Étape 8 : Arthroscopie du genou : lésions ligamentaires, méniscales et tendineuses - Le Point Vétérinaire n° 391 du 01/12/2018
Le Point Vétérinaire n° 391 du 01/12/2018

En 10 Étapes

Auteur(s) : Claire Deroy-Bordenave*, Guillaume Ragetly**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire Alliance
8, boulevard Godart
33300 Bordeaux
**Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43, avenue Aristide-Briand
94110 Arcueil

L’arthroscopie permet une évaluation optimale des ligaments croisés et des ménisques. Une méniscectomie est aussi possible lors de lésions de ces derniers.

L’arthroscopie du genou a plusieurs indications. En plus de permettre l’exploration et le traitement de l’ostéochondrite disséquante, elle est un outil très efficace pour l’évaluation des affections des ligaments croisés (rupture, notamment) et des lésions méniscales, ainsi que pour le traitement de ces dernières. Le diagnostic d’avulsion/luxation du tendon long extenseur des doigts peut également être établi grâce à l’exploration arthroscopique.

RUPTURE DU LIGAMENT CROISÉ CRANIAL

Le ligament croisé cranial (LCA) s’insère proximalement sur la face axiale du condyle fémoral latéral et se dirige cranio-médialement, pour se terminer dans l’aire intercondylaire craniale du tibia. La rupture du LCA (RLCA) représente la cause la plus commune de boiterie du membre pelvien. Trois affections distinctes sont décrites :

- l’avulsion traumatique de l’insertion tibiale (plus fréquemment) ou fémorale : observée généralement chez les chiens immatures ;

- la rupture aiguë traumatique : assez rare et secondaire à une charge excessive, une hyperextension traumatique ou une rotation interne du tibia excessive ;

- l’atteinte chronique : la plus courante. Le plus souvent, elle résulte d’un phénomène dégénératif des éléments constitutifs du ligament. Elle peut être complète (toutes les fibres sont alors concernées par la rupture) ou partielle (seulement quelques fibres sont rompues), celle-ci pouvant évoluer en rupture complète à terme. L’étiologie exacte et les mécanismes physiopathologiques de cette affection sont encore peu connus et controversés [16].

Parmi les races prédisposées, il est possible de retrouver le terre-neuve, le rottweiler, le golden retriever, le labrador retriever, le bulldog, le boxer, le chow-chow et l’american staffordshire terrier [7, 35]. Certains chiens de grande race présentent une prédisposition pour une atteinte précoce, avant l’âge de 2 ans (mâtin napolitain, akita inu, saint-bernard, rottweiler, terre-neuve, labrador et american staffordshire terrier) [8]. Les femelles sont plus touchées que les mâles [35]. Entre 22 et 54 % des chiens avec une atteinte unilatérale présentent ensuite une RLCA sur le membre controlatéral, dans les 947 jours suivant la première intervention chirurgicale [23].

1. Diagnostic clinique et par imagerie

→ Le diagnostic d’une rupture traumatique repose sur un historique de traumatisme et l’apparition d’une boiterie soudaine avec une synovite du grasset. Des signes d’arthrose peuvent être présents?: l’arthrose peut en effet évoluer à bas bruit et précéder la rupture. Le plus souvent, la boiterie se développe de manière insidieuse après un incident lors d’un exercice quotidien normal. Les animaux atteints d’une affection chronique présentent souvent une boiterie avec appui. L’intensité de la boiterie semble dépendre aussi du type d’atteinte du LCA (complète ou partielle) [13]. À l’examen orthopédique rapproché, une effusion articulaire, une douleur à l’hyperextension ou à l’hyperflexion, des crépitements, un clic méniscal (mis en évidence lors de mouvements de flexion et d’extension), une atrophie musculaire, concernant surtout les muscles glutéaux et le quadriceps, et une fibrose péri-articulaire peuvent être observés. Chez les individus atteints d’une rupture partielle, seule une effusion articulaire et une hyperextension douloureuse sont mises en évidence. Un test du tiroir direct ou indirect positif est pathognomonique d’une RLCA. Le signe du tiroir n’est cependant pas toujours présent.

