo 3). Celle-ci est débridée à la pince gouge et le sillon du tendon du LAP est visualisé. Le tendon est sectionné à la lame froide (photo 4). Un fragment de 1 cm est retiré, puis envoyé en analyse histologique. Aucune instabilité du carpe n’est présente après section du tendon.

7. Suivi

L’analyse histologique ne met en évidence aucune lésion du tendon.

Le traitement avec l’AINS (méloxicam 0,1 mg/kg per os une fois par jour) est poursuivi après l’opération. Le lendemain de l’intervention, l’animal est confortable et marche sans boiterie. Il est alors rendu à ses propriétaires, qui doivent poursuivre le traitement avec la même dose d’ains pendant 15 jours et respecter une période de repos de 2 semaines, suivie d’une reprise progressive de l’activité sur 1 semaine. Un contrôle clinique est réalisé 3 mois après l’intervention. Aucune boiterie n’est visible ni rapportée par les propriétaires. Aucune douleur n’est mise en évidence à la manipulation du carpe.

DISCUSSION

1. Muscle long abducteur du pouce

Bien que le pouce chez le chien puisse être considéré comme vestigial, il est pourvu d’un muscle et d’un tendon forts. Le LAP est un muscle triangulaire dont le corps s’insère sur la partie latérale du radius, la membrane interosseuse et l’ulna. Son corps est presque entièrement recouvert par les extenseurs des doigts. Ses fibres sont orientées médialement et distalement et se prolongent en un fort tendon qui croise le tendon de l’extenseur radial du carpe (photo 5). Il passe dans le sillon médial du radius et plonge médialement au niveau du carpe contre le ligament collatéral médial. Sa partie terminale est pourvue d’un os sésamoïde et s’insère sur la partie médiale du métacarpien I [2].

Le muscle LAP a un rôle d’abduction et d’extension du pouce et, dans une moindre mesure, de déviation médiale de l’extrémité du membre thoracique [2]. Il aurait un rôle de stabilisation du carpe, mais il ne semble pas que la ténotomie engendre une instabilité du carpe [4, 5, 7, 9]. Le résultat obtenu dans le cas décrit semble confirmer cette observation. Cependant, seule l’étude d’un plus grand nombre de cas, avec un suivi à long terme, permettrait de valider cette hypothèse.

2. Ténosynovite du muscle long abducteur du pouce

La ténosynovite du LAP ou maladie de de quervain a été décrite chez l’homme dès 1895. Elle a été peu rapportée chez le chien et est causée par des mouvements répétitifs ou une hyperactivité du carpe [4, 5, 7, 8]. Les chiens sont souvent des animaux de grande race, de travail, ou pratiquent l’agility.

Les modifications histologiques retrouvées au niveau de la gaine du tendon sont caractérisées par l’accumulation de mucopolysaccharides, associée à une métaplasie chondroïde et osseuse, sans signes inflammatoires [4, 8]. De plus, aucune lésion inflammatoire du tendon n’est rapportée, ce qui est en accord avec les résultats histologiques mis en évidence pour le présent cas. Le terme de ténosynovite, qui fait référence à un processus inflammatoire, est donc inapproprié.

Les publications vétérinaires permettent d’établir certaines données épidémiologiques, avec une prédisposition chez le mâle (tableau) [1, 4-8]. Les signes cliniques rencontrés lors de ténosynovite du LAP sont une boiterie plus ou moins importante du membre atteint, un gonflement de la partie cranio-médiale du carpe et une douleur provoquée à la manipulation du carpe en flexion. Le diagnostic différentiel inclut une enthésopathie du ligament collatéral radial court, un traumatisme, une arthrite et un processus néoplasique [5].

3. Prise en charge médicale

La prise en charge médicale est réalisée par injection de méthylprednisolone dans la gaine tendineuse, associée à une immobilisation du membre durant 3 semaines [9]. Les thérapies cellulaires sont en plein essor en médecine vétérinaire et nous avons privilégié l’injection de plasma autologue en première intention pour ce cas, avec le consentement éclairé du propriétaire.