→ La radiographie contribue au diagnostic, en particulier chez les chiens ne présentant pas de signe du tiroir positif.

L’arthroscopie est la technique de référence pour l’évaluation de l’articulation lors de RLCA. Elle est réalisée préalablement au traitement chirurgical de stabilisation (suture extracapsulaire, ostéotomie de nivellement du plateau tibial [TPLO], avancement de la tubérosité tibiale [TTA], etc.) afin d’évaluer les ligaments croisés (en confirmant l’intégrité du ligament croisé caudal, notamment), le cartilage articulaire et les ménisques (ces derniers peuvent aussi être évalués par palpation).

L’arthroscopie permet également de visualiser l’état du LCA lors de luxation de la rotule (atteint dans 15 à 20 % des cas) (photo 1) [16]. Elle permet également de confirmer le diagnostic lors de forte suspicion de RLCA sans signe du tiroir associé. Les ligaments croisés sains apparaissent sous forme de fibres linéaires homogènes et parallèles de couleur nacrée avec présence de deux bandes : cranio-médiale et caudo-latérale (photos 2a et 2b). L’aspect des lésions dépend du degré d’atteinte du LCA. Dans les cas précoces de rupture partielle, l’architecture normale des fibres peut être perdue, le ligament apparaît alors homogène, œdématié et laxe à la palpation à l’aide du “palpateur”. Des fibres rompues peuvent également être observées (photo 3). La proportion de fibres rompues et la laxité augmentent avec la progression de la maladie, allant jusqu’à une RLCA complète.

Lors d’avulsion du ligament croisé, un fragment osseux est présent au niveau de l’insertion proximale (fémorale) ou distale (tibiale) (photo 4). Une synovite, une fibrillation ou une éburnation de l’os sous-chondral, des ostéophytes à la base et des enthésophytes à l’apex de la rotule, des ostéophytes sur la trochlée peuvent être observés (photo 5) [16]. L’arthroscopie apparaît comme une méthode fiable pour grader la synovite avec une corrélation importante avec le grade histologique [20].

2. Traitement

L’arthroscopie permet le débridement du LCA lors de rupture complète ou des fibres rompues lors de rupture partielle laissant les fibres intactes in situ. Néanmoins, cette étape reste controversée.

Un traitement chirurgical de stabilisation (suture extracapsulaire, TPLO, TTA, etc.) est ensuite nécessaire.

LÉSION MÉNISCALE

Les ménisques sont des structures fibrocartilagineuses en forme de croissant (ou de C). Ils sont maintenus en place par plusieurs ligaments (figure 1). Par leur surface concave et leur propriété viscoélastique, ils assurent la congruence des surfaces articulaires fémoro-tibiales. Ils participent à la stabilité articulaire, surtout lors de mouvements de rotation. Ce rôle est assuré principalement par la corne postérieure de chaque ménisque.

Les lésions méniscales sont le plus souvent rencontrées lors de RLCA et plus fréquemment lorsque cette rupture est complète (le risque de lésion du ménisque médial augmente de 12,9 fois) [14]. En effet, dans ce cas, les ménisques deviennent le premier stabilisateur et sont soumis à des forces de compression et de rotation anormales [25]. Une étude sur 1 000 chiens rapporte que 33,2 % d’entre eux ont présenté une lésion méniscale lors de RLCA [12]. Et c’est le ménisque médial, plus fermement attaché au tibia, donc moins mobile que le ménisque latéral, qui est plus susceptible d’être atteint dans ce cas [12, 30].

Une lésion méniscale isolée est très rare et a été décrite en association avec une lésion d’ostéochondrite disséquante [19]. Outre la rupture complète du LCA, les autres facteurs de risque de lésions méniscales incluent principalement le poids de l’animal et la chronicité de la lésion.