L’ACP® d’Arthrex utilisé pour ce cas est un produit sanguin issu de l’animal traité, dans lequel les plaquettes et les facteurs de croissance sont concentrés dans le plasma. Celui-ci est injecté in situ afin de concentrer les facteurs de cicatrisation et d’augmenter le recrutement cellulaire local [3]. Aucun effet secondaire n’est décrit, car le produit est autologue. Les cas aigus répondent généralement favorablement au traitement médical [9. Dans le cas décrit, aucune réponse au traitement médical n’a été constatée et une prise en charge chirurgicale a été nécessaire.

4. Prise en charge chirurgicale

Le traitement chirurgical est réalisé par résection des ostéophytes ou ténotomie du LAP. L’arthroscopie effectuée lors du temps chirurgical permet une exploration exhaustive du carpe et exclut la présence d’une affection ligamentaire concomitante. La décision d’arthroscopie a été prise par rapport à notre expérience personnelle et non aux publications scientifiques. Elle était potentiellement facultative, mais il nous a semblé pertinent de la réaliser pour documenter le cas.

La résection des ostéophytes permet la résolution de la boiterie. Une récidive nécessitant une reprise chirurgicale a cependant été rapportée à 12 mois postopératoires [4]. La ténotomie permet également une résolution des symptômes et une évolution favorable. La seule complication rapportée à la suite d’une ténotomie a été la présence d’arthrose du carpe, 5 ans après l’intervention [4]. Il est toutefois impossible d’imputer l’arthrose au geste chirurgical en s’appuyant sur un seul cas. Le pronostic après la prise en charge chirurgicale reste néanmoins très bon, quelle que soit la technique utilisée.

Conclusion

La ténosynovite sténosante du muscle LAP est une affection peu rapportée, qui peut être sous-diagnostiquée. Dans un contexte clinique évocateur, il est possible de la diagnostiquer après radiographie du membre.

Le traitement est médical, puis chirurgical en cas d’échec, mais le pronostic est bon, avec une résolution rapide des symptômes.

Références

  • 1. Barreiro-Vázquez JD, Vila-Pastor M, Seoane-Mojón A et coll. Cuál es tu diagnóstico. 2016;36 (2):135-137.
  • 2. Evans HE, De Lahunta A. In: Miller’s Anatomy of the Dog. Chapter 6: The muscular system, 4th ed. Health Sciences, Elsevier, St Louis. 2013:185-280.
  • 3. Georg R, Maria C, Gisela A et coll. Autologous conditioned plasma as therapy of tendon and ligament lesions in seven horses. J. Vet. Sci. 2010;11 (2):173-175.
  • 4. Grundmann S, Montavon PM. Stenosing tenosynovitis of the abductor pollicis longus muscle in dogs. Vet. Comp. Orthopaed. 2001;14 (2):95-100.
  • 5. Hittmair KM, Groessl V, Mayrhofer E. Radiographic and ultrasonographic diagnosis of stenosing tenosynovitis of the abductor pollicis longus muscle in dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2012;53 (2):135-140.
  • 6. Mayrhofer E, Putzenbacher A, Fellner A et coll. Tendovaginitis ossificans des musculus abductor pollicis longus (De Quervain) als Lahmheitsursache bei einem deutschen Schäferhund. Wien. Tierarztl Monatsschr. 2008;95:303-309.
  • 7. Moores AP, Cornerford EJ. What is your diagnosis J. Small Anim. Pract. 2005;46 (1):41-43.
  • 8. Okamura Y, Okamoto Y, Morita T et coll. Enthesiopathy with an abductor pollicis longus dysfunction in a rough Collie dog. Austr. Vet. J. 2007;85 (8):329-331.
  • 9. Rochat MC. Emerging causes of canine lameness. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2005;35 (5):1233-1239.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La ténosynovite sténosante du muscle long abducteur du pouce est une affection rare chez le chien, pouvant causer une boiterie chronique qui s’aggrave.

→ Lors d’une affection ancienne entraînant des remaniements, le diagnostic radiographique de cette affection est relativement aisé.

→ Une prise en charge médicale par infiltration locale associée à du repos est possible.

→ La prise en charge chirurgicale est réalisée par la section du tendon (ténotomie) du muscle long abducteur du pouce.

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