Bien que ces lésions soient souvent mises en évidence lors du diagnostic de RLCA, certaines peuvent apparaître comme des complications tardives après le traitement de celle-ci et entraînent une boiterie persistante nécessitant une nouvelle intervention. Ces lésions subséquentes peuvent être liées à un traumatisme postchirurgical ou à une erreur diagnostique lors de la chirurgie initiale. Elles sont décrites dans 2,8 à 17,4 % des cas [5, 6, 9, 12, 13, 18].

1. Diagnostic clinique et par imagerie

→ Cliniquement, une lésion méniscale est suspectée lors de douleur, principalement à la flexion, ou par la détection d’un déplacement méniscal par palpation et/ou d’un clic audible à la mobilisation du genou. Les lésions méniscales sont significativement corrélées à la sévérité de la boiterie avant l’intervention chirurgicale [13].

La sensibilité du clic méniscal est plus élevée lors d’une anesthésie, mais reste modérée (58 versus 46 % sur animal vigile) [24, 25]. La présence du clic méniscal est donc fortement indicatrice d’une lésion méniscale, mais son absence ne permet pas de l’écarter.

→ La plupart des examens d’imagerie (imagerie par résonance magnétique [IRM] bas champ, arthrographie et échographie) montrent une sensibilité faible pour le diagnostic des lésions méniscales (tableau). En revanche, l’IRM haut champ montre une très bonne sensibilité. L’arthro­scopie reste la technique de référence pour le diagnostic de lésions méniscales, présentant aussi une sensibilité et une spécificité plus importantes que l’arthrotomie [27, 31]. Il en résulte que les lésions méniscales tardives sont plus fréquentes à la suite d’une arthrotomie comparée à l’arthroscopie [34]. L’utilisation d’un crochet palpateur, que ce soit pendant une arthrotomie ou une arthroscopie, augmente la sensibilité diagnostique [27, 28].

Le ménisque normal est lisse et blanc nacré (photo 6). La bordure périphérique est plus épaisse, convexe et attachée à la capsule. Le bord axial est plus fin avec un bord libre. Le ménisque médial est à plat sur le tibia tandis que le ménisque latéral est légèrement surélevé. Le ménisque normal est ferme, élastique et peu mobilisable. Les lésions méniscales sont classifiées selon leurs apparence, localisation, forme et extension. Il existe six types de lésions méniscales?: des lésions verticales dans la longueur du ménisque (dont les lésions en anse de seau), obliques, radiales, horizontales, complexes (combinaison de plusieurs lésions) et dégénératives (photo 7 et figure 2) [16]. La lésion la plus souvent retrouvée est verticale longitudinale, dont l’anse de seau dans 57 % des cas [30].

Une manipulation du membre par un assistant permet d’améliorer la visualisation des ménisques : le genou est mis en rotation externe et en valgus pour la visualisation du ménisque médial, et en rotation interne et en varus pour celle du ménisque latéral. L’utilisation d’un distracteur à genou peut également être utile pour optimiser l’examen [3].

2. Traitement et pronostic

Une fois les lésions identifiées, l’arthroscopie peut être thérapeutique, en permettant la réalisation d’une méniscectomie (photo 8). L’étendue de la résection est cruciale et doit être suffisante pour retirer la lésion tout en préservant un maximum de tissu normal pour le maintien de la fonction méniscale. En effet, la méniscectomie altère la biomécanique et la stabilité du genou, et une résection méniscale large engendre des changements plus importants accélérant la progression de l’arthrose [29]. Plusieurs instruments peuvent permettre le traitement des lésions méniscales : un couteau à ménisque, une pince de méniscectomie, le shaver ou une lame de bistouri sont les plus couramment utilisés. Certains auteurs recommandent un relâchement méniscal sur les ménisques normaux afin de prévenir les lésions méniscales tardives [4, 18, 34]. Néanmoins, cette procédure est controversée. En effet, elle détruit l’arrangement circonférentiel des fibres de collagène et engendre une altération de la transmission des forces dans le genou et de la stabilité de l’articulation [21, 26, 28, 29].

Le pronostic des lésions méniscales isolées ou tardives est bon à excellent [6, 31]. Une amélioration significative est observée avec le traitement des lésions méniscales tardives [6]. La plupart des cas montrent une diminution de la boiterie dans les 90 jours qui suivent l’intervention [16].

AUTRES AFFECTIONS

1. Rupture du ligament croisé caudal

Le ligament croisé caudal est plus long et plus large que le LCA. Il prend origine au niveau d’une large fossette sur la face interne du condyle fémoral médial et vient se terminer sur le bord caudal du condyle médial du tibia. Il croise le LCA médialement. Dans la plupart des cas, une lésion du ligament croisé caudal est associée à une rupture du ligament collatéral médial et/ou du LCA [15, 33]. Une lésion isolée est rare.

Le chien présente une boiterie d’intensité variable (allant de discrète à sans appui) ainsi qu’une douleur à la palpation et à la manipulation du genou. De plus, un signe du tiroir caudal peut être mis en évidence. L’examen radiographique peut conforter la suspicion clinique [16]. L’arthroscopie permet de confirmer le diagnostic.

La prise en charge est controversée. Un traitement conservateur (repos, anti-inflammatoire) peut permettre une résolution des signes cliniques. Lors d’une persistance de la boiterie, un débridement du ligament sous arthroscopie et une stabilisation par des techniques extracapsulaires sont indiqués. Lors d’avulsion du ligament croisé caudal à son attache fémorale, le fragment est fixé à l’aide d’une vis, de broches divergentes ou de broches et d’un cerclage [16].

2. Avulsion et luxation du?tendon long extenseur des doigts

Le tendon long extenseur des doigts prend son origine dans la fosse des extenseurs sur le condyle fémoral latéral. L’origine du tendon est presque entièrement intra-articulaire [10].

L’avulsion du tendon est plus souvent décrite chez des chiens immatures de race grande ou géante et est généralement secondaire à un traumatisme [11, 17]. Une lacération iatrogénique du tendon peut être consécutive à une intervention sur le genou, en particulier un TTA. Une luxation du tendon peut accompagner une luxation de rotule ou être secondaire à une TPLO. L’examen orthopédique met généralement en évidence une effusion de l’articulation, un épaississement en regard de sa partie latérale et la possibilité de fléchir au maximum le genou tout en étendant le tarse et en fléchissant les doigts en l’absence de tension. À l’examen radiographique, il est possible de noter un élément minéralisé dans l’articulation cranialement et latéralement au condyle fémoral latéral. L’arthroscopie permet de confirmer le diagnostic [17].

Conclusion L’arthroscopie du genou s’impose comme l’examen complémentaire de choix, après la réalisation de radiographies, lors de RLCA afin d’évaluer l’affection ligamentaire et les lésions méniscales associées. Ces dernières peuvent être explorées par IRM haut champ également, mais l’arthroscopie est plus souvent utilisée, en raison de sa grande disponibilité et de la possibilité d’adjoindre directement le traitement de la lésion.

Références

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  • 9. Ertelt J, Fehr M. Cranial cruciate ligament repair in dogs with and without meniscal lesions treated by different minimally invasive methods. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2009;22:21-29.
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Conflit d’intérêt

Aucun.

Points forts

→ Lors de rupture du ligament croisé cranial (RLCA), l’arthroscopie permet d’évaluer ce dernier, le ligament croisé caudal, le cartilage articulaire et les ménisques.

→ Les lésions méniscales sont observées sur un tiers des chiens présentant une RLCA. La corne postérieure du ménisque médial est plus souvent lésée que celle du ménisque latéral.

→ Il existe six types de lésions méniscales : verticales, obliques, radiales, horizontales, complexes (qui sont une combinaison de plusieurs types) et dégénératives.

→ L’arthroscopie permet le diagnostic et le traitement des lésions méniscales.

